Monsieur Sylvestre/55

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LV

MADEMOISELLE VALLIER À PHILIPPE TAVERNAY, À VOLVIC


L’Ermitage, 2 septembre.

Cher docteur, votre départ a laissé de l’attendrissement, par conséquent un peu de fatigue, mais rien de douloureux, car nous n’avons parlé hier et aujourd’hui que de votre retour si bien promis et si vivement désiré. Vous savez que nous jurons de ne pas nous marier sans vous avoir pour témoin. Vous êtes l’ange de notre salut !… M. Sylvestre dit qu’il vous aime comme son fils, et il dit vrai, et il a raison ! M. Piermont est revenu tantôt voir son neveu pour la troisième fois. Pour la troisième fois, il a monté la colline sans trop se plaindre, et, pour la troisième fois, il m’a dit « que j’étais bien pauvre, mais qu’il ne m’en estimait pas moins. » Que serait-ce donc si j’étais riche !

La gouvernante est arrivée à la Tilleraie. Je ne serai plus forcée de faire cette course tous les jours. J’ai reçu une lettre triomphante de Jeanne. M. N… la déteste, d’où elle conclut qu’il l’adore. La famille Diamant est revenue aussi. Ils ont trouvé ce que nous cherchions, et mieux que nous n’espérions. C’est la jolie maison rose du village des Grez, au bas de la colline. Vous nous la désiriez. Vous aimiez son jardin rustique, sa grande vue au midi sur les deux vallées, et son rempart de bois en talus qui la défend du vent du nord. Le propriétaire s’est décidé à la louer. Notre malade y passera doucement l’automne, et peut-être y resterons-nous l’hiver. M. Sylvestre, qui ne veut pas que nous nous quittions, consent à y demeurer avec nous jusqu’au mariage. Les Diamant disent que nous pourrons l’acheter, si nous nous y trouvons bien, et nous rêvons d’y garder l’ermite avec nous ; mais nous ne le lui disons pas encore. Il aime tant son ermitage ! nous transigerons. Il y passera la journée et consentira à reposer sous notre toit. La Tilleraie est en vente. Nous ne connaîtrons pas les acquéreurs, rien ne troublera notre solitude. Madame Laroze, qui ne fait pas bien ses affaires, parle de vendre son cabaret et de devenir notre domestique. Je le désire beaucoup ; Zoé n’est pas assez forte pour travailler autrement qu’à l’aiguille, et puis madame Laroze a eu tant de dévouement pour l’ermite et pour Pierre, que je l’aime de tout mon cœur. Adieu et au revoir, cher et digne ami. Pierre veut que je vous embrasse pour lui et pour moi. Oh ! je le veux bien, certes ! Il me promet que nous irons dans vos montagnes au printemps et et que votre mère m’aimera aussi. M. Sylvestre n’aime plus les voyages, mais il dit que, pour aller vers vous, il en fera encore un. Soyez béni ! voilà ce que je dirai, moi, tous les jours de ma vie.

Zoé vous bénit aussi, vous avez complété sa guérison. Farfadet vous a cherché toute la journée hier. M. Sylvestre lui a dit gravement :

— Tenez-vous tranquille, il reviendra.

Farfadet s’est résigné, et vous ne voudrez pas que l’ermite ait menti une fois en sa vie, ne fût-ce qu’à son chien.