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Nerciat - Contes saugenus/1

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LE MOUVEMENT DE CURIOSITÉ.



A quatre heures après midi d’une belle journée de Septembre, Mlle. de Beaucontour, âgée de dix huit ans, jolie lectrice de Mde. la Duchesse de .... disait à Mlle. Lajoie[1] première femme de chambre :

— Comme nous allons nous ennuier, mon cœur, pendant cette éternelle soirée ! Pas un chat au chateau !

Mlle. Lajoie. Voilà certes la réflexion et l’expression d’une espiègle qui laisse volontiers aller le chat au fromage.

Mlle. de Beaucontour. En vérité, Lajoie, vous avez parfois des idées…… bien désobligeantes pour les personnes qui vous aiment le plus !

Lajoie. Vous voilà fâchée !

Mlle. de Beaucontour. Pas tout-à-fait encore ; mais il ne s’en faut guères.

Lajoie. Pour que je rentrasse dans vos bonnes graces, ne vous faudrait-il qu’un petit doigt de cour[2] ? Au lieu d’un chat, contentés-vous, pour le moment, d’une chate qui fait, comme vous savés, faire patte de velours assés agréablement.

Mlle. de Beaucontour. (minaudant.) Mondieu ! que tu es folle ! tu ne penses qu’à ces drôleries là.

Lajoie. J’aime fort ce qui est drôle, moi (elle a déjà la main sous les jupes de la lectrice.)

Mlle.de Beaucontour. (se laissant pourtant faire.) J’ai bien autre chose en tête moi.

Lajoie. Peut-on, chemin faisant, être honorée de vos confidences. (Le petit badinage va son train, mais presque imperceptiblement.)

Mlle. de Beaucontour. Assurément : cela me soulagerait même mieux encore que……

Lajoie. Mais les deux soulagemens ensemble doivent produire un excellent effet. Point de petites mièvreries, et contés-moi vos peines… (alors se laissant faire toujours, Mlle. de Beaucontour, l’un de ses bras par dessus l’épaule de l’agente, s’épanche ainsi verbalement.)

Mlle. de Beaucontour. En vérité, Lajoie, mon état n’est pas à beaucoup près aussi doux que je me l’étais figuré.

Lajoie, (agissant.) Que vous manque-t-il ?

Mlle. de Beaucontour. Le contentement du cœur.

Lajoie. Du cœur à la Bouflers ? On fait cependant ce qu’on peut pour lui faire plaisir.

Mlle. de Beaucontour. Eh non ! je parle de l’autre.

Lajoie. Ah ! c’est du cœur sentimental qu’il s’agit. Eh bien ! Mdme. la Duchesse vous adore.

Mlle. de Beaucontour. J’aimerais mieux qu’elle se bornât à m’aimer.

Lajoie. Elle est belle : elle n’a que vingt-huit ans. Elle est veuve généreuse ; elle a de l’esprit comme un ange. Mille soupirans brûlent de l’intéresser.

Mlle. de Beaucontour. Dans le nombre sans doute il y en a beaucoup qui ne songent qu’à faire d’elle une dupe.

Lajoie. Réflexion peut-être plus maligne que juste. En tout cas, à travers cette cour pétulante et nombreuse, le hazard vous fait tomber des nues. Madame, qui fut toujours, dit-on, d’une extrême sagesse, vient à prendre pour vous, à la première vue, le caprice le mieux conditioné……

Mlle. de Beaucontour. Je conviens de tout cela : mais…

Lajoie. Laissés-moi donc achever le rapport du procès que vous faites à votre étoile. Voilà, dis-je. Madame la Duchesse ensorcelée de vous, elle n’existe plus que parMlle. de Beaucontour : la jolie personne est sans cesse aux côtés de sa protectrice, le jour au sallon, aux jardins ; la nuit au lit…

Mlle. de Beaucontour. Tout cela est très flatteur sans doute… (émue) mais… mais encore une fois……

Lajoie. (s’animant.) Friponne ! je vois vos jolis yeux se voiler. Le dénouement approche… Ainsi trêve un moment aux paroles… (accélérant son badinage, elle acheve de jetter en crise la jolie lectrice, et se paye de sa petite peine en recueillant sur les lèvres de l’agonisante, les brûlans sanglots de la volupté. — Cette scène terminée, Mlle. Beaucontour offre de bonne grace de s’acquitter en même monnaye ; mais Lajoie l’en dispense très civilement et)

Lajoie. J’ai pour ce soir mes petits plans tout faits ; et graces au ciel, dans une heure ou deux, j’aurai quelque chose de mieux à faire que de vous mouiller le bout du doigt. Achevés-moi vos doléances.

