Mont-Revêche/29

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Michel Lévy frères (p. 328-339).



XXIX


Olympe n’avait pu prévoir que son mari serait si vite informé des détails de cette malheureuse affaire. Il n’y a rien de moins questionneur que la confiance absolue, et jamais Dutertre n’avait songé à demander compte à sa femme de l’emploi des heures qu’elle ne passait point auprès de lui. Combien d’autres fois elle avait passé la matinée dehors, soit seule, soit avec Caroline ou Amédée, sans qu’il songeât à faire d’autres questions que celle-ci : « Eh bien, mes enfants, comment vont vos pauvres ? » Les courses n’avaient même pas toujours pour but de porter des soins charitables. C’étaient souvent de simples promenades, et plus d’une fois Olympe avait erré seule dans les bois, dont elle aimait l’aspect sauvage et les douces senteurs.

Il est vrai que, durant le temps que Dutertre passait auprès d’elle, c’était presque toujours avec lui qu’elle se promenait ; mais elle lui avait souvent écrit : « Ce matin, j’ai parcouru seule les endroits que tu préfères ; quand je ne suis pas avec toi, je suis mieux avec ton souvenir qu’en toute autre compagnie. » Et Dutertre ne lui avait jamais dit ni écrit : « Je ne veux pas, je n’aime pas que tu sortes seule. »

Ce matin-là, Dutertre ayant été forcément absent, elle n’avait pas fait entrer dans son plan la précision des explications qu’elle aurait à lui donner. Elle s’était flattée qu’un concours de circonstances fatales ne viendrait pas tout à point constater son entrée dans Mont-Revêche, que huit jours se passeraient avant que la nécessité de tout dire se présentât, et qu’avant ces huit jours Éveline et Thierray se seraient confessés, car elle ne voyait pas la nécessité de ce silence prolongé avec Dutertre, et elle ne s’était engagée envers Éveline à le garder que dans la crainte de provoquer en elle, par sa résistance, un de ces accès de fièvre mortelle qui suivent parfois les chutes violentes.

Si Dutertre n’eut été en proie à une jalousie terrible, dont Olympe n’admettait pas la pensée, il ne lui eut pas semblé si irrité contre Éveline, et contre elle par contrecoup. Comment pouvait-il l’être contre elle ? Voilà ce qu’elle ne comprenait pas. Aussi resta-t-elle muette devant sa dernière interrogation, faite d’un ton de juge et de maître, ne pensant pas qu’elle dût attirer un orage sur la tête de sa belle-fille, et trahir sa confiance pour s’épargner le blâme d’avoir voulu la sauver.

Elle resta donc pâle, interdite, terrifiée. Il lui semblait que, pour la traiter ainsi à propos de ce qu’elle avait fait, il fallait, ou que Nathalie eût imaginé quelque épouvantable calomnie impossible à prévoir ou à combattre, ou que Dutertre fût devenu fou.

Cette dernière idée s’empara d’elle presque complétement lorsqu’elle vit Dutertre, qui avait la main cachée dans sa poitrine, l’en retirer pleine de lambeaux ensanglantés de sa chemise. Elle fit un cri et s’élança vers lui pour le couvrir de larmes et de baisers, sans s’inquiéter s’il n’allait pas la tuer dans un accès de démence furieuse.

Il la repoussa avec indignation, croyant voir dans cet élan l’épouvante et la supplication d’une femme coupable. Olympe voulait lui parler, lui jurer qu’Éveline était innocente, que, dans tous les cas, Thierray était bien résolu à l’épouser. Devant cette rage et ce désespoir de son mari, elle ne songeait plus à garder le secret d’Éveline, mais à soulager l’infortuné père de famille de ses craintes pour l’avenir ou le passé.

Elle fit de vains efforts : la parole vint mourir sur ses lèvres. Elle était redevenue trop malade depuis quelques jours, elle avait trop souffert dans cette dernière journée pour surmonter tant d’émotion et de fatigue. Elle n’avait jamais vu son mari irrité contre elle. Il lui sembla que des tenailles lui comprimaient le gosier ; elle se débattit, fit entendre des sons inarticulés, et, ne pouvant pas même crier, elle tomba brisée sur un fauteuil.

