Napoléon le Petit/2/V

La bibliothèque libre.
Napoléon le PetitOllendorftome 7 (p. 39-40).


v.
LA LIBERTÉ DE LA PRESSE.

Nous venons de voir ce que c’est que la législature, ce que c’est que l’administration, ce que c’est que le budget.

Et la justice ! Ce qu’on appelait autrefois la cour de cassation n’est plus que le greffe d’enregistrement des conseils de guerre. Un soldat sort du corps de garde et écrit en marge du livre de la loi : je veux ou je ne veux pas. Partout le caporal ordonne et le magistrat contresigne. Allons, retroussez vos toges, marchez, ou sinon !… — De là ces jugements, ces arrêts, ces condamnations abominables. Quel spectacle que ce troupeau de juges, la tête basse et le dos tendu, menés, la crosse aux reins, aux iniquités et aux turpitudes !

Et la liberté de la presse ! qu’en dire ? N’est-il pas dérisoire seulement de prononcer ce mot ? Cette presse libre, honneur de l’esprit français, clarté faite de tous les points à la fois sur toutes les questions, éveil perpétuel de la nation, où est-elle ? qu’est-ce que M. Bonaparte en a fait ? Elle est où est la tribune. À Paris, vingt journaux anéantis ; dans les départements, quatre-vingts ; cent journaux supprimés ; c’est-à-dire, à ne voir que le côté matériel de là question, le pain ôté à d’innombrables familles ; c’est-à-dire, sachez-le, bourgeois, cent maisons confisquées, cent métairies prises à leurs propriétaires, cent coupons de rente arrachés du grand-livre. Identité profonde des principes : la liberté supprimée, c’est la propriété détruite. Que les idiots égoïstes, applaudisseurs du coup d’État, méditent ceci.

Pour loi de la presse, un décret posé sur elle ; un fetfa, un firman daté de l’étrier impérial ; le régime de l’avertissement. On le connaît, ce régime. On le voit tous les jours à l’œuvre. Il fallait ces gens-là pour inventer cette chose-là. Jamais le despotisme ne s’est montré plus lourdement insolent et bête que dans cette espèce de censure du lendemain, qui précède et annonce la suppression, et qui donne la bastonnade à un journal avant de le tuer. Dans ce gouvernement le niais corrige l’atroce et le tempère. Tout le décret de la presse peut se résumer en une ligne : Je permets que tu parles, mais j’exige que tu te taises. Qui donc règne ? Est-ce Tibère ? Est-ce Schahabaham ? Les trois quarts des journalistes républicains déportés ou proscrits, le reste traqué par les commissions mixtes, dispersé, errant, caché ; à peine çà et là, dans quatre ou cinq journaux survivants, dans quatre ou cinq journaux indépendants, mais guettés, sur la tête desquels pend le gourdin de Maupas, quinze ou vingt écrivains courageux, sérieux, purs, honnêtes, généreux, qui écrivent, la chaîne au cou et le boulet au pied ; le talent entre deux factionnaires, l’indépendance bâillonnée, l’honnêteté gardée à vue, et Veuillot criant : Je suis libre !