Mlle. de Beaucontour. Tu crois, Lajoie, savoir tout ce qui se passe ici, et cependant tu ne sais pas la moitié des choses. Il est vrai que la Duchesse me marque les meilleurs sentimens, et me comble de ses dons ; mais… avant que j’entrasse avec elle en liaison, j’étais folle du petit vicomte de Plantaise : or c’était pour m’écarter de lui, non moins amoureux de moi, qu’on m’avait dépaysée. Cependant le hazard l’a conduit lui même dans ces environs, où la saison apelloit aussi notre Duchesse…

Lajoie. Comme tous les ans. Eh bien ? où donc est le malheur ? quand notre course hors de Paris vous raproche de votre amant…

Mlle. de Beaucontour. Le malheur, demandes-tu ! il est grand, ma chère Lajoie.

Lajoie. Je ne devinerai jamais……

Mlle. de Beaucontour. Le Vicomte doit passer deux mois chés la vieille maréchale, sa grand-tante. Mde. la Duchesse, dès qu’elle est arrivée ici, ne manque pas d’aller faire à la sempiternelle une visite……

Lajoie. Comme tous les ans…

Mlle. de Beaucontour. La vieille bégueule est si hautaine, et traite en général si mal, même chés elle, toute demoiselle de compagnie, que ma bienfaitrice, par égard pour moi, ne permet point que je l’accompagne. Mais elle voit là bas le petit Vicomte, il lui plait, il faut qu’aussitôt elle en rafolle ; car elle ne revient au château que pour me chanter avec enthousiasme les louanges de l’Adonis… D’abord, je ne me doute point du coup… mais, trois jours après, seconde visite chés la maréchale ! Le surlendemain, troisième visite !

Lajoie. Il est vrai que les années précédentes la fréquentation était moins vive…

Mlle. de Beaucontour. Il avait d’abord été dit que le Vicomte se ferait présenter ici, et point du tout : on parait ne plus l’y attendre… mais c’est qu’on va le trouver là bas.

Lajoie. Il y aurait bien quelque induction à tirer de cela.

Mlle. de Beaucontour. Tu remarqueras qu’on ne me dit plus même un seul mot de son surprenant mérite.

Lajoie. Ahye ! ahye !

Mlle. de Beaucontour. Somme toute, il y a trois jours et trois nuits que l’on ne m’a rien fait, rien proposé… (des larmes) Je suis malheureuse, ma chère Lajoie. L’ambition, l’amour, l’amitié, tout à la fois me maltraite. Je ne sais ce qui me retient…… mais dix fois par jour, il me prend envie de quitter cette campagne funeste, et d’aller par désespoir… me faire inscrire à l’opéra.

Lajoie. Ouf ! me voilà bien rassurée ! j’ai crains ma foi que vous ne songeassiés à vous jetter dans la Marne. Essuyés ces pleurs, et croyés moi, mademoiselle, point d’extravagances. Vous êtes ici, bien, très bien ; tenés-vous-y.

Mlle. de Beaucontour. Mais, ma chère Lajoie ! quand-on aime !

Lajoie. On fait une sottise, si c’est comme vous avés le malheur d’aimer…

Mlle. de Beaucontour. Le Vicomte est une si jolie créature !

Lajoie. Il faut vous le donner.

Mlle. Beaucoutour. Comment ?

Lajoie. Belle question ! comme on se donne un homme qui plait.

Mlle. de Beaucontour. Je ne te comprends pas.

Lajoie. Quoi ! vous ne sauriés donner à votre caprice un bon rendés-vous, et… Parbleu ! vous avés l’esprit bien bouché, si vous ne devinés pas le reste.

Mlle. de Beaucontour. Mais, ma chère ! c’est ce que nous avons déjà fait…

Lajoie. Il vous a eue ?