— Remettez-vous, Olympe, dit Dutertre, qui, de son côté, ne parlait pas sans un violent effort, tant il éprouvait le besoin de rugir de douleur. Je ne vous ferai jamais ni menaces ni reproches. Tout ceci est la faute de ma confiance insensée, de mon optimisme aveugle. Je vous devais plus de surveillance et de protection. Que voulez-vous ! je vous croyais la force des anges ! je vous croyais plus qu’une femme ! Allons ! rassurez-vous, vous dis-je. Je n’oublierai pas les devoirs qui me lient envers vous. Je sauverai à tout prix l’honneur de ma famille et ferai respecter le vôtre, comptez-y ! Vous serez toujours ma femme et ma fille. Mais, oh ! mon Dieu, vous n’êtes plus Olympe, vous n’êtes plus ma sainte, ma divinité, mon souverain bien !… Vous avez subi quelque violence morale, je ne sais quelle inexplicable fascination ! Vous en serez vengée, et, après cela, comptez sur votre ami, qui ne vous livrera point à la risée publique et qui vous pardonnera ces huit jours de torture et cet avenir de désespoir, à cause des huit années de suprême bonheur que vous m’avez données.

Olympe entendit ces paroles sans les comprendre. Elle avait le regard fixe, la bouche contractée, les mains roidies sur les bras de son fauteuil. Pour qui ne devinait pas le coup mortel qu’elle venait de recevoir, son attitude pouvait sembler celle de la culpabilité consternée.

Dutertre ne put tenir davantage à cet épouvantable silence, qui lui arrachait son dernier espoir. Jusque-là, sa femme pouvait lui paraître légère ou entraînée ; mais il ne suffît pas de quelques heures pour vaincre la vertu d’une femme longtemps pure, et Dutertre pensait que, si Olympe avait laissé son cœur ou son imagination à Mont-Revêche, elle était du moins rentrée avec son honneur à Puy-Verdon. En la voyant muette et comme terrassée sous le poids de sa faute, il perdit sa dernière illusion et s’enfuit au fond du jardin pour y étouffer son désespoir, sa fureur et sa honte.

Au bout d’un quart d’heure, il rentra dans le boudoir, passa dans son cabinet, y resta quelques instants sans approcher de l’appartement d’Olympe et sortit de nouveau par le jardin. En ce moment, Dutertre était fou.

Blondeau, qui le guettait et qui avait commenté sa première sortie et sa rentrée, l’arrêta sur le perron de la tourelle et lui dit avec décision :

— Qu’y a-t-il, monsieur Dutertre ? Vous me cherchez, sans doute ? Vous paraissez inquiet : votre femme est souffrante ?

— Quelle femme ? Je n’ai plus de femme ! répondit Dutertre avec égarement.

— Malheureux ! s’écria Blondeau, qui crut à un drame encore plus tragique. Vous qui n’avez jamais fait que le bien ! Eh bien, fuyez, fuyez, sauvez-vous ! que je ne sois pas forcé de vous livrer au châtiment !

— Est-ce que vous croyez qu’elle en mourra ? dit Dutertre avec un affreux sourire. Oh ! que non, docteur, les femmes ne meurent pas pour si peu.

— Où allez-vous ? dit Blondeau, qui, en le saisissant, avait senti la crosse des pistolets qu’il, cachait sous son manteau.

— Où je vais, mon pauvre docteur ? répondit Dutertre, qui semblait sortir d’un rêve pour retomber dans un autre. Je vais regarder les étoiles et respirer un peu dehors. Ayez soin de ma pauvre Éveline, entendez-vous ? Je reviendrai bientôt.

