Nécrologie de M. Henri Vast

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Nécrologie de M. Henri Vast
Revue pédagogique, année 192178-79 (p. 278-281).

Nécrologie : Henri Vast.


Le probe et laborieux historien qui vient de mourir était depuis longtemps connu et apprécié des lecteurs de cette Revue. Dans les « Causeries » qu’il publiait ici, il suivait attentivement le mouvement des études historiques. Son érudition et sa conscience le gardaient aussi bien de la banalité des éloges que des jugements sommaires ou superficiels et l’on ne pouvait souhaiter un guide plus sûr et mieux informé.

Peu de carrières ont été plus unies et plus droites. Henri Vast entre à l’École normale supérieure en 1867. Elle n’était pas alors la confortable hôtellerie où nul n’était tenu d’habiter pas même le directeur. C’était encore la vie en commun qui, avec plus de liberté, prolongeait la vie du collège. C’est là qu’il rencontra Régis Jalliffier et que naquit cette amitié fraternelle qui devait durer quarante-cinq ans et dont la mort seule put briser les liens.

La guerre le surprend sur les bancs de l’École, et, sans vouloir profiter de la dispense du service militaire, il s’engage avec plusieurs camarades et fait consciencieusement son devoir dans le 7e bataillon des mobiles de la Seine.

Agrégé d’histoire et de géographie, il débute comme professeur suppléant au lycée Condorcet. Il y est bientôt nommé titulaire et il ne quitte sa chaire que pour entrer dans la Commission de Saint-Cyr où il devait rester jusqu’à la retraite.

Son premier livre le signale à l’attention des historiens. Sa thèse de doctorat sur Le Cardinal Bessarion sort du cadre ordinaire des biographies. Ce prélat, en effet, appartient à un double titre à l’histoire générale. Il a vécu sur les confins de deux grandes époques : le monde byzantin qui s’écroule et le monde nouveau qu’annonce la Renaissance. Comme on l’a dit justement, il a été « le plus latin des Grecs et le plus grec des Latins ». Il a travaillé à réconcilier l’Église grecque avec l’Église latine et il a cru un moment avoir réussi puisque, en 1639, le Concile de Florence avait mis fin au schisme. En même temps, il appelait à lui les érudits et les savants que l’invasion des Turcs avait fait refluer sur l’Italie et son palais devint à la fois l’asile des lettres antiques et une véritable Académie où furent corrigés les premiers livres imprimés.

Plus tard, Henri Vast devait compléter ce beau travail en nous racontant d’après des documents de premier ordre, Le siège et la prise de Constantinople, date mémorable qui ne marque pas seulement la chute d’un empire, mais l’écroulement de la citadelle avancée que le monde chrétien gardait aux portes de l’Asie. Ainsi se posait pour l’Europe cette question d’Orient qui, depuis tantôt cinq siècles, attend encore aujourd’hui sa solution.

Quand Lavisse et Rambaud entreprirent la publication de leur Histoire générale, Henri Vast fut chargé d’y exposer la diplomatie et les guerres de Louis XIV. Il était admirablement préparé à cette tâche. Familier avec les archives, il connaissait à fond les sources et les documents de première main. Dans la « Collection des textes pour servir à l’étude et à l’enseignement de l’histoire », il avait, en trois volumes avec commentaires à l’appui, publié le texte original des grands traités du règne. Il compléta ces travaux par une bien curieuse étude sur Les tentatives de Louis XIV pour arriver à l’Empire. C’est le rêve qui, depuis Philippe le Bel, avait hanté tous nos rois et nos hommes d’État, les uns comme Henri IV et Richelieu, pour démembrer cet empire, les autres pour s’y installer. À trois reprises, en effet, Louis XIV essaya d’obtenir à prix d’or des électeurs le rang suprême qu’avait occupé Charles Quint.

Estimé par ces travaux dans le monde des savants, le nom de Vast devint populaire dans le monde des écoles quand parurent ces « Précis d’histoire » qu’il écrivit en collaboration avec son frère intellectuel, Régis Jalliffier. Collaboration heureuse et féconde, s’il en fut, car les qualités de l’un et de l’autre se complétaient, se fondaient harmonieusement pour donner à ces livres classiques, sur la base d’une documentation impeccable, tout l’attrait d’une forme séduisante, alerte et pittoresque.

Un peu plus tard, Henri Vast publiait, non plus cette fois pour les écoliers, mais pour le grand public, un livre magistral sur L’Algérie et les Colonies. C’est là que se trouve réfuté, l’histoire en main, ce préjugé trop répandu que le Français n’a pas l’esprit colonial. En étudiant l’œuvre des grands administrateurs — militaires et civils — de notre « plus grande France », il signalait d’avance les services que nous en pourrions attendre en temps de guerre et quelles compensations apporterait à la faiblesse de notre natalité un empire de plus de 40 millions d’habitants.

En 1890, Vast est nommé examinateur d’admission à l’École de Saint-Cyr. Dans ces concours, dont les épreuves sont assez longues et assez variées pour juger « les têtes bien faites plutôt que les têtes bien pleines », il s’attachait avec ses collègues à éliminer, dans l’humaine mesure, le hasard et le psittacisme. Jamais il n’était plus satisfait que quand le succès venait sanctionner et récompenser le travail intelligent et les fortes études. Bien souvent, au cours de la guerre, il lui arrivait de faire un douloureux retour sur ces milliers d’officiers moissonnés en pleine jeunesse et il ne pouvait se défendre d’une légitime fierté en songeant à quel point, par leurs qualités intellectuelles et morales, ils avaient justifié les choix que nous en avions faits.

Au cours de ses travaux, Henri Vast avait été cruellement atteint par la perte d’un fils qui donnait déjà mieux que des promesses. Il cherchait alors dans l’étude, non la consolation de l’irréparable, mais avec l’apaisement, l’énergie nécessaire pour faire encore œuvre utile. Le caractère était chez lui au niveau du talent. J’en appelle à ceux qui ont éprouvé sa droiture, la sûreté, de son commerce et goûté la douceur de son amitié.

Quand une brusque attaque le retrancha, bien avant sa fin, du monde des vivants, il venait d’achever son dernier livre, cette Petite histoire de la grande guerre, dédiée « à nos morts glorieux, à nos combattants sublimes, à nos fidèles alliés ». Avec ces qualités de méthode et de précision qui recommandent tous ses livres, il y traçait un tableau d’ensemble des grands événenements politiques et militaires dont l’Europe avait été le théâtre. Et le livre se fermait sur ce souhait qui résume toutes les aspirations de son cœur : c’est que la France victorieuse réussisse enfin à établir dans le monde une paix durable, fondée sur le droit et la liberté. Ce vœu de l’engagé volontaire de 1870 reste celui de tous les bons Français.

Léon Mention.
Président honoraire
de la Commission des examens de Saint-Cyr.