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Monrose ou le Libertin par fatalité/IV/17

La bibliothèque libre.
Lécrivain et Briard (p. 94-98).
Quatrième partie, chapitre XVII


CHAPITRE XVII

PETIT ORAGE. COMMENT APAISÉ


« Non, non, madame, il ne l’épousera pas, dit (se jetant où nous étions et criant) mon écervelé de neveu, dont aussitôt je devine la manœuvre. Lui ! l’odieux sir Georges, devenir l’époux de miss Charlotte ! Si j’avais mille vies, il faudrait qu’il m’arrachât la dernière avant que de conclure un hymen aussi mal assorti ! » Monrose, en parlant avec fureur, parcourait la chambre à grands pas : il était fou. La pauvre Zéïla, stupéfaite, semblait me dire des yeux : « Il sait tout : quel démon m’a trahie ! »

Après cette belle entrée et d’autres imprécations dont je fais grâce au lecteur, l’extravagant fit un saut vers la porte ; j’eus le bon sens de m’opposer. « Où courez-vous ? — M’assurer de miss Charlotte ; la soustraire au projet noir qu’on a formé contre elle ; la dérober à la persécution… — Quel langage, mon fils ! Oubliez-vous que c’est devant moi… — Ô ma mère, que je suis loin de vouloir vous offenser ! Dans tout ceci vous ne faites qu’obéir… c’est votre cruel époux qui ordonne et persécute… Oui, ma mère, je le sais, miss déteste le mariage, et l’on veut lui faire violence… — Violence, mon fils ! je serais incapable de m’y prêter. — Et cependant vous vous disposez à priver cette créature angélique des beautés de son nouveau séjour ! De plein saut vous la jetez dans un maudit couvent ! C’est par l’horreur de l’esclavage monacal que vous voulez assouplir Charlotte, afin qu’elle puisse se résigner à subir l’autre… Mais non, non, ma mère, cette intrigue détestable ne se consommera point, du moins aussi longtemps que je vivrai. Sir Georges, pour plus d’une raison, est mon ennemi déclaré. Du moment qu’il a pu être assez peu généreux pour offenser de nouveau celui qui revenait à lui de bonne amitié, j’ai cessé d’être indulgent à son égard. Je lui réservais la mort, je la lui dois plus promptement à cette heure… (D’un ton plus doux.) Mais, vous aussi, chère Félicia, vous voulez être contre moi ! vous arrêtez mes pas. Avez-vous déjà pris un rôle dans le complot inique ? » Je ne répondis rien ; je gardai seulement la porte. Zéïla se désolait dans un fauteuil. Monrose était trop délicat pour forcer la barrière que je lui faisais de ma personne… Il a baissé les yeux ; il médite… Puis il court à sa mère, se jette à ses pieds ; implore un pardon pour son manque de respect ; se justifie le moins mal qu’il peut du transport où il vient de s’engager ; mais, toujours furieux contre le baronnet, il jure que jamais cet homme ne deviendra l’époux de Charlotte.

Cependant nous voilà fort embarrassées. « Sir Georges est-il déjà prévenu de votre arrivée ? demande le jaloux à sa mère. — Pourquoi cette question ? — C’est que sans doute, s’il vous sait à Paris, il se hâtera de réclamer l’exécution du projet de le marier avec miss Charlotte… mais j’y mettrai bon ordre ! — Écoutez-moi, mon cher neveu. — Volontiers, pourvu que vous approuviez mon idée. — Quelle est-elle ? — D’empêcher, n’importe comment, une union qui serait funeste à mon repos. Que milord me refuse sa nièce, il en sera maître : je ne l’épouserai point malgré lui ; mais que du moins il ne la force point à contracter un engagement pour lequel je sais qu’elle aurait de la répugnance. Je ne me flatte point d’être immédiatement agréé : sans doute on m’aura noirci auprès de l’adorable Charlotte ; mais peut-être enfin je la verrai. Je saurai la détromper, et lui faire croire à des sentiments… dont on m’a probablement fait passer pour incapable. — Eh bien ! mon fils, je ne ferai rien avant d’avoir consulté Sidney. — Ah ! ma mère ! sur ce pied vous pouvez m’ordonner tout ce que vous jugerez à propos… — D’abord que vous laissiez sir Georges parfaitement tranquille. — C’est lui qui m’a défié. Le démêlé qui demeure suspendu, parce qu’il n’a pas voulu qu’il fût terminé, n’a rien de commun avec son prétendu mariage. Tout ce que je puis promettre, c’est de ne point englober ce nouvel intérêt dans le précédent, c’est de laisser ignorer à sir Georges comment et en vertu de quel droit je suis son rival. — Bien, mon neveu. M’est-ce pas, Zéïla, que de sa part nous ne pouvons rien exiger de plus ? — Sinon que provisoirement il ne s’oppose à aucune de mes vues à l’occasion de miss Charlotte, qu’il souffre qu’elle entre au couvent, et que, par aucune démarche, il n’y trouble son repos : or, sûrement, ce serait assez, pour cela, que de lui faire savoir qu’on est retrouvé, qu’on l’aime… — Ou qu’on croit l’aimer, interrompis-je, car je vois jusqu’à présent tout au moins autant de roman et de taquinerie que de vraie passion à cette belle reprise d’amour. — Je le souhaite, répliqua ma sœur, car la connaissance que j’ai du caractère de mon époux, me fait craindre qu’il ne soit incapable de varier dans ses plans. En un mot, j’écrirai ; mon fils écrira lui-même : ne doit-il pas être assez généreux pour rien entreprendre avant le retour des réponses ? — Il s’y engagera, j’en réponds. — Quelles dures lois vous me dictez ! Mais, si je me prête à vos sévères désirs, vous-même, ma mère, vous serez jusqu’à nouvel ordre absolument neutre entre sir Georges et moi ! Je vous jure donc de ne plus rien tenter sans votre attache ; heureux si je puis, au prix du plus cruel sacrifice, vous prouver à quel point je suis jaloux de ne perdre aucun de vos bons sentiments. »

Ce petit traité calma les esprits. Ma sœur retourna dîner chez elle, et dès l’après-midi miss Charlotte fut par elle conduite au couvent de Colombe.