Blondeau, pensant qu’il avait des projets de suicide, allait le retenir encore, lorsqu’il lui sembla entendre un gémissement partir de la chambre d’Olympe. Dominé par une préoccupation sinistre, il lâcha Dutertre et monta précipitamment l’escalier. Blondeau s’était trompé. Olympe était toujours muette, assise dans son fauteuil, immobile et froide comme une statue. Au premier moment, le médecin la crut morte. Comme elle ne présentait aucune trace de violence, non plus que l’appartement où elle se trouvait, il se rassura, constata une situation nerveuse cataleptique et redescendit vivement pour appeler Dutertre ; mais il ne le trouva plus ni dans la maison, ni dans le jardin. Il appela la femme de chambre d’Olympe, lui défendit de jeter l’alarme, à cause d’Éveline, qui avait besoin de la plus complète tranquillité d’esprit, et s’occupa activement de ramener Olympe au sentiment de la vie. Elle se ranima, mais sans paraître comprendre ce qui lui était arrivé ; sa femme de chambre put la faire coucher, car elle s’aida elle-même machinalement, et, quand Blondeau rentra, il essaya de l’interroger ; mais Olympe, portant la main à son cou et à son front, lui indiqua ainsi que la voix ne lui était pas revenue et que ses idées étaient confuses.

Nathalie, qui, de sa fenêtre, observait le mouvement précipité des lumières dans l’appartement d’Olympe, pressentit quelque événement et vint doucement écouter dans le boudoir. Elle n’y fut pas longtemps sans rencontrer Blondeau, qui allait et venait avec inquiétude.

— Qu’y a-t-il donc ? lui dit-elle un peu effrayée. Mon père serait-il malade ?

— Votre père, dit brutalement Blondeau, qui vit dans Nathalie l’assassin du bonheur domestique, vous ne savez pas où il est ? Eh bien, ni moi non plus ; cherchez-le, car, à l’heure qu’il est, il se fait peut-être sauter la tête.

— C’est horrible ! s’écria Nathalie, c’est atroce, ce que vous dites là !

— Bah ! dit Blondeau, est-ce que cela vous émeut ? Est-ce que vous n’avez pas fait votre possible pour que cela arrivât ?

— Grand Dieu ! reprit Nathalie en proie à une terreur affreuse, mais n’oubliant pas sa haine, c’est cette odieuse femme qui le tue et qui m’accuse !

— Cette odieuse femme, dit Blondeau, ne vous pèsera pas longtemps, au train dont vous menez sa vie !

— Blondeau, dit Nathalie exaspérée, vous êtes un misérable ! le confident de ses intrigues peut-être ! Mais je vous méprise tous deux. Où est mon père ? Cela seul m’intéresse.

— Vous avez réussi à rendre votre père absurde et méchant pendant une heure, dit Blondeau en haussant les épaules devant les accusations de Nathalie. Cherchez-le, vous dis-je, et tâchez de le détromper. C’est tout ce que vous avez à faire, si vous en êtes capable.

Nathalie épouvantée allait sortir, lorsque Crésus arriva.

— Que voulez-vous ? lui demanda Blondeau du ton de brusque autorité que prend à bon droit le médecin dans les orages de famille.

— Je venais parler à Madame, de la part de Monsieur, dit Crésus.

— Dites-moi ce que vous veniez lui dire, reprit Blondeau avec un redoublement d’autorité, devant lequel le groom obéit instinctivement.

— Monsieur vient de monter à cheval, dit-il ; il n’a jamais voulu que je le suive. Il m’a donné ça pour Madame.

Il montrait un billet qu’il hésitait à remettre à Blondeau, Dutertre lui ayant préalablement ordonné de le remettre à Olympe elle-même ; mais Blondeau prit le billet, l’ouvrit sans façon, l’approcha d’une bougie et lut tout bas :

« Olympe, vous pouvez reposer tranquillement cette nuit, ne vous rendez pas malade. Je vous reverrai demain matin. »

— C’est bien, dit-il à Crésus, vous pouvez aller vous coucher.

Crésus sortit.

— Qu’y a-t-il dans ce billet ? dit Nathalie. Je veux le savoir.

— Il y a, répondit Blondeau, que vous pouvez aller vous coucher aussi ; vous avez fait assez de mal pour aujourd’hui.

— Mon père n’est pas en danger ?

— En danger ? dit Blondeau. On est toujours en danger, quand on va se battre au pistolet, et je jurerais que M. Dutertre est à cette heure-ci sur la route de Mont-Revêche.

