Monsieur Lecoq/Partie 2/Chapitre 13

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(Tome 2p. 93-103).

XIII


Le château de Courtomieu passe, après Sairmeuse, pour la plus magnifique habitation de l’arrondissement de Montaignac. Si Sairmeuse s’enorgueillit de ses hautes futaies, Courtomieu vante ses prairies et ses eaux jaillissantes.

On y arrivait alors par une longue et étroite chaussée mal pavée, très-laide, et qui gâtait absolument l’harmonie du paysage. Elle avait cependant coûté au marquis les yeux de la tête, à ce qu’il disait, et, pour cette raison, il la considérait comme un chef-d’œuvre.

Quand la voiture qui amenait Martial et son père quitta la grande route pour cette chaussée, les cahots tirèrent le duc de la rêverie profonde où il était tombé dès en quittant Sairmeuse.

Cette rêverie, le marquis pensait bien l’avoir causée.

— Voilà, se disait-il, non sans une secrète satisfaction, le résultat de mon adroite manœuvre !… Tant que la restitution de Sairmeuse ne sera pas légalisée, j’obtiendrai de mon père tout ce que je voudrai… oui, tout. Et s’il le faut, il invitera Lacheneur et Marie-Anne à sa table.

Il se trompait. Le duc avait déjà oublié cette affaire ; ses impressions les plus vives ne duraient pas ce que dure un dessin sur le sable.

Il abaissa la glace de devant de sa voiture, et après avoir ordonné au cocher de marcher au pas :

— Maintenant, dit-il a son fils, causons !… Vous êtes décidément amoureux de cette petite Lacheneur ?…

Martial ne put s’empêcher de tressaillir.

— Oh !… amoureux, fit-il d’un ton léger, ce serait peut-être beaucoup dire. Mettons qu’elle m’inspire un goût assez vif, ce sera suffisant.

Le duc regardait son fils d’un air narquois.

— En vérité, vous me ravissez !… s’écria-t-il. Je craignais que cette amourette ne dérangeât, au moins pour l’instant, certains plans que j’ai conçus… J’ai des vues sur vous, marquis !…

— Diable !…

— Oui, j’ai mes desseins et je vous les communiquerai plus tard en détail… Je me borne pour aujourd’hui à vous recommander d’examiner Mlle Blanche de Courtomieu.

Martial ne répondit pas. La recommandation était inutile. Si Mlle Lacheneur lui avait fait oublier, le matin, Mlle de Courtomieu, depuis un moment le souvenir de Marie-Anne s’effaçait sous l’image radieuse de Blanche.

— Mais avant d’arriver à la fille, reprit le duc, parlons du père… Il est fort de mes amis et je le sais par cœur. Vous avez entendu des faquins me reprocher ce qu’ils appelaient mes préjugés, n’est-ce pas ? Eh bien ! comparé au marquis de Courtomieu, je ne suis qu’un insigne jacobin.

— Oh !… mon père…

— Rien de plus exact. Si je ne suis pas de mon époque, on l’eût tenu, lui, pour arriéré, sous le règne de Louis XIV. Seulement, — car il y a un seulement, — les principes que j’affiche hautement, il les tient enfermés dans sa tabatière… et fiez-vous à lui pour ne l’ouvrir qu’au moment opportun. Il a, jarnibleu ! cruellement souffert pour ses opinions, en ce sens qu’il a été forcé de les cacher assez souvent. Il les a cachées sous le Consulat, d’abord, quand il revint d’émigration. Il les dissimula plus courageusement encore sous l’Empire… car il a été quelque peu chambellan de « Buonaparte, » ce cher marquis… Mais, chut ! ne lui rappelez pas cet héroïsme : il le déplore depuis Lutzen.

C’est de ce ton que M. de Sairmeuse avait coutume de parler de ses meilleurs amis.

