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Nécrologie de M. John D. Philbrick

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Nécrologie de M. John D. Philbrick
Revue pédagogique, premier semestre 1886VIII (n. s.) (p. 245-247).

JOHN D. PHILBRICK
(27 mai 1818 — 2 février 1886.)

Nous ne pouvons laisser passer la triste nouvelle que nous apporte le Journal of Education de Boston, sans saluer d’un hommage de respectueuse sympathie la mémoire de l’homme de bien que les États-Unis viennent de perdre.

Les réputations de pédagogues et d’administrateurs scolaires passent rarement l’Océan, du Nouveau-Monde à l’Ancien, et réciproquement. Le nom de M. Philbrick a formé une des premières exceptions à cette ignorance et à cette indifférence mutuelles : depuis vingt ans, il a été le plus connu en Europe de tous les noms d’éducateurs américains. Et ce n’était que justice.

Nul homme n’a plus travaillé, ni plus heureusement réussi à faire connaître, en matière scolaire, l’Amérique aux Européens et l’Europe aux Américains. Il fut par ses fonctions, par ses voyages, par ses missions aux grandes Expositions de Vienne et de Paris, par ses rapports et ses publications officielles, le trait-d’union de ces deux mondes ; il avait été des premiers à comprendre et à prouver l’incomparable avantage de ces relations internationales.

C’est une belle fin que celle d’un homme à qui ses concitoyens unanimes rendent un tribut de reconnaissance pareil à celui dont la mémoire de M. Philbrick a été l’objet aux États-Unis. Le numéro du Journal of Education qui lui est consacré forme un des plus touchants In memoriam qu’il soit donné à un homme de mériter. Il y a là une suite de témoignages émus, tous émanant d’hommes qui l’ont vu à l’œuvre, tous pleins de faits et d’une précision américaine, sans autre éloquence que celle de l’accent personnel et de la sincérité.

On ne peut lire ces pages sans remarquer combien elles font honneur et à cet homme et à ce pays. Il faut un grand peuple libre, profondément républicain, et sentant autrement que par des phrases banales ce qu’est l’éducation dans les destinées d’un pays, pour trouver en dehors des démonstrations officielles cet élan de sympathies publiques, cette diversité d’admiration réfléchie, de gratitude et de respect pour un homme qui n’a été rien d’autre toute sa vie qu’un homme d’école. Et il faut un homme d’une valeur morale bien rare pour avoir conquis par une telle œuvre une telle popularité. Mais quiconque a connu M. Philbrick a compris le secret de sa force et de son succès. C’était l’âme la plus droite, la plus naïve, la plus ouverte, une de ces âmes qui restent jeunes parce qu’elles restent simples. Il avait trouvé sa voie, et il ne l’a jamais quittée, même dans un pays et dans un temps où des hommes de son mérite pouvaient trouver dans la vie politique tant de situations plus brillantes. Il n’y a jamais songé. IL était de ceux qui aiment l’enseignement, — disons mieux, disons comme les Américains : l’éducation. Il a eu le bonheur de concevoir le plus beau rêve, et de le vivre.

Tout jeune il avait entendu Horace Mann, et cette puissante voix l’avait remué jusqu’au fond de l’âme : il se rappelait encore dans ses dernières années quelques admirables fragments de ces discours du grand patriote, et il nous les récitait avec une telle émotion qu’il était impossible de n’en pas être gagné. Ce mot d’Horace Mann mourant, qui avait été le mot de toute sa vie, l’avait pénétré jusqu’au cœur : « Ayez honte de mourir sans avoir remporté quelque victoire pour l’humanité. »

C’est Horace Mann qui lui donna en quelque sorte la vision de ce que peut être une existence tout entière consacrée à l’œuvre de l’éducation populaire. M. Philbrick était alors simple professeur dans un petit collège ; il ne se doutait pas que c’était à lui que serait réservée la tâche écrasante de succéder à Horace Mann et d’être pendant plus de vingt ans le surintendant des écoles de Boston.

Il l’était encore en 1876 lors de la visite des délégués français envoyés à l’Exposition de Philadelphie, pour le centenaire de l’Indépendance.

Ce n’est pas ici le lieu de répéter ce qu’ont dit ces délégués, dans leur rapport collectif, sur Boston et sur ses écoles, les plus admirables peut-être qui fussent au monde. Rappelons seulement que cette organisation, commencée par Horace Mann, fut en majeure partie l’œuvre éminemment personnelle de M. Philbrick.

Esprit net et esprit juste, toujours accessible aux idées de progrès, il avait lu ou il avait vu tout ce qui pouvait l’instruire, et il empruntait volontiers à l’Allemagne, à l’Angleterre, à la France tous les détails d’installation, tous les procédés d’enseignement qui lui semblaient dignes d’imitation. Mais sous cette foule d’emprunts, il y avait quelque chose qui était à lui et qui faisait l’unité de son plan, la force de son action, l’originalité de son système ; il avait un but, et rien ne le lui faisait perdre de vue ni dans l’ensemble ni dans ies détails. Ce but, c’était de faire des citoyens libres pour un pays libre : c’était de leur donner l’éducation non pas du dehors, mais du dedans ; c’était d’atteindre au vif de l’âme et de faire de l’éducation l’apprentissage du self government.

Que de fois dans nos entretiens, à Boston pendant notre voyage, à Paris pendant son séjour à l’Exposition de 1878, n’avons-nous pas remarqué avec quelle lucidité merveilleuse il éclairait les questions scolaires les plus délicates ou les plus complexes, en s’élevant d’un seul coup au-dessus des intérêts de second ordre pour juger et décider sommairement, catégoriquement, à l’américaine, d’après ce seul criterium : « Telle pratique, telle méthode, est-elle propre à former des hommes libres ? » ou encore : « Si on l’adopte, nos élèves en vaudront-ils mieux par l’esprit ou par le caractère ? Oui, alors elle est bonne. Sinon, non. »

Nous n’avons pas le dessein d’entreprendre ici ni la biographie de M. Philbrick ni l’étude approfondie de son œuvre scolaire. Mais qu’on nous permette de reproduire quelques lignes de lui qui le peignent mieux que ne feraient tous les éloges. C’est à la fin d’un de ses derniers rapports au Comité des écoles de Boston ; il allait résigner ses fonctions, et il ne pouvait se défendre d’un retour sur lui-même au moment d’adresser à ses concitoyens un dernier adieu :

« Pendant plus de trente années, écrivait-il, toutes, sauf quatre, passées dans cette ville, j’ai été attaché sans un jour d’interruption et en diverses situations au service des écoles publiques. C’est ici que j’ai fait toute ma carrière professionnelle ; c’était la carrière de mon choix, et ma plus haute ambition. J’y ai mis mon cœur. J’y ai trouvé ce que j’avais désiré, le moyen d’apporter mon humble contribution au bien général. J’en suis reconnaissant. Je ne cesserai de l’être pour tous ceux qui ont coopéré avec moi et secondé mes efforts pour faire des écoles publiques de Boston les meilleures du monde. Et je me hasarderai à dire que je ne crois pas nuire à la cause de l’instruction, au moment où je quitte cette place, en souhaïitant à celui que vous y appellerez, quel qu’il soit, de me ressembler par la droiture des intentions, et de me surpasser par l’étendue des capacités. »