Nos Remontes
« La question chevaline est d’une importance toute nationale ; elle intéresse à la fois l’agriculture, l’industrie et l’armée ; et la solution des difficultés qu’elle fait naître doit influer puissamment sur la prospérité du pays, puisqu’il s’agit d’un des principaux élémens de sa richesse et de sa force. » Ainsi s’exprimait, en 1844, à la tribune de la chambre des députés, un homme dont le souvenir vit encore dans l’armée comme au parlement, le général Oudinot.
Sans doute, l’amélioration des races est une question des plus délicates et des plus complexes, vers la solution de laquelle on ne doit marcher que par tâtonnemens et avec une sage lenteur ; mais combien peu satisfaisans étaient, en 1870, les progrès accomplis ! Au cours de la discussion de la loi du 29 mai 1874 sur les haras et les remontes (séance du 24 mai), le rapporteur, M. Bocher, indiquant à l’assemblée nationale la mesure de l’effort tenté pendant la guerre disait : « On a fait alors de grands sacrifices, — et on a bien fait, — on n’a reculé devant aucun ; on a acheté, pour ainsi dire, de toute main. Qu’est-ce qu’on a trouvé ? On est parvenu en quelques mois à trouver 120,000 chevaux. Mais dans ce nombre, combien en France ? 80,000. — Et parmi ces chevaux, combien de cavalerie ? Pas 20,000 ! Voilà ce qu’en faisant, je le répète, les plus grands sacrifices, en cherchant partout, en réquisitionnant même partout, on est parvenu à trouver dans le pays. » Que nous soyons en progrès depuis cette époque, nous n’en doutons pas : mais si nous savons ce qu’il nous en a coûté de ne pas être prêts en 1870, nous pouvons aujourd’hui déterminer la proportion des divers élémens dont nous avons besoin pour l’être. Or, l’effectif des chevaux qui nous seraient nécessaires pour notre mobilisation dépasse 400,000. L’armée allemande a mis sur pied, en 1870, 386,668 chevaux : or, elle a été augmentée depuis, d’abord après la guerre, pour cause d’accroissement de territoire et par suite des conventions militaires imposées aux états du Sud, enfin à chaque renouvellement du septennat militaire[1]. D’où l’obligation pour nous de chercher à égaler tout au moins l’un de nos adversaires éventuels. Mais la situation politique de l’Europe actuelle nous astreint à une autre : celle de ne compter que sur nous et sur les ressources existant sur notre propre territoire. En 1870, nous étions maîtres de la mer. Pourrions-nous y prétendre encore ? La question se pose tout au moins.
En émettant l’hypothèse du blocus de nos côtes, nous ne faisons que rappeler un souvenir historique. Pendant les guerres de la révolution, le cas s’est déjà présenté. La France a surmonté cette épreuve, mais au prix de quels sacrifices ? Un rapport (sur l’organisation des haras) fait au conseil des Cinq-Cents par Eschassériaux, le 28 fructidor an VI, va nous le dire : « Cernés de toutes parts par les puissances coalisées, il nous fallut alors trouver nos approvisionnemens en ce genre sur notre propre sol. Les réquisitions s’établirent, et bientôt l’espoir de maintenir les faibles moyens qui nous restaient encore pour obtenir quelques belles productions disparut presque entièrement avec l’immense quantité de chevaux et de jumens susceptibles de les donner… »
Si nous comparons notre population chevaline à celle de l’Allemagne, nous trouvons de part et d’autre un effectif à peu près égal[2] comme nombre ; mais fort différent comme qualité, car le caractère général de la seconde est, actuellement, l’aptitude spéciale à la selle et à l’attelage léger. On ne saurait attribuer à la nôtre les mêmes signes distinctifs, et si nous avons bon espoir d’assurer largement le service des trains, des convois administratifs et des charrois destinés à cheminer lentement sur de bonnes routes, en arrière de l’armée, cela ne peut nous suffire. La cavalerie allemande a mobilisé, en 1870, 111,744 chevaux ; notre cavalerie dispose-t-elle aujourd’hui d’un pareil nombre de chevaux de selle ? Ici, les exigences s’accentuent : le cheval est l’arme du cavalier, arme vivante dont le maniement est particulièrement difficile et d’autant plus délicat qu’elle est mieux trempée ; aussi une longue adaptation est-elle nécessaire pour que l’homme et sa monture arrivent à former une entité : le cavalier, c’est-à-dire le combattant à cheval, dont le rôle, soit dit en passant, commence au lendemain de la déclaration de guerre. En effet, la cavalerie n’en est plus à chercher sa voie ; et Fon est d’accord sur ce point, en France comme en Allemagne, que les hostilités commenceront par la rencontre des deux cavaleries et par un duel à outrance sans précédent, entre champions « travaillant à l’arme blanche. »
Il est vrai que les perfectionnemens techniques des engins de destruction avaient, à la suite des campagnes de la seconde moitié du siècle, fortement ébranlé l’ancien prestige de la cavalerie. L’opinion publique, vivement frappée des causes extérieures, proclamait déjà la déchéance de cette arme et, du peu de services qu’elle avait rendu, concluait à son inaptitude présente, à son inutilité future. L’inquiétude, sinon le découragement et le désarroi, se faisait jour même parmi les cavaliers. Beaucoup de bons esprits, en acceptant pour leur arme qu’elle disparût des champs de bataille et se confinât aux services d’exploration et de sécurité, semblaient disposés à signer un acte d’abdication. Les chefs de la cavalerie prussienne eurent le mérite de protester immédiatement, en publiant dès 1873 un nouveau règlement dont les Prescriptions générales pour la conduite de la cavalerie ont été successivement adoptées, ou imitées, par toutes les armées européennes. Sous l’influence de ces nouvelles idées, qui ne sont d’ailleurs qu’un retour aux principes jadis appliqués victorieusement par Frédéric et par Napoléon, la sphère d’action de la cavalerie a recouvré toute son ampleur. Une expression allemande : Die Reiter-Massen stets voraus ! — les masses de cavalerie doivent être lancées en avant, — a fait fortune et résume aujourd’hui notre tactique. Or, nous l’avons dit, l’arme du cavalier, c’est le cheval : « Être ou ne pas être, » telle est pour la cavalerie l’importance de la question des remontes, car il lui faut être prête, et nous ne sommes plus au temps où, selon le général Foy, « la conquête rendait les remontes plus faciles et procurait de plus belles races de chevaux… »
Il n’est peut-être pas sans intérêt de retracer l’enchaînement des circonstances qui ont permis aux souverains de la Prusse de doter leur cavalerie d’une excellente race de chevaux de guerre créée pour ainsi dire de toutes pièces, car jusqu’en 1825, la cavalerie prussienne se remontait presque exclusivement à l’étranger. Cette race a victorieusement fourni ses preuves pendant la campagne de 1870-1871. Les résultats de l’enquête sur l’aptitude des chevaux, demandée aux chefs de corps de la cavalerie au retour de la campagne, témoignent avec la plus complète unanimité de la supériorité du cheval de remonte prussienne sur tous les animaux qui ont passé par les rangs. De la constatation de ce fait : l’excellence du cheval prussien, — qui est un produit artificiel, — il nous est permis de remonter aux causes. Celles-ci sont d’autant plus frappantes que, selon l’expression de M. Raoul Frary, les souverains de la Prusse, « rois hommes d’affaires, ont poussé jusqu’à ses dernières limites l’art d’accomplir de grands desseins avec peu de ressources. »
Peut-être aurions-nous plus d’un enseignement à tirer de l’étude des procédés prussiens quant à l’emploi utile des deniers de l’état. De longue date, les financiers des Hohenzollern ont accoutumé de n’engager que des dépenses fructueuses, c’est-à-dire profitables pour l’avenir ; et, depuis deux siècles, bien des étrangers ont manifesté leur étonnement de voir les parcimonieux gouvernemens de la Prusse répandre l’argent au profit d’institutions dont le succès pouvait paraître aléatoire et dont les résultats ne devaient pas être immédiats. S’il est permis de juger l’arbre à ses fruits, la génération actuelle peut se convaincre que, s’ils semaient dès longtemps, les rois de Prusse ont su faire une ample et utile moisson.
