Monrose ou le Libertin par fatalité/II/21

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Lécrivain et Briard (p. 116-121).
Deuxième partie, chapitre XXI


CHAPITRE XXI

CHACUN A SON TON, SON ALLURE


« Toutes les dispositions étaient faites d’avance. Ces dames, amorcées par la curiosité, vinrent, au saut du lit, dans un négligé tout à fait convenable à nos vues. Un chocolat vanillé, musqué à mettre le feu partout, fut le prélude de notre studieuse séance. Enfin, le fameux portefeuille parut : c’était, à la suite de quelques gravures seulement galantes, et qui s’égayaient par degrés, un copieux ramas de tout ce qu’on connaît de bon et de passable dans le genre libertin le plus nu, le plus stimulant. Mimi soutenait très-philosophiquement les progrès de cette intéressante folie ; mais la scrupuleuse Dodon se faisait tenir à quatre, quoique riant d’assez bon cœur. Insensiblement pourtant il arriva des tableaux si bigarrés, des groupes si scandaleux pour une femme qui n’a pas fait encore tout son cours, qu’elle ne voulut plus suivre des yeux ce qui captivait au contraire ceux de son amie, et faisait accoucher celle-ci des commentaires les plus saugrenus. Dodon voulait s’échapper, mais tout était fermé du côté de l’entrée principale ; mon bon génie chassa pour lors l’effarouchée Dodon vers le cabinet, vers ce propice cabinet où le jour des huîtres… Vous vous en souvenez, chère comtesse ? « Je m’y trouve donc enfin avec vous, lui dis-je gaiement ; m’y voici dans ce réduit enchanteur où l’on faisait, il y a deux jours, de si jolies choses à une certaine dame à qui, pour son bien, j’aurais souhaité moins de scrupule ! » Madame Des Voutes se trouble et fixe sur moi des yeux observateurs. « Ne craignez rien, charmante femme, me hâtai-je de lui dire en tombant à ses genoux. Vos tendres secrets ne sont pas moins en sûreté dans mon cœur, que je ne crois les miens dans le vôtre… Cependant (ici je commençais à gesticuler) la prudence exige que nous nous donnions des gages réciproques d’indulgence et de discrétion. » Déjà de leur côté, le comte et Mimi faisaient du vacarme ; le rideau de l’alcôve tomba d’abord avec sa tringle ; ensuite nous entendîmes un pillage bigarré de petits mots, d’éclats de rire… « Écoutez, dis-je à Dodon, comment votre amie s’exécute et s’assure de l’homme qui pouvait nous trahir. Faisons de même, madame, mais que notre transaction soit moins orageuse. » Soit que quelque jalousie ou le désir, complément autorisé, causât chez ma flegmatique adversaire certaine distraction où l’autre scène semblait la jeter, elle mettait peu de force et d’adresse à se défendre. Bientôt je suis maître de tout ce dont je voulais m’emparer. Je la fais reculer sans peine, et tomber enfin, sur le plus commode des canapés, si résignée que je me crois dispensé de hâter ma victoire.

« Semblable à l’autruche qui dès qu’elle a mis sa tête derrière un arbre, et ne voit plus le danger, se rassure et subit l’événement, la douce Dodon n’a pas plutôt fermé les yeux, et renversé pardessus eux sa jolie main, dont les doigts sont en l’air, qu’elle s’abandonne et marmotte : « Mon Dieu, mon Dieu ! ce recoin est donc ensorcelé !… Je me perds… mais qu’y faire ! »

Monrose, 1871, Figure Tome 2 page 118
Monrose, 1871, Figure Tome 2 page 118

« Le comte avait raison : madame Des Voutes est, dans le genre étoffé, tout ce qu’on peut imaginer de plus désirable. Rien ne surpasse la blancheur et la finesse de sa peau. Les formes ont le trait moelleux du plus beau modèle ; le moindre degré de fermeté de plus serait un défaut. Quoique énormes, les hémisphères de son sein n’ont d’autre mobilité que celle de la respiration ; ceux du bas sont deux blocs d’albâtre ; un corail épais et rétif dispute arrogamment la brûlante entrée du sanctuaire des plaisirs. J’étais bien loin de m’attendre à tant de secrètes richesses. Leur mine m’est enfin livrée, et je l’exploite à discrétion. C’est pour la première fois que je possède une femme à peu près immobile en pareil cas. La douce et gourmette Dodon ne marque s’apercevoir de ce qui lui arrive que par une forte teinte d’incarnat qui l’embellit, par un voluptueux sourire qui, entr’ouvrant sa petite bouche, fait voir, sur les bords d’un râtelier éblouissant, la rose d’une langue à l’affût du baiser. Le moment le plus vif ne dérange rien à l’imperturbable quiétude de mon originale conquête ; mais un doux frémissement, un murmure intestin, marquent sans équivoque les instants du suprême bonheur. Malgré ce calme apparent on est parfaitement heureux, et l’on convient que la brûlante, quoique si peu démonstrative Dodon, est une sublime jouissance. Dans les bras de la foudroyante Moisimont on est rôti, dans ceux de sa compagne on est cuit au bain-marie. Il faut bien, en un mot, que cette femme ait une dose surabondante d’aimant, puisqu’au bout de trois quarts d’heure, je ne lui avais pas encore dit tout ce qu’elle m’inspirait… « Oh ! doux ami ! » répété tendrement, avait été l’unique signal de la part qu’on avait prise à la consommation de chacun de mes sacrifices. « Bonté de Dieu ! dit-elle enfin avec un long soupir, comment rentrer là-dedans ! — Quelle enfance ! vous savez bien, ma chère amie, qu’ils n’ont pas été plus sages que nous… — Oh mais !… »

« Le comte et notre folle guettaient le moment où nous ressusciterions, pour nous faire la plaisanterie des noix confites[1]. La dessalée Mimi dit tout ce qu’il fallut pour mettre à son aise la conscience de sa timide amie ; ces dames s’embrassèrent de la meilleure amitié. « Vous êtes un charmant garçon, » me dit le comte. Il rayonnait de bonheur et me secouait la main. « Eh bien ? (Me montrant du coin de l’œil son infidèle Dodon.) — Délicieuse ! Et ?… (Je lui désignais de même ma parjure Mimi.) — Céleste ! Mais je pense, chevalier, que nous offenserions ces dames, si nous nous bornions auprès d’elles à cette passade. Elles seraient humiliées de croire que nous n’aurions eu pour elles qu’un désir de curiosité. — Je vous entends : au surplus, c’est à elles de régler nos destinées. Quant à moi, mon cher comte, je me sens incapable, si j’étais à l’épreuve, de me refuser la douceur de vous faire cocu. — C’est mettre bien à son aise un ami qui, pensant de même, répugnerait à vous faire tort. » Mimi vint interrompre cette effusion de mutuelle délicatesse, et m’entraînant dans une embrasure : « Remercie-moi, monstre, me dit-elle, de m’être sacrifiée si généreusement pour te faire avoir Dodon : c’est ainsi que j’ai voulu te vaincre de procédés et me venger de ta vilaine jalousie au sujet de Nicette. » Je ne pus m’empêcher d’embrasser la jolie folle, tout piqué que j’étais de ce qu’au lieu d’implorer le pardon de l’infidélité qu’elle venait de se permettre, elle prétendait encore que je me crusse dans le cas de lui en avoir quelque obligation. »


  1. En beaucoup d’endroits, et nommément dans la province de ces dames, les gens de noces apportent aux nouveaux mariés des noix confites après que le mariage est consommé.