Mlle. de Beaucontour. Est-ce-qu’on convient de ces choses-là ?…

Lajoie. Vous n’en convenés pas ! fort bien, mais comme vous ne le niés pas non plus, on sait à quoi s’en tenir. — Concluons. Vous aimés, on vous aime, vous vous en êtes donné des preuves mutuelles : que vous faut-il donc davantage ?

Mlle. de Beaucontour. J’avoue, Lajoie, que je m’étais flattée de rendre la passion du Vicomte de plus en plus vive, et de le déterminer enfin à m’épouser.

Lajoie. En conscience, Mademoiselle… vous, la fille apparente d’un simple capitaine de nos chasses, quoique l’on ne doute point qu’un Prince vous fabriqua…

Mlle. de Beaucontour. Oui : mais mon pere putatif est lui-même de bonne noblesse…

Lajoie. Je ne vous le conteste point. Cependant il n’en est pas moins, (soit dit sans vous offenser) un honnête gagiste. Et votre Vicomte ! petit neveu d’une maréchale de France, fils, frère, cousin, allié des plus hupés de la cour, présenté lui-même, et tout-à-l’heure major en second ; car on dit qu’il danse à merveilles : fait pour aller à tout en un mot.

Mlle. de Beaucontour. Où en veux-tu venir ?

Lajoie. A vous faire comprendre qu’il y aurait folie de votre part à le regarder comme un parti pour vous…

Mlle. de Beaucontour. Il m’a promis…

Lajoie. Eût-il signé qu’il vous épouserait ? si vous ne renoncés à cette chimère, il n’y a plus qu’à vous retenir une place aux petites maisons…

Mlle. de Beaucontour. Je t’avoue pourtant, ma chère Lajoie, que je brûle de devenir (par le mariage s’entend) femme de qualité. Si j’étais riche, je ferais battre la caisse pour qu’on me déterrât, n’importe où, quelque comte ou marquis, ne fusse qu’un baron, bien endetté, bien verreux, qui, pour mon bien, me transmît son nom et ses titres.

Lajoie. Si vous aviés de la fortune, je vous conseillerais d’en faire un meilleur usage. L’homme titré que vous ambitionneriés, ne se serait guère ruiné de la sorte, sans avoir d’avance avili ce titre, ce nom qu’il vous ferait partager ; Quand à votre Vicomte : envain la nature vous a-t-elle accordé plus de beautés corporelles, plus de qualités charmantes qu’à nombre de souveraines (la nôtre toutefois exceptée) ; avec tout cela, mon cœur, le tems est passé où se faisait encore par-ci par-là quelque mariage à la Nanine. Cessés donc de rêver grandeurs. Si vous ne savés pas apprécier le sort d’une demoiselle à qui rien ne manque ; qui plutôt vit dans la plus grande aisance, dans la société la plus distinguée ; qui jouit d’une pleine liberté ; qu’une amie plutôt qu’une protectrice gâte sur tous les tons. S’il faut, en un mot, pour satisfaire votre imagination déréglée que de maitresse vous deveniés esclave, épousés moi, tout simplement, votre égal ; quelque gentilhomme verrier, tel que vos ayeux, quelque faiseur de livres, tel que votre cher pere. Il se trouvera des gens de ce calibre parmi les protégés de Mde. la Duchesse ; il ne s’agira que de le choisir bon diable, et assés sot pour que vous puissiés le mener par le nez.

Mlle. de Beaucontour. Non, non ; tout ou rien, un seigneur, ou rester libre.

Lajoie. Voilà cependant un entretien qui rejette bien loin certaine ouverture que j’avais envie de vous faire, et vos confidences me font sentir combien je serais indiscrete, si je vous proposais pour ce soir la partie de plaisir qui aura lieu pour moi.

Mlle. de Beaucontour. Propose toujours.

Lajoie. Eh non ; où j’aurais voulu vous mener, il n’y aura marquis, comte, ni baron, pas même un pauvre chevalier.

Mlle. de Beaucontour. Tu as la cruauté de me persifler !

Lajoie. Je vous entretiens de ce qui vous plait. Pour mon compte, je vais quelque part, où si l’on m’envoyait, je ferais un beau tapage…

Mlle. de Beaucontour, Explique-toi plus clairement.