Pour développer et diriger l’élevage, les gouvernemens disposent de deux moyens connexes : les haras et les remontes. L’administration des haras a pour mission exclusive de faciliter la production du cheval d’armes en procurant des étalons et en éclairant les éleveurs, auxquels le service de la remonte devra fournir un débouché certain, régulier et rémunérateur. Il est donc essentiel que les haras et les remontes marchent toujours d’accord ; question du plus haut intérêt, car la sécurité nationale en dépend. C’est là une vérité d’une telle évidence, qu’on s’étonne à bon droit de constater qu’il ait fallu un siècle au gouvernement prussien pour s’en rendre compte. Que dire du nôtre, dont la conviction ne semble pas encore faite à cette heure ? Si toutefois la Prusse a pris du temps pour s’éclairer, il est indéniable qu’après avoir rouvert la voie, elle a marché d’un pas ferme, sans hésitation et sans faiblesse, en tenant compte de l’expérience acquise. Pendant tout le XVIIIe siècle, — on sait que la monarchie prussienne date de 1701, — nous voyons les souverains, de Frédéric Ier à Frédéric-Guillaume III, chercher l’amélioration de l’élevage, dans leurs états, par la création de haras et de jumenteries, et l’introduction alternative d’étalons de toute race, danois, frisons, napolitains, andalous, turcs ou arabes. Frédéric II lui-même, qui, malgré l’activité de sa politique extérieure, s’occupait volontiers des moindres détails d’organisation, paraît avoir désespéré tant de l’amélioration des chevaux indigènes que de la création de nouvelles races : il n’admettait pour la remonte des écuries royales que des chevaux étrangers, tirés principalement d’Angleterre. Les quelques tentatives de ce prince en faveur de l’élevage sont faites sans conviction et partant sans succès. Pendant cette période séculaire, la cavalerie allemande ne se remonte qu’à l’étranger ; elle recherche à cet effet deux types de chevaux : le cheval de grosse cavalerie, qu’elle tire du Holstein, du Hanovre, et le cheval de cavalerie légère dit de race polonaise. Mais on confondait sous cette dénomination tous les animaux provenant des régions soumises à la souveraineté, soit de la Pologne, de la Russie ou de la Turquie ; les marchés les plus fréquentés étaient ceux de la Moldavie, de la Valachie, de la Volhynie, de la Podolie, de la Bessarabie, de l’Ukraine, de la Crimée et des pays habités par les Cosaques et les Tcherkesses, c’est-à dire le territoire baigné par le Pruth et le Don, le littoral de la Mer-Noire et de la mer d’Azov. On se procurait ces chevaux, soit en passant des marchés avec des fournisseurs généralement juifs ou arméniens, soit en les faisant acheter dans le pays même par des commissions de remonte formées d’officiers prussiens. Ce dernier mode paraissait le plus avantageux, malgré les inconvéniens qu’entraînait le passage de nombreux officiers et cavaliers, formant parfois des troupes de plus d’un millier d’hommes, au travers de pays étrangers. Malgré les hasards de ces longues pérégrinations, malgré le nombre d’animaux perdus en route, ou à l’arrivée pendant la période d’acclimatement, malgré les épizooties que propageaient quelquefois les déplacemens de telles quantités de jeunes chevaux, malgré les frais de toute sorte entraînés, tant par les droits de douane en pays chrétien que par les cadeaux obligatoires aux divers représentais de l’autorité en pays musulman, les « remontes polonaises » coulaient moins cher à l’état que les remontes allemandes et rendaient de meilleurs services. Le tempérament lymphatique des grands chevaux du Nord, le peu de densité de leurs os et de leurs muscles, le manque de trempe des tendons et cartilages articulaires, rendaient ces animaux peu propres à supporter les fatigues de la guerre. C’est pendant le long règne de Frédéric-Guillaume III (1797-1840) que nous allons voir se transformer, — avec toutes les institutions militaires de la Prusse, — l’organisation des remontes en même temps que les principes suivis par les haras. On sait comment l’année 1806 amena l’écroulement de l’édifice militaire si laborieusement élevé par la monarchie prussienne, dont l’existence même fut remise en question. Mais la Prusse trouva dans l’excès même de ses malheurs les élémens de sa future puissance militaire ; les faits sont connus.
A la réorganisation de 1808, telle était la pénurie des chevaux que chaque brigade d’artillerie n’avait d’attelages que pour une batterie promenée de garnison en garnison pour l’instruction des troupes. Encore utilisait-elle exclusivement les chevaux de réforme de la cavalerie. Celle-ci se remontait de toutes mains, comme elle pouvait, mais, faute d’argent, elle avait dû cesser d’acheter des chevaux à l’étranger. On eut de nouveau recours à ce système après la seconde paix de Paris, en 1815. Les régimens envoyaient à la frontière russe des détachemens chargés de ramener leurs remontes, que livraient des marchands juifs. Comme race, ces chevaux, russes, polonais, moldaves, etc., présentaient, malgré d’appréciables qualités de rusticité et d’endurance, de sérieux et graves défauts. Peu réguliers dans leurs allures, de petite taille et communs d’aspect, ayant la tête forte, l’encolure courte et massive, la croupe avalée, des aplombs défectueux, ils se prêtaient peu à l’équitation ramenée qui a toujours été en honneur dans la cavalerie prussienne. Aussi voyons-nous les hommes d’état qui président aux destinées de la Prusse, après la période des guerres napoléoniennes, tenter de soustraire leur pays à la nécessité de se remonter à l’étranger. C’était, en effet, un véritable tribut payé chaque année, pour 1,500 chevaux de remonte environ, non compris les frais de toute sorte occasionnés par l’envoi d’officiers et de cavaliers de tous les régimens au-devant des jeunes chevaux ; et ces frais s’augmentaient d’autant que, en raison de la longueur du voyage de leur pays d’origine a la frontière prussienne, les animaux arrivaient fort irrégulièrement aux points de livraison, et que certains détachemens de remonte restaient quelquefois absens et distraits du service pendant plus de six mois.
Un rapport du général de Boyen, ministre de la guerre, daté du 19 mai 1816, exprime très explicitement les inconvéniens de l’importation des chevaux de race étrangère pour la remonte de l’armée : « L’importation dans notre pays de chevaux d’origine polonaise, dit le ministre, a l’avantage de fournir, à notre cavalerie, une race très appréciée de la plupart de nos officiers, bien qu’aujourd’hui de nombreuses voix s’élèvent en faveur de nos espèces indigènes, pour lesquelles semblent devoir se prononcer les résultats d’expériences de chaque jour. En revanche, l’importation a pour nous des inconvéniens décisifs : 1° l’exportation de capitaux considérables au préjudice de notre pays ; 2° la ruine presque totale de l’élevage local ; 3° qu’une guerre survienne, si, faute d’avoir développé l’élevage dans nos provinces, nous sommes tributaires de l’étranger et que ses marchés nous soient fermés subitement, — comme on l’a vu il y a trois ans, — nous restons exposés à de terribles embarras. Il résulte de ces faits que nous devons, avant tout, nous efforcer de relever l’élevage local pendant la paix, et réduire l’importation de chevaux étrangers à ce qui est indispensable pour améliorer nos races, c’est-à-dire à l’introduction d’étalons et de poulinières de choix. Au triple point de vue militaire, économique et politique, je ne crois pas qu’il y ait d’institution dont le développement comporte aujourd’hui un tel caractère d’urgence. »
Les chevaux, à la vérité, ne manquaient pas en Prusse ; mais il y avait à concilier les intérêts contradictoires de l’armée, du trésor et des éleveurs, ce qui présentait de grandes difficultés.
L’armée exigeait la livraison de bons chevaux, sains, nets, sans tares, pouvant être mis immédiatement en service, ou tout au moins en dressage, par conséquent des chevaux de cinq ans.
D’autre part, il était impossible aux éleveurs de garder leurs chevaux jusqu’à cet âge sans leur faire gagner leur nourriture en les attelant, soit pour les travaux agricoles, soit pour le trait léger ; d’où, inévitablement, résultaient des tares, des défectuosités d’allures, moins d’aptitude pour la selle et une dépréciation générale ; car, si le cheval restait chez l’éleveur, entouré de soins et abondamment nourri de grains jusqu’à cinq ans, en vue de la vente, c’était alors un cheval de luxe, destiné au commerce et d’un prix inabordable pour l’armée. Il fallait donc que l’éleveur trouvât de son cheval un prix rémunérateur vers l’âge de trois ans ; l’armée, de son côté, avait intérêt à acheter, à des prix modérés, des chevaux de cet âge, bien conformés, exempts de tares, et à les soumettre à un régime approprié, uniforme, de demi-liberté, permets tant au jeune animal de prendre tout son développement, grâce à un régime substantiel et à de bonnes conditions d’hygiène, sans danger d’usure prématurée.
Quant à envoyer directement dans les régimens des chevaux de trois ans pris chez l’éleveur, il ne pouvait en être question. C’eût été encombrer les corps d’animaux incapables de faire aucun service, au grand préjudice du trésor, de la valeur absolue des régimens au point de vue de la guerre, et de l’instruction normale de la cavalerie. En effet, la remonte s’étant opérée dans des conditions défectueuses pendant les guerres de l’empire, il se trouvait dans les escadrons un nombre considérable d’animaux à réformer, et le chiffre des incorporations annuelles dépassait de beaucoup la proportion accoutumée. À ce compte, les deux cinquièmes des chevaux eussent été incapables d’être mobilisés, tout en réclamant les soins de nombreux cavaliers et de cadres distrait »» de tout service réellement militaire.
De plus, la stabulation prolongée à l’écurie pour des animaux en état de croissance, et qu’il est impossible de faire travailler sans les tarer, eût amené leur prompte ruine. C’est de la recherche d’une solution pratique à donner à ces diverses questions qu’est née, en 1821, en Prusse, l’institution des dépôts de remonte, dont l’idée première doit être attribuée au roi Frédéric-Guillaume III.
