Némoville/Un terrible réveil

La bibliothèque libre.
Beauregard (p. 99-102).

CHAPITRE XIX.


UN TERRIBLE RÉVEIL.


Gaétane et Jeanne ayant veillé assez tard, n’avaient pas tardé à s’endormir. Gaétane avait repris chez le médecin la chambre qu’elle occupait quand elle y demeurait. On continuait d’appeler cette pièce « la chambre de Gaétane. »

Vers les deux heures du matin, la jeune fille s’éveilla en sursaut ; elle venait de rêver que Roger courrait un danger, et qu’elle essayait de le sauver, sans pouvoir y parvenir.

« Quel rêve ! » se dit-elle, et elle essaya de se rendormir. Elle sentit alors la trépidation du bateau, qui annonçait qu’il était en marche. Elle s’étonna de cette singularité ; pourquoi ne les avait-on pas prévenues, elle et son amie, que Némoville devait se déplacer cette nuit ?… Un peu inquiète, elle se leva et regarda l’heure à sa montre ; il n’était que deux heures du matin. Il n’était pas encore arrivé aux habitants de Némoville de voyager ainsi à l’improviste, depuis que Gaétane habitait parmi eux ; mais elle ne connaissait pas les habitudes des Némovilliens. Elle regarda par un des hublots du sous-marin et put constater qu’en effet, le bateau était en marche.

— « Et qu’importe ! se dit-elle que nous soyons stationnaires ou en mouvement, puisque ceux que nous aimons sont avec nous. » Gaétane ne se rendait pas encore compte du malheur qui leur était arrivé.

Elle entendit Jeanne qui l’appelait de la chambre voisine : « Le bateau est en mouvement, Gaétane, saviez-vous que nous devions nous déplacer cette nuit ? »

— « Non, » répondit celle-ci, « est-il dans les habitudes des gens de Némoville de se déplacer ainsi à l’improviste ? »

— « Non, fit Jeanne et cela m’inquiète. Il me semble que quelque chose d’extraordinaire se passe. Hâtons-nous de nous lever et d’aller aux renseignements auprès de mon père. »

Elles se levèrent et se vêtirent. Au moment d’ouvrir la porte du couloir qui reliait les deux sous-marins, elles regardèrent instinctivement, par le hublot qui trouait la porte et avec horreur, elles virent au lieu de la ligne du couloir, qui était toujours éclairé à l’électricité, la mer, qui venait battre jusque sur la vitre épaisse de leur étroite fenêtre.

Un cri simultané leur échappa : elles venaient de comprendre ce qui était arrivé. Le sous-marin était seul dans son sinistre voyage.

— « Si nous avions ouvert cette porte, nous étions perdues, » cria Jeanne, en s’assurant que la porte était bien verrouillée et à l’épreuve de la poussée des flots.

— « Le Ciel nous a protégées ; si vous aviez ouvert la porte, Gaétane, nous étions perdues ; l’eau se serait engouffrée dans le sous-marin, et c’en était fait de nous. »

— « Il faut que nous remontions à la surface, » dit aussitôt Jeanne, « mais comment diriger le mécanisme, que nous ne connaissons ni l’une l’autre ! »…

Toutes deux se mirent courageusement à étudier la machine. Hélas ! la tâche fut longue, et dans l’état d’esprit où étaient les pauvres femmes, le temps leur paraissait plus long encore. Enfin, elles eurent la satisfaction de sentir le sous-marin se soulever en refoulant l’eau, et elles aperçurent le ciel. Elles couraient ainsi moins de danger, et elles pouvaient observer l’horizon, rencontrer quelque bateau qui leur viendrait en aide.

Mais ce fut en vain que, pendant des heures, elles fouillèrent l’horizon, la mer paraissait déserte en ces parages. Et le sous-marin continuait de fendre les flots avec rapidité, emportant les pauvres femmes loin de ceux qu’elles aimaient.