Normandie, Poitou et Canada français/00
PRÉFACE
Monsieur René Caillaud a bien voulu demander à un Poitevin de passage au Canada quelques mots d’introduction au petit livre où il unit, dans une égale piété, la Province de Québec et la Province du Poitou.
Il rejoint, en exprimant ce désir, une des paroles d’accueil qui m’ont le plus touché, parmi toutes celles par lesquelles les Canadiens de 1945 ont eu l’amabilité de manifester la cordialité et la fidélité de leur bienvenue au Français de France qu’ils fêtaient en moi. C’était à Québec, au Cercle universitaire, dans un dîner organisé par la faculté de droit de l’Université Laval. Monsieur le juge Roy, qui présidait, a exprimé sa joie que la France ait, cette fois, délégué au Canada un universitaire représentant une de ces provinces françaises, que l’éclat du grand Paris cache souvent outre Atlantique. Et, oubliant, pour ainsi dire, que Québec n’est pas seulement un chef-lieu, mais une capitale, il a bien voulu comparer la Province de Québec à une province française, riche, comme elle, de passé, et nourrissant les générations qui montent, de la sève généreuse de ce passé, médité dans le recueillement provincial.
Le livre de Monsieur Caillaud est fait de cette sève. L’auteur, né poitevin, est devenu Canadien, mais il s’est, en quelque sorte, implanté, dans sa patrie nouvelle, avec la motte de terre qu’il avait apportée du Poitou ; et il a découvert que cette motte de terre se trouvait replacée au milieu d’un champ fait de mottes semblables, qui, bien que depuis beaucoup plus longtemps enracinés au sol canadien, avaient gardé les marques du sol natal.
Les liens de filiation qui unissent à la Province de Poitou-Charentes tant de familles canadiennes, ont éclaté aux yeux du Poitevin que je suis de la manière la plus simple et la plus propre à lui inspirer, pour sa Province, une légitime fierté. Parmi les plus hautes personnalités canadiennes rencontrées par lui, la majorité, en effet, lui a spontanément indiqué qu’elle descendait d’ancêtres venus, il y a quelque 300 ans, de la Région Poitou-Charenntes. Son Éminence le Cardinal Villeneuve et Son Excellence Mgr Charbonneau sont l’un et l’autre originaires de la Charente-Maritime. Monsieur le juge Thibaudeau-Rinfret qui préside, avec tant de sereine autorité, la Cour Supérieure du Canada, est d’une famille poitevine, qui a eu, en France même, d’autres illustrations, parmi lesquelles un avocat de Poitiers, introduit par Bonaparte dans son Conseil d’État, et dont les mémoires sont particulièrement précieux pour l’histoire du Consulat et de l’Empire. Ce Thibaudeau poitevin permet notamment à ses lecteurs d’assister, par l’imagination, aux séances du Conseil d’État où s’est discuté le Code civil et d’y voir vivre Bonaparte. Enfin j’avais remarqué que le Ministre canadien des Transports portait le même nom que l’adjoint et qu’un des conseillers municipaux de la commune dont je suis maire. Je n’ai donc été nullement surpris quand l’Honorable M. Michaud m’a révélé ses origines poitevines.
Et je prie de m’excuser tous ceux que j’ai également rencontrés, — et que je ne puis nommer ici, car ils seraient trop nombreux, — mais que j’ai été touché de voir évoquer devant moi, avec tant de fidélité, des origines qui faisaient d’eux presque mes concitoyens.
Aujourd’hui, les événements ont reconstitué en France, même dans le cadre administratif, la région Poitou-Charentes, dont M. Caillaud a montré l’unité, et qui comprend les cinq départements de la Vienne, des Deux-Sèvres, de la Vendée, de la Charente et de la Charente-Maritime. C’est une région dans laquelle beaucoup de Canadiens français viendront sans doute, après la guerre, rendre un pieux hommage de leurs origines. Nous n’aurons pas de peine, de l’autre côté de l’Océan, à donner, à cette même région, la fierté de ses fils canadiens. Ainsi fructifiera l’œuvre dont Monsieur Caillaud a voulu se faire l’artisan, le culte du lien de famille unissant nos deux grandes provinces : la Province de Québec et la Province du Poitou.
Professeur de droit civil à la Faculté de Droit
de l’Université du Poitiers
Montréal, avril 1945.