Ne nous frappons pas/Post-Publicatum

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POST-PUBLICATUM
OU
LA BALEINE VOLANTE

En termes fort mesurés et — je dois le reconnaître — des plus courtois, M. le directeur du Journal des Débats m’avisa personnellement, quelques jours plus tard, que son conseil d’administration venait de refuser à l’unanimité la démission d’acheteur au numéro que j’avais cru devoir lui adresser.

En dehors de cette communication personnelle, le Journal des Débats a fait publier dans ses colonnes, sous la sympathique signature de M. Maurice Spronck, une assez tortueuse explication tendant à rejeter sur qui ? — sur moi ! — la responsabilité de cette histoire du hareng frais transformé en fidèle caniche.

Pour du toupet, c’est du toupet ! Je ne me souviens nullement avoir jamais rien publié de semblable en aucun volume, ou si j’ai raconté ladite histoire, c’est que j’étais pris de boisson, et alors j’aurais tout oublié depuis…

J’ai beaucoup travaillé dans le darwinisme ; la sélection, l’évolution, l’adaptation sont pour moi sans voiles et certaines de mes observations sont — je puis bien le dire — demeurées classiques.

Telle, par exemple, celle de ce gros chien blanc qui devint noir à force de s’entendre appeler Black par son maître : le brave animal avait finit par s’adapter à son nom. N’est-ce pas fort curieux ?

Pour en revenir au fameux hareng du naturaliste norvégien, plusieurs savants avec qui je déjeunais hier m’ont assuré que le fait n’avait rien d’excessif.

Les exemples abondent de poissons sortant d’eux-mêmes de certaines rivières pour s’en aller à pied (à pied !) retrouver d’autres cours d’eau plus conformes à leurs goûts du moment.

Rien, paraît-il, ne serait plus aisé que de cultiver l’amphibisme de beaucoup de poissons.

Un entraînement rationnel et patient les met assez vite à même de supporter le régime sec, que dis-je le régime sec ! le régime aérien, car développez la nageoire et vous obtenez l’aile !

Qui sait si l’avenir de l’aérostation n’est pas là ?

Pourquoi pas ? et j’en appelle à notre confrère Emmanuel Aimé, le distingué secrétaire de l’Aéro-Club, dites-moi si quelque chose ressemble plus à un ballon mi-dégonflé qu’une baleine échouée ?

Saisissez-vous le rapport ? Voyez-vous d’ici le beau rêve d’avenir ?

Très délicatement, très aseptiquement, vous décollez la peau de la baleine de sur sa chair.

L’interstice ainsi acquis, vous le gonflez, gonflez, gonflez d’hydrogène. (Quoi de plus extensible que la peau de la baleine ?)

L’estomac de la baleine bien désinfecté, vous vous y installez après l’avoir fait confortablement meubler (modern style) par l’élégant Van de Velde.

Et voilà !

Judicieusement dirigée à grands coups de nageoires dans l’air, notre baleine nous conduira — actuels Jonas — vers les buts souhaités.

Seulement, si nous voulons être prêts pour 1900, nous n’avons pas une minute à perdre[1].


  1. Je t’écoute ! (Note de l’Éditeur.)