Monsieur Cagnard
PERSONNAGES. | ACTEURS. |
M. DELAUNE, fabricant de rubans. | M. Cazot. |
Mme DELAUNE, sa femme. | Mme Vautrin. |
M. CAGNARD, leur associé. | M. Odry. |
PROSPER, neveu de M. Delaune, lieutenant dans la garde nationale. | M. Hippolyte. |
JULIETTE, sa femme. | Mme Herfort |
AGATHE, sœur de Prosper. | Mlle Marchetti |
MANIQUE, portier et savetier. | M. Vernet. |

Nota. Les personnages sont placés en tête de chaque scène comme ils doivent l’être au théâtre : le premier occupe la droite de l’acteur.
MONSIEUR CAGNARD,
OU
LES CONSPIRATEURS.

Scène première.
Te voilà donc arrivée, ma chère Juliette ?
Oui, mon ami ; heureusement, car je m’ennuyais bien de vivre éloignée de mon mari.
Nous ne serons plus séparés ! Mais si tu savais comme j’étais inquiet de te savoir seule dans une voiture publique.
J’avais pris mes précautions. (Elle entr’ouvre son manteau.) Tiens, je passais aux yeux de mes compagnons de voyage pour un jeune étudiant qui allait faire son droit à Paris.
Et ils l’ont cru ?
Sans doute, ils m’ont demandé si j’allais signer les protestations ; mais, mon ami, tu vas me présenter à ton oncle et à ta tante ?
Pas encore. Il faut prendre nos mesures… D’abord je t’ai fait entrer dans la maison sans être vue ni du portier ni de sa femme.
Pourquoi donc tant de mystère ?
Il le faut bien ; si tu connaissais le caractère de M. et de madame Delaune…
Je sais que leurs opinions politiques les ont brouillés avec mes parens ; mais j’apporte quelque chose… je te dirai cela.
Ils sont plus fous que jamais. Imagine-toi que cette maison est un foyer de conspirations.
Ah ! mon Dieu !
N’aie pas peur ! ce sont bien les conspirateurs les plus ridicules ! Mon oncle est entouré de tous ses vieux amis de la petite Provence, pour lesquels aucune nouvelle n’est assez bizarre, ni assez absurde ! Ma tante se laisse persuader par des imbéciles d’une autre espèce, parmi lesquels il y en a d’assez fins pour manger son dîner et pour lui emprunter de l’argent.
Ils ne sont pas trop mauvais politiques.
N’ont-ils pas été jusqu’à persuader à l’une qu’un jeune prince autrichien était prêt à entrer dans Paris ; à l’autre, qu’une princesse, que tu devines sans doute, était cachée dans le faubourg Saint-Germain.
Et ils croient…
Tout ce qu’on veut : ils sont entretenus dans leurs idées chimériques par ce sot de M. Cagnard, leur associé, l’homme le plus crédule et le plus poltron des quatre-vingt-six départemens.
M. Cagnard !… c’est ton rival, c’est lui qui avait demandé ma main à mon père, et à qui il faut cacher notre mariage à cause de quelques petits intérêts de commerce.
Mon oncle doit me céder son fonds le jour où je me marierai, alors…
Dépêche-toi donc de lui apprendre notre mariage.
Aujourd’hui même. C’est sa fête, et ce soir, dans l’explosion de la tendresse, quand le punch, le vin de Champagne lui auront un peu monté la tête…
Joli moyen !
Il est tout diplomatique.
Mais si tu ne veux pas qu’on me voie avant ce soir, où vas-tu me placer ?
J’ai songé à tout. Il y a là une cachette connue de moi seul, faite par mon père en 1814, du temps des cosaques, pour y mettre ce que nous avions de plus précieux ; tu vas y entrer… Ce qui me contrarie, c’est d’être obligé de te laisser seule une partie de la journée.
Pourquoi donc cela ?
Tu le vois, je suis de service, mon capitaine vient de me faire dire qu’il était malade, et qu’il comptait sur moi pour commander le poste voisin.
Je m’ennuierai bien sans toi.
Si ma sœur Agathe n’était pas si curieuse et si bavarde, je lui confierais notre secret.
Un jour est bientôt passé. Je tâcherai de me distraire… D’abord, ne pourrais-tu pas me donner à déjeuner ?
Le buffet est dans la pièce voisine, je vais… Ah ! mon Dieu ! j’entends du bruit ! on vient ! Vite, vite à la cachette.
Scène II.
Tu es seul, mon frère ?
Tout-à-fait, ma sœur.
Avec qui parlais-tu donc ?
Avec personne.
C’est singulier… J’avais cru entendre tout à l’heure…
Ah !… peut-être le tambour de la garde nationale, qui est venu me dire qu’on m’attendait au poste.
Je viens de le voir dans la cour.
C’est cela ; je lui parlais par la croisée.
Ah !
Que cherches-tu donc ?
Rien… Ah ! çà, mon frère, c’est aujourd’hui la fête de mon oncle… est-ce que tu ne pourras pas en être ?
Si fait. Je quitterai le corps de garde à l’heure du souper.