Lajoie. A six heures, j’entre dans une barque…

Mlle. de Beaucontour. Eh bien ?

Lajoie. Deux bateliers me font suivre rapidement le cours de l’eau jusqu’à certain endroit champêtre, où il y a des bosquets, bien frais, bien solitaires…

Mlle. de Beaucontour. (avec intérêt.) Peinture charmante !

Lajoie. Là, je trouve deux galans, candides, bien amoureux, dont je suis l’idole adorée…

Mlle. de Beaucontour. De mieux en mieux.

Lajoie. Tout près d’une poissonnière qui se baigne dans la Marne, sous une hute rustique, en jouissant de la plus superbe vue, je couronnerai les feux de mes deux adorateurs…

Mlle. de Beaucontour. De tes deux adorateurs !

Lajoie. De tous deux. Aux champs, on est sans envieuse jalousie. Mes bergers sont Oreste et Pilade. A mon occasion, leur seule émulation est de se surpasser dans la tâche de me faire jouir des plus vives délices.

Mlle. de Beaucontour. Tu me fais un conte.

Lajoie. En tout cas, il n’est pas à dormir de bout ; car vous me paraissés diablement éveillé……

Mlle. de Beaucontour. Conte, ou non : je te défie de me prouver que tu m’as dit la vérité.

Lajoie. Que voulés-vous perdre, si je vous le prouve ?

Mlle. de Beaucontour. (follement.) La tête, mon cœur, avec l’un de tes bergers, si tu es assés généreuse pour me le prêter : et je promets d’oublier, dans cet impromptu pastoral, tous les vicomtes de l’univers.

Lajoie. (gaiement.) Eh voilà justement ce que j’avais envie de vous offrir ; superbe ! mais vous avés la tête si montée pour des colifichets de cour !

Mlle. de Beaucontour. L’ambition à ses heures, ma bonne amie, pourquoi le caprice n’aurait-il pas aussi les siennes ?

Lajoie. Enfin, je vous trouve raisonnable… En même tems Mlle. Lajoie jettant les yeux sur la rivière (qu’on voit des fenêtres) découvre une barque… Elle continue : Oh ! oh ! c’est par ma foi déjà la barque que j’avais commandée ! je ne l’attendais que pour six heures.

Mlle. de Beaucontour. Ce malentendu n’a rien de malheureux.

Lajoie. Eh bien, Mademoiselle ? voilà de la franche galanterie champêtre : dans l’impatience où l’on est de me voir, mes enfans gâtés me désobéissent, et changent ma consigne.

Mlle. de Beaucontour. C’est tout-à-fait à propos. Qu’aurions nous fait ici ! Nous ennuyer : il vaut bien mieux…

Lajoie. Sans doute : il vaut mieux s’aller faire… Comme vous avés saisi cela.

Mlle. de Beaucontour. Je ne prétends pas faire la bégueule : si j’aime les grandeurs, j’aime encore mieux le plaisir, et tout franc, l’un de mes chagrins, ici, c’est que pendant toute la nuit je ne trouve à parler qu’à…

Lajoie. (interrompant) Quelqu’un qui raisonne fort mal, dit le proverbe[3]. Partons : nous allons trouver gens qui vous pousseront des argumens concluans et bien plus de votre goût… On s’arme d’éventails et de parasols, on traverse un beau jardin qui aboutit par une terrasse et des degrés, à la marne. Là deux jeunes garçons dont le plus âgé n’a pas plus de 19 ans, attendent Mlle. Lajoie. La compagne qu’elle amène, cause à ces bateliers un moment de surprise, ils s’entreregardent avec embarras. Ces Demoiselles sont reçues fort respectueusement dans la nacelle : Mlle. de Beaucontour surtout qu’on sait être entre deux états, c’est-à-dire un peu moins que maîtresse, un peu plus que soubrete. On voyage pendant une heure, dans le plus grand silence de la part des rameurs. Mlle. Lajoie, qui a ses raisons pour que cela soit ainsi, occupe son amie d’une brochure nouvelle, farcie d’estampes libres. Mlle. de Beaucontour, quoique très amateur, ne donne pas à tout cela beaucoup d’attention. Elle est frappée de se voir ainsi conduite sur l’eau par deux gaillards que plus elle les examine, plus elle les trouve jolis, frais et bien tournés… Sais-tu, dit-elle à l’oreille de Mlle. Lajoie, que si ces polissons-là étaient bien mis, ils pourraient aller de pair avec mille gens que je vois faire avec prétention la roue à nos promenades et à nos spectacles de la capitale ?… Ils ne sont pas mal, (répond nonchalament Mlle. Lajoie.) Dès lors Mlle. de Beaucontour ne cesse plus de lorgner les jouvenceaux ; c’est avec une hardiesse et des mines telles que bientôt elle les voit en rougir, ce qui la divertit au possible. Enfin on met pied à terre à certain endroit (le local de la planche).Mlle. de Beaucontour reconnaît la hute champêtre, la poissonnière etc… Mais elle a beau regarder de tous côtés elle ne voit point ces galans empressés, que d’après les confidences qu’on lui a faites, elle suppose attendre impatiemment… Alors …

