Odes funambulesques/1874/Nadar

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AUTRES GUITARES
Odes funambulesquesAlphonse Lemerre (p. 165-169).


 
Les soirs qu’au Vaudeville, en ce moment sauvé,
      On donne une première
Représentation ; quand le gaz relevé
      Couvre tout de lumière ;

Et, pour mieux éblouir de feux les vils troupeaux
      Aux faces inconnues,
Quand, les littérateurs déposant leurs chapeaux,
      On voit leurs têtes nues ;

Chez tous ces rois à qui la notoriété
      Enseigne ses allures,
Oh ! quel spectacle étrange en sa variété
      Offrent les chevelures !


Les unes ont l’aspect de l’ébène ; voici
      Les châtaines, les fauves,
Et les beaux fronts de neige, et l’on remarque aussi
      Le bataillon des chauves.

C’est le brun Lherminier, Sasonoff et Murger,
      Et Lemer, doux lévite.
Leurs cheveux peuvent dire en chœur avec Burger :
      « Hurrah ! les morts vont vite ! »

Louis Boyer, qui prit plus d’une Alaciel
      A plus d’un roi de Garbe,
Dissimule son nez, organe essentiel,
      Sous de grands flots de barbe.

Son visage pourtant n’est pas seul envahi
      Comme celui d’un Serbe,
Et de Goy, dont les mots ont un parfum d’Aï,
      N’est pas non plus imberbe !

Car le Temps, qui sourit de se voir encensé
      Par ceux dont il se joue,
Met, comme un lierre épars, ce feuillage insensé
      Autour de notre joue !


Louis Lurine, habile à bien lancer les dards,
      En a les tempes bleues.
Asselineau pourrait fournir des étendards
      Aux pachas à trois queues.

Méry, chêne au milieu d’arbustes rabougris,
      A vaincu les épreuves ;
Il est majestueux et fort sous son poil gris
      Comme les dieux des fleuves.

Dumas, qui pourrait seul, mage éthiopien,
      Chanter la sage Hélène,
Abrite des éclairs son crâne olympien
      Sous des touffes de laine.

Mirecourt dans son ombre, antre de noirs projets,
      Tente de noyer Planche,
Et René Lordereau dans ses boucles de jais
      Garde une mèche blanche.

Villemessant, mêlé, comme les vieux railleurs,
      De faune et de satyre,
Se coiffe en brosse. Et puis j’en passe, et des meilleurs !
      Mais qui pourrait tout dire ?


Théo, roi de l’azur où la Muse le suit,
      Amant de la Chimère,
En secouant sa tête, à l’entour fait la nuit,
      Comme un héros d’Homère,

Et Barrière, qui va cherchant la vérité
      Sans songer à sa gloire,
Montre pleins d’ouragans des yeux d’aigle irrité
      Sous une forêt noire.

A côté d’eux on voit les blonds : c’est Dumas fils,
      Dont l’ample toison frise ;
C’est Gaiffe, dont la joue est neige, ivoire et lys,
      Et la lèvre cerise.

C’est Castille aux anneaux crêpés ; ses yeux ont lui
      Pour quelque étrange rêve,

Et son chef lumineux brille comme celui
      De notre grand’mère Ève.

Voillemot resplendit comme un jeune Apollon.
      Fabuleux météore,
Sa tête radieuse au milieu d’un salon
      Fait l’effet d’une aurore.


Arsène Houssaye, à qui souvent, le cœur troublé,
      Rêvent les jeunes filles,
A des cheveux pareils à ceux des champs de blé
      Tombant sous les faucilles.

Ils sont d’or pâle ; ceux du poëte nouveau
      Qui, dans des vers bizarres,
A nommé le public : « Bête à tête de veau, »
      Sont jaunes, fins et rares.

La Madelène est rose, et Marchal est vermeil
      D’une façon hardie,
Mais Nadar sur son front aux comètes pareil
      Arbore l’incendie !

       
Décembre 1858.