— Il va se battre avec M. de Saulges ! s’écria Nathalie ; comme cela, tout d’un coup, sans rien éclaircir, sur un doute qui ne fait que d’entrer dans son esprit ! Mais quelle atroce passion a-t-il donc pour cette femme ?

— Il a la passion de l’amour, comme vous avez celle de la haine.

— Mon Dieu, mon Dieu, que faire ? dit Nathalie en se tordant les bras, sourde qu’elle était devenue aux injures de Blondeau.

— Il n’y a rien à faire, dit celui-ci, qu’à vous retirer chez vous et à passer une mauvaise nuit que vous n’aurez pas volée. Ah ! si fait, attendez… Mais cela ne vous regarde pas.

Il alla donner quelques ordres et revint. Il trouva Nathalie qui montait l’escalier d’Olympe. Il la saisit par le bras et la fit redescendre avec autorité.

— Non, lui dit-il, les malades me sont confiées, et vous n’irez pas me tuer celle-là. J’en réponds devant Dieu. Si vous voulez absolument tuer quelqu’un, jetez l’alarme dans la maison, réveillez Éveline en sursaut, dites-lui ce qui se passe, elle aura un accès de fièvre cérébrale, et, dans trente-six heures, elle sera morte.

Blondeau ne savait pas toute la profondeur du caractère de Nathalie ; il la savait bilieuse, jalouse de son père et médisante en général. Il regardait comme un devoir de sa position d’ami et de médecin de la famille de lui donner une rude leçon, pensant qu’il la corrigerait, ou que, du moins, il arrêterait pendant quelques jours l’effet des paroles empoisonnées qui portaient le désordre physique et moral dans la famille.

C’était raisonner logiquement. Nathalie, qui eût lutté contre une critique plus ménagée et plus douce de formes, fut écrasée par cette brutalité paternelle. Il est des caractères que la douceur rend ingrats, que la patience irrite, et qui céderaient à la rigueur. Il faut le dire et le croire à l’honneur de la vertu humaine : la méchanceté ne donne pas de force véritable.

Si Dutertre eût procédé comme Blondeau, Nathalie, sans être plus tendre, eût été plus inoffensive. Elle se sentit brisée par cette parole rude, par ce mépris, dans la bouche d’un homme vieux, laid, et de manières assez communes, qu’elle avait toujours regardé comme un subalterne et qui la mettait sans façon sous ses pieds. Elle se trouva complètement humiliée pour la première fois de sa vie, et tout aussitôt, non par une anomalie, mais par une conséquence de son caractère arrogant et de son esprit faible, elle s’humilia.

— Blondeau, mon cher Blondeau, s’écria-t-elle en fondant en larmes, c’est vous qui tuez ici, et c’est moi qui suis immolée ! je l’ai mérité peut-être, mais ayez pitié de moi ! Dites-moi ce qu’il faut faire pour ramener mon pauvre père, pour l’empêcher de se battre ou de se suicider, car vous m’avez mis des terreurs atroces dans le cerveau, et je crois que je deviens folle.

— Si je savais ce qu’il faut faire, dit Blondeau avec plus de douceur, quelque malade que soit sa femme, je ne serais pas ici. Mais, quelle que soit l’intention de votre père, vous le connaissez aussi bien que moi, vous savez qu’aucune force humaine ne peut combattre, en de certains moments, l’énergie de sa volonté. S’il veut se tuer, il s’y prendra de telle façon, que personne ne saura où le joindre et que personne peut-être ne pourra jamais constater son genre de mort. S’il veut se battre… ma foi ! je n’ai jamais vu qu’on pût empêcher un homme de cœur de se battre quand il croit devoir le faire. Pourtant, d’après son billet, j’espère qu’il n’est plus question de tout cela, et que, s’il en a eu la pensée, un quart d’heure de solitude et de réflexion dissipera ces fumées. Il promet de revenir demain matin, et Dutertre n’a jamais rien promis qu’il n’ait tenu. Il est monté à cheval, c’est très-bon ; il n’est guère de transport qu’une demi-heure de trot par une nuit froide n’ait forcément calmé. Il y regardera à deux fois, d’ailleurs, avant de faire une esclandre qui transformerait une chose très-indifférente en une rumeur publique. Calmez-vous donc un peu, et repentez-vous beaucoup, mon enfant. Vous êtes mauvaise, vous abusez de votre esprit, vous êtes jalouse de votre belle-mère, et, en croyant la faire souffrir seule, vous tuez votre père à coups d’épingle. Il est temps de changer de système, si vous ne voulez être haïe de tout le monde, et rester vieille fille en dépit de vos vers et de vos écus. On vous gâte ici, on ménage votre amour-propre ; mais, moi, je vous dis que vous ne plaisez à personne, et que tout le monde a peur de vous, excepté moi qui vous ai vue naître et qui me moque de vos malices. Ainsi donc, rentrez en vous-même, changez ; et, dans votre intérêt, si vous ne pouvez pas être bonne, tâchez au moins d’agir comme si vous l’étiez ; ça viendra peut-être par la crainte du monde et par l’habitude ; autrement… souvenez-vous de ce que je vous dis !… Le mal que vous ferez retombera sur votre tête, et moi qui vous aime et vous plains encore, à cause de vos parents, je deviendrai votre ennemi implacable et ferai hautement connaître le serpent qui mord ici tout le monde.