C’est ça… tu rentreras tard… tu sais que mon oncle et ma tante aiment que les portes soient fermées de bonne heure… Cette maison est si isolée.
Je recommanderai qu’on fasse des patrouilles de ce côté.
Avec ça qu’on dit que Paris n’est pas tranquille.
Qui est-ce qui dit ça ?
Mon oncle et ma tante.
Ils ont peur de tout.
C’est vrai !
Ils ne rêvent qu’extravagance,
Troubles, révolte et cætera,
Moi, j’ai trop d’esprit, tu le penses,
Pour m’effrayer de tout cela…
Mais ils disent que l’on appelle
Tous les garçons au champ d’honneur,
Que l’on restera demoiselle…
Et voilà ce qui me fait peur.
Scène III.
Ça n’est pas si amusant qu’on le disait, les révolutions !… Mais c’est bien drôle, j’avais cru voir ici quelqu’un par le trou de la serrure… et je ne vois plus rien. (On entend Manique dans la coulisse.) Ah ! voilà le portier… questionnons-le…
Scène IV.
Salut et fraternité, mam’zelle Agathe, c’est les journals que j’apporte… La Révolution pour madame Delaune et la Quotidienne pour monsieur… parce que quant à vous, votre Journal des Modes n’est point z’encore arrivé, vous savez qui n’paraît que deux fois par semaine.
Dites-moi, Manique, avez-vous bien soin de fermer votre porte ?
Pourquoi cette question z’insidieuse, mam’zelle Agathe ?… je suis t’un homme probe et sévère sur mes principes.
Vous êtes sûr que personne ne s’est glissé dans la maison ?
Il n’y a que moi z’ou mon épouse qui tire le cordon, et madame Manique est aussi estrique que moi dessus c’qu’elle a z’à faire.
J’avais cru voir passer une personne inconnue.
Écoutez, j’n’ai pas quitté la loge… Il n’est z’entré ce matin que le porteur d’eau, le charbonnier et le tambour de la garde nationale.
C’est singulier.
Soyez tranquille, je sais qu’un portier doit z’être prudent dans toutes les quartiers… il y a dans Paris tant de malfaicteurs… mais il doit l’être encore plus dans ce quartier z’ici, qui est très isolé… La rue de Babylone est extrêmement chimérique par sa position.
Que voulez-vous dire ?
Je m’entends… Le faubourg Saint-Germain a des opinions qui ne sont pas très catholiques… et comme j’entends souvent parler de conspirations…
Ah ! mon Dieu ! Manique, vous me faites trembler.
Je ne dis pas qu’il ne se machine pas queuqu’chose… il y a du grabuge en l’air.
On ne sera donc jamais en paix ?
Jamais, tant qu’on ne verra pas en France une belle et bonne république… Qu’est-ce que vous voulez, il n’y a rien d’estable ; on ne prend que des demi-mesures. J’entends dire à chaque instant : nous avons une quasi-république, une quasi-liberté, une quasi-légalité. Tous ces quasi-là, ça embrouille. Autrefois nous n’avions que la Quasimodo !
Et vous dites donc qu’il y a du danger ?
Oui… mais n’ayez pas peur.
Oh ! j’ai peur de tout… Mon oncle et ma tante ont chacun de leur côté des craintes terribles… Les gens qui viennent les voir ont un air effrayé qui me fait trembler ; il n’y a que mon frère qui rit de tout.
M. Prosper est un jeune homme sans espérience, il croit que tout ira bien !… Je plains son erreur, mais je respecque son opinion, comme je veux que l’on respecque la mienne… Les opinions sont libres !… les hommes sont égal… Je vais balayer ma cour.
Scène V.
Mon Dieu ! mon Dieu !… Je voudrais bien être mariée pour sortir de cette maison-ci… Quoique M. Cagnard ne soit ni beau ni aimable, je l’épouserais plutôt que de rester comme je suis.
Scène VI.
Agathe !
Ah ! mon Dieu ! mon oncle, vous m’avez fait peur.
Le tambour est venu chercher ton frère ce matin, il paraît qu’il y a quelque chose.
Non, non, il monte la garde.
Il l’a montée il y a huit jours.
Mais c’était pour vous.
Ah ! oui, tu as raison… En vérité c’est exténuant d’être de garde si souvent !… mais c’est égal, ne me trahis pas !… tout ça n’est pas fini.
Vous croyez, mon oncle ?
On vient de me le dire à la Bourse… c’est un haricoteur de mes amis qui vient de perdre beaucoup sur les rentes.
Et ça vous inquiète ?
J’ai peut-être tort… car
Il n’est point d’absurde nouvelle,
Qu’à la Bourse on n’aille crier,
Pour rendre sa chance plus belle,
Ou pour mieux placer son papier.
Dans leur avidité constante,
Ces joueurs-là feraient vraiment
Descendre le gouvernement…
Si ça faisait monter la rente !
J’ai une peur des révolutions !
Et moi donc !… Vous me direz, un fabricant de rubans comme moi ne peut qu’y gagner, quand il a le bonheur de n’en pas être victime !
Je sais bien que vous avez fait votre fortune dans les rubans.
