Monsieur Sylvestre/32

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Michel Lévy frères (p. 212-213).


XXXII

DE PIERRE À PHILIPPE


L’Escabeau, 22 juin.

Mon ami Diamant, qui a été ce matin en grande conférence avec Gédéon à l’effet d’adoniser ses quarante printemps, est venu me voir en revenant de la Tilleraie. D’après lui, il faudrait croire que mademoiselle Vallier a écouté les sages conseils de sa petite Zoé, et que son mariage avec le châtelain est à peu près décidé. Les domestiques tiennent la chose pour certaine, et les vieilles sœurs le donnent à entendre sans y apporter le moindre obstacle. Comme elle doit être aujourd’hui en explications avec M. Sylvestre et que celui-ci est revenu de ses préventions sur le compte du prétendant, je pense bien que, ce soir ou demain, Gédéon viendra me faire la confidence de son bonheur, à moins qu’il ne craigne de m’affliger, car il est certain qu’il me redoute un peu. Il a grand tort, je ne suis pas assez l’ami de mademoiselle Vallier pour quelle me consulte, et, si elle me consultait, je lui répondrais qu’avant tout il faut être d’accord avec soi-même. Elle est raisonnable et positive. La richesse est un grand bonheur pour ceux qui l’aiment. L’occasion est magnifique. Gédéon a le mérite d’être amoureux : pourquoi hésiterait-elle ?


Cinq heures du soir.

Je t’ai quitté brusquement. M. Sylvestre est venu me parler. Il croit que mademoiselle Aldine fera de sages réflexions. Elle lui a promis d’en faire. Moi, je crois qu’elles sont toutes faites, et que l’on ne me dit pas tout. Pourquoi M. Sylvestre, si naïf et si franc, veut-il me laisser croire que le mariage n’est encore qu’à l’état d’éventualité ? Je me suis senti impatienté contre une réserve qui n’est pas dans son caractère. Est-ce que mademoiselle Vallier s’imagine que je suis amoureux d’elle ? Gédéon le lui a-t-il persuadé, et par contre l’a-t-elle persuadé à l’ermite ? J’ai craint de donner créance à cette absurdité en cherchant à m’éclairer là-dessus. J’ai caché un moment d’humeur, et je me suis vengé en faisant de Gédéon le plus magnifique éloge. L’ermite m’a beaucoup parlé de Jeanne et de ses projets de voyage. C’est dans huit jours qu’il l’emmène. Il m’a demandé si je n’étais pas tenté d’aller faire aussi un tour en Suisse, et j’en suis tenté en effet. Il dit qu’il se fixera pour le reste de la saison du côté de Zurich, et que, si je passe par là, il sera heureux de me voir. Pourquoi n’y passerais-je pas ?

Je m’ennuie beaucoup ici maintenant, et, quand j’aurai terminé le travail que, j’ai promis à d’Harmeville, c’est-à-dire dans un ou deux mois, je quitterai cette charmante petite vallée, où je n’aurai plus de motif pour m’enterrer. Le départ de mon ermite m’y fera un vide affreux, et je ne tiens pas à faire mon chemin dans les lettres sous l’égide de Gédéon Nuñez.