Napoléon et la conquête du monde/I/23

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H.-L. Delloye (p. 106-108).

CHAPITRE XXIII.

LIGUE DU NORD-EST.



Si l’empereur ne se montra pas à l’égard de Murat ce qu’il était quand il se croyait offensé, terrible et inflexible, c’est qu’alors les symptômes d’une grande révolution apparaissaient à ses yeux, lorsque l’Europe ne voyait encore partout qu’un ciel pur et sans nuages.

La Russie, cette grande puissance qui s’était naguère crue assez forte pour lutter contre le monarque du midi, et le renverser peut-être, dévorait l’humiliation de la guerre de 1812, et versait des larmes de sang sur ses belles provinces de Pologne et de Finlande, enlevées à sa domination.

La Suède avait, après cette même guerre, vu tomber de son front une de ses couronnes, Celle de Norwége.

Et la Prusse, toujours turbulente, grosse de haine contre la France, ne pouvait lui pardonner la honte impardonnable d’Iéna et de dix autres défaites ; elle appelait chaque jour la vengeance, et contemplait avec envie et fureur ce que la Saxe et l’Allemagne avaient gagné sur elle quand le vainqueur démembrait ses provinces.

Une nouvelle et mystérieuse coalition se forma entre ces trois puissances, des propositions de s’y réunir furent même faites dans le plus grand secret et d’une façon un peu vague au nouveau roi de Pologne. Poniatowski les rejeta avec horreur, et déclara hautement qu’il serait le premier à en avertir l’empereur des Français, à qui il devait tout.

Le Danemarck, l’Autriche et l’Écosse furent aussi sondés dans leurs intentions, afin d’être agrégés à cette alliance : tous trois refusèrent, le premier par reconnaissance, la seconde par crainte, et la dernière par faiblesse.

La Turquie restait seule à gagner en Europe, puissance aveugle, et stationnant fièrement au milieu du mouvement du monde.

M. de Hardemberg envoya à Constantinople, sans mission apparente, M. le comte de Goltz, que MM. de Nesselrode et de Posen rejoignirent à Belgrade, et tous trois obtinrent une audience du grand-seigneur.

Le sultan était porté à la paix et à quelque amitié pour Napoléon, mais cette présomption naturelle aux Turcs fut exaltée par les offres des trois puissances et par des rêves de gloire et de conquête.

L’Illyrie et les îles Ioniennes, devenues françaises, devaient être restituées à la Turquie, ainsi que la Transylvanie, que l’Autriche serait obligée de rendre. On faisait encore espérer que la Sicile serait détachée de l’empire français pour devenir une province turque.

Mahmoud entra donc dans cette coalition que l’histoire a nommée la ligue du nord-est.

Les opérations de ces quatre puissances alliées furent ainsi combinées : une partie de l’armée russe devait marcher sur Varsovie et s’en emparer, tandis que le reste de l’armée, joint aux forces militaires combinées de la Suède et de la Prusse, se porterait en Westphalie et en Bavière ; la Turquie, de son côté, devait en même temps débarquer ses troupes dans le royaume d’Italie, sur les côtes d’Ancône, et faire l’invasion de terre par l’Illyrie.

Les opérations des quatre puissances avaient été combinées avec le plus grand mystère dans leurs cabinets. On avait beaucoup compté sur leur improviste.

Mais l’empereur Napoléon savait tout.