Nerval le Nyctalope, préambule

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Nerval le Nyctalope, Préambule
Roger Gilbert-Lecomte

Revue Le Grand Jeu n°3
(octobre 1930)



II. NERVAL LE NYCTALOPE

Préambule



Le premier, et avec un héroïsme dont, seule, peut témoigner une lueur perdue au fond astronomique de moi-même, Daumal ici, ose, — et jamais au monde « oser » n’a signifié une telle effrayante attaque désespérée de l’esprit refoulant des murailles vivantes de gardiens-du-seuil, des montagnes de tabous, des continents de refus menaçants qui risquaient de nous engloutir — ose, dis-je, lever un coin du voile d’épouvante sur cette région maudite de notre vie commune, cette région dont la marque sur nous, indélébile en l’éternel, a décidé de beaucoup plus que de l’orientation unique et totale de notre action présente jusqu’à la mort.

Devant l’obligatoire incompréhension de tous je ne me cache pas de la Terreur sacrée qui me prend au rappel de la zone flamboyante, et me bouleverse encore suffisamment aujourd’hui, après toutes les nuits des années écoulées, pour labourer ma poitrine d’un immense sanglot qui n’est pas défaillance. Ah, non, salauds, à mort ! — car désespérément je le crache à la face d’un monde qui m’a pris à la gorge et qui de moi saura, j’en fais ici serment, le prix d’un unique assassinat.


I. Monsieur Jean Maxence, dans la revue néo-thomisse 1930, répond en substance à notre riposte du n° 2 : Si vous ne voulez pas jouer avec moi, je vais dire à tout le monde des choses sur chacun de vous…

Mais dis-les donc, eh bossu !

Et sais-tu comment cela s’appelle cette réponse ? La Chanson du Maître-Chanteur.

Je te préviens avec le plus grand calme que si tu dis encore une seule calomnie sur le Grand Jeu, je t’écraserai comme une puce.

À part cela, Monsieur, je suis à votre entière disposition, et la visite de deux de vos amis me ferait le plus grand plaisir.

n. b. : Je ne me bats qu’au surin.


II. Emmanuel insulte le Grand Jeu ou

le « petit-tas-de-crottes » qui dit son fait à l’Himalaya.


Les foudres de Monsieur Berl atteignent à la hauteur qui lui est propre. Elles m’ont légèrement chatouillé aux environs de la plante des pieds.

Va, Emmanuel, tu aurais mieux fait de te taire, car, en dépit de ton joli prénom, l’Esprit n’est pas avec toi.

Pour nos lecteurs, je rappelle les faits. Pierre Audard, membre du Grand Jeu, ayant poussé la mansuétude jusqu’à expliquer dans les Cahiers du Sud, par un article de deux pages, pourquoi il trouvait les « Morts de n’importe quoi, par Berl Emmanuel ! » absurdes d’un bout à l’autre, Monsieur Berl, qui est polémiste, a essayé de se venger à sa piètre façon. Dans un article de Monde, il essaya, avec la mauvaise foi bien connue qui consiste à citer une phrase un peu ambiguë coupée de tout contexte et à en tirer des conclusions désobligeantes, de démontrer que le Grand Jeu était néo-thomiste ; le tout agrémenté de diverses amabilités. Mais de quoi te mêles-tu, Emmanuel ?

(Toujours pour nos lecteurs, j’éclaire cette discussion. Nous nous affirmons hégéliens ; Berl cherche à montrer qu’on ne peut admettre le déterminisme historique marxiste si l’on est idéaliste — affectant de nous accuser, sous cette étiquette, d’un spiritualisme dualiste, alors que quiconque a lu deux lignes de l’un d’entre nous sait très bien que nous sommes monistes, déterministes absolus, et a fortiori partisans d’une doctrine déterministe de l’histoire. Ce n’est pas pour Emmanuel que je dis ça, car : I° il ne comprendra pas ; 2° qui dit polémiste dit de mauvaise foi.)