Je l’ai commencée en 89… je me rappelle les cocardes vertes… ça n’a pas duré long-temps… mais tout Paris en a porté… Après ça sont venus les rubans tricolores ! Oh ! là-dessus, j’ai fait des envois dans les départemens… Mes fabriques allaient jour et nuit.
Et avec les rubans blancs ?
J’ai fait de l’or… C’était bien du fond du cœur que je fournissais les décorations du lys… les cocardes blanches… Cependant, j’ai été obligé de gagner une cinquantaine de mille francs pendant les cent jours… ça m’a fait bien de la peine à cause de mes opinions !
Qui est-ce qui vous forçait ?…
Comment, qui est-ce qui me forçait ? mais si je n’en avais pas vendu, mes confrères auraient gagné cela.
Au fait, mon oncle, vous avez là un bien bon état.
Et qui sera de tous les temps !
Enfin, mon oncle, le nouvel ordre de choses ?
Il m’a été extrêmement favorable.
Et vous n’êtes pas content ?
Non, je garde une arrière-pensée… et mes magasins sont pleins de… je ne veux pas te dire de quoi…
Oh ! je le sais bien… de rubans blancs.
Malheureuse !… veux-tu te taire !… tu veux donc me faire égorger !… ce ne sont pas des rubans blancs… ils sont bien blancs, si tu veux ; mais ce sont des rubans préparés pour la teinture, prêts à recevoir la couleur qu’il faudra… ne va pourtant pas parler de cela dehors.
Comme vous voudrez, mon oncle… Ah ! j’entends ma tante !
Retiens ta langue devant elle. Tu sais que nous ne sommes pas de la même opinion.
Oui, vous vous chamaillez toujours.
Sur la politique.
Oh ! sur tout.
Scène VII.
Eh bien !… c’est joli !… pendant que vous êtes là tout tranquilles, il se passe de belles choses…
Quoi donc, ma tante ?
Quoi donc ?… Nous allons l’avoir la famine, la disette, le maximum, et pour commencer, il n’y a plus de pain chez le boulanger.
Comment pas de pain ?
Ordinairement le garçon arrive à sept heures, il en est dix, et personne… La voisine du second se trouve dans le même cas… ça va bien… c’est du propre… c’est du gentil !
Ah ! mon Dieu !… nous serons donc obligés de manger de la brioche…
C’est que tu n’as pas vu ça, toi, ma pauvre Agathe… la disette… il fallait un numéro pour avoir une livre de savon et un quarteron de vermichelle… il fallait des numéros pour tout.
À la section, je me rappelle
Qu’il fallait prendre le matin,
Un numéro pour avoir sa chandelle,
Un numéro pour sa livre de pain. (bis.)
Un numéro pour obtenir la vente
D’un pain de sucre ou d’une once de riz…
Et fallait-il aussi, ma chère tante,
Un numéro pour avoir des maris ?
On pensait bien aux maris dans ce temps-là.
C’est pourtant alors que vous m’avez épousé.
Parce que je n’y pensais pas !… l’on était bien plus heureux sous l’empire… le grand Napoléon !… c’était là un homme !… il pensait à tout… à qui devez-vous vos victoires… vos quais… vos arches de triomphes… votre Code civil… et vos abattoirs ?
Tout ça était du charlatanisme !
Scène VIII.
Salut… et…
Qu’est-ce que vous voulez, Manique ?
C’est le pain que je monte… le boulanger m’a dit de vous dire que s’il était venu si tard, c’est qu’il a z’été obligé de faire réparer son four.
Qu’est-ce que vous disiez donc, ma tante, qu’il n’y avait pas de pain chez les boulangers ?
Dame !… je disais ce qu’on m’avait dit.
Ah !… ah !… madame Delaune a toujours peur… C’est une véritable alarmiste !…
Alarmiste !… ça vous est bien facile à dire ! sous l’empereur, on n’avait pas de toutes ces souleurs-là !
Sous la restauration !…
Mais vous ne parlez jamais de la république… Pardon, excuse, si je m’mêle de la conversation… Je l’ai vue, moi, la république… J’en ai z’été… j’ai connu M. de Robespierre. C’est un homme qu’on n’a pas encore jugé ; il avait des idées. Allez, si on l’avait laissé faire… mais on ne lui a pas donné le temps.
Votre Robespierre ! C’était un monstre ! un scélérat !
C’était un misérable !
C’est pourtant lui qui a décrété l’Être suprême !
C’est fort heureux.
Et l’inmortalité de l’ame, qui est-ce qui l’a décrétée ? Vous ne l’auriez peut-être pas aujourd’hui, l’inmortalité de l’ame, sans M. de Robespierre.
C’était par politique.
C’est comme on a dit bien des horreurs de M. Joseph Lebon. Eh bien ! moi, je l’ai vu chez le père Duchesne, qu’était M. Hébert, un jeune homme charmant. Dans son journal il jurait comme un renégat ! eh bien ! chez lui il ne chantait que des romances : Quand le bien-aimè reviendra ; Ô toi ! qui n’eus jamais dû naître ; Baisez, petits oiseaux ! Ô ma tendre musette ! Il pleut, il pleut, bergère.
