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Néologie, ou Vocabulaire de mots nouveaux/Girondisme

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Girondisme. Opinions, système du parti Girondin.

Le parti Girondin fut le plus célèbre parmi tous ceux qui ont divisé la première législature, et la convention nationale. Les députés du département de la Gironde en furent le noyau.

La défaite des Girondins n’a pas obscurci leur gloire. Ils jouirent long-temps de toute l’influence qu’obtiennent sur les assemblées d’un peuple libre, les lumières, l’éloquence et la vertu. Chaque jour de tribune était pour eux un jour de triomphe ; et la renommée qui se plaisait à les publier, leur fesait à la fois des admirateurs et des ennemis.

Leurs talens en effet allumèrent contr’eux des haines implacables. Le système fédératif fut le prétexte, et non la cause de leur éclatante proscription.

Si le savoir et l’éloquence placèrent les Girondins en première ligne parmi les défenseurs de la liberté, il leur appartient aussi d’être rangés parmi les représentans du peuple qui ont servi le plus sincèrement cette belle cause.

Dès leur entrée dans l’arène, leur dévouement éclata, pur et sans bornes. Il ne s’est démenti ni dans le cours, ni au terme fatal de leur carrière. La vertu les arma d’intrépidité pour combattre, d’héroïsme pour mourir.

Une trop grande estime d’eux-mêmes leur fit commettre les graves erreurs qui causèrent leurs propres infortunes, les malheurs de la patrie.

Les promesses de la renommée les aveuglaient, même au bord du précipice.

Ils déversaient sur la médiocrité, un dédain offensant dont leurs ennemis profitèrent. Ils ne se doutaient pas qu’aigrie par la haine, et s’exhaussant par l’audace, la médiocrité peut écraser le génie sous la massue d’une multitude égarée.

En se croyant invulnérables, ils invitaient leurs ennemis à leur donner la mort. Il n’y a pas d’arche sainte pour la haine, l’énergie et l’ambition.

Les Girondins jetèrent un grand éclat sur la révolution, et ne surent point en diriger la marche.

Ils l’auraient puissamment servie, s’ils s’étaient bornés à combattre les fausses doctrines.

L’esprit de système gâta leur bon esprit, et leurs ames, si capables de réprimer la haine, s’ouvrirent à cette funeste passion.

Ils furent pour Marat, la tête de Méduse, tandis qu’ils opposèrent à ses sanguinaires vociférations leur mépris, et l’indignation des gens de bien.

Leur victoire sur ce vil instrument de la démagogie suburbaine, le doua tout-à-coup d’une force colossale que Robespierre sut s’approprier. Le décret d’accusation fit de Marat le héros du parti le plus redoutable, celui qui ne raisonne jamais, et qu’on fanatise à volonté.

Qu’il est inexplicable, ce fatal aveuglement qui ne permit pas aux Girondins de prévoir les suites de leur triomphe !

En vain les conseils de la sagesse entreprirent de calmer ces ames généreuses ; elles n’étaient plus en état de comprendre qu’en brisant le talisman de l’inviolabilité, elles changeraient les séances de la législature en une arène de gladiateurs, et que bientôt semblable à Saturne, comme l’a dit un d’eux, la révolution dévorerait ses propres enfans.

Robespierre ramassa et tourna contre le parti Girondin, l’arme qui n’avait fait que blesser Marat. Elle eut en peu de jours moissonné tout homme dont le caractère et le mérite pouvaient inquiéter ce démagogue ombrageux.

L’essai que les Girondins avaient fait de leur éloquence, dans l’assemblée législative, contre un homme qui s’y présentait au nom de l’armée, décoré d’une éclatante célébrité, et presque appelé à sa barre par la majorité même des législateurs ; cette mémorable victoire les rendit vains et présomptueux. Trop redoutables pour n’être pas sans cesse observés, on essaya, pour ramollir ces âpres républicains, les louanges et les caresses ; on flatta leur amour-propre, on tenta leur ambition. Quelques-uns d’eux négocièrent avec la cour ; et cette faute si funeste à leur parti, le fut à la cause de la liberté, dont ils parurent moins dignes d’être les défenseurs.

