Monrose ou le Libertin par fatalité/II/31

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Lécrivain et Briard (p. 180-183).
Deuxième partie, chapitre XXXI


CHAPITRE XXXI

FIN DU RÉCIT DE LEBRUN. ÉCLAIRCISSEMENT


« Cependant depuis ma fatale rencontre avec Saint-Lubin chez la banale regrattière, il n’avait garde de reparaître à l’hôtel. Il feignit une indisposition : vous eûtes la bonté de voler à sa demeure ; c’est alors sans doute que j’eusse dû vous révéler mes orageux secrets ; mais j’avais une idée qui m’en empêcha. Le coup médité par l’infernale clique ne pouvait être longtemps différé ; d’ailleurs, le jour, il ne pouvait rien y avoir à craindre pour vous, et je me réservais de ne jamais vous perdre de vue la nuit ; au surplus, comme vous n’étiez pas fait pour vous trouver en scène avec cette écume qui s’était conjurée contre vous, je me proposais de mettre seul à fin l’aventure, d’écraser vos infâmes ennemis ; je voulais, en un mot, qu’avant d’avoir eu, à propos de tout ce micmac, l’ombre d’un souci, vous n’eussiez plus, au dénouement, qu’à rire avec moi de mes prouesses, et à recueillir, pour devenir plus sage, les fruits d’une mémorable leçon. — Ah ! mon cher Lebrun, interrompis-je, touché de son généreux attachement, dans ce temps-là même je répondais bien mal, sans m’en douter, à tes louables intentions. D’abord, ce fut le jour même où je vis chez lui Saint-Lubin, qu’il m’entraîna, de la manière la plus adroite, chez l’insidieuse Armande. Ensuite il me déclara qu’il n’aurait plus l’avantage de me voir chez moi, ne pouvant soutenir la vue d’un insolent valet tranchant du censeur, et qu’il savait de bonne part être l’espion payé… soit par vous, comtesse, soit par mes parents d’Angleterre, pour leur rendre compte de toute ma conduite, comme si, disait-il, mon âge, mon état et la jouissance d’une partie de ma fortune ne devaient pas m’affranchir de toute espèce d’autorité ! — Mon cher maître, répondit Lebrun avec chaleur, on ne put sans doute vous persuader de tant de bassesse de ma part ! Aussi ne me dîtes-vous rien. J’avais à cœur de vous donner une grande preuve d’attachement et de zèle. C’est pourquoi, de mon côté, je ne voulais rien prématurer. Il est clair aujourd’hui qu’une explication réciproque nous eût été plus avantageuse ; mais la faute est faite, il s’agit maintenant de la réparer. Il ne me reste plus rien à vous dire, sinon que j’ignorai tout à fait votre première entrée chez M. de la Bousinière ; quant à la seconde, celle à la fin de laquelle vous sortîtes par le cul-de-sac, j’en eus connaissance, et, fortifié de deux de mes amis, je fus aux aguets pour la sûreté de votre retraite. Peut-être fût-ce notre incommode présence qui dissuada pareil nombre de gens suspects de se glisser dans le cul-de-sac, dont nous approchions aussi toutes les fois qu’ils semblaient vouloir s’en emparer. Vous parûtes enfin : il n’était que neuf heures du soir ; d’aussi bonne heure on n’eût peut-être pas osé vous attaquer. — Tu viens, je crois, de m’expliquer pourquoi je vis à la perfide Armande un air d’embarras lorsqu’elle m’éconduisit. Il est possible qu’elle s’attendit à voir paraître ces gens que ta présence empêchait de se montrer ! — Il n’y a pas de conjecture qu’on ne puisse hasarder à ce sujet. Quoi qu’il en soit, mon cher maître, le faible service que je venais de vous rendre, ne valait pas la peine que je m’en fisse un mérite auprès de vous : je ne dis rien.

« Deux ou trois jours après, vous eûtes, au bois de Boulogne, la délicieuse aventure de reconnaître, dans l’amazone au cheval isabelle, votre tant regrettée Colombine du lundi gras. Vous vous jetâtes à corps perdu dans une intrigue avec madame de Moisimont. Dès lors je ne craignis plus rien pour vous du côté du Marais. D’ailleurs, je savais Carvel malade de ses contusions négligées ; une fièvre lente l’obsédait, et le vice de son sang présageait que son état deviendrait une sérieuse maladie. Béatin aussi tournait au plus mal. Les bulletins que l’officieux Bistouret m’en donnait volontiers Au Panier-Fleuri, étaient tout ce que je pouvais souhaiter de favorable. Pour surcroît de bonheur, un hasard précieux vous apprit à connaître enfin votre mercure perfide ; vous vous fîtes bravement raison de ce gredin. J’avais donc lieu de croire tous les orages dissipés, et que chacun de vos ennemis était puni ou le serait à proportion de ses crimes. Mais quand vous recevez, de la part d’Armande, une lettre dont vous êtes si fort agité, toutes mes alarmes renaissent. Voyez maintenant, mon cher maître, ce qu’il vous convient de faire, et si vous pourriez, sans injustice, prendre en mauvaise part ma soucieuse mais nullement indiscrète curiosité. »