Dès le début de son règne, ce prince, frappé des raisons que nous venons d’énumérer, avait chargé le général de Günther de rédiger un projet d’organisation de ces dépôts. Dans un rapport daté du 24 novembre 1800, celui-ci proposa de créer six dépôts de remonte, dont il indiquait l’emplacement, pouvant, chacun, contenir 550 jeunes chevaux. Les animaux, achetés à trois ans, y séjourneraient pendant deux ans ; ils seraient mis au vert, en liberté, du 1er juin au 1er octobre, et, le reste de l’année, rentrés à l’écurie, recevraient une ration d’entretien. Frédéric-Guillaume II, tout en approuvant ce projet, le soumit à l’examen du ministre d’état chargé de contrôler le calcul des dépenses. Or, à cette époque, l’élément militaire n’avait pas pris encore la prépondérance qui, après les désastres de 1806, lui a été reconnue dans les conseils des rois de Prusse, et qu’il a toujours gardée depuis lors. Le ministre d’état, M. de Schrötter, se prononça énergiquement pour le maintien du statu quo en matière de remonte, et, malgré le rapport favorable de tous les hommes spéciaux, fit rejeter le projet comme source d’inutiles dépenses. Bien qu’à regret, le roi se fit un devoir d’approuver la conclusion de son ministre d’état (lettre du 18 octobre 1802). C’est donc seulement en 1816 que l’idée fut reprise par le général de Boyen, ministre de la guerre. Toutefois, il n’arriva pas d’emblée à la solution définitive, car il accepta de faire l’épreuve de systèmes différens. Les adversaires du projet ministériel formulaient trois propositions principales, pour éviter la création de dépôts de remonte : 1° l’achat des chevaux à trois ans et demi, avec obligation pour l’éleveur de garder chez lui, pendant un an et moyennant une indemnité fixe, les animaux vendus à la remonte ; 2° la mise en dépôt chez des cultivateurs de bonne volonté, à prix débattu, des animaux achetés à trois ans ; 3° l’envoi des jeunes chevaux dans les régimens, qui seraient alors autorisés à louer des prairies, à proximité de leurs garnisons, pour les mettre au pacage en liberté. Aucune de ces solutions ne donna des résultats satisfaisans. Aussi, après expérience, le grand-écuyer de la cour, M. de Burgsdorff, directeur des haras de Prusse[3], reçut pour mission de rédiger un projet d’organisation des dépôts de remonte, conforme aux propositions du ministre de la guerre. Comme sanction du rapport que le grand-écuyer lui avait remis le 3 septembre 1820, le ministre de la guerre adressait au roi, le 10 novembre de la même année, la demande formelle suivante : « Que le ministre des finances reçoive de votre Majesté l’ordre de me donner notification de tous les domaines de l’état, situés dans les provinces de Prusse et de Lithuanie, qui ne seraient pas affermés, ou dont les baux de fermage arriveraient à leur terme ; je ferai examiner s’ils conviennent à l’établissement de dépôts de remonte, et je réclame le droit de les louer aux conditions du précédent bail. » Le 26 novembre 1820, Frédéric-Guillaume III donnait son adhésion au projet ministériel et, par ordre du 10 mai 1821, prescrivait au ministre de la guerre de faire acheter, en sus des chevaux nécessaires pour la remonte de l’année, un nombre égal de jeunes chevaux destinés à peupler les dépôts.
Entre temps, les principes préconisés par l’administration des haras, de concert avec l’autorité militaire, en matière d’amélioration des races, commençaient à porter leurs fruits. L’importation du pur sang anglais en Prusse avait commencé, à la fin du dernier siècle, par l’achat de trente étalons en 1796. La période des guerres de la révolution et de l’empire ne fut pas favorable à l’élevage ; néanmoins, les événemens politiques, en amenant les coalitions contre la France, resserrèrent les relations avec l’Angleterre, et il s’établit un mouvement hippique constant entre les îles britanniques et le nord de l’Allemagne : le Hanovre servait de trait d’union. Dès lors, le courant des importations orientales diminuait peu à peu et devenait très rare. Après la conclusion de la paix, on se remit à l’œuvre, en ayant recours aux reproducteurs tirés d’Angleterre. A la même époque (vers 1820), de grands propriétaires, des amateurs de chevaux de la région du Nord, en tête desquels il faut citer le duc de Slesvig-Holstein-Sonderbourg-Augustenbourg, entreprenaient l’élevage du pur sang anglais sur une grande échelle et inauguraient les courses. Le mouvement en faveur du sang d’Angleterre s’accentue et se généralise dans les haras particuliers comme dans ceux de l’état, à l’exclusion de tout autre. Dans le sud de l’Allemagne, au contraire, notamment en Wurtemberg et en Bavière, l’emploi du sang anglais était accueilli beaucoup moins favorablement. Nous verrons bientôt ce qu’il en coûte aujourd’hui à ces deux royaumes d’avoir tergiversé dans le choix des moyens d’améliorer les races indigènes et d’avoir méconnu l’importance de la question des remontes. Dans le nord de l’Allemagne, le cheval de pur sang anglais est resté le reproducteur par excellence, et le cheval prussien actuel, si apprécié comme monture pour la cavalerie, en est un produit de moins en moins dégradé[4], possédant de son ascendant paternel la tête fine, l’encolure longue et bien sortie, le garrot très en arrière et la ligne du dessus se rapprochant de l’horizontale ; de plus, ce cheval, grâce au mode d’élevage des dépôts de remonte, est d’un caractère facile et d’une grande douceur envers l’homme et envers ses congénères.
Toutefois, les qualités innées ou acquises du cheval de remonte de la Prusse ne se sont point manifestées pleinement et irrécusablement à l’origine, et le véritable mérite des hommes d’état de ce pays, c’est de s’être attachés avec une inaltérable persévérance à l’œuvre entreprise, sans hésitation et sans impatience. Les débuts de l’institution ne furent pas exempts de déboires : tout d’abord les chevaux indigènes manquaient, car on dut encore en faire venir de l’étranger chaque année jusqu’en 1827 ; mais le nombre de ces animaux (de remonte polonaise) allait décroissant : de 704 en 1822, il tombait à 144 en 1827, dernière année où la Prusse ait importé des chevaux de remonte. Mais il y eut encore bien d’autres causes de mécomptes. Sur sept dépôts fondés de 1821 à 1832, quatre durent être supprimés dans le même laps de temps, par suite du mauvais choix de leur emplacement, et reportés ailleurs. Dès 1837, l’organisation et le fonctionnement des dépôts de remonte étant définitivement fixés, une ordonnance datée du 18 janvier de cette année régla d’une façon précise les questions de régime et de traitement des chevaux. Ses prescriptions sont restées en vigueur.
Jusqu’en 1860, six dépôts de remonte suffirent à la Prusse ; la réorganisation de l’armée et l’augmentation qui en fut la conséquence provoquèrent la création de deux nouveaux dépôts ; les annexions de territoire qui suivirent la guerre de 1866 amenèrent celle de trois[5] autres ; enfin, le nombre de ces établissemens a été encore augmenté de trois depuis 1871.
Les dépôts de remonte de la Prusse desservent son armée ainsi que les contingens administrés par le ministère de la guerre prussien[6]. Les trois royaumes de Saxe, de Wurtemberg et de Bavière ont conservé des systèmes de remonte particuliers. Ils sont néanmoins tributaires de la Prusse, qui fournit à peu près tous leurs chevaux de cavalerie. Le royaume de Saxe, qui forme le 12e corps d’armée allemand, traite directement avec des fournisseurs ; la presque totalité des chevaux stipulés dans les marchés est achetée en Prusse.
Le royaume de Wurtemberg, qui forme le 13e corps d’armée, prend dans les dépôts de remonte de la Prusse, contre remboursement des frais d’élevage, les chevaux qui lui sont nécessaires. La moyenne de ces frais, établie chaque année, est de 312 fr. 50 par tête de cheval. La Saxe et le Wurtemberg se désintéressent absolument de la production et de l’élevage du cheval d’armes.
Le royaume de Bavière, au contraire, a depuis 1872, calqué ses institutions sur celles de la Prusse. Il possède cinq dépôts d’élevage, ainsi qu’une commission d’achat de chevaux de remonte, qui fonctionnent comme en Prusse ; mais, fait caractéristique, c’est en Prusse que cette commission va chercher ses chevaux. Cependant, dès la fin du XVIe siècle, les princes de la maison de Wittelsbach faisaient de grandes dépenses pour développer la production chevaline ; ils n’ont jamais cessé de s’y intéresser, sans toutefois adopter une ligne déterminée ; aujourd’hui encore, le gouvernement accorde une notable majoration de prix pour tout cheval né et élevé en Bavière que la remonte achète. Néanmoins, l’élevage fait peu de progrès et recherche surtout le cheval étoffé ; peu soucieux de déférer aux recommandations des mandataires de l’armée et des haras, les éleveurs, malgré l’exemple si concluant de la Prusse, ne sont pas plus d’accord sur le but que sur les moyens. Il en résulte que la commission d’achat de chevaux de remonte spéciale pour la Bavière ramène annuellement dans les dépôts du pays environ 1,000 jeunes chevaux d’origine prussienne. D’ailleurs, alors qu’en Prusse, aujourd’hui, tous les hommes compétens se plaisent à attribuer la situation florissante de la production chevaline à la direction intelligente et pratique qui lui a été imprimée depuis que l’élément militaire[7] a la haute main sur tout son ensemble, il est assez curieux de constater, en Bavière, l’expression d’opinions tout opposées : « Toutes les institutions hippiques de la Bavière, dit un ouvrage récemment publié[8], ont été florissantes et fructueuses jusqu’en 1864, tant qu’elles ont été réunies sous une direction unique, celle du grand-écuyer de la cour. Depuis que l’administration militaire en est chargée, la confiance antérieure de la population a reçu un coup funeste… » Sans vouloir tirer de ce fait des conclusions relatives à la plus ou moins grande diffusion de l’esprit militaire dans les populations respectives du nord et du sud de l’Allemagne, il nous est permis, pour expliquer ces divergences, d’insister sur un point bien caractéristique des procédés administratifs du gouvernement prussien. En Prusse, aucune modification n’est apportée à l’état de choses existant qui n’ait été profondément élaborée, étudiée, mûrie. Si grand que soit l’engouement général pour une tentative quelconque, jamais une expérience n’est faite à la hâte. En revanche, si quelque innovation ne semble pas donner, dès l’abord, tout ce qu’on était en droit d’en attendre, l’autorité ne se laisse jamais émouvoir par les réclamations des intéressés, pas plus que par les critiques de la presse, du public ou du parlement. Mais, quand le gouvernement prussien a acquis la conviction que tel ou tel progrès est désirable, il attend son heure pour passer du projet à l’exécution. Dès que celle-ci a commencé, rien ne saurait arrêter ceux qui sont chargés de modifier l’ordre de choses existant. L’application des nouvelles mesures sera poursuivie progressivement, sans à-coups, et avec une persévérance inébranlable, jusqu’à ce que le but soit atteint. Il est admis en Prusse que le progrès est œuvre de longue haleine, que le présent doit être subordonné à l’avenir, et que la consécration du temps est indispensable pour que les résultats soient acquis, pour que les intéressés puissent asseoir leur jugement en connaissance de cause. L’étude que nous poursuivons ici en donne la preuve. L’institution des dépôts de remonte a été créée en 1821 ; elle avait été projetée vingt ans auparavant, et aucune modification n’a été apportée au but qu’on se proposait dès l’abord : procurer à la cavalerie un excellent cheval de guerre, en utilisant exclusivement les ressources du pays. Comme corollaire, il fallait répandre dans la population le goût et la connaissance du cheval, pour créer, pour ainsi dire de toutes pièces, un modèle spécial possédant des qualités bien déterminées.