Mlle. de Beaucontour. Qu’est-ce que cela veut dire, ma chère Lajoie ?

Lajoie. Quoi ! qu’est-ce qui vous intrigue ?

Mlle. de Beaucontour. L’absence de ces adorateurs qui t’ont envoyé la barque deux heures plutôt que tu n’en étais convenue avec eux.

Lajoie. Que voulés-vous dire ?

Mlle. de Beaucontour. Qu’il sera fort maussade de croquer ici le marmot.

Lajoie. Je n’attends plus personne.

Mlle. de Beaucontour. Mais tes amis, tes amans ?

Lajoie. Ils sont ici,

Mlle. de Beaucontour. Où donc ?

Lajoie. Vous êtes aveugle apparament.

Mlle. de Beaucontour. Ça, prétends-tu te moquer de moi ? que je meure si je vois personne.

Lajoie. Et moi, je vois tout ce qu’il me faut, tout ce qui me plait, et ce qui doit nous suffire — (aux bateliers) Avés-vous bientôt fait, mes petits amis ?

Firmin. (le plus jeune) J’attendons votre commandement, Mam’zelle, mon cousin va seulement voir s’il y a quelque poisson de pris à nos lignes dormantes. Mais me voici toujours pour commencer.

Mlle. de Beaucontour. (bas à Lajoie) Ah Coquine ! j’y suis enfin ; c’est donc cela ? (mine dédaigneuse.)

Lajoie, (un peu sévèrement) Oui, Mademoiselle ; c’est cela (elle la contrefait) j’aime fort votre dédain, imité des sottes de la cour ! Ceque vous nommés cela, ce sont de jolis hommes, sains, frais, tendres et discrets, autant de qualités qui manquent à vos poupées à l’œil de bœuf[4], à vos agréables présentés, que les bordels de Paris partagent tous les jours avec les hôtels du Faubourg St. Germain et les mansardes de Versailles[5].

Mlle. de Beaucontour. Comme te voilà fâchée contre moi. — La paix !

Lajoie. Approche Firmin. (à Mlle. de Beaucontour.) Regardés, belle, cette paire d’yeux noirs ! La candeur et la tendresse ne s’y peignent-elles pas ? Voyés ces dents ? — Nos cuisiniers chimistes et nos architectes en ſucre permettent-ils à vos voluptueux gourmands de conserver longtems cet émail ? La rose est-elle plus fraîche que cette respiration villageoise ?…

Mlle. de Beaucontour. Je conviens de tout.

Lajoie. Depuis que j’exige de mes très dévoués serviteurs qu’ils se baignent pour l’amour de moi deux ou trois fois par jour… depuis qu’ils portent le linge que je leur ai prescrit, je défie qu’on me trouve un colonel, un comte de Lyon aussi scrupuleusement propre…

Mlle. de Beaucontour. Je n’en doute pas.

Lajoie. Et puis (à Firmin) montre nous ce que tu sais, mon petit cœur. (il obeit) Ça, Mademoiselle, si vous vous y connoissés, croyés vous qu’il y en ait beaucoup à la cour de moulés sur ce modèle ?

