Ne nous frappons pas/Macédoine

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Ne nous frappons pasLa revue blanche (p. 129-134).

MACÉDOINE

Pauvre petite bonne femme !

Il était pourtant bien entendu que le mariage n’aurait lieu qu’après l’Exposition.

Songez donc ! Elle vient seulement d’avoir ses dix-sept ans.

Mais le jeune fiancé déclara, et sur quel ton ! un beau soir :

— L’Exposition ? L’Exposition ? D’ici là, on m’aura conduit à l’institut Pasteur !

En vue d’éviter cet horrible cas de rabisme amoureux, les parents avaient baissé pavillon ; et la petite les embrassa très fort, pour leur peine.

Et maintenant, voici des jouvenceaux qui sont monsieur et madame gros comme le bras.

Leur petit ménage est touchant, à force de comique.

Ils ont une grosse cuisinière saoularde qui leur fait peur à tous les deux, et une femme de chambre qui ne se trouve jamais là quand on la sonne, tant elle aime la plupart des sergots du quartier !

L’autre jour, la cuisinière, vraiment, s’est surpassé elle-même.

Elle but tant de vin blanc qu’elle éprouva grand’peine à gagner sa chambre.

Et rien de prêt pour le dîner !

La petite dame, alors, sentit naître en elle de graves sentiments.

Si mon pauvre chéri n’allait trouver aucune alimentation en rentrant !

Vite, vite, elle arrache la femme de chambre à ses voluptés policières et l’envoie acquérir mille comestibles variés, dont elle lui donne la longue liste.

Et elle ajoute, non sans crânerie :

— Dépêchez-vous de revenir, que j’aie le temps de confectionner mon entremets !

Son entremets !

Pauvre petite !

Jamais, de toute sa mignonne existence, elle n’a touché l’ombre d’une casserole ; mais, quoi de plus simple, s’imagine-t-elle, avec le Livre de cuisine !

Son mari, en effet, lui a fait cadeau d’un livre de cuisine, un beau livre dont les feuillets sont, jusqu’à présent, demeurés vierges.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le petit mari est rentré.

Il a beaucoup ri en apprenant la mésaventure de la pocharde, et il mange de bon appétit les comestibles variés.

Tout à coup, il s’écrie :

— Qu’est-ce que c’est que ça ?

— Ça, mon chéri, c’est une surprise.

— Une surprise ?

— Un petit plat que je t’ai préparé moi-même. Goûte plutôt.

— Jamais de la vie ! Comment appelles-tu cette horreur ?

— C’est un soufflé d’abricots.

— Un soufflé d’abricots ! Tu as dû te tromper, ma chérie.

— Non, j’ai fait exactement comme dans le livre, j’en suis sûre.

Elle lit :

« Soufflé d’abricots.

« Battez six blancs d’œufs en neige très ferme, ajoutez six cuillerées de confitures d’abricots de manière à faire une purée, prenez des harengs laités dont vous enlevez la laitance… »

Mais, lui, étreint son crâne prêt à éclater.

— Des harengs !… avec des abricots !

— Lis toi-même.

Elle lui tend le bouquin.

Il éclate alors d’un rire de convulsif.

La pauvre petite femme avait oublié de couper les feuilles du livre.