Ce but, poursuivi sans relâche depuis plus de soixante ans, a été atteint, et si l’institution n’est pas arrivée encore au terme de sa plénitude d’action, encore est-il qu’il y a aujourd’hui unanimité dans le pays et dans l’armée pour reconnaître et proclamer les immenses progrès dont elle a été la source. Et cependant ce n’est pas que des détracteurs nombreux, puissans, autorisés, n’aient élevé la voix à l’origine, et pendant de longues années, pour battre en brèche les mesures qui devaient donner de tels résultats. Si nous comparons maintenant à l’état de choses existant en Prusse la situation de la Bavière, où cependant au XVIIIe siècle la production chevaline était plus florissante, peut-être est-on fondé à conclure que les vicissitudes sans nombre subies, depuis le commencement du siècle, par les institutions hippiques de ce pays, ont eu pour résultat unique de rendre la Bavière entièrement tributaire de la Prusse pour la remonte de son armée.
Chaque dépôt de remonte, en Prusse et en Bavière, forme une exploitation agricole dirigée par un fonctionnaire civil portant le titre d’administrateur et qui verse un cautionnement.
Le personnel sous ses ordres comprend un ou plusieurs adjoints (Oekonomie-Inspectoren), suivant l’étendue des terres cultivées, et un comptable. Ces agens sont d’anciens militaires ayant droit à un emploi civil. Pour la culture, on engage un nombre indéterminé de domestiques à l’année ou d’hommes de journée. Quant à la direction des soins à donner aux chevaux, ce sont des vétérinaires sortant de l’armée qui en sont chargés. Chaque dépôt possède, suivant son importance, un ou plusieurs de ces fonctionnaires. Le vétérinaire a sous ses ordres des palefreniers chefs et des palefreniers. Ces derniers sont au nombre d’un homme pour vingt chevaux.
Les chevaux arrivent dans les dépôts à trois ans ou trois ans et demi ; ils y restent une ou deux années, selon leur état général de croissance et de développement. Le but poursuivi, c’est d’acclimater les jeunes animaux en les soumettant à un régime uniforme et approprié, de les laisser se mouvoir en liberté pour favoriser leur développement. Ils ont pour abri des écuries ou, pour mieux dire, de simples étables construites aussi économiquement que possible, soit de briques, de pierre, de torchis ou de bois. Chacune d’elles reçoit de quinze à vingt chevaux qui restent en liberté, car elles sont dépourvues de tout moyen d’attache. Les animaux sont déferrés en tout temps. Toute écurie ouvre sur un parcours limité par des barrières rustiques. Le sol de ces enclos n’est ni durci ni défoncé ; c’est le terrain naturel, mais uni. Chaque parcours possède un abreuvoir fait de troncs d’arbres grossièrement creusés. Il n’y a d’autre précaution contre le froid que la fermeture des portes : la chaleur naturelle des chevaux suffit à maintenir en hiver, dans les écuries, une température assez élevée.
Dans chaque dépôt, une écurie est distribuée en boxes pour les malades ; une autre est destinée aux convalescens. Ce qui frappe le plus le visiteur, c’est la grande douceur des chevaux et leur tendance à s’approcher de l’homme ; dès qu’on entre dans une écurie, tous avancent vers les arrivans. Si ces derniers séjournent, ils les suivent. Aussi les palefreniers n’ont-ils jamais rien à la main pour écarter les animaux dont ils ont la surveillance.
Les jeunes chevaux, dans les dépôts allemands, ne subissent ni dressage ni entraînement d’aucune sorte. On considère que le grand air, la nourriture et le repos suffisent à les préparer au service régimentaire, où ils sont d’ailleurs ménagés avec les plus grands soins pendant le cours de leur dressage, qui dure deux ans. C’est à ces précautions du début que les Allemands attribuent la prolongation extraordinaire du service de leurs montures, qui, après avoir servi plus de dix ans, en moyenne, dans la cavalerie, peuvent encore remonter les trains, la gendarmerie, etc.
Jadis les chevaux, dans les dépôts de remonte, étaient laissés en liberté sur de grands espaces ; la fréquence des accidens, occasionnés par des paniques ou toute autre cause de galopades immodérées, a fait restreindre peu à peu les dimensions des parcours. Le système actuel de groupement des chevaux paraît avoir une excellente influence sur leur caractère, car leur douceur est proverbiale, et la cavalerie prussienne, quand elle sort de ses garnisons pour cantonner ou bivouaquer, ne voit presque jamais diminuer le nombre de ses chevaux par suite de coups de pied, alors que nos régimens ont en pareil cas 10 pour 100 d’indisponibles pour cette cause. Il faut également considérer que le jeune cheval, de trois à quatre ans, est dans l’âge critique de la croissance et de la dentition ; ce qui, les circonstances du changement de milieu et de l’acclimatement aidant, fait du dépôt un sanitarium[9] bien plus qu’un établissement hippique. C’est tout bénéfice pour les régimens, qui pourront, eux, pratiquer l’entraînement et le dressage sans interruption motivée par des séjours à l’infirmerie.
Les jeunes chevaux arrivent dans les dépôts depuis le 15 mai jusqu’à la mi-septembre ; ils reçoivent un classement provisoire, par les soins de la commission d’achat, mais sont définitivement répartis entre les différentes armes et subdivisions d’armes par l’inspecteur-général des remontes, qui forme lui-même les lots régimentaires. Cet officier-général commence sa tournée dans les dépôts trois mois environ avant le départ des animaux. Les corps viennent prendre livraison de leur remonte annuelle après le 1er juillet.
Le service de la remonte forme, au ministère de la guerre de Prusse, une direction spéciale dont le chef, colonel ou général, porte le titre d’inspecteur-général de la remonte.
Le territoire de la Prusse et des états allemands, dont les contingens sont administrés par le ministère de la guerre prussien, est partagé en six zones ressortissant chacune à une commission d’achat de chevaux de remonte. A la tête de chaque commission se trouve un président, officier de cavalerie, dont le grade varie de celui de capitaine à celui de colonel. Ces six présidens sont seuls permanens ; mis à la suite de leurs régimens, ils travaillent, à Berlin, au ministère de la guerre, en dehors du temps consacré à leurs tournées.
Les autres membres des commissions, qui ne sont désignés qu’au moment même des achats, sont deux lieutenans et un vétérinaire pris dans les régimens de la région à explorer, ainsi que le nombre de cavaliers nécessaires, scribes, ordonnances, etc.
Chacune des six commissions, opérant toujours dans le même rayon, arrive à connaître parfaitement les ressources de la circonscription qu’elle exploite ; d’autant plus que les présidens de commission, entrant en fonctions comme capitaines, et pouvant y être maintenus jusqu’au grade de colonel inclusivement, consacrent, pour ainsi dire, toute leur carrière au service de la remonte, dont la spécialité exige des aptitudes et un goût particuliers.
Chaque circonscription de remonte est desservie par un nombre de dépôts en rapport avec l’importance de sa population chevaline.
Les commissions commencent leurs tournées d’achat au mois de mai et les terminent à la fin de septembre. Quelque temps avant l’ouverture des opérations, chaque président fait publier l’indication des localités et de l’époque où se tiendront les marchés de remonte (Remonte-Märkte).
Au jour dit, la commission se transporte dans la localité indiquée et achète, de gré à gré, les chevaux de trois à quatre ans[10]. Les régimens de cavalerie les plus rapprochés du lieu où se tiennent les marchés ont été également avisés, par le président, d’avoir à mettre à sa disposition un certain nombre de cavaliers et de sous-officiers destinés à conduire dans les dépôts de remonte les chevaux achetés par la commission.
Chaque année, l’inspecteur des remontes communique à tous les corps le plan de remonte, élaboré au ministère de la guerre et fixant les détails d’exécution, le nombre et la composition des détachemens, le lieu et la date de leur mise en route, soit par voie de terre, soit par chemin de fer. Les régimens y trouvent les indications les plus détaillées relativement à l’incorporation des jeunes chevaux qu’ils doivent recevoir.
De toutes les provinces de l’Allemagne, c’est la Prusse orientale qui fournit le plus de chevaux à la remonte : 65 pour 100 des animaux achetés par les commissions prussiennes sont originaires de cette région.
