Némoville/Un chacal

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Beauregard (p. 133-136).


CHAPITRE XXVII.


UN CHACAL.


Jeanne et Gaétane sur le Rocher de la Délivrance, avaient passé une nuit d’émotion qui avait achevé de briser leurs forces et leur courage. Au moment où Roger et Paul les cherchaient sur l’île, étendues sur le rocher, après avoir pris un peu de nourriture, elles se reposaient. Elles n’entendirent pas le bruit du bateau, ni le bruit des paroles des deux hommes qui le montaient. Elles dormaient enfin, reprenant le sommeil qu’elles n’avaient pu goûter dans l’affreuse angoisse de cette nuit, et sans le flair de l’animal, le salut serait passé tout près d’elles, sans qu’elles le soupçonnassent.

Il était impossible d’atterrir sur le rocher à cause des nombreux écueils qui l’entouraient comme d’une ceinture infranchissable. Paul et Roger exploraient le rocher de la lunette marine, mais ne pouvaient apercevoir les deux femmes qui reposaient dans un repli du rocher. Ou contourna donc le récif sans soupçonner que celles que l’on cherchait étaient à une centaine de brasses de leurs sauveteurs.

Cependant, Paul et Roger, on le comprend, ne pouvaient se décider à s’éloigner de ce lieu où ils avaient la certitude que celles qu’ils cherchaient avaient habité.

— « Retournons à l’île », proposa Roger, « nous y passerons quelques jours, s’il le faut, et nous ne nous éloignerons que lorsque nous aurons la certitude que celles que nous cherchons n’existent plus. »

Ils retournèrent donc à l’île, et après avoir mis le bateau en sûreté pour la journée, ils débarquèrent et se mirent en frais de s’établir pour un temps indéterminé. Turko semblait heureux, comme jamais il ne l’avait été depuis le départ des deux femmes, qu’il avait l’habitude de suivre et de poursuivre dans les étroits couloirs, qui servaient de rues à Némoville.

En touchant la terre, le chien retourna à la grotte et refit le chemin qui conduisait de là à la chaîne de roches. Les deux amis, qui l’observaient se dirent : « Il est évident qu’elles ont dû se sauver de ce côté. »

Et d’un commun accord, ils décidèrent d’attendre sur l’île, afin de voir si la mer ne renverrait pas les cadavres.

En attendant, ils voulurent refaire le tour de l’île, ils poussèrent même la témérité jusqu’à s’approcher de la montagne, chaude encore. Mais enfin convaincus de l’inutilité de leurs recherches, ils revinrent vers la plage et s’étendirent au soleil pour se reposer. La marée baissait ; bientôt les brisants se découvrirent. Turko ne semblait attendre que ce moment, il n’attendit même pas que l’eau se fut retirée ; levant subitement le nez en l’air, il poussa un hurlement joyeux et partit à la nage. Roger et Paul qui s’étaient endormis, furent bientôt sur pieds et suivirent des yeux le chien, qui nageait avec assurance, en luttant contre les vagues très fortes, qui l’éloignaient du rocher et semblaient vouloir l’avaler. Un moment il disparut dans une vague monstre, qui sembla l’attirer au fond du gouffre.

— « Turko est perdu, » dit Roger avec regret : « mais que sentait-il donc de ce côté ? »

De l’endroit où ils se trouvaient, Paul et son ami ne virent pas Turko atterrir de l’autre côté du rocher. Mais Turko était sauf. Cependant, le pauvre animal était si épuisé par la lutte qu’il venait de soutenir contre les flots et si meurtri par les aspérités des récifs, qui avaient déchiré ses flancs, qu’il poussa un long hurlement plaintif et se laissa tomber sur le rocher. Pendant quelques instants, il gémit ainsi, incapable de se remuer.

Jeanne et Gaétane entendirent cette plainte, et affolées à l’idée que quelque animal dangereux se trouvait sur le rocher où elles avaient cherché secours, elles se mirent à trembler. Il ne fallait pas songer à cette heure à regagner l’île, que d’ailleurs elles redoutaient terriblement depuis les événements de la nuit ; la mer recouvrait encore les brisants, qui étaient le seul chemin pour s’échapper du rocher dangereux. Cette fois, elles se dirent que c’était la mort qui les guettait, et elles se recommandèrent à Dieu, qui avait voulu ces épreuves.