Monrose ou le Libertin par fatalité/III/23

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Lécrivain et Briard (p. 128-132).
Troisième partie, chapitre XXIII


CHAPITRE XXIII

L’ÉCOUTEUR AUX PORTES


Il était à peu près deux heures, lorsque enfin mon nocturne ambassadeur s’introduisit chez moi par l’une des niches mystérieuses. « Approchez, mon cher. Eh bien ! quelles nouvelles ?… » Mais lui, sans répondre, se déshabille en un instant, et plus prompt que le vent, plus agile qu’un chat, il est au lit entre la marquise et moi… « Cela ne sera pas ! dis-je, un peu piquée de certaine liberté… — Chut ! ne troublons point le sommeil de la bonne amie… — Vous oubliez nos conventions, monsieur, et que, sans une permission positive… — J’éveille donc la marquise ! — Je dors comme une souche, repartit celle-ci d’un ton badin, et je serais fort fâchée qu’on m’éveillât ! » Celui qu’on connaît si bien n’était pas homme à se payer de nos mauvaises raisons. « Mais, disais-je, en me défendant toujours, comment ne concevez-vous pas qu’on doit, avant tout, contenter la curiosité d’une femme ? — Mais voyez donc quel mauvais coucheur ! dit à son tour la marquise, sur qui l’on se rabattait, puisque j’étais si difficile à vivre. Oh ! ma chère comtesse… vous m’avez bien mal élevé… ce jeune homme-là ! Et moi, j’en suis aussi !… Quelle folie ! » Mais elle était fort obligeante. Mon rôle avait bien ses délices : il s’animait à l’ardeur de l’action principale. Un bras de l’heureuse d’Aiglemont s’était passé sous ma nuque et m’attirait. Nos bouches se rencontraient et se donnaient mille brûlants baisers que l’envieux Monrose avait grand soin d’y reprendre à l’instant. « Oh !… mes… amis !… » soupirait la petite marquise en se pâmant sur ma bouche ; et déjà ce n’était plus elle, c’était moi qui primais. « Parlons raison maintenant, » dit le fripon au bout de cinq minutes. Que n’avez-vous vu, ma chère comtesse, comment on s’est conduit chez ces dames ! Armande, aux petits soins avec elles, roulait les cheveux de Floricourt au moment où je me suis niché. Belmont, jolie comme un ange dans sa coiffure de nuit, louait une glace dans laquelle, pour la première fois qu’elle en voyait d’aussi pure, elle se trouvait sans aucune altération de couleur. Et pour s’en bien assurer elle y faisait toucher les demi-globes élastiques de son sein de neige. Que ce miroir était heureux de les baiser ainsi !

Monrose, 1871, Figure Tome 4 page 133
Monrose, 1871, Figure Tome 4 page 133

« — Ah ! madame ! disait en même temps Armande à Floricourt, avouez que j’ai joué de bonheur, quand mon grand-chanoine, quoiqu’il eût la fortune de vous connaître, a pu faire quelque attention à moi ? — Nous n’aimons pas l’église, a répondu Floricourt ; l’ami de Belmont… — Et qui est bien aussi tant soit peu le tien !… — Pouvait seul nous faire surmonter une répugnance… — Fort injuste ! a encore interrompu Belmont ; car messieurs les militaires sont si fats, si médisants, si capricieux ! les financiers si rustres, si ridiculement vaniteux ! les robins si fades, si froids, si pédants !… — Pas mal, ma chère Belmont ! Comment ! toi, méchante ! Dis-moi, Monrose n’est-il pas militaire ? Nous a-t-il donné le moindre sujet de plainte ? — Que s’en est-il fallu ? Tout ! — Avons-nous pu le conserver ? — Soyons justes, mon cœur. N’avons-nous pas nous-mêmes ouvert la porte de la cage ? »

Depuis un instant Armande ne savait plus ce qu’elle faisait ; le compas lui est échappé des mains ; se sentant affaiblie, elle a couru se jeter sur une bergère, elle s’y est trouvée mal. Les amies se sont empressées à la secourir ; elle a recouvré l’usage de ses sens : « Il faut beaucoup connaître quelqu’un, a dit Belmont, pour éprouver, à son occasion, des affections de cette violence ! — Aussi ne connais-je que trop le chevalier Monrose… ou bien plutôt, c’est lui qui m’a trop connue pour son malheur ! » Ses larmes coulaient. Ces dames ont été curieuses. Armande leur a conté, de point en point, toutes mes aventures du Marais, mais avec tant de partialité en ma faveur et contre elle-même, qu’elle m’a fait souffrir. Quel devait être le supplice d’une fille aussi franche, aussi généreuse, quand on la forçait aux plus viles impostures ! Affreux la Bousinière ! scélérat de Carvel ! c’est surtout dans ce moment si naturel que j’ai pu mesurer toute l’étendue de votre perversité ! « Eh bien ! ne voilà-t-il pas qu’il se désole ! » dit avec souci la charmante d’Aiglemont, passant sous le menton du conteur une main caressante et lui donnant un baiser. Je ne mis rien du mien dans cette circonstance, mais je jouissais délicieusement des émotions de mon ami, pour qui je ne craignais que deux choses au monde : d’une part, des passions furieuses ; — heureusement il n’en avait pas encore été atteint ; — de l’autre, cette insensibilité à la mode, qui se contracte si vite dans un tourbillon corrompu, et qui caractérise messieurs les roués, vrais fléaux de la galanterie. Ne les voit-on pas se railler impitoyablement de tout, et trouver les peines de cœur d’autrui, même celles qu’ils occasionnent, quelque chose de fort ridicule !