Outre les six commissions prussiennes, il existe, avons-nous dit, une commission spéciale pour la Bavière. Elle achète quelques chevaux faits dans le royaume même, avec une certaine majoration de prix : 1,275 francs par cheval de trait et 1,375 francs par cheval de selle, nés et élevés en Bavière. Ceux-ci sont destinés à l’école de cavalerie de Munich. Mais la commission bavaroise achète dans la province de Prusse les chevaux destinés à peupler les dépôts de remonte bavarois.
La base de l’organisation militaire allemande est la fixité et la permanence de l’effectif de chaque fraction constituée. Il est admis que toute unité, compagnie, escadron ou batterie, existe a priori et qu’elle est à l’effectif légal, réglementaire. Cet effectif ne peut être dépassé et constitue la limite infranchissable de dépenses. Les corps, d’autre part, possèdent des moyens très simples pour assurer l’immuabilité de cet effectif en faisant remplacer immédiatement tout individu qui vient à manquer.
Chaque escadron (ou batterie) reçoit, en conséquence, à la même date, annuellement, un nombre invariable de chevaux de même âge ; et, pour faire place aux nouveaux élémens à incorporer, réforme, ou, plus exactement, déclasse un nombre égal d’animaux, parmi les moins aptes à son service.
De plus, pour assurer le remplacement des chevaux qui, pour toute cause, peuvent disparaître d’une année à l’autre, dans l’intervalle compris entre deux incorporations de chevaux de remonte, les régimens de troupes à cheval possèdent une masse de remonte (Pferde-Verbesserungs-Fonds) grâce à laquelle ils achètent directement, dans le commerce, l’animal destiné à remplir le vide qui vient de se produire.
En vertu d’une prévoyance digne d’être remarquée, le règlement autorise les corps à se débarrasser des jeunes chevaux qui ne présenteraient pas les conditions d’un bon service. Ainsi, tout cheval, par suite de défauts de constitution, de tempérament ou de caractère qui viendraient à se révéler pendant le cours de son dressage, peut être vendu immédiatement. Son prix est versé à la masse de remonte du corps.
Si nous rappelons que les chevaux de remonte ont été déjà l’objet d’une sélection dans les dépôts qui conservent pour le service de leur exploitation, ou réforment tous les animaux insuffisans pour l’armée, on admettra que les régimens de cavalerie, possesseurs du droit de préemption par rapport à l’artillerie, ne doivent conserver que des élémens de premier ordre.
Enfin, chaque fraction constituée possède un certain nombre de chevaux en sus de son, effectif, pour lesquels il n’est pas alloué de rations et qui sont nourris sur l’ensemble. On les nomme Krümper ; ils sont au nombre de quatre par escadron et servent à l’attelage en temps de paix. Au moment d’une mobilisation, ils sont à nouveau compris sur les contrôles et passent à l’escadron de dépôt.
Les Krümper sont choisis parmi les meilleurs de ceux qui ont été déclassés pour faire place à la remonte de l’année. Avant d’être livré aux enchères, le lot des chevaux déclassés dans chaque corps peut encore subir bien des prélèvemens. Chaque escadron en réserve un nombre égal à celui des volontaires d’un an qu’il doit recevoir. Puis, le bataillon du train appartenant au corps d’armée exerce son choix parmi ces animaux, qui forment sa remonte exclusive. Ensuite, tous les corps de troupes à cheval du corps d’armée peuvent, s’ils y ont intérêt, puiser dans ce qui reste. Enfin, les gendarmes à cheval, qui se remontent à leur frais et reçoivent à cet effet une prime annuelle de 150 francs, ont le droit d’acheter des chevaux de réforme.
Chaque escadron de cavalerie (batterie d’artillerie ou compagnie de train) peut incorporer annuellement quatre volontaires d’un an. Aucun d’eux n’est compris dans l’effectif, car ces jeunes gens ne reçoivent aucune prestation, si ce n’est à titre remboursable. Dans les troupes à cheval, on est parvenu à monter les volontaires d’un an sans distraire du service courant un seul cheval, et tout en les dégrevant de l’obligation d’amener une monture, condition qui leur était imposée à l’origine. Incorporés au 1er octobre, ils ont dû, trois mois avant cette date, adresser leur demande au chef du corps dans lequel ils désirent servir. Celui-ci fait examiner ces jeunes gens au point de vue médical, et, après s’être enquis des élémens d’appréciation qu’il a jugés nécessaires, accepte ou refuse les candidats. En conséquence, au moment du déclassement des chevaux, chaque capitaine sait quel nombre de volontaires lui est affecté, et conserve un nombre égal de chevaux en sus de son effectif normal.
Les volontaires d’un an remboursent mensuellement le prix des rations perçues pour leurs montures ; ils paient, de plus, la ferrure et les soins vétérinaires donnés à leurs chevaux et, enfin, versent à la masse de remonte de leur corps une indemnité s’élevant à 500 francs dans la cavalerie et l’artillerie à cheval, et à 187 fr. 50 dans le train.
Il nous reste, pour terminer l’exposé des règles en vigueur dans l’armée allemande, à indiquer les conditions dans lesquelles se remontent les officiers. En France, c’est une lourde charge, pour notre cavalerie, que d’avoir à fournir des chevaux non-seulement aux officiers du corps, mais encore aux officiers sans troupe ou des armes à pied, aux fonctionnaires militaires assimilés et autres parties prenantes ayant droit à une monture gratuitement ou à titre onéreux.
La cavalerie française fournit à ses propres officiers 2,983 chevaux, aux officiers d’infanterie 3,102 ; à l’état-major général 1,440, à l’état-major du génie 758, au service d’état-major 711, aux membres de l’intendance 718, au service de santé (en dehors des corps de troupes) 252. Nous en passons ; mais c’est un total d’environ 10,000 chevaux que nos régimens doivent alimenter, et l’on sait avec quelle facilité sont données les autorisations de remonte et celles de réintégration des chevaux qui ont cessé de plaire.
Il n’existe en Allemagne rien d’analogue : tous les officiers, depuis le grade de capitaine inclusivement et au-dessus, se remontent à leurs frais ; la solde des officiers correspond d’ailleurs à cette obligation ; ainsi le capitaine de cavalerie allemand, tenu de posséder trois chevaux, reçoit les émolumens d’un lieutenant-colonel français.
Les lieutenans de cavalerie et des batteries à cheval de l’artillerie, seuls, ont droit à une monture gratuite[11] tous les cinq ans ; après ce laps de temps, elle devient leur propriété. Ils sont également obligés de posséder un second cheval acheté de leurs deniers.
Quant aux lieutenans des autres armes qui doivent être montés, ils reçoivent, de cinq en cinq années, une indemnité fixe de 1,031 fr. 25 ; des avances leur sont faites, sur leur demande, quand ils achètent un cheval.
En résumé, les règles qui sont en vigueur en Allemagne, relativement à la remonte, paraissent garantir avec une extrême prévoyance les finances de l’état et les intérêts généraux de l’armée.
Le principe de la fixité immuable des effectifs est appliqué dans toute sa rigueur, grâce à un ensemble de mesures dont les principales sont : 1° l’envoi annuel, dans chaque unité, d’un nombre invariable de chevaux de même âge ; 2.° le déclassement annuel d’un nombre de chevaux équivalent ; 3° l’institution des Krümper ; 4° la constitution dans chaque corps de troupes à cheval d’une masse de remonte qui permet de remplacer par achat direct et presque instantanément, non-seulement tout cheval qui vient à disparaître, mais encore tout animal qui, pendant le cours de ses deux années de dressage, semble ne pas présenter les qualités d’allures, de fond, de tempérament ou de caractère jugées indispensables pour le service dans le rang ; 5° l’interdiction absolue à qui que ce soit de puiser dans l’effectif d’une unité constituée, sous quelque prétexte que ce soit.
Il ressort de ces prescriptions que l’effectif légal et budgétaire de chaque unité de l’armée allemande est toujours au-dessus du complet, puisque les montures des volontaires d’un an et les Krümper n’y sont pas compris, ne comptant pas comme rationnaires.
Parmi les causes qui doivent le plus contribuer à assurer le bon emploi des ressources chevalines de l’armée allemande, il faut citer : 1° l’institution des dépôts de remonte, c’est-à-dire d’élevage, qui, permettant de soumettre les chevaux achetés chaque année, dès l’âge de trois ans, par les commissions de remonte, à un régime spécial de demi-liberté, leur donne des qualités de rusticité, d’endurance et de docilité très remarquables ; 2° l’homogénéité de la remonte dans chaque corps, les mêmes commissions d’achat étant chargées d’explorer les mêmes régions, de pourvoir les mêmes dépôts, et ceux-ci de fournir aux besoins des mêmes régimens ; 3° la possibilité pour chaque corps de se de faire des animaux qui semblent insuffisans ; 4° le dressage méthodique et prolongé pendant deux ans que subissent tous les chevaux incorporés dans les régimens. Les exigences sont telles, sous ce rapport, que les lieutenans ayant droit à une monture gratuite ne peuvent choisir un cheval de moins de sept ans et qui n’ait pas suivi, dans un escadron, le cours complet du dressage réglementaire.
L’examen des conditions dans lesquelles se remontent les officiers des différentes armes et les fonctionnaires militaires est particulièrement instructif. Pour propager le goût et la connaissance du cheval, le commandement estime qu’il ne saurait y avoir de moyen plus efficace que de développer chez les individus le sentiment de la propriété et l’intérêt : celui de l’état n’en est que mieux sauvegardé. Des indemnités suffisamment rémunératrices assurent aux officiers des avantages proportionnels aux soins dont ils entourent leurs montures.