— L’histoire de sa fortune, poursuivit-il, serait l’histoire de ses mariages… Je dis : « ses, » parce qu’il s’est marié un certain nombre de fois… avantageusement. Oui, en quinze ans, il a eu la douleur de perdre successivement trois femmes, toutes meilleures et plus riches les unes que les autres. Sa fille est de la troisième et dernière, une Cissé-Blossac… c’est celle qui a le plus duré ; elle est morte vers 1809. À chaque veuvage, il trompait son désespoir en achetant quantité de terres ou des rentes. Si bien qu’à cette heure, il est aussi riche que vous, marquis, et qu’il a des influences secrètes dans tous les camps… Mais, Jarnibleu ! j’oubliais un détail : il flaire, m’a-t-on dit, l’influence du clergé, et il est devenu d’une haute piété.

Il s’interrompit, la voiture venait de s’arrêter dans la cour d’honneur de Courtomieu, et le marquis accourait de sa personne au-devant de ses hôtes. Distinction flatteuse qu’il ne prodiguait pas.

C’était bien l’homme du portrait.

Long plutôt que grand, solennel et remuant à la fois, M. de Courtomieu portait une lévite infinie et des souliers à boucle d’or. La tête qui surmontait cette immense charpente était remarquablement petite, — signe de race, — couronnée de rares cheveux plats et noirs, — il les teignait, — et éclairée par de gros yeux ronds et sans chaleur.

La morgue qui sied au gentilhomme et l’humilité qui convient au chrétien, se livraient, sur son visage, un perpétuel et bien plaisant combat.

Il serra tour à tour entre ses bras M. de Sairmeuse et Martial, non sans les combler de compliments débités d’une petite voix de tête, qui étonnait, venant de ce grand corps, autant que surprendraient des sons de flûte sortant des flancs d’un ophicléide.

— Enfin, vous voici… répétait-il ; nous vous attendions pour délibérer… c’est très-grave… très-délicat aussi. Il s’agit de rédiger une adresse à Sa Majesté. La noblesse, qui a tant souffert de la Révolution, attend de larges compensations… Enfin, tous nos amis des environs, au nombre de seize, sont réunis dans mon cabinet, transformé en chambre du conseil…

Martial frémit à l’idée de tout ce qu’il allait être obligé d’entendre de choses niaises et insipides, et la recommandation de son père lui revenant à propos :

— N’aurons-nous donc pas l’honneur, demanda-t-il, de présenter nos respects à Mlle de Courtomieu ?…

— Ma fille doit être dans le salon avec notre vieille cousine, répondit le marquis de Courtomieu d’un ton distrait… à moins qu’elles ne soient au jardin…

Cela pouvait signifier : « Allez-y, si bon vous semble ! » Martial le prit ainsi, et arrivé dans le vestibule, il laissa monter seuls son père et le marquis.

Un domestique lui ouvrit la porte du grand salon… mais il était vide.

— C’est bien, dit-il, je sais où est le jardin.

Mais c’est en vain qu’il le parcourut en tout sens, ce jardin : personne.

Il allait se décider à rentrer, et à marcher bravement à l’ennemi, quand, à travers le feuillage d’un berceau de jasmin, il crut distinguer comme une robe blanche.

Il s’avança doucement, et son cœur battit, quand il reconnut qu’il avait bien vu.

Mlle Blanche de Courtomieu était assise près d’une vieille dame, et elle lui lisait à demi-voix une lettre.

Il fallait qu’elle fût bien préoccupée, pour n’avoir pas entendu le sable crier sous les bottes de Martial.

Il était à dix pas d’elle, si près qu’il distinguait, par une éclaircie des jasmins, jusqu’à l’ombre de ses longs cils.

Il s’arrêta, retenant son haleine, s’abandonnant à une délicieuse extase.

— Ah !… elle est bien belle, pensait-il, elle aussi !…

Belle, non !… Mais jolie à ravir l’imagination. En elle, tout souriait au désir, ses grands yeux d’un bleu velouté et ses lèvres entr’ouvertes. Elle était blonde, mais de ce blond vivant et doré des pays du soleil ; et de son chignon tordu haut sur la nuque s’échappaient à profusion des boucles folles où la lumière, en se jouant, semblait allumer des étincelles.