Allons, Manique, en voilà assez, taisez-vous.
Ah ! mon Dieu ! Je suis mort !…
C’est la voix de M. Cagnard, notre associé.
Scène IX.
Ah ! mon cher associé ! une chaise.
Comme vous voilà défait, monsieur Cagnard !
Une chaise… une chaise… mes jambes refusent le service.
Que vous est-il arrivé ?
Buvez, monsieur Cagnard, ça vous remettra les sens.
Merci, charmante Agathe !
Il y a donc du nouveau dans Paris ?
Oui, oui, mon cher associé.
Est-ce qu’il y aurait des rassemblemens ?
Il y a beaucoup de monde dehors, surtout dans les quartiers populeux.
Ah ! il y a des rassemblemens du peuple ? Bon ! bon ! Je vas voir ce que c’est !
J’ai vu dans les rues des gens qui marchent, qui se croisent, qui vont l’un d’un côté, l’autre de l’autre, qui entrent dans les boutiques, dans les allées, d’autres qui ont l’air de rentrer chez eux.
Quand je vous disais qu’il y avait quelque chose.
Ceci devient alarmant !
Très alarmant ! Tout à l’heure, je tournais le coin de la rue, lorsqu’un homme m’a regardé et m’a dit : Monsieur, ne seriez-vous pas un gaillard ? Je ne me déconcerte point, et je lui dis sèchement : Non, monsieur, je ne suis pas un gaillard, je suis un Cagnard. Alors, il me dit : Pardon, monsieur… moi, je lui réponds : Il n’y a pas de mal, et il s’est perdu dans la foule.
Diable !…
Vous pensez que cet homme-là avait ses raisons. C’est un conspirateur déguisé ; mais il ne savait pas à qui il avait affaire. Quand il s’est éloigné je lui ai dit : Vous ne me ferez pas peur, (élevant la voix.) rien ne me fait peur.
Ah ! mon Dieu ! qu’est-ce que c’est que ça ?
C’est le rappel.
C’est la générale !
Voilà encore Paris sens dessus dessous ! (appelant.) Manique !
Manique ! Est-ce qu’il y a quelque chose ? on bat la générale ?
Du tout, c’est des conscrits qui part… ils disent qu’ils vont frotter les Russes.
Que le diable les emporte ! Décidément, je quitte la capitale et je vais me marier en province. Vous me rendrez mes fonds, mon cher associé. Je les placerai chez mon beau-père.
Comment diable ! vous rendre vos fonds !… Mais qui épousez-vous donc ?
La fille de M. Bertrand, notre correspondant de Saint-Quentin.
Elle est bien heureuse, celle-là.
Mais vous ne la connaissez pas.
C’est égal, c’est une affaire de commerce. On me tourmente ici avec la garde nationale. Habillez-vous donc ! Une nuit au corps-de-garde m’abîme pour huit jours ; le lendemain j’ai la figure pâle, défaite, je suis atroce. (regardant autour de lui.) Ah ! çà, fermons les portes ; vous savez le bruit qui court ; (mystérieusement.) on dit qu’une jeune princesse est à Paris.
Je le sais.
Et d’un autre côté, on écrit que le jeune homme est dans la capitale.
J’en étais instruite.
On dit qu’elle fera incessamment son entrée solemnelle.
Vous ne m’apprenez rien de nouveau.
L’on assure que le 20 mars, à midi, midi et demi, il sortira de la colonne.
Je l’avais prédit.
Lequel croire ? (à madame Delaune.) En attendant, à de certaines heures, il fait des visites à ses partisans.
Certainement, chez tous…
Elle a déjà été, dit-on, dans plusieurs maisons du noble faubourg.
Nous savons cela, mon cher monsieur Cagnard.
Vraiment !… mais dites-moi donc, à présent que ma peur est passée, je déjeunerais bien.
Pourquoi n’êtes-vous pas venu plus tôt. Je vais vous faire servir quelque chose. (Elle va à la porte.) Geneviève, servez le déjeuner de M. Cagnard.
Mon Dieu ! la moindre chose, ma petite associée… une tranche de gigot, un poulet rôti, un perdreau truffé, des pommes de terre à l’huile, des confitures.
Déjeunez, mon cher ami,
Et ne vous tourmentez guère ;
Nous réglerons notre affaire
Lorsque vous aurez fini. (bis.)
Monsieur Cagnard, je m’en vais,
De nos plus jeunes poulettes
Vous envoyer les œufs frais…
N’oubliez pas les mouillettes.
Je m’en vais être servi,
Et sans me tourmenter guère,
Nous réglerons notre affaire
Plus tard, quand j’aurai fini.
Déjeunez, mon cher ami, etc.
Scène X.
Allons, tout cela marchera à merveille ; mes fonds seront bien placés… je me marierai, et je n’aurai pas d’inquiétude.
Mon mari ne revient pas, je meurs de faim. (Elle aperçoit le déjeuner de Cagnard.) Ah ! mais voici le déjeuner de M. Cagnard… Profitons de tout ce que j’ai entendu. Mettons-nous à table, et amusons-nous.