Mlle. de Beaucontour. (y portant la main comme par distraction.) J’avoue que tout cela me convertit, et j’ai de bonnes raisons pour ne plus autant goûter Mr. le Vicomte… Il s’en faut terriblement…

Lajoie. Mais voici Gérard. Approche, mon fils. N’ayés pas peur, Madame est du secret ; et bien plus : c’est que si vous m’aimés…

Gérard. (interrompant) Jarnigois, si je vous aimons !

Lajoie. Eh bien, pour me le prouver, il faut que vous traitiés, ici, Madame… comme moi même.

Gérard. Ce serait bien de l’honneur pour nous, vraiment ! mais Tredame ! (à Firmin) m’es avis, cousin, qu’on se gausse ici de nous.

Firmin. Ce serait une manigance de Satan.

Lajoie. Il n’y a point de manigance mes poulets, et nous ne nous gaussons ici de personne vous allés voir. Mais il faut vous surpasser……

Gérard. Dam ! nous ferons pour le mieux, et à moins que Mam’zelle ne soit bien pu difficile que vous à contenter…

Mlle. de Beaucontour. N’ayés pas peur, Mr. Gérard (elle lui prend le menton, et le baise cavalièrement.)

Lajoie. Enfans ! nous perdons trop de tems à jaser, employons mieux les instans. Ça, Mademoiselle, je fais ici les honneurs de mon bien, à qui donnés-vous la pomme ?

Mlle. de Beaucontour. (baisant Firmin) A tous deux, ma chère, je prendrai les yeux fermés celui qu’il te plaira de me laisser, (leur touchant ce dont on se doute) Ils sont superbes.

Lajoie. Et tout-à-l’heure vous dirés encore qu’ils sont excellens ; car je ne suis pas généreuse à demi, et ce serait vous bien attrapper que de ne pas vous les passer tous deux tour-à-tour… Cependant, je ne pense pas que j’offense peut être une jeune personne bien née en la supposant ainsi capable de recevoir dans ses bras, tout-d’une, deux…

Mlle. de Beaucontour. Point de persiflage lorsqu’une respectable fille comme Mlle. Lajoie peut bien se permettre cette double foiblesse, on le pardonnera sans doute de même à une étourdie telle que moi.

Lajoie. J’aime qu’on sache mettre ainsi sa conscience en repos. — Eh bien donc, Gérard, commence avec elle… à nous deux, mon cher Firmin.

A cet ordre une natte est proprement étendue pour la nouvelle conquête, c’est aux dépens de Lajoie qui s’accommode du gazon naturel. Firmin s’en donne à cœur joie sur l’ardente soubrette. Gérard, d’abord un peu timide, ne sert pas d’emblée aussi bien la capricieuse lectrice ; mais celle-ci, le pressant, le chatouillant, le baisant, le mordant, et lui coulant des douceurs à sa portée, l’a bientôt dispensé du respect, et mis à même de déployer tout son savoir faire.

Mlle. Lajoie elle même est étonnée de la profonde expérience que décéle la jeune personne. Chacun tour à tour ne peut s’empêcher (entre l’un et le deux, qui se consomment sans qu’on se soit désunis) de jetter un peu les yeux sur son voisinage — A la seconde poste, un bond un peu trop pétulant de la part de Mlle. de Beaucontour a mis dehors l’ami Gérard ; mais c’est elle même qui d’une main adorable, ramene au gîte l’hôte imprudemment éconduit. — C’est après ce premier acte de la plus chaude pantomine que naît l’instant dont rend compte la première planche. Des bras de Firmin, Mlle. Lajoie passe dans ceux de Gérard, et Mlle. de Beaucoutour, toute troussée pour ne pas perdre une seconde, va se livrer à l’intéressant Firmin. — Celui-ci qui, du coin de l’œil avait fort lorgné le plus beau fessier qu’il eût vu de sa vie, attend avec passion l’approche de ce ravissant objet. Il ose prier qu’on lui en permette un moment l’enyvrant examen… On est bonne, on a de la vanité, on est sensible à cet hommage qui décéle chés l’agreste Firmin des dispositions à sentir la valeur des accessoires amoureux. Tout genre d’admiration frappe et séduit une femme de plaisir. C’est donc avec une très gracieuse complaisance, que Mlle. de Beaucontour livre à la plus attentive contemplation de son futur partner, sa ronde, blanche et ferme mappemonde. On voit avec quel respect, indiqué par le mouvement du chapeau, avec quelle passion, autrement exprimée, l’heureux Firmin adore l’ensorcelant postérieur… Mlle. de Beaucontour s’est accrochée à quelques branches pour assurer son équilibre, cette petite scène prépare toutes choses pour que bientôt elle le perde avec plus d’agrément. — Regarde bien, mon ami, dit-elle à l’observateur. Par occasion, tu vas me rendre service… J’éprouve à la fesse gauche une petite cuisson… ne m’y serais-je pas planté quelque brin de paille ?