Peut-être l’eût-on souhaitée un peu plus grande… Mais elle avait le charme pénétrant des femmes petites et mignonnes, mais sa taille avait des rondeurs exquises, ses mains aux doigts effilés étaient celles d’une enfant.

Hélas !… ces jolis dehors mentaient, autant et plus que les apparences du marquis de Courtomieu.

Cette jeune fille au regard candide avait la sécheresse d’âme d’un vieux courtisan. Elle avait été tant fêtée au couvent, en sa qualité de fille unique d’un grand seigneur archi-millionnaire, on l’avait entourée de tant d’adulations ! Le poison de la flatterie avait flétri en leur germe toutes ses bonnes qualités.

Elle n’avait pas dix-neuf ans, et elle ne pouvait plus être sensible qu’aux jouissances de la vanité ou de l’ambition satisfaites. Elle pensait à un tabouret à la cour, comme une pensionnaire rêve d’un amoureux…

Si elle avait daigné remarquer Martial, — car elle l’avait remarqué, — c’est que son père lui avait dit que ce jeune homme emporterait sa femme aux plus hautes sphères du pouvoir. Là dessus, elle avait prononcé un « c’est bien, nous verrons ! » à faire fuir un prétendant à mille lieues…

Cependant, Martial, craignant d’être surpris, s’avança et Mlle Blanche, à sa vue, se dressa avec un mouvement de biche effarouchée…

Lui s’inclina bien bas, et d’une voix amicalement respectueuse :

— M. de Courtomieu, mademoiselle, dit-il, ayant eu l’imprudence de m’apprendre où j’aurais l’honneur de vous rencontrer, je ne me suis plus senti le courage d’affronter des discussions graves… seulement…

Il montra la lettre que la jeune fille tenait à la main et ajouta :

— Seulement, je suis peut-être indiscret ?

— Oh ! en aucune façon, monsieur le marquis, quoique cette lettre que je viens de lire m’ait profondément émue… elle m’est adressée par une pauvre enfant à qui je m’intéressais, que j’envoyais chercher, parfois, quand je m’ennuyais : Marie-Anne Lacheneur.

Exercé dès son enfance à la savante hypocrisie des salons, le jeune marquis de Sairmeuse avait habitué son visage à ne rien trahir de ses impressions.

Il savait rester riant avec l’angoisse au cœur, grave quand le fou-rire eût dû le secouer de ses hoquets.

Et cependant, à ce nom de Marie-Anne montant aux lèvres de Mlle de Courtomieu, son œil, où la satisfaction de soi le disputait au mépris des autres, son œil si clair se voila.

— Elles se connaissent !… pensa-t-il.

L’idée d’un rapprochement de ces deux femmes entre lesquelles hésitait sa passion le troublait extraordinairement, et éveillait en lui toutes sortes de pudeurs inconnues.

La main tournée, rien ne paraissait de son trouble, mais Mlle Blanche l’avait aperçu.

— Qu’est-ce que cela signifie ?… se dit-elle, toute inquiète.

Cependant, c’est avec le naturel parfait de l’innocence qu’elle poursuivit :

— Au fait, vous devez l’avoir vue, monsieur le marquis, cette pauvre Marie-Anne, puisque son père était le dépositaire de Sairmeuse ?

— Je l’ai vue, en effet, mademoiselle, répondit simplement Martial.

— N’est-ce pas, qu’elle est remarquablement belle, et d’une beauté tout étrange, et qui surprend ?

Un sot eût protesté. Le marquis de Sairmeuse ne commit pas cette faute.

— Oui, elle est très-belle, dit-il.

Cette soi-disant franchise déconcerta un peu Mlle Blanche, et c’est avec un air d’hypocrite compassion qu’elle ajouta :

— Pauvre fille !… que va-t-elle devenir ? Voici son père réduit à bêcher la terre.

— Oh !… vous exagérez, mademoiselle, mon père préservera toujours Lacheneur de la gêne.