Je ne sais que penser de toutes ces nouvelles contradictoires. Je voudrais bien savoir laquelle est la véritable, afin de diriger mon opinion d’après. (Il se retourne et aperçoit Juliette à table. Il jette un cri étouffé.) Que vois-je ?… un jeune homme à ma table.
Silence !
Je me tais. (à part.) Quelle apparition singulière ! (Il cherche à s’éloigner.)
Restez.
Je reste. (à part.) Il mange mon déjeuné. Ma foi, questionnons-le ! qu’est-ce que je risque ? (haut.) Jeune étranger, car vous me paraissez jeune et étranger, y aurait-il de l’indiscrétion à vous demander…
À boire !
Très volontiers.
Donnez-moi une assiette.
Comme il commande ! j’ai l’air d’un domestique.
Monsieur Cagnard !
Il sait mon nom.
Ma présence ici vous surprend ?
J’avoue que…
Vous ne devinez pas qui je suis ?
Pas positivement… cependant si j’osais…
Osez…
Eh bien !… je ne devine rien.
Cependant, votre opinion connue…
Mon opinion est connue ?
Oui ! je sais que vous êtes un de mes partisans.
Ah ! quelle idée !…
Autrefois mon père à la ronde, Au bruit d’un fameux roulement, |
Quelle surprise ! je tombe de mon haut. On ne m’avait donc pas trompé… Vous, mon prince, dans cette simple maison ! et par quel hasard l’avez-vous choisie ?
Je sais que la maîtresse m’est dévouée.
Et moi aussi, mon prince.
Si j’en étais sûr… votre avancement… votre fortune…
Ma fortune ?… Alors vous pouvez être sûr….
Puis-je compter sur vous ?
Ayant porté le père aux nues, j’ai droit de me rattacher au fils… D’ailleurs dans les préfets, les receveurs, les tribunaux, nous voyons des gens qui depuis quarante ans se rattachent tous les jours… Je ne suis pas éloigné de l’empire. Monsieur votre père avait du bon, il avait beaucoup d’empire sur moi… j’adopte sa gloire ; ses quais, ses ponts, ses fontaines… même celle de l’éléphant… quand elle sera finie.
C’est bien, je vais vous charger d’une mission. Voulez-vous être ambassadeur ?
Ça n’est pas de refus.
Je vous nomme envoyé extraordinaire à Saint-Pétersbourg.
Où prenez-vous Saint-Pétersbourg !
En Russie ! c’est là que sont mes amis les plus chauds ?
En Russie ! et c’est là que sont vos amis les plus chauds !… je ne m’en serais pas douté, par exemple ! Mais pour aller à Saint-Pétersbourg peut-on passer par Saint-Quentin ?
Que voulez-vous y faire ?
Je devais m’y marier.
Avec qui ?
Avec la fille d’un marchand de rubans.
Fi donc !…
Au fait, c’est une petite boutiquière… mais je suis engagé avec le père.
Je vous dégagerai ; j’arrangerai tout cela.
Vous en êtes bien capable.
Ce soir, je vous donnerai vos lettres de créance comme envoyé extraordinaire.
C’est extraordinairement flatteur.
Je vous donne douze heures pour partir. En attendant, vous allez me faire un plaisir.
Avec plaisir.
Regardez bien si personne ne peut nous surprendre.
J’y vais.
« Mon cher Prosper, je tiens M. Cagnard, il est plus bête que je ne croyais ; il me prend dans ce moment pour le Fils de l’Homme. Viens avec tes amis, tout ira à merveille. Je t’embrasse. »
Il n’y a pas de danger.
Vous allez porter cette lettre au corps-de-garde voisin.
Ah ! la garde nationale en est !
Vous la rendrez au commandant du poste. Elle n’est pas pour lui, mais il la fera remettre à la personne à qui elle s’adresse… La voilà, portez-la tout de suite.
J’y cours.
Scène XI.
Je reviens ; je voulais vous demander, mon prince, si… Eh bien ! où est-il donc ? Il n’a pas pu sortir puisque je bouchais la porte… Il ne peut pas avoir passé par la fenêtre ; nous sommes au second au-dessus de l’entresol. Par la cheminée… il n’y en a pas. C’est unique ces princes, ça va, ça vient, ça entre, ça sort, on ne sait comment. Au surplus, me voilà envoyé extraordinaire, presque ambassadeur. Il est charmant ce Fils de l’Homme ! décidément je m’attache à son parti. Oui ! (avec enthousiasme.) on dira ce qu’on voudra, je suis napoléoniste ! bonapartiste, vive l’empereur ! je suis bonapartiste enragé !
Scène XII.
Qu’est-ce que vous dites donc là, monsieur Cagnard ?
Moi, je ne dis rien. (à part.) M’aurait-il entendu, ce républicain farouche ?
C’est drôle, j’avais cru entendre…
Ah ! c’est possible, je disais que les bonapartistes étaient des enragés.
Ah !… dites donc, je viens vous chercher de la part du bourgeois. Ses amis de la petite Provence sont là, dans la salle basse, ils vont tenir leur club.