— Je le vois d’ici, repart Lajoie, tout en continuant la ronde cadence de ses ébats particuliers… Ce n’est pourtant qu’un prétexte afin d’enhardir le beau villageois à pleinement satisfaire son Mouvement de Curiosité.

Pour terminer enfin un détail déjà trop long, disons que le second acte de la comédie est encore une double passade, régime qui (selon Mlle. de Beaucontour) n’est du tout celui de Mr. le Vicomte de Plantaise, peu familier avec les doublets. — Les galans avaient eu l’attention de tenir prête, au fond de la hute, une collation champêtre toute composée d’excellent laitage et des fruits variés dont les heureuses contrées où se passe cette scène, sont si prodigues en automne. Ensuite on se permet encore de reprendre, mais une fois seulement, chacun des amoureux jouvenceaux ; de sorte que chacune de ces demoiselles ayant favorisé trois fois le même, ont eu (bien compté) leur succulente demi-douzaine, ce qui par tout pays peut s’appeller passer fort agréablement deux heures d’horloge.

On ne débarque qu’à 10 heures au lieu, d’où l’on est parti, tant parcequ’on remonte le cours de la rivière, que parceque le sang ne roule plus autant d’esprits vitaux dans les bras quoique robustes des heureux bateliers. On se quitte, au bût, avec hypocrisie ; car presque tout l’office est à prendre l’air sur la terrasse ; mais on est convenu sur l’eau, du jour et de l’heure où l’on pourra se revoir.

Mde. la Duchesse n’était point encore rentrée ; elle survint un quart d’heure après ; ce fut pour bien plaindre sa chère compagne de s’être peut être ennuyée toute seule au château ?

Avouer une promenade de deux femmes tête à tête, c’était une si innocente confidence ! On en paya la tendre curiosité de Mde. la Duchesse, bien éloignée d’imaginer alors que des bateliers pussent être des hommes, et que par conséquent l’honneur d’une lectrice et d’une soubrette de cour pût courir avec pareilles brutes l’ombre d’un danger. La Duchesse elle même n’avait pas si bien passé son tems. Elle avait fait un brelan funeste où par parenthese, elle soupçonnait un peu la vieille harpie de Maréchale de s’être entendue finement avec son neveu pour la voler. Mr. de Beaucontour, dont l’ingrat Vicomte n’avait pas même demandé des nouvelles, quoiqu’il la sçût attachée à la Duchesse et dans le voisinage, la lectrice, dis-je, fut persuadée que le Vicomte ne serait plus pour elle une cause de jalousie et d’humiliation, puisque la Duchesse était elle même désenchantée au sujet du farfadet ; mais ce qui était bien plus important encore, le solide service de Meurs. Gérard et Firmin avait démontré à cette fille de bon sens, qu’il était possible de vivre à la campagne, et que là comme ailleurs pour avoir du plaisir à faire l’amour, il n’était pas absolument nécessaire d’appeller des Comtes, Marquis, Barons et Chevaliers.

Il faut bien qu’on s’en passe tout-à-fait en France, puisque, maintenant, il n’y en existe plus.




  1. Mlle. Lajoie est une grande brune de vingt et un ans, qui a beaucoup d’expérience en tout genre ; la lectrice, moins formée, brille dumoins par d’étonnantes dispositions.
  2. Ceux qui sont au courant des mœurs du siècle, savent bien que les amies à la mode se font sans façon de ces offres là ; et que sans façon elles sont presque toujours acceptées. — C’est, qu’il n’y a pas le plus petit mal à cela.
  3. Entre libertins, on dit à qui parle mal, tu raisonnes comme un C…
  4. Salle publique du tems de la cour.
  5. Les dames de service y avaient presque toutes un très petit appartement pour leur quinzaine.