Il est fait une distinction essentielle, au point de vue des droits à la remonte, entre les officiers qui ont à se servir du cheval comme instrument de combat et ceux qui en font usage comme simple moyen de locomotion. C’est ainsi que les payeurs des régimens de cavalerie perçoivent une indemnité de remonte inférieure de moitié à celle des lieutenans de même arme. Enfin, les quelques chiffres suivans expriment mieux que tout commentaire l’opinion qui a cours dans l’armée allemande sur la remonte des non-combattans en temps de paix. Aucun vétérinaire de l’armée allemande n’est monté. Le nombre des rations prévues au budget pour les chevaux des membres du corps de l’intendance est de trente-six[12], soit deux chevaux par corps d’armée. Un même nombre de rations est attribué aux membres du corps de santé pour leurs montures.
Pour bien connaître l’histoire des haras en France, il faut remonter à la féodalité. Les grands seigneurs, toujours en guerre ou à la chasse, avaient un grand intérêt à améliorer l’espèce de leurs chevaux. Il y avait entre eux rivalité : c’était à qui aurait les vassaux les mieux montés. La noblesse anglaise est encore aujourd’hui en possession de ces anciens usages, avec cette différence qu’elle élève en vue des courses et des chasses, et fait commerce du surplus de ses produits. Mais, en France, le cardinal de Richelieu, en détruisant l’influence des grands seigneurs, qui abandonnèrent peu à peu leurs terres, laissées à des intendans, pour se rapprocher de la cour, porta un coup funeste à l’élevage.
Les difficultés qu’éprouva Louis XIV pour remonter sa cavalerie lui firent sentir l’importance qu’il y avait pour le royaume à s’affranchir de l’achat de chevaux étrangers. Par son ordre, Colbert formula, en 1665, un système de perfectionnement du cheval qui fut mis à exécution ; il reposait sur l’industrie privée, encouragée et soutenue par l’état. Des étalons, achetés de tous côtés à l’étranger, furent distribués dans les provinces. De nouveaux arrêts du conseil, rendus en 1667et 1668 sous Colbert, et, en 1683, sous le marquis de Seignelay, son fils et successeur, complétèrent l’organisation. Les mesures prises par Louis XIV avaient eu d’autant plus de succès que, pour plaire au roi, les courtisans prirent intérêt à l’élevage et s’y adonnèrent. Mais les guerres de la fin du règne firent disparaître la plupart des chevaux. Aussi, dès le début du règne suivant, le régent, prenant en main l’amélioration de l’élevage, créa divers établissemens qu’il peupla d’étalons orientaux.
Un règlement des haras fut rédigé en 1717 sous le titre de : « Mémoire du conseil du dedans du royaume pour servir d’instruction à MM. les intendans et commissaires départis dans les provinces du royaume, touchant le rétablissement des haras. » On y trouve un exposé complet de la question chevaline à cette époque : « L’épuisement des chevaux dans lequel les dernières guerres ont mis la France, et la nécessité d’y faire renaistre l’abondance, tant pour l’utilité du commerce intérieur que pour le service des troupes du Roy en paix et en guerre, demanderoient peu de discours pour prouver de quelle importance il est pour le bien de l’estat de s’appliquer au rétablissement des haras, si l’exemple du passé et le préjudice extrême que le royaume a souffert de l’abandon où ils ont esté par le défaut de secours nécessaire n’exigeoient de traiter la matière en détail et d’expliquer les règles que l’on doit suivre dans une affaire de cette conséquence, la possibilité dans l’exécution et les avantages qui en résulteront.
« MM. les intendans conviendront sans peine que rien n’est plus nécessaire au royaume que l’élève des chevaux de toute espèce pour les besoins, et que dans les estats les mieux gouvernés, on les y compte au nombre des premières richesses.
« Que le manque de chevaux a fait connoistre ces vérités d’une manière bien sensible dans ces derniers temps, où l’on s’est vu réduit à traiter l’argent à la main avec les Juifs pour tous les besoins de la cavalerie, des dragons, de l’artillerie, des vivres et mesme de la maison du Roy, d’où il s’est ensuivi la nécessité de recevoir de toutes mains et de prendre au hasard des chevaux très médiocres pour ne pouvoir trouver mieux, et de voir sortir du royaume des sommes immenses, qui non-seulement y seroient demeurées si le royaume s’étoit trouvé peuplé de chevaux, mais qui, par une circulation nécessaire, seroient répandues en une infinité de mains et auraient maintenu les peuples dans l’abondance et dans le pouvoir d’acquitter les charges de l’Estat.
« Les gens de guerre de premier ordre et une infinité de marchands de chevaux et autres, consultés sur ce sujet, ont estimé cette évacuation à plus de 100 millions pendant les deux dernières guerres, par les remontes seulement. Ce seul objet est d’une assez grande considération pour devoir attirer l’attention de MM. les intendans, sans parler des chevaux de carrosse que l’on tire de Hollande et des Pays-Bas pour l’usage des particuliers… »
C’est de cette époque que datent les commencemens des haras du Pin en Normandie et de Pompadour en Limousin.
La production chevaline fit en France de rapides progrès, encouragés surtout par les achats des écuries du roi[13] et des princes, par la remonte de la maison du roi et des régimens. Toutefois, le partage de l’administration des haras entre le ministre de la guerre qui avait sous ses ordres les provinces frontières ; le grand-écuyer à la charge duquel appartenaient les généralités de Normandie et du Limousin ; le ministre de la cassette, chargé de vingt généralités de l’intérieur ; enfin les intendans qui dirigeaient les haras dans les reste de la France, ne se prêtait point à l’unité des vues et amenait de nombreux conflits entre autorités rivales. De plus, l’achat ou la « survivance » des charges pouvait amener aux divers emplois des hommes peu préparés. On trouve à ce sujet l’expression de nombreuses plaintes, surtout à l’approche de la révolution. Le célèbre fondateur de l’hippiatrique, Bourgelat, écrivait en 1769[14] : « Nous pourrions, au surplus, prévenir, avec quelques soins, la promptitude du déchet de l’espèce. A peine les étalons ont-ils été livrés par le département ou par le gouvernement, ou ont-ils été approuvés, qu’on les perd en quelque façon de vue ; ils sont, pour ainsi dire, livrés d’une part à l’ignorance du peuple, souvent à l’avidité de la noblesse, et constamment à la direction de l’inspecteur que la faveur a mis en place, malgré la plus grande incapacité de diriger et d’instruire : nulle étude de la nature, nul égard aux diverses nuances, nulle considération dans les appareillemens, nulle suite dans les opérations, nulle attention aux résultats d’un million de mélanges perpétuellement informes et bizarres… Il s’agirait donc, de notre part, d’être plus éclairés et plus soigneux que nous ne l’avons été jusqu’ici. »
Vingt ans après, en 1789, de Lafond-Poulotti[15] est encore plus sévère : « Dans le nombre des administrateurs qui ont eu les haras depuis Colbert, quelques-uns, sans connaissances relatives de cette partie, s’en sont rapportés aveuglément à des inspecteurs plus ignorans encore, placés et protégés par eux… »
À cette époque, les régimens de cavalerie achetaient directement leurs chevaux, et, afin d’avoir une remonte homogène composée d’animaux de même pied, les tiraient de la même province. Chaque régiment entretenait une sorte de dépôt d’élevage : les gardes du corps, les gendarmes, les chevau-légers en Normandie[16] ; les dragons de Bourbon, Condé, Lassan, Royal-Navarre, chasseurs de Lorraine, Hainault, Esterhazy, en Limousin[17] ; certains régimens de hussards, en Béarn et en Navarre, etc.[18]. En résumé, malgré l’absence de direction et le défaut d’ensemble, la situation de l’élevage français était assez prospère, quand survint la révolution. Un décret du 29 janvier 1790 supprima les haras ; les étalons furent vendus et la réquisition de tous les animaux pour les besoins de l’armée, au cours des années suivantes, amena la dispersion de toutes les ressources ménagées depuis près d’un siècle.