Je ne pense pas comme eux, je ne veux pas y aller.
Et la bourgeoise, de son côté, avec les cancanières de son parti, s’est assemblée pour conspirer jusqu’à neuf heures précises.
Je n’y vais pas non plus… Ils se feront pincer avec leurs clubs et leurs conspirations.
Vous avez ben raison. Soyez des nôtres. Je vous dirai ce qui se passe. Il s’en mitonne une bien gentille, allez.
Une république ?
Et de quoi donc !
Y songez-vous ? au moment où l’on demande des rois partout ?
La Belgique veut un appui,
La Grèce un roi qui la rassure.
On offre un royaume aujourd’hui,
Comme on offre une préfecture.
Mais si tant d’princ’ont déclaré
Qu’ils n’veul’nt pas d’un’ place aussi belle,
C’est que d’puis qu’on est éclairé,
Le jeu n’en vaut pas la chandelle.
Il me fait frémir, renvoyons-le. (haut.) Manique, il faut que je vous charge d’une mission.
Hein ! Vous voulez dire d’une commission.
Oui… Allez porter cette lettre au poste voisin ; elle est pour l’officier qui le commande.
L’officier, c’est M. Prosper, le neveu de la maison.
C’est charmant, il en est aussi.
Il en est, de quoi ?
De quoi ?… de la garde nationale ; allez donc.
J’y vais. Y a-t-il réponse ?
On vous le dira. Allez, Mucius Scévola.
Non, au district on m’appelait Torquatus. (Il sort.)
Scène XIII.
Ce diable d’homme est ma bête noire. Pardi oui ! je vais être de son bord… c’est comme M. Delaune, qui m’envoie chercher pour son club royaliste… Non, non. Charmant Fils de l’Homme, tu m’as subjugué, viens régner sur les Français ! Viens, entouré des plus glorieux souvenirs ! Viens tel que je t’ai vu au théâtre des Nouveautés, viens tel que je t’ai lu dans les vers de M. Barthélemy ; sors de ta colonne, je suis ton Séide ! Fils de l’Homme.
Scène XIV.
Une femme !… d’où sort-elle ?
Silence, monsieur Cagnard.
Tout le monde sait donc mon nom !
Je connais tous mes amis.
Moi, madame, je ne vous connais pas ; et d’ailleurs ce voile…
C’est un voile… d’Angleterre.
En tulle brodé, fort beau, ma foi. Mais ça ne me dit pas…
Je vous croyais plus pénétrant.
Madame, je suis pénétré de respect et d’admiration : mais du diable si je devine…
Est-ce que vous n’avez jamais vu des personnes de distinction ?…
Si fait… j’en ai vu quelquefois de loin… en voiture.
Vous n’en avez pas vu se déguiser ?…
Oui, au carnaval, en bergères, en poissardes.
Ce n’est pas cela. Des personnages illustres s’introduire secrètement chez leurs partisans…
Quoi ! madame, vous seriez un personnage illustre ?
Je ne l’ai pas dit… mais vous pourriez le deviner.
Cette taille !… ces cheveux blonds !…
Vous m’avez vue… au spectacle… j’y allais souvent.
Au spectacle !… serait-ce au Gymnase (avec intention.) au théâtre de Madame ? (Elle lui fait un signe affirmatif.) (à part.) Comment diable ! ils se sont donc tous donné rendez-vous ici ? Tout à l’heure… et maintenant… c’est d’une invraisemblance !… et pourtant il y a quelque chose qui vous dit : Va encore… va encore.
Remettez-moi une lettre qu’on doit vous avoir envoyée du corps-de-garde.
Vous savez ? Oh ! je suis perdu ! je tombe à vos pieds.
Rassurez-vous, vous m’avez obligée.
Je ne l’ai pas portée moi-même… mais voici heureusement le commissionnaire qui revient.
Scène XV.
V’là vôt’réponse, monsieur Cagnard. Tiens, qu’est-ce que c’est que cette petite dame ?
Chut ! ça ne vous regarde pas !… Ne dites rien… (à Juliette, avec intention.) Madame, la musique est un art fort difficile…
Est-ce que ? Ah ! ah ! ah !…
Chut ! Allez-vous-en, mon cher.
C’est bon, c’est bon ; ne vous gênez pas, je suis républicain, les libertés sont libres.
Quelle situation, madame !
Je ne regarde seulement pas ; vous êtes un gaillard, monsieur Cagnard !
Scène XVI.
Donnez-moi donc cette lettre.
Ah ! madame, si vous saviez de qui elle est !
Je le sais, elle est pour moi… Écoutez seulement les premières lignes… Ma chère femme…
Sa femme !
Notre mariage sera déclaré aujourd’hui…
Avec le roi de Rome ! Voilà un mariage extraordinaire… c’est de la haute politique… tous les intérêts vont se trouver fondus.
Vous trouvez donc que cette union ?…
Était tout ce qu’on pouvait imaginer de mieux.
Vous me paraissez un homme sur lequel on peut compter.
Comme sur un juge inamovible.
Vous sentez-vous capable d’être ambassadeur ?
Je le suis déjà.
Eh bien ! vous le serez deux fois.
