Ne nous frappons pas/Tarif exagéré

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Ne nous frappons pasLa revue blanche (p. 47-50).

TARIF EXAGÉRÉ

La communication suivante recèle une trop légitime remarque pour que nous la passions sous silence :

« Honoré Monsieur,

» Tout le monde, à Paris, est unanime à vous désigner comme digne en tous points, d’abord de comprendre et ensuite de répandre cette protestation contre un incroyable abus.

» Il faut commencer par vous dire que, citoyen américain, je suis débarqué en France, il y a quelques semaines, comme délégué d’une grande Société dont vous avez peut-être entendu parler ici : The friendly Association for mutual Vivisection (Association amicale de Vivisection mutuelle).

» Les frais de voyage que m’alloue la Société me permettent, Dieu merci, de voyager en première classe, dans des conditions de bien-être et de luxe qu’on ne saurait payer trop cher.

» Aussi, n’est-ce pas contre ce tarif que j’entends récriminer.

» Mais les pauvres gens qui voyagent en troisième classe ! Savez-vous ce qu’on leur demande pour les amener de New-York au Havre, voyage d’une durée de sept jours (mettons huit et n’en parlons plus) ?

» On exige d’eux la somme de 310 francs. Ne nous emballons pas et raisonnons froidement, raisonnons par comparaison.

» Je me suis rendu dernièrement d’Auteuil, où je demeure, à Charenton, où j’ai déjà fait pas mal d’adhésions.

» J’ai accompli ce trajet d’environ une heure à bord d’un bateau-omnibus, pour la modique somme de dix centimes.

» À raison de dix centimes par heure, un voyage d’une journée reviendrait à. 2 fr. 40, et les huit jours, à 19 fr. 20, mettons 20 francs pour être large…

» Vous m’interrompez : Et la nourriture ? Et le coucher ?

» J’admets votre objection.

» Comptons 10 francs par jour (et je suis généreux, car le confortable, en troisième classe, de paquebots transatlantiques est loin de représenter un tel débours), nous arrivons à 80 francs pour ces huit jours de pension flottante.

» Or, 80 + 20 = (si je ne me trompe) 100.

» Nous voilà loin des 310 francs qu’exigent les rapaces Compagnies de navigation.

» Qu’en pensez-vous, honoré maître ? et que répondre à l’éloquence poignante de ces chiffres ?

» Il ne tient qu’à vous de signaler cet abus et peut-être même d’y trouver un remède immédiat.

» C’est dans cet espoir que j’ai l’honneur, etc., etc.

» H.-W.-K. Merrystone. »


Le remède à cet abus ? Eh ! mon Dieu ! il s’indique de lui-même.

Que la Compagnie parisienne des bateaux-omnibus saisisse l’occasion aux cheveux !

Qu’elle étende son trafic et, puisqu’elle est outillée pour véhiculer le monde à deux sous de l’heure, qu’elle aille chercher à New-York même les bons Yankees désireux de voir à bon compte l’Exposition de 1900.

C’est les Pereire qui feront une tête !