Mais moi qui ne suis pas polémiste, je peux vous dire qui est Monsieur Berl.

Il est des individus qui naissent avec une plume au derrière ; cela leur fait prendre un jour ou l’autre la décision de devenir hommes de lettres.

Berl voulut donc être homme de lettres. Ce n’est pas bien difficile. Encore faut-il savoir faire un livre. Or, Emmanuel « il savait pas ».

Il fit des poèmes plats ; il ne parvint pas à « entrer dans le surréalisme » ; il demanda à des amis comment on fabriquait des romans ; il tenta des gribouillages que personne ne lut. Et il était bien forcé de s’apercevoir que c’était idiot.

Et cela dura pendant dix ans, dix ans qu’il mit son nez dans tous les milieux littéraires sans parvenir à s’y installer.

Enfin, il trouva un bon truc.

Il remarqua qu’une foule de snobs étaient possédés du désir de savoir ce qu’est au juste la pensée des écrivains dits d’avant-garde ; mais qu’ils lisaient en vain leurs écrits, trop hermétiques pour eux. Emmanuel nota donc sur des bouts de papier des conversations d’apéritif entendues dans les cafés où se réunissaient ces écrivains dits d’avant-garde, et confia le tout à un petit copain pour qu’il en fasse à peu près du français. C’est ainsi qu’il écrivit ce que personne n’avait jamais daigné écrire.

Et Monsieur Berl, auteur de Mort de la Pensée bourgeoise, devint un grand homme.

Que des critiques perdent leur temps à discuter sérieusement des âneries, cela m’a toujours épouvanté.

Mais qu’Emmanuel, exploiteur des ragots à la mode, révolutionnaire comme Benda, qu’un tel homme se permette de parler, faisant semblant de les comprendre, d’individus dont peu importe la valeur mais qui sont au moins sincères dans leurs recherches désespérées, des hommes qui se débattent avec les trahisons d’une langue pourrie pour exprimer des idées indicibles, des hommes qui augurent une nouvelle phase de l’esprit humain, alors vraiment cela me désarme.

Je suis prêt à botter le cul de tout agent provocateur ; mais pour Monsieur Berl, je le ferai recevoir par mon concierge.





protestation



La protestation suivante a été insérée dans la revue Red, de Prague, après l’interdiction par la censure tchécoslovaque de certains passages des Chants de Maldoror :

Que si un lecteur quelconque se réfugiant dans les nuageuses étendues de la relativité peut à la rigueur comprendre, sinon même approuver, en se plaçant d’un certain point de vue (le respect dû à la sainte enfance, par exemple), les procédés de l’Anastasie tchèque qui excommunie Maldoror pour absence de pantalons alors qu’il a des ailes — que ce lecteur n’aille pas plus loin…

Nous l’assommons de notre mépris,

et avec lui toute la racaille judiciaire que nous assignerons bien un jour, nous, au Tribunal de l’Esprit. Car notre jour viendra : il approche. Et si la langue tchèque a été salie par des larves condamnant ce qui les dépasse, que cependant les révolutionnaires qui utilisent ce dialecte ne se croient pas particulièrement déshonorés.

Qu’ils n’oublient pas ceci : que la justice française se montre également imbécile. (Puisse cette déclaration servir à resserrer les liens si chers des amitiés internationales.) Oui, nous vomissons également la justice française, qui, après s’être ridiculisée au Procès Baudelaire, hier encore condamnait le livre magnifique de Robert Desnos : La liberté ou l’Amour sous prétexte d’attentat aux bonnes mœurs.

Pour ne pas être en reste avec les petits Messieurs à robe des deux nations alliées, nous condamnons, au nom de l’Esprit, pour crime de véritable obscénité :

les moustaches des généraux, le culte du Poilu inconnu, les funérailles du Maréchal Foch, celles du cardinal Dubois, les Académies françaises et autres

et toutes les têtes des juges.

Suivent les signatures de tous les membres du Grand Jeu.