Mais la loi sur le cumul… Bah ! ça ne fait rien.
Vous allez à l’instant partir pour Londres.
Il faut auparavant que j’aille à Saint-Pétersbourg… Mais je reviens tout de suite.
Non. Vous allez vous embarquer sur-le-champ.
C’est que je n’ai pas mangé de la journée.
Les ambassadeurs ne mangent pas.
Ce n’est donc pas comme les députés !
Les honneurs, la fortune vous attendent.
Il paraît que tous les princes promettent la même chose.
Dès que mon mariage sera déclaré…
Avec le roi de ?…
D’ici là, le plus profond silence.
Scène XVII.
Je vous le promets… Eh bien ! où est-elle ? (Surprise comique.) Elle a disparu comme l’autre ! (Il cherche par toute la chambre.) Est-ce qu’ils sont sorciers ?… c’est égal ! Ah ! charmante princesse ! tu m’as attaché à ta cause… (avec enthousiasme.) Oui, ma vie entière te sera dévouée ! Me voilà royaliste,… royaliste enragé ! (criant.) Vive le roi ! Vive le roi !
Scène XVIII.
Qu’est-ce que vous dites donc ?
Est-ce que j’ai parlé ?
Dame ! oui, j’ai entendu… (Il pose sa lumière sur la table.)
Moi… j’ai dit : c’est toi, c’est toi !
Est-ce que vous ne savez pas la nouvelle nouvelle ? je vas vous la dire. Nous allons avoir la république.
La république… qui est-ce qui vous a dit cela ?
C’est un ancien patriote de mes amis qu’est à la tête, et qui m’a mis dedans… Voulez-vous que je vous y fasse mettre aussi ?
Moi, mon cher !…
Vous hésitez ?… tant pis pour vous, parce qu’il faut qu’on se prononce.
Je me prononcerai quand il faudra. Je ne suis pas éloigné de la république… du tout… du tout…
Vous n’êtes pas dégoûté.
Mais cependant comment la voulez-vous… La voulez-vous une et indivisible ?
Oui, avec la liberté, l’égalité, la fraternité et la mort.
Oh ! non… pas la mort… la mort gâte tout… Disons pour la vie, monsieur… c’est-à-dire, citoyen Manique.
C’est ça… voilà l’ancien estyle… Ah ! le joli temps, ousqu’on mettait dans les bureaux : Ici l’on se tutoie…
Fermez la porte, s’il vous plaît.
Ousqu’on lisait dans les estaminets : Ici l’on s’honore du titre de citoyen.
Et on fume…
Oui… on fumait aussi, on avait la liberté.
C’était très agréable.
Ça me rajeunit, moi, ces idées-là… Je crois me retrouver au temps où je m’ai marié pour la première fois… c’était après la fête des sans-culotides… j’avais fait la connaissance d’une jolie fille…
Ah ! oui, une jeune sans-culotte !
Qui avait fait la déesse de la Liberté sur l’autel de la patrie.
Et vous avez épousé la Liberté ?
Celle de la section des Gravilliers.
La Liberté m’avait monté la tête,
Et dans l’an trois, j’l’épousai par amour.
Qu’elle était belle, et quell’ santé parfaite !
Sous l’directoire ell’ tombe malade un jour ;
Sous l’consulat v’là qu’son état empire,
Ell’ était même à toute extrémité…
Et c’est, hélas ! au commenc’ment d’l’empire
Que j’ai perdu ma pauvre Liberté. (bis.)
Ce n’est pas moi qui l’ai trouvée.
Quand j’ai vu ça… pour me consoler, j’ai épousé en deuxièmes noces sa cousine, qui avait été déesse de la Raison à Montmartre… J’ai dit : j’ai perdu la Liberté… je vat épouser la Raison.
Et vous en avez fait la folie… aimable républicain ! drôle de corps ! tu ne peux donc pas t’acclimater à la monarchie représentative ?
C’est trop estationnaire… le peuple veut des confections.
Vous voulez dire des concessions.
Qu’est-ce que j’ai donc dit ?
Vous avez dit des confections.
Ah !.. le peuple veut des confections.
C’est beaucoup mieux !
Il nous faut le dégraissement des propriétés.
Vous voulez dire le dégrèvement.
Qu’est-ce que j’ai donc dit ?
Vous avez dit le dégraissement.
Ah !… il nous faut le dégraissement des propriétés.
Alors je ne vous dirai plus rien.
Et puis, nous ne voulons pas du pot au colle de Londres.
C’est très bien. Vous voulez dire protocole.
Ça n’est pas tout. Faut qu’on démolisse les pairs et la loi d’héridité.
Est-ce que ça vous regarde ?
Sûrement… je suis père… j’ai deux enfans de ma première femme.
Deux enfans de la Liberté ?
Oui… ils me tourmentent pour le bien de leur mère… quand il n’y aura, plus d’héridité, je n’aurai plus de comptes à leur rendre.
Vous êtes un bon père !… vous êtes peut-être le meilleur père de France.
J’ai des idées… vous voyez bien, si j’étais quelque chose dans le gouvernement, je m’occuperais tout de suite des boissons, parce qu’il faut que le peuple boive librement.