— Soit… je comprends cela… mais cherchera-t-il aussi un mari pour Marie-Anne ?

— Elle en a un tout trouvé, mademoiselle… J’ai ouï dire qu’elle va épouser un garçon des environs qui a quelque bien, un certain Chanlouineau.

La naïve pensionnaire était plus forte que Martial. Elle le soumettait à un interrogatoire en règle, et il ne s’en apercevait pas. Elle éprouva un certain dépit en le voyant si bien instruit de tout ce qui concernait Mlle Lacheneur.

— Et vous croyez, monsieur le marquis, dit-elle, que c’est là le parti qu’elle avait rêvé ?… Enfin !… Dieu veuille qu’elle soit heureuse ; nul plus que nous ne le souhaite, car nous l’aimons beaucoup, ici… oui, beaucoup. N’est-ce pas, tante Médie ?

Tante Médie, c’était la vieille demoiselle assise près de Mlle Blanche.

— Oui, beaucoup, répondit-elle.

Cette tante, cousine plutôt, était une parente pauvre que M. de Courtomieu avait recueillie, et à qui Mlle Blanche faisait payer chèrement son pain ; elle l’avait dressée à jouer le rôle d’écho.

— Ce qui me désole, reprit Mlle de Courtomieu, c’est que je vois brisées des relations qui m’étaient chères… Mais écoutez plutôt ce que Marie-Anne m’écrit.

Elle retira de sa ceinture, où elle l’avait passée, la lettre de Mlle Lacheneur, et lut :

« Ma chère Blanche,

« Vous savez le retour de M. le duc de Sairmeuse. Il nous a surpris comme un coup de foudre. Mon père et moi, nous étions trop accoutumés à regarder comme nôtre le dépôt remis à notre fidélité ; nous en avons été punis… Enfin, nous avons fait notre devoir, et à cette heure tout est consommé… Celle que vous appeliez votre amie n’est plus qu’une pauvre paysanne, comme sa mère… »

Le plus subtil observateur eût été pris à l’émotion de Mlle Blanche. On eût juré qu’elle avait mille peines à retenir ses larmes… peut-être même en tremblait-il quelqu’une entre ses longs cils.

La vérité est qu’elle ne songeait qu’à épier sur la figure de Martial quelque indice de ses sensations. Mais maintenant qu’il était en garde, il restait de marbre.

Elle continua :

« Je mentirais si je disais que je n’ai pas souffert de ce brusque changement… Mais j’ai du courage, je saurai me résigner. J’aurai, je l’espère, la force d’oublier, car il faut que j’oublie !… Le souvenir des félicités passées rendrait peut-être intolérables les misères présentes… »

Mlle de Courtomieu referma brusquement la lettre.

— Vous l’entendez, monsieur le marquis, dit-elle… concevez-vous cette fierté ? Et on nous accuse d’orgueil, nous autres filles de la noblesse !

Martial ne répondit pas. L’altération de sa voix l’eût trahi, il le sentit. Combien cependant, il eût été plus touché encore s’il lui eût été donné de lire les dernières lignes de la lettre.

« Il faut vivre, ma chère Blanche, ajoutait Marie-Anne, et je n’éprouve aucune honte à vous demander de m’aider. Je travaille fort joliment, comme vous le savez, et je gagnerais ma vie à faire des broderies si je connaissais plus de monde… Je passerai aujourd’hui même à Courtomieu vous demander la liste des personnes chez lesquelles je pourrais me présenter en me recommandant de votre nom. »

Mais Mlle de Courtomieu s’était bien gardée de parler de cette requête si touchante. Elle avait tenté une épreuve, elle n’avait pas réussi : tant pis ! Elle se leva, et accepta le bras de Martial pour rentrer.

Elle semblait avoir oublié « son amie, » et elle babillait le plus gaiement du monde, quand, approchant du château, elle fut interrompue par un grand bruit de voix confuses montées à leur diapason le plus élevé.

C’était la discussion de l’Adresse au roi, qui s’agitait furieusement dans le cabinet de M. de Courtomieu. Mlle Blanche s’arrêta.