En 1806, l’empereur Napoléon sentit, comme Louis XIV, l’importance de faire naître en France les chevaux nécessaires aux besoins de l’armée. Il rétablit les haras, dont la direction fut confiée au ministre de l’intérieur. Mais l’industrie de l’élevage était aux abois, nos anciennes races étaient tombées dans un état d’avilissement profond. En Normandie, la population chevaline était devenue no blood ; la nécessité s’imposait d’introduire un sang nouveau. Malheureusement l’état d’hostilité contre l’Angleterre empêcha l’empereur de permettre l’introduction du pur sang. On acheta des étalons égyptiens, turcs et mecklembourgeois, et le résultat fut à peu près nul, d’autant que l’effroyable consommation des chevaux aux armées faisait acheter tous les animaux, bons ou mauvais. A la restauration commence l’importation suivie d’étalons et de poulinières d’Angleterre. Les Bourbons avaient pris dans l’émigration les habitudes anglaises, et les modes britanniques se répandirent dans la gentry. Au point de vue hippique, ce fut un progrès ; les procédés perfectionnés des Anglais, en matière d’hygiène et d’alimentation des chevaux, se répandirent en France. Il est à remarquer, toutefois, que la faveur dont témoignaient les princes pour les chevaux anglais créa, par esprit d’opposition, dans une partie importante du public, un courant marque d’hostilité contre le cheval de pur sang. Il semble d’ailleurs qu’à cette époque, on ait perdu de vue le but que se proposaient Colbert et ses successeurs en instituant les haras royaux : la production du cheval de guerre en France. La restauration et le gouvernement qui suivit achetèrent la plupart des chevaux de remonte en Allemagne. En même temps, la direction-générale des haras changeait constamment de fonctionnaires et de système ; la question chevaline n’étant pas vue de haut, l’unité de doctrine, la persévérance et l’esprit d’observation manquèrent à l’administration, et par suite aux particuliers. On peupla les haras d’étalons plus ou moins en rapport avec les vrais besoins du pays, mais toujours, autant que possible, suivant le goût du jour et les opinions en vogue. Faute de principes fixes, et les détails n’étant pas minutieusement soignés, les résultats n’ont jamais été en raison des espérances, ni des sacrifices, ni surtout, ce qui est encore plus déplorable, de la justesse de l’idée que l’on a suivie ou cru suivre. Aussi, un inspecteur-général des haras pouvait-il écrire[19] : « Le registre des déclarations du comité des haras, de 1806 à 1825, doit être le chaos de la science hippique. »
Cette situation s’est prolongée bien au-delà de cette dernière date ; on pourrait peut-être dire : jusqu’à nous. Non, certes, que de grands progrès n’aient été réalisés, car nombre d’hommes d’un haut mérite ont passé par l’administration des haras, en y laissant leur empreinte. Mais les améliorations n’ont jamais été en rapport avec les efforts, le savoir et l’argent dépensés. C’est donc à juste titre que le rapporteur de la loi du 29 mai 1874 disait à la tribune : « L’administration des haras, sous tous les régimes, dans tous les temps, a subi l’influence des changemens politiques et administratifs qui se sont produits dans le pays. Elle a changé presque chaque année de directeur ; en un mot, elle a subi presque toutes les influences extérieures, comme aussi toutes les influences politiques et administratives. » La nécessité d’une action commune de la part des haras et des remontes avait cependant frappé beaucoup de bons esprits, même en dehors de l’armée. Dès 1840, le comte d’Aure[20] écrivait : « L’action des moyens que possède le ministre de la guerre donnerait à l’industrie chevaline une impulsion d’une immense portée, si elle était dirigée avec persévérance vers ce but. Malheureusement, là comme ailleurs, on n’admet dans la pratique que le système stérile des tâtonnemens… Mieux vaudrait un plan médiocre, mais arrêté, confié à des hommes spéciaux capables… »
A la même époque, le général Oudinot demandait la réunion des haras à l’administration de la guerre.
Un inspecteur-général des haras, le comte de Bonneval, avait posé la question en termes précis avant 1830[21] :
« En intervenant dans les actes de la production chevaline, le gouvernement a rempli un double devoir : envers lui-même, car il a mission d’assurer l’indépendance du pays ; envers une industrie dont il doit favoriser le développement, sous peine d’affaiblissement de la nation…
« Toute production en grand se double d’une question de débouché ; toute demande sollicite une offre. Plus active est la demande, plus abondante devient l’offre. Le débouché naturel de la majeure partie des produits dont l’administration des haras procure le facteur indispensable à l’industrie particulière, c’est incontestablement la remonte des troupes à cheval, service permanent et régulier dont les besoins ne sauraient être ni négligés ni ajournés sans péril. Tout ici doit avoir une certitude absolue, les troupes montées ou attelées doivent être certaines de pouvoir renouveler leur effectif, et l’élevage doit être certain du placement annuel d’un nombre déterminé de ses produits.
« Quand les conditions sont aussi nettement établies entre intéressés, tout doit se régler au mieux des intérêts des parties en présence. Quoi de plus simple ? L’armée en temps de paix a besoin de tant de chevaux pour chaque arme ; elle en signifie la demande au producteur, elle en détermine la sorte ou le type, et précise mieux encore en disant où elle compte trouver plus particulièrement ce qu’elle désire ; ici le cheval de cavalerie légère, là le cheval de cavalerie de ligne, plus loin le cheval de grosse cavalerie, etc. Voilà l’offre avertie ; c’est à elle de se mettre maintenant en mesure de remplir la commande. A cela pourtant manque un détail : le prix d’achat ! Celui-ci, en aucun temps, n’a été en rapport avec le prix de revient du produit. Singulière anomalie, au moindre bruit de guerre, l’acheteur hausse ses prix et, prenant volontiers de toute main, baisse ses exigences au point de vue des qualités et des aptitudes jusqu’à l’insuffisance notoire. Opérant à rebours pendant la paix, il liarde, est difficile au-delà de toute raison et semble prendre à tâche de décourager l’éleveur. Les affaires ainsi menées n’arrivent point à bien. Le résultat ici est déplorable ; la remonte et l’élevage ne parvenant pas à s’entendre sur le terrain qui leur est commun, il est advenu qu’au lieu d’acheter chez lui, le ministre de la guerre remet à des marchands le soin de fournir à l’état les chevaux dont il a besoin. Or, ces marchands achètent à l’étranger, où ils portent l’argent de la France et un encouragement à l’industrie rivale, fermant ainsi à la production indigène délaissée le débouché le plus sûr qui puisse lui être ouvert. Il en résulte qu’au lieu de trouver là un auxiliaire utile et nécessaire, son meilleur et plus solide appui, l’administration des haras ne trouve qu’un malencontreux adversaire dont les agissemens opposent un obstacle invincible à l’œuvre première qu’elle est tenue de poursuivre et de réaliser au profit de la production régulière du bon cheval de troupe. Envisageant celui-ci comme une arme de guerre, je dis qu’il n’est ni sage ni économique d’en confier la fabrication à ceux-là mêmes qui demain peut-être seront nos ennemis. Soucieuse de remplir cette partie de la tâche qui lui incombe, l’administration des haras a souvent appelé sur ce point l’attention du gouvernement. Mais aucun changement sérieux ne s’est effectué, et la situation semble devoir rester encore longtemps ce qu’elle est. En ces deux points je la résume : grandes dépenses en partie consenties pour stimuler la production nationale du cheval d’armes que le ministre de la guerre n’achète pas ; achats permanens à l’étranger, avec l’argent des contribuables, de chevaux très inférieurs aux produits indigènes…
« Le reproche que l’administration de la guerre a souvent adressé à l’élevage de ne pas lui faire le cheval de ses rêves peut-il être mérité, est-il sérieux quand elle donne ses préférences au cheval étranger, lequel vit plus à l’infirmerie que dans ses rangs ? On ne s’ingénie pas à produire pour un consommateur absent, on ne se met pas en peine d’élever pour un acheteur capricieux dont les prix ne montent pas au taux des frais de production. La certitude de vendre à perte n’a jamais été un stimulant pour aucun producteur. »
Trois systèmes de remonte ont été pratiqués en France : 1° achats par voie de marchés passés avec des fournisseurs ; 2° achats directs par les régimens[22] ; 3° achats par les dépôts de remonte.
Le premier système, désastreux pour l’élevage national, met les corps à la merci de spéculateurs.
Le deuxième n’est pas moins onéreux, parce que les corps se font mutuellement concurrence et finissent toujours par traiter avec des marchands de chevaux, afin d’éviter l’incertitude de recherches longues et souvent infructueuses.
Le troisième, essayé en 1826, abandonné en 1831, repris en 1837, s’est conservé jusqu’à nous.
Remarquons tout d’abord que l’expression « dépôt de remonte, » employée en France et en Allemagne, désigne des institutions absolument différentes. De l’autre côté du Rhin, le dépôt de remonte est un établissement civil, puisque aucun militaire en activité n’en fait partie, où l’on fait de l’agriculture et de l’élevage : on y reçoit des chevaux de trois ans qui, s’ils tournent bien, sont livres aux corps à cinq ans.
En France, le dépôt de remonte est une simple caserne de passage, placée, en général, dans les pays d’élevage que parcourent des commissions d’officiers. Une troupe spéciale, répartie en compagnies de cavaliers de remonte, pourvues d’officiers et de cadres, suit les commissions d’achat dans leurs pérégrinations, ramène au dépôt les animaux achetés et les y soigne pendant quelques semaines. Au fur et à mesure que ces lots de chevaux, destinés aux différentes armes, peuvent être répartis en détachemens d’un nombre suffisant d’animaux de même espèce, les corps destinataires sont invités à les y faire prendre.
Depuis l’origine jusqu’à ces dernières années, la question des remontes avait été mal posée en France. L’armée n’acceptait que des chevaux faits, c’est-à-dire aptes à être mis en service. Elle n’en trouvait pas, parce qu’il n’y en avait pas. On conçoit qu’il importe à tout propriétaire ou fermier se livrant à l’élevage d’écouler ses produits le plus rapidement possible : c’est une obligation absolue de son industrie que de diminuer les frais de nourriture, en même temps que les chances de maladie et d’accident ; et ses espérances de gain s’augmentent d’autant plus que chaque animal vendu peut faire place à un nouveau poulain. Tout cheval qui est resté chez l’éleveur a dû gagner son avoine, c’est-à-dire travailler et perdre plus ou moins l’aptitude à la selle ; quant aux sujets conservés intacts et entourés de soins, ce sont des animaux de luxe d’un prix inabordable pour la remonte. C’est ce qu’avaient compris les hommes d’état prussiens au commencement du siècle, tandis que, jusqu’à ces derniers temps, en France, les haras et les remontes ont vécu en désaccord, victimes d’un malentendu dont ils se reprochaient mutuellement d’être la cause. C’était moins la hausse des prix qu’il fallait demander que l’abaissement de l’âge d’achat. On y est arrivé aujourd’hui, et il y a tout lieu de s’en féliciter. Une question reste à décider : ce qu’on fera des jeunes chevaux avant de les envoyer dans les régimens ; nous aurons à l’examiner.