Et pour rien peut-être ? (Ici Juliette sort de sa cachette.)
Si ça se pouvait, ça n’en serait que mieux.
Mais vous péchez par les lumières.
Je n’en use pas beaucoup.
Pour éclairer la société, les lumières sont nécessaires.
Eh bien ! pourquoi donc soufflez-vous ma chandelle ?
C’est vous !
C’est vous !
Républicain, vous êtes un éteignoir ! (Juliette lui donne un soufflet.) Vous me frappez dans l’ombre, vous m’en rendrez raison. (Juliette donne un soufflet à Manique, et rentre dans sa cachette. Pour imiter le bruit du soufflet, le souffleur doit frapper très fort dans ses mains.)
Un soufflet !… tu me le paieras. Aristocrate !
Vieux jacobin !
Scène XIX.
Qu’est-ce qui vous prend donc ?
Qu’avez-vous donc ?
Ce n’est rien, nous parlions politique.
Il m’a z’insulté !
C’est lui qui m’a frappé !
Vous êtes un menteur, sans vous démentir. M. Delaune, vous ne savez pas, il a caché queq’z’un dans vot’maison.
Ah ! si vous saviez qui c’est.
Qui ?
Vous ne me croirez pas… Elle ! (à madame Delaune.) Et lui.
Est-il possible ?
Qu’est-ce que c’est que ça ?
Ouvrez ! ouvrez !
Ah ! mon Dieu !
Je meurs de frayeur.
Je vois dans la rue des baïonnettes, des uniformes… C’est de la troupe qui cerne la maison.
Nous sommes perdus !
On nous a dénoncés !
Manique, n’ouvrez pas la porte !
Et ma femme qui est z’en bas, qui a tiré le cordon.
J’entends monter.
Cachons-nous !…
Scène XX.
Mes amis, montrons-nous,
Que chacun se fasse connaître ;
À l’instant il faut mettre
La maison sens dessus dessous.
Où sont donc mon oncle et ma tante ?
Nous voilà !
Mon neveu !
Mon oncle, ma tante, pourquoi étiez-vous donc là ?
C’est une idée qui nous avait passé par la tête.
Ôtez donc la mienne de dedans cet étui… j’étouffe !… ouf !…
Qu’est-ce que vous faisiez donc là-dedans ?
Je cherchais des papiers que j’avais égarés.
Mais pourquoi donc cette fête ?
Vous le demandez, lorsque nous possédons ici l’objet de tous nos vœux ; le même sentiment nous anime tous ! Allons, mes amis, en avant les bouquets pour la fête du meilleur des oncles !
Quoi ! ces bouquets ?…
Permettez que je vous la souhaite.
Et moi aussi, mon oncle.
Souffrez que je me joigne à la famille.
Quelle est donc cette dame ?
C’est la princesse, mon cher ami.
La princesse !
Permettez à votre portier de vous offrir son pot…
Permettez que je me réunisse aussi…
Eh bien ! monsieur, vous n’êtes pas encore parti pour Londres ?
Madame, je vous avouerai que je flotte… j’ai presque envie d’aller tout bonnement à Saint-Quentin.
Ce serait inutile, votre prétendue est mariée.
Mariée ?… avec qui ?…
Avec moi, monsieur Cagnard.
Sans m’avertir prendre femme, Juliette.
Mais il avait mon aveu. Delaune.
Ah ! c’est différent, madame. Juliette.
Vous consentez donc aussi ? Delaune.
Mais où donc est-elle ? Prosper.
Cagnard.
Le princesse ! quel ménage ! Juliette.
J’abdique un titre brillant, Cagnard.
Le drôle de mariage, Manique.
Comm’plus d’un gouvernement. |
Alors nous ne sommes donc pas des conspirateurs ?
Non ; il paraît que nous sommes des imbéciles.
Mon cher oncle, voici le présent de noces que vous envoie mon père. (Elle lui donne un papier.)
Je suis nommé rubanier fournisseur breveté de la maison royale.
Mon mari est breveté ! embrassez-moi, ma nièce.
Les voilà tous fondus dans la même opinion.
Je ne suis pas éloigné de me fondre aussi.
Parce qu’il trouve à gagner z’avec la royauté, alors il ne veut plus de la république.
Moi, mon cher, je ne suis pas contre la république, mais je ne veux pas d’une république de savetiers.
Allez, vous êtes bien nommé, vous êtes un vrai Cagnard.
Mes amis, montrons-nous,
Que chacun se fasse connaître,
Nous ne voulons plus mettre
Rien ici sens dessus dessous.
Air : Vaudeville des Frères de lait.
Assez long-temps notre belle patrie Agathe.
Lorsque l’hymen vous enchaîne à vos belles, Prosper.
Deux fois la France a subi les attaques Manique.
Bonapartiss’, royaliss’, patriote, C’est des bêtis’… nous suivons d’nouvelles traces, Cagnard, au public.
Du vrai comique arborant la bannière, |
- ↑ Cagnard, Agathe, Prosper, Juliette, Delaune, madame Delaune, Manique.