— J’abuse de votre bienveillance, monsieur le marquis, dit-elle, je vous étourdis de mes enfantillages, et vous voudriez sans doute être là-haut.

— Certes non ! répondit-il en riant. Qu’y ferais-je ? Le rôle des hommes d’action ne commence qu’après que les orateurs sont enroués…

Il dit cela si bien, on devinait, sous son ton plaisant, une énergie si forte, que Mlle de Courtomieu en fut toute saisie. Elle reconnaissait, pensait-elle, l’homme qui, selon son père, devait aller si loin.

Malheureusement, son admiration fut troublée par un coup frappé à la grosse cloche qui annonçait les visiteurs.

Elle tressaillit, lâcha le bras de Martial, et très-vivement :

— Ah !… n’importe, fit-elle, je voudrais bien savoir ce qui se dit là-haut… Si je le demande à mon père, il se moquera de ma curiosité… Tandis que vous, monsieur le marquis, si vous assistiez à la conférence, vous me diriez tout…

Un désir ainsi exprimé était un ordre. Le marquis de Sairmeuse s’inclina et obéit.

— Elle me congédie, se disait-il en montant l’escalier, rien n’est plus clair, et même, elle n’y met pas de façons… Mais pourquoi diable me congédie-t-elle ?

Pourquoi ?… C’est qu’un seul coup à la cloche annonçait une visite pour Mlle Blanche, qu’elle attendait « son amie, » et qu’elle ne voulait à aucun prix d’une rencontre de Martial et de Marie-Anne.

Elle n’aimait pas, et déjà les tourments de la jalousie la déchiraient… Telle était la logique de son caractère.

Ses pressentiments d’ailleurs ne l’avaient pas trompée. C’était bien Mlle Lacheneur qui l’attendait au salon.

La malheureuse jeune fille était plus pâle que de coutume, mais rien dans son attitude ne trahissait les affreuses tortures qu’elle subissait depuis deux jours.

Et sa voix, en demandant à son ancienne amie une liste de « pratiques, » était aussi calme et aussi naturelle qu’autrefois quand elle la priait de venir passer une après-midi à Sairmeuse.

Aussi, lorsque ces deux jeunes filles si différentes s’embrassèrent, les rôles furent-ils intervertis.

C’était Marie-Anne que le malheur atteignait, ce fut Mlle Blanche qui sanglota.

Mais tout en écrivant à la file le nom des personnes de sa connaissance, Mlle de Courtomieu ne songeait qu’à l’occasion favorable qui se présentait de vérifier les soupçons éveillés en elle par le trouble de Martial.

— Il est inconcevable, dit-elle à son amie, inimaginable que le duc de Sairmeuse vous réduise à une si pénible extrémité !…

Si loyale était Marie-Anne, qu’elle ne voulut pas laisser peser cette accusation sur l’homme qui avait si cruellement traité son père.

— Il ne faut pas accuser le duc, dit-elle doucement ; il nous a fait faire, ce matin, des offres considérables, par son fils.

Mlle Blanche se dressa comme si une vipère l’eût mordue.

— Ainsi, vous avez vu le marquis de Sairmeuse, ma chère Marie-Anne ? dit-elle.

— Oui.

— Serait-il allé chez vous ?…

— Il y allait… quand il m’a rencontrée, dans les bois de la Rèche…

Elle rougissait, en disant cela ; elle devenait cramoisie au souvenir de l’impertinente galanterie de Martial.

La sotte expérience de Mlle Blanche — elle était terriblement expérimentée, cette fille qui sortait du couvent, — se méprit à ce trouble. Elle sut dissimuler, pourtant, et quand Marie-Anne se retira, elle eut la force de l’embrasser avec toutes les marques de l’affection la plus vive. Mais elle suffoquait.

— Quoi !… pensait-elle, pour une fois qu’ils se sont rencontrés, ils ont gardé l’un de l’autre une impression si profonde !… S’aimeraient-ils donc déjà ?…