La flatterie qui remonte des derniers rangs au rang suprême, produit des effets moins sûrs que ne font les caresses de celui qui peut tout, lorsqu’il descend dans la foule, pour y chercher et placer près de lui les hommes dont les talens décèlent l’ambition, ou dont les grandes vertus fixent les regards du peuple.

On a dit que le sage Solon n’avait pas été insensible à cette séduction. La vie entière de ce grand homme dépose contre ce jugement. En consentant à éclairer de ses conseils l’administration de Pisistrate, Solon ne consulta que l’intérêt de la patrie et son devoir. Ses droits, ses services, son amour-propre, tout fut immolé à cette haute considération, que sa présence au conseil d’état modérerait l’ambition de l’usurpateur. Tout n’est pas désespéré, quand dans une république telle qu’Athènes, le pouvoir ménage l’opinion, et croit à l’ascendant de la vertu.

Les gouvernemens changent de forme ; mais les rapports du citoyen avec son pays ne varient jamais. Quiconque peut le servir utilement, et s’y refuse, par des considérations d’opinion ou de circonstance, manque au premier de ses devoirs.

Ils eurent dès-lors pour ennemis les Jacobins, dont ils auraient pu influencer les délibérations et la commune de Paris, dont ils auraient pu réprimer l’audace, s’ils n’eussent pas dévié de leurs propres principes, au mois d’août 1792, et si, dans la convention nationale, ils s’étaient moins souvenus à la tribune, de leurs propres offenses, que des devoirs qui les attachaient à la cause de tous.

La puissance de l’opinion publique se fût unie à celle qui résulte d’un généreux oubli de soi-même, et les méchans eussent toujours pâli devant ces orateurs de la patrie.

Le reproche qu’on leur a fait alors pour les perdre, qu’on leur fait aujourd’hui, par respect pour la vérité, d’avoir voulu soumettre la France au gouvernement fédératif, est fondé sur des faits, sur des aveux, et vraisemblablement sur des écrits qui sortiront un jour des ténèbres qui les couvrent.

Ce projet fut une bien grande erreur ; car sous aucun rapport, le régime fédéral ne peut convenir à la République Française.

Ceux qui ont bien connu les chefs du parti Girondin, ont pensé avec une apparence de raison, que l’intérêt de quelques grandes cités leur avait suggéré ce projet funeste auquel les attacha bientôt, et presque religieusement, le desir de briser le sceptre usurpé par l’autorité municipale de Paris, si honteux, si insupportable à toutes les autres communes.

Le projet de fédéraliser et les moyens d’exécution étaient le secret des principaux chefs ; leur parti s’était grossi, et presque nationalisé, par le seul effet de l’exécration publique contre Marat, dont chacun appuyait de ses vœux et de son consentement l’éclatant sacrifice. Cette haine pour les tyrans éleva les femmes elles-mêmes à un degré d’héroïsme dont peu d’hommes sont capables : elles recevaient la mort comme Socrate ; elles la donnaient comme Brutus.

L’assassinat de Marat mourant, est une action atroce ; mais la résolution de Charlotte Corday n’en est pas moins un dévouement. L’on vit sa figure s’empreindre de béatitude, à mesure qu’elle approchait de l’échafaud ; tant elle croyait avoir bien mérité du ciel et de la terre. Aveuglement funeste, propagé par le zèle imprudent des Girondins, accueilli par l’animadversion la plus méritée et la plus générale !

Leur orgueil les rendit incapables de temporiser et de se tenir sur la défensive. L’impatience de vaincre hâta la ruine de ce parti, comme celle de régner précipita, peu de temps après, la chute de Robespierre. (P.)