Napoléon et la conquête du monde/II/31

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H.-L. Delloye (p. 414-419).

CHAPITRE XXXI.

AMÉRIQUE.



L’empereur n’avait fait qu’indiquer dans son discours la dernière révolution de l’Amérique ; le lendemain les circonstances en furent connues : on les recherchait avec un bien vif intérêt, car cette soumission faisait de la puissance de Napoléon une puissance universelle, et lui complétait le monde.

Depuis plus de vingt années, l’Amérique, cette terre sans passé, sans races, sans patries, qui, pour remplacer ses enfants égorgés, avait mendié à l’Europe son trop plein de peuples et à l’Afrique le marché de ses douleurs ; cette terre qui, sans avoir eu de jeunesse, était arrivée à la décrépitude au milieu de révolutions innombrables, l’Amérique se dissolvait, et tendait à une ruine complète.

On pouvait la diviser alors en deux parties bien distinctes, l’Amérique espagnole et portugaise, et l’Amérique des États-Unis. Le reste, c’est-à-dire les anciennes possessions anglaises et russes, au nord, et la totalité des Antilles, excepté Saint-Domingue, était déjà sous la puissance directe ou médiate de l’empereur.

Lors des premières guerres d’Espagne et de Portugal, le Brésil et les autres états de l’Amérique du sud avaient levé l’étendard de l’indépendance, et tenté de secouer le joug des métropoles ; mais ces tentatives, médiocrement conçues par des hommes médiocres, n’avaient produit dans ce pays qu’un état chronique de guerre civile sans amener ni défaites ni victoires décisives.

Un homme seul, d’un génie élevé et d’un caractère admirable, Bolivar, avait, en, 1820 et 1821, affranchi en deux victoires la Nouvelle-Grenade, et fondé au centre de l’Amérique une république nouvelle qu’il nomma Colombie, du nom du grand Colomb. Aussi grand politique que grand capitaine, il avait organisé le nouvel état, et, pendant deux années, il l’avait gouverné avec une administration remarquable ; mais, harcelé par l’ingratitude et les tracasseries de ses concitoyens, il avait pris le pouvoir et sa patrie en dégoût, avait laissé l’un et l’autre, et s’était retiré à la Jamaïque où il vivait inconnu et tranquille.

Alors la Colombie, comme le Brésil, le Mexique, le Pérou, le Paraguay où venait de mourir le mystérieux docteur Francia, le Chili et le reste des possessions espagnoles, retomba dans un abîme d’anarchie, de misère et de guerres civiles, et toutes ces nations s’en allaient en lambeaux à la mort, comme des corps que la fièvre et la gangrène tuent.

Au nord, les États-Unis ne présentaient pas un spectacle moins déplorable ; si énergique, si forte dans sa fédération, lorsqu’il s’agissait de vaincre un ennemi commun, cette nation dans la paix et le repos avait senti l’égoïsme s’insinuer au milieu des intérêts divers, disjoindre et corroder les parties de cet ensemble si puissant. Des lois de finance et de commerce sollicitées par les états du nord et repoussées par les provinces du midi commencèrent cette lutte des intérêts, lutte bientôt irritée, changée en haine furieuse et en guerres d’autant plus horribles que les ennemis étaient des frères, et que l’intérêt en était la cause. Le congrès américain se divisa ; deux ou trois fédérations nouvelles avaient tenté de s’établir, divers sièges du gouvernement furent fondés et la jeune république de Franklin et de Washington périssait.

La grande rebelle des Antilles, l’île de Saint-Domingue, après avoir su résister à une expédition française dans les premiers temps de l’empire, succombait actuellement sous la multitude de ses souverains ; c’était à qui serait empereur, président, chef, roi, dans cette Amérique africaine, et les nègres, trop rapidement passés de l’esclavage à la politique, s’égorgeaient pour parvenir à la civilisation.

Malgré tant de symptômes de dissolution dans ce continent, l’empereur, occupé de conquérir l’ancien monde, semblait avoir tout-à-fait oublié celui-ci ; aucune démonstration, aucune parole, aucun acte n’était venu révéler sa pensée sur l’Amérique.

Sans doute, sa vue profonde considérait de loin l’agonie de ces nations, et sa sagesse attendait le temps. Peut-être aussi des agents inconnus, dispersés dans ces contrées, allaient-ils révélant dans leurs discours cet état funeste et le seul remède possible, l’alliance avec le vieux monde, la soumission à l’empereur. Déjà on commençait à le dire sur tous les points du continent : Napoléon seul pouvait sauver l’Amérique ; il fallait d’ailleurs prévenir une conquête imminente. L’Amérique pouvait, par un asservissement libre et opportun, s’assurer des avantages que la conquête militaire aurait amoindris. Dans tous les cas, il n’y avait plus de salut pour elle en dehors de la monarchie napoléonienne.

Telles étaient les paroles et les pensées qui se développaient de toutes parts. Soit qu’elles eussent été semées, ou qu’elles eussent germé d’elles-mêmes, elles devinrent assez considérables pour que les gouvernements ne pussent plus reculer devant elles. Bientôt les sénats et les camps furent assemblés de toutes parts ; une diplomatie rapide et habile harmonisait leurs discussions. Enfin, un congrès général de tous les souverains, présidents, généraux et législateurs des états de l’Amérique, fut convoqué à Panama, et réuni le 7 mars 1827 ; l’île indépendante des Antilles y fut appelée, ainsi que les chefs des tribus sauvages et peu nombreuses qu’on n’avait pas encore tuées dans le continent.

Six séances suffirent à une grande décision.

Sept cent quarante membres des législatures, rois, chefs ou généraux, assistèrent à ce congrès.

La délibération fut courte. Ce fut un consentement sans lutte, de l’enthousiasme sans discussion.

Le 17 mars, le président du congrès, le général Jackson, des États-Unis, lut à haute voix le décret unanimement accepté qui remettait les constitutions, la possession et la domination de l’Amérique et de Saint-Domingue dans les mains de l’empereur Napoléon, souverain de l’Europe, de l’Asie et des îles de l’Océan.

Cet acte ne parvint à Napoléon que quelques jours avant le 4 juillet 1827, et il le tint secret pour le faire éclater avec plus de pompe dans la grande assemblée du Champ-de-Mars.

Les états de la mer Pacifique avaient, comme nous l’avons déjà dit, été parcourus et conquis par les vaisseaux de l’expédition d’Asie. Il ne restait donc plus sur la terre une seule parcelle hors de la puissance de Napoléon ; et la surface entière du globe était enserrée dans ces mots : Monarchie universelle.