Myrtes et Cyprès/Castel Gallifort

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Librairie des Bibliophiles (p. 77-80).


CASTEL GALLIFORT


Deserted now, he scans thy gray worn torvers,
Thy vaults where dead of feudal ages sleep.

Byron.

Le soir tombait. J’étais resté près des ruines,
Enveloppé dans l’ombre, humecté de bruines.
Devant moi se dressait cet antique château,
Muet comme un passé, triste comme un tombeau.
Les débris avaient fait leur monceau sur la dalle,
L’herbe croissait folâtre aux voûtes de la salle.
Ses murs percés à jour et ses toits effondrés,
Où se posent la nuit les hiboux effarés,
Aux dernières lueurs de l’horizon de flamme
Semblaient se réveiller, et l’on eût dit qu’une âme

Gémissait par moments dans l’ombre des caveaux
Quand la brise plaintive y jetait quelques mots.
De ses roides donjons, de ses tours altières,
L’une n’existait plus que comme un tas de pierres
Informe. On pouvait voir à côté d’un pilier
Les degrés chancelants d’un gothique escalier,
Désormais sans plafond qui limitât la vue.
La spirale en montait légère vers la nue.
Plus loin on remarquait le donjon isolé
Près des fossés où l’eau jadis avait coulé.
Il se dressait fier, sentinelle avancée,
Levant sur l’horizon sa pointe crevassée,
Où, singulier vestige, on distinguait encor,
Tournant aux quatre vents, la girouette d’or.
Tel était Gallifort, débris du moyen âge,
Ravagé par le temps et rogné par l’orage,
N’ayant pas même, hélas ! comme les burgs du Rhin,
Un lierre ami voilant son front chauve et serein.
Jadis on redoutait ses murailles hostiles ;
À ses pieds aujourd’hui verdoient les champs fertiles,

À deux pas de ses tours bêche le paysan.
Le manant d’autrefois, le maître d’à présent,
Homme simple toujours, penseur plutôt qu’artiste,
Trouve que ce géant assez longtemps existe,
Que les pierres couvrant un terrain généreux
Ne servent, après tout, à rien d’avantageux,
Et qu’il vaudrait bien mieux, déblayant ces décombres,
Hâter l’effet des ans sur ces murailles sombres.
Cela peut être fait sinon ce jour, demain…
Ô poëte, et l’été, si tu prends ce chemin
Pour y porter ton rêve et ta mélancolie,
Tu comprendras pourquoi tout passe et tout s’oublie
En voyant à l’endroit où, l’an dernier, tes yeux
Contemplaient ce manoir triste et mystérieux,
Frissonner les blés mûrs et fumer les chaumières
Construites sur le sol avec les pauvres pierres
Du castel féodal mort sans faire de bruit :
Le temps le respectait, l’homme l’aura détruit.


4 août 1873.



Il existe toujours, le vieux château morose,
Je l’ai revu ce soir. Il était presque rose
Sous le soleil couchant, et me faisait songer
Au vieillard sur lequel les ans firent neiger
Le deuil et les chagrins, et qu’un enfant volage
Embrasse et fait sourire à son joufflu visage.
Quelques pierres de plus couvraient le sol fleuri :
Mais, par enchantement, un verdoyant abri
De rameaux printaniers et de lianes fraîches
Cachait des murs croulants les fentes et les brèches,
Et les merles bruyants chantonnaient à plaisir
Dans ces lieux délaissés qu’ils semblaient rajeunir.


Anvers, 8 juin 1874.