Napoléon et la conquête du monde/II/42

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H.-L. Delloye (p. 469-470).

CHAPITRE XLII.

ERREURS POPULAIRES.



Les hommes avaient vu Napoléon dépasser de si loin ce que l’imagination pouvait atteindre de plus grand, ils l’avaient vu si haut, si loin d’eux, si élevé au-dessus de l’humanité, qu’ils le crurent plus qu’un homme, ou autre chose qu’un homme.

La croyance la plus répandue était qu’il avait deux âmes ; quelques-uns allaient encore au-delà, et lui en attribuaient trois et quatre, et une fois sorti de cette unité, c’était à qui, dans sa superstition, devrait enchérir sur la multiplicité des essences divines animant le grand monarque.

On avait déjà dit pareille folie du poète Ennius dans l’antiquité, et le vieil auteur avait aussi deux âmes au compte des Romains ; cela fut oublié après la mort du poète, et bien plus encore après la mort des poèmes.

L’empereur déclina ce compliment spiritualiste et parut s’en soucier fort peu.

Il ne voulut pas davantage de la divinité que quelques nouveaux chrétiens de l’Inde vinrent lui offrir. Ces Indiens convertis avaient retrouvé dans leurs cœurs un reste d’idolâtrie ; déjà ils avaient façonné les statues du nouveau dieu Napoléon : il avait autant de bras et de têtes que la plus monstrueuse des idoles de Brahma, et ils avaient cru lui rendre ainsi le plus magnifique hommage.

Le dieu se moqua d’eux, et les préfets de l’Inde tancèrent si vertement ces amateurs d’apothéose, qu’ils retournèrent bientôt, confus et tremblants, au christianisme.

Si l’empereur n’eût pas arrêté dans sa pensée de répandre le christianisme sur la terre sans résistance et sans exception, peut-être se fût-il arrangé de ces hommages, mais la divinité qui lui était offerte arrivait trop tard, elle dérangeait sa politique et n’était plus que ridicule.