Mélite/Acte 5/Scène 3

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Mélite
(Édition Marty-Laveaux 1910)
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SCÈNE III.


CLORIS, PHILANDRE.



CLORIS.


Ne m’importune plus, Philandre, je t’en prie ;
Me rapaiser jamais passe ton industrie.
Ton meilleur, je t’assure, est de n’y plus penser ;
Tes protestations ne font que m’offenser :
Savante à mes dépens de leur peu de durée,
Je ne veux point en gage une foi parjurée,
Un cœur que d’autres yeux peuvent sitôt brûler 338,
Qu’un billet supposé peut sitôt ébranler.


PHILANDRE.


Ah ! ne remettez plus dedans votre mémoire
L’indigne souvenir d’une action si noire.
Et pour rendre à jamais nos premiers vœux contents,
Étouffez l’ennemi du pardon que j’attends.
Mon crime est sans égal ; mais enfin, ma chère âme 339


CLORIS.


Laisse là désormais ces petits mots de flamme,
Et par ces faux témoins d’un feu mal allumé
Ne me reproche plus que je t’ai trop aimé.


PHILANDRE.


De grâce, redonnez à l’amitié passée
Le rang que je tenois dedans votre pensée.
Derechef, ma Cloris, par ces doux entretiens,
Par ces feux qui voloient de vos yeux dans les miens 340,
Par ce que votre foi me permettoit d’attendre…


CLORIS.


C’est d’où dorénavant tu ne dois plus prétendre.
Ta sottise m’instruit, et par là je vois bien
Qu’un visage commun, et fait comme le mien,
N’a point assez d’appas, ni de chaîne assez forte,
Pour tenir en devoir un homme de ta sorte.
Mélite a des attraits qui savent tout dompter ;
Mais elle ne pourroit qu’à peine t’arrêter :
Il te faut un sujet qui la passe ou l’égale.
C’est en vain que vers moi ton amour se ravale ;
Fais-lui, si tu m’en crois, agréer tes ardeurs :
Je ne veux point devoir mon bien à ses froideurs.


PHILANDRE.


Ne me déguisez rien, un autre a pris ma place ;
Une autre affection vous rend pour moi de glace.


CLORIS.


Aucun jusqu’à ce point n’est encore arrivé 341 ;
Mais je te changerai pour le premier trouvé.


PHILANDRE.


C’en est trop, tes dédains épuisent ma souffrance.
Adieu ; je ne veux plus avoir d’autre espérance,
Sinon qu’un jour le ciel te fera ressentir
De tant de cruautés le juste repentir.


CLORIS.


Adieu : Mélite et moi nous aurons de quoi rire 342
De tous les beaux discours que tu me viens de dire.
Que lui veux-tu mander ?


PHILANDRE.


Que lui veux-tu mander ?_Va, dis-lui de ma part
Qu’elle, ton frère et toi, reconnoîtrez trop tard
Ce que c’est que d’aigrir un homme de ma sorte 343.


CLORIS.


Ne crois pas la chaleur du courroux qui t’emporte :
Tu nous ferois trembler plus d’un quart d’heure ou deux.


PHILANDRE.


Tu railles, mais bientôt nous verrons d’autres jeux :
Je sais trop comme on venge une flamme outragée.


CLORIS.


Le sais-tu mieux que moi, qui suis déjà vengée ?
Par où t’y prendras-tu ? de quel air ?


PHILANDRE.


Par où t’y prendras-tu ? de quel air ?_Il suffit :
Je sais comme on se venge.


CLORIS.


Je sais comme on se venge._Et moi comme on s’en rit.


Scène II

Acte V, scène III

Scène IV


338. Var. Je ne veux point d’un cœur qu’un billet aposté
Peut résoudre aussitôt à la déloyauté. (1633)

339. Var. Ma maîtresse, mon heur, mon souci, ma chère âme. (1633-57)

340. Var. [Par ces feux qui voloient de vos yeux dans les miens,)
Par mes flammes jadis si bien récompensées,
Par ces mains si souvent dans les miennes pressées,
Par ces chastes baisers qu’un amour vertueux
Accordoit au désir d’un cœur respectueux,
[Par ce que votre foi me permettoit d’attendre… ] (1633-57)

341. Var. Aucun jusqu’à ce point n’est encor parvenu ;
Mais je te changerai pour le premier venu.
phil. Tes dédains outrageux épuisent ma souffrance. (1633-57)

342. Var. Adieu : Mélite et moi nous avons de quoi rire. (1644-64)

343. Var. Ce que c’est que d’aigrir un homme de courage,
clor. Sois sûr de ton côté que ta fougue et ta rage,
Et tout ce que jamais nous entendrons de toi,
Fournira de risée, elle, mon frère et moi ao. (1633-57)


ao. C’est la fin de la scène iii dans les éditions indiquées