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Musique et Musiciens/Le Roi l’a dit

La bibliothèque libre.
P. Lethielleux, imprimeur-éditeur (Premier volumep. 257-262).


LE ROI L’A DIT

Opéra-Comique en trois actes
de M. Edmond Gondinet,
musique de M. Léo Delibes.


L’idée première, dans la pièce de M. Gondinet, était heureuse et contenait tous les éléments nécessaires à un poëme d’opéra-comique, dans la manière de Scribe ; aussi le premier acte est-il parfait sous tous les rapports. C’est clair, gracieux, comique, animé, brillant. Mais à partir du second acte, l’action languit pour disparaître bientôt tout à fait. On n’aperçoit plus le point de départ, et il semble que le librettiste n’ait terminé son œuvre qu’à bâtons rompus, tant elle se traîne d’incidents en incidents.

La pièce, écrite en vers libres et débarrassée de tous les hors-d’œuvre, peut se raconter en quelques lignes. M. Gondinet nous ramène au temps du Roi-Soleil, dans ce même Versailles qui fait encore parler de lui, comme dans son beau temps. Le marquis de Montcontour quitte sa province pour venir faire figure à la Cour, flanqué de la marquise et de ses quatre filles. Mais comment paraître devant le Grand Roi, sans en être troublé ? Aussi le gentilhomme en perd-il sa révérence et laisse-t-il tomber son chapeau, maladresse que le monarque feint de ne pas même apercevoir, tant la cause lui en paraît naturelle.


« Vous avez un fils ? » lui dit le roi. Et notre provincial répond sans hésiter un oui qui va le plonger tout à l’heure dans mille embarras. Mais comment dire non à une question qui semblait être un désir ? Telle est, du moins, l’excuse que le marquis donne à sa femme ! Le ménage se tire d’embarras en acceptant de Miton, le maître à danser de Mlles de Montcontour, un fils d’occasion, jeune paysan fort dégourdi, qui a quitté son village pour suivre Javotte, une soubrette de la maison du marquis. Grâce à ce professeur de maintien et de belles façons, Benoît devient, en un tour de main, un raffiné endiablé, rossant ses fournisseurs, mettant le feu au couvent où la marquise a enfermé ses filles, pour cause d’émancipation hâtive, ferraillant enfin et se rendant sur le pré au moindre prétexte. L’un de ses duels sert le marquis, qui ne sachant plus à quel saint se vouer, au bruit des méfaits de son prétendu fils, le fait passer pour mort sur le terrain. Le roi fait porter ses compliments de condoléance au très fortuné père et le comte Benoît de Montcontour disparaît de la scène du monde comme il y était venu, parce que « le roi l’a dit ! »

Il y a dans la partition de M. Delibes, comme dans la pièce de M. Gondinet, des parties excellentes et d’autres sujettes à critique. Commençons par celles-ci, pour finir par l’éloge.

J’ai goûté assez peu l’ouverture, écrite en « popourri », et dont les liens paraissent rattachés à la hâte. L’entr’acte instrumental me semble meilleur, sans offrir rien de bien saillant, toutefois. Les ariettes, les couplets et les duos de ces trois actes, sauf quelques phrases heureuses, sont généralement faibles. L’invention chez le musicien étant obligée de se proportionner aux moyens des interprètes, il devenait dès lors malaisé d’écrire de beaux chants pour des voix impuissantes à les chanter. Ce n’est certes pas pour des voix chevrottantes et mal posées que souffle la longue haleine des mélodies. Aussi pensons-nous qu’il y a, sous ce rapport, des circonstances atténuantes à faire valoir en faveur du compositeur.

En revanche, on compte maints morceaux d’ensemble charmants. Ils portent la marque d’un musicien distingué plein d’habileté, de grâce et de naturel. Quelques-uns de ces morceaux se rattachent aux vieilles écoles italienne et française. D’autres, au contraire, ont tout à fait l’allure de notre époque.

Il faut citer parmi les meilleurs l’otetto de la première scène, la marche et le chœur qui accompagnent la sortie pompeuse du marquis, en chaise à porteurs. Toute cette scène est délicieuse. Celle où les filles du marquis prennent une double leçon de maintien et de musique, ne lui cède en rien.

Celles-ci chantent là un petit chœur d’un opéra imaginaire et à la mode du temps : Les Filles du Ténare ; c’est du Lulli ou du Campra. Au second acte, j’ai remarqué le charmant trio, en style syllabique, de Jacquot et des deux petits marquis, puis le final où se trouve la jolie phrase si bien développée : « Ah ! qu’il est doux d’avoir un frère ! » Citons enfin le final du troisième acte, l’un des morceaux les mieux réussis d’un ouvrage que l’on aura plaisir à revoir plusieurs fois.

L’instrumentation de la nouvelle partition de M. Delibes est traitée avec élégance et discrétion, quoique les effets n’y manquent pas. Les sonorités y sont de bon goût et ne gênent pas la voix, mérite rare aujourd’hui.

Si l’exécution vocale de Le Roi l’a dit laisse à désirer, la pièce est du moins fort bien jouée. L’excellent comédien Sainte-Foix retrouve dans le personnage de Miton les bravos et les rires qu’il provoque toujours dans Cantarelli du Pré aux Clercs. M. Ismad serait parfait s’il voulait bien montrer un peu plus de gaîté. Le quatuor des jeunes filles et les deux petits marquis, ceux-ci représentés par Mesdemoiselles Canetti et Reine, forment un élément d’une grâce exquise, auquel revient la plus large part dans le succès de l’ouvrage. L’une des filles du marquis, Mademoiselle Chapuy, doit être félicitée sur la façon dont elle dit et chante ses couplets, au troisième acte.

L’orchestre, sous l’habile direction de M. Deloffre, a satisfait les plus difficiles ; enfin, la direction a fait œuvre d’artiste en composant la mise en scène du Roi l’a dit, qui nous promet un véritable compositeur d’opéra-comique.

3 juin 1873,
FIN DU PREMIER VOLUME.