Nathalie, atterrée, sentit profondément, sinon par la conscience, du moins par la peur, la force des raisonnements et des menaces de Blondeau. Elle courba la tête en silence, et il la laissa pour remonter auprès d’Olympe.

Elle était toujours dans le même état, frappée d’une contraction nerveuse qui produisait le mutisme : le battement de son pouls était à peine sensible, celui du cœur était insensible tout à fait. Elle avait les yeux ouverts, fixes, et paraissait réfléchir avec effort. Blondeau lui demanda à quoi elle pensait ; elle fit signe qu’elle n’en savait rien. Il lui demanda si elle était inquiète de quelque chagrin arrivé à son mari. Son sourcil se fronça légèrement, et elle regarda Blondeau avec une sorte d’effroi vague.

— Vous souvenez-vous de quelque chose de semblable ? lui dit-il.

— Elle fit signe que non.

— Vous comprenez bien et vous entendez bien ce que je vous dis ?

— Oui, dit-elle avec la tête.

— Vos yeux voient bien ? Pouvez-vous lire une lettre ?

Elle étendit la main pour la recevoir. Elle lut ce que Dutertre lui écrivait, sourit et fit signe qu’elle allait essayer de dormir. Blondeau lui administra une nouvelle potion, mais elle ne dormit point.

Nathalie entra sans bruit, sur la pointe du pied. Blondeau lui fit signe impérativement de s’éloigner. Elle joignit les mains d’un air suppliant, et s’arrêta avec soumission derrière le lit, d’où Olympe ne pouvait la voir.

Blondeau fut touché du repentir de Nathalie, et, comme toutes les bonnes gens en pareil cas, un peu fier de l’avoir produit.

— Pensez-vous, dit-il à Olympe, avoir à vous plaindre de quelqu’un autour de vous, que vous semblez plongée dans la mélancolie ?

Olympe fit signe que non.

— Nathalie est venue demander souvent de vos nouvelles ; ne voudriez-vous pas lui serrer la main avant de vous endormir ?

Olympe étendit sa main décolorée, comme pour recevoir celle de son ennemie.

Nathalie s’élança vers elle, tomba à genoux près de son lit et couvrit de baisers et de larmes cette main qu’elle ne touchait jamais que du bout du doigt avec une impitoyable affectation. Elle était si effrayée de la pâleur et du mutisme d’Olympe, qu’elle sentait qu’elle l’avait tuée, et la terreur du châtiment moral la pliait enfin comme un criminel qui baise le crucifix au pied de l’échafaud.

Olympe parut étonnée de cette effusion et la regarda quelques instants comme pour recueillir ses idées. Puis, des larmes vinrent à ses yeux, elle attira Nathalie vers elle, lui donna un long et maternel baiser au front, se laissa retomber sur son oreiller et s’assoupit enfin avec un divin sourire sur les lèvres. La pauvre femme croyait avoir rêvé toutes les douleurs de sa vie, et toutes les images effrayantes qui flottaient depuis une heure dans son cerveau s’évanouissaient comme des chimères.