En résumé, notre situation actuelle est bonne ; elle peut devenir excellente, si nous persévérons dans la voie suivie ; il n’y a plus à régler que des questions de détail. Mais il serait temps de profiter des expériences que nous avons faites à nos dépens et de l’exemple de nos voisins. Le climat et le sol de la France permettent d’élever des chevaux excellens, soit que l’on veuille se contenter de faire produire à chaque localité, nous ne disons pas la race, mais le spécimen qui peut y être amélioré avec le plus de facilité et le moins de frais ; soit qu’on essaie, comme en Angleterre, de produire à peu près partout le cheval que l’on veut. Quel qu’il soit, cela n’est pas impossible, car les caractères de ressemblance qu’imprime la localité sont d’autant plus fugitifs et plus variables que la culture plus avancée et le choix plus grand des producteurs permettent à l’homme d’en combattre davantage les influences. C’est aux haras de fournir à chacun de nos centres de production les élémens nécessaires à la création et au perfectionnement du type d’amélioration qui lui manque et sans lequel l’industrie étalonnière privée ne saurait ni se constituer utilement ni se défendre.
Aujourd’hui, personne ne le nie plus, le cheval de pur sang est la base de la régénération des races.
Il est impossible de méconnaître que le pur sang est le principal dépositaire de cette qualité sans laquelle un cheval ne peut pas répondre aux exigences du service de la cavalerie. La longueur des rayons et par suite la force des leviers, le rein court et bien attaché, le corps et les membres dégagés de toute chair inutile, la poitrine profonde, tout indique chez lui un animal de grands moyens.
Que n’a-t-on pas dit contre le cheval de pur sang ? Que de préjugés répandus à son sujet parmi ceux qui n’ont jamais abordé ce noble animal !
On lui reprochait d’être irritable et peu maniable ; cependant, dès 1837, le comte d’Aure écrivait : « Les qualités que donne le sang nous viennent en aide pour simplifier l’équitation, puisque la nature donne au cheval de race un liant, une souplesse, et surtout une énergie que les anciens écuyers ne trouvaient pas toujours dans leurs chevaux, mais dont ils reconnaissaient tellement les avantages qu’ils s’efforçaient de les provoquer dans le travail auquel ils les soumettaient. » Et le célèbre écuyer ne connaissait qu’une cause de restrictions dans l’emploi généralisé du pur sang : l’état de la viabilité en France ; il nous manquait, disait-il, les bonnes routes de l’Angleterre pour diminuer le tirage. Nous avons fait « du chemin » depuis cette époque ! Quant aux hommes de cheval, s’il en existe, qui douteraient encore de la souplesse du cheval de pur sang, nous les engageons à assister à la reprise des écuyers du manège de Saumur ; ils y verront manier en haute école des animaux inscrits au stud book et qui la veille ont gagné un steeple-chase.
Ces animaux, diront certains de leurs détracteurs, ne sont pas rustiques, ont besoin de soins minutieux, etc. Mais tous les officiers qui font chaque année des grandes manœuvres sur des chevaux de pur sang peuvent répondre ; il en est qui ont supporté sans dommage les fatigues de colonnes très dures et des jeûnes prolongés, en Algérie et en Tunisie. William Day, le seul entraîneur qui ait jamais écrit, cite l’exemple de chevaux qui gagnèrent le Derby et le Saint-Léger « avec un poil long et grossier comme celui d’un blaireau » pour avoir été élevés au grand air.
Selon d’autres, le cheval de pur sang est incapable de « porter du poids ; » à cette affirmation, bien souvent répétée, le baron d’Étreillis répondait : « Il est aussi faux de prétendre qu’un cheval de course ne peut porter le poids le plus lourd qu’un cheval quelconque puisse supporter en marchant à une allure ordinaire, parce qu’il parcourt une distance relativement courte sous un poids léger, que de chercher à établir qu’il lui est impossible de faire une longue route doucement, parce qu’il accomplit rapidement un trajet très court. »
D’ailleurs, nous plaidons ici une cause déjà gagnée, et la discussion de la loi du 29 mai 1874 sur les haras, à la tribune de l’assemblée nationale, a prouvé que l’opinion était faite. Tous les orateurs ont été unanimes à proclamer la nécessité de généraliser l’emploi de l’étalon de pur sang à dessein de favoriser la production du cheval d’armes, d’obtenir une bonne remonte de notre cavalerie dans un délai rapproché, et de préparer dans le pays l’importante réserve de chevaux dont l’armée peut avoir besoin en cas de mobilisation. Il reste à souhaiter que la direction des haras ne perde jamais de vue le but qui est sa raison d’être. Qu’elle n’ait pas trop à cœur de faire naître des chevaux de course, car l’initiative privée y peut suffire aujourd’hui largement. Il est non moins essentiel que les membres de cette administration ne soient point menacés dans leur situation, comme il appert de certains projets agités devant le parlement.
En Allemagne, nous l’avons déjà dit, l’administration des haras, bien que constituant un service civil, tire de l’armée ses fonctionnaires à tous les degrés de la hiérarchie. N’y aurait-il pas lieu d’adopter cette règle ? Déjà, en 1840, le comte d’Aure demandait instamment que les officiers des haras fussent exclusivement recrutés parmi les élèves de Saumur. Il y a lieu de remarquer combien ce vœu serait d’un accomplissement plus facile à notre époque. D’une part, l’adoption du service obligatoire fait entrer dans l’armée quantité de jeunes gens qui autrefois n’eussent point songé à prendre la carrière des armes. D’autre part, aucun enseignement équestre sérieux et complet n’existe, en France, ailleurs qu’à l’école de cavalerie, où il embrasse toutes les branches de l’équitation. Depuis que les chevaux de pur sang ont été introduits à Saumur par le général Thornton et le commandant de Lignières, jadis écuyer en chef, aujourd’hui général, les succès de nos officiers sur les plus grands hippodromes ont révélé au public les immenses progrès réalisés depuis 1870 en fait d’équitation militaire. Le talent d’écuyer et l’usage du cheval, dans toutes les variétés de son emploi, sont des conditions indispensables à ceux qui seront chargés de diriger la production chevaline en vue des besoins de l’armée, — ne l’oublions pas, — aux termes de la loi du 29 mai 187â, dans sa lettre et dans son esprit.
Quant à la stabilité essentielle au bon fonctionnement de tout service public, nous souhaitons que notre administration s’inspire des exemples de l’Allemagne signalés par le baron de Cormette, directeur des haras[23] : « Il ne suffit pas, dit-il, d’avoir des connaissances théoriques et pratiques sur le cheval, il importe aussi de connaître les hommes, de mériter et d’acquérir la confiance des éleveurs, et, par l’aménité du caractère, d’entretenir de bonnes relations avec tous, ainsi qu’avec les administrations et sociétés qui s’occupent de production et d’élevage. Il faut prouver qu’on connaît bien, dans leurs moindres détails, l’origine des races de sa sphère d’action, et se tenir au courant de toutes les questions relatives à la production chevaline, à l’emploi et aux débouchés des produits ; aussi est-il très important que les fonctionnaires changent très rarement de résidence. En Allemagne, la nécessité de maintenir le plus longtemps possible à la tête du même établissement les directeurs des haras est admise en principe par tout le monde, et l’on s’y conforme. J’ai vu des chefs de haras provinciaux qui ont depuis vingt ans la même direction et s’en trouvent très honorés. Une circonscription offrant peu de ressources et fort en retard pour la production et l’élevage peut donner de bons résultats dans une période relativement courte, si elle a à sa tête un homme intelligent et qui comprenne ses devoirs. Le meilleur effectif d’étalons ne produira pas tous les résultats voulus s’il est aux mains d’un chef qui ne se dévoue pas tout entier à sa mission, tandis que des étalons d’un ordre secondaire, destinés à une région encore arriérée, y marqueront leur passage et amèneront un progrès réel si celui qui les utilise sait en faire un bon emploi, basé sur la connaissance des besoins et des intérêts à satisfaire. »
A côté de l’administration des haras et conjointement avec elle, le service de la remonte, s’il est en de bonnes mains, peut et doit prendre sur l’élevage une importante influence. Mais, là encore, la stabilité non-seulement des institutions, mais encore des personnes, est une condition primordiale. La fixité des achats peut seule assurer la régularité de la production ; il est indispensable que l’élevage puisse compter sur un chiffre absolu de commande annuelle. Et ce n’est pas seulement au point de vue de la quantité[24] que la remonte ne doit pas varier, le type qu’elle réclame devrait toujours rester fixe, bien que tendant à l’amélioration.
Nous possédons des ressources sérieuses : en Normandie, un centre de production merveilleux ; dans le Midi, un cheval de cavalerie légère incomparable, le cheval de Tarbes. Que les haras fassent perdre aux éleveurs, notamment de l’Est et du Centre, leur goût du cheval étoffé ; que nombre d’officiers de remonte cessent d’admirer outre mesure le type du cheval u bien roulé, ayant du cerceau et du geste ; » et nous pourrons, avant qu’il soit longtemps, compter sur de bons résultats.
L’examen de la question des remontes, au point de vue des procédés actuellement en usage en France, nous permet de constater qu’un progrès considérable a été réalisé par le fait de l’abaissement à trois ans et demi de l’âge minimum des animaux à acheter. Il n’y a qu’à étendre et à généraliser la mesure, car les chevaux de trois ans et demi n’entrent jusqu’ici, dans les achats annuels, que dans la proportion du quart. A cette condition, la remonte reste maîtresse du marché, car le commerce ne peut utiliser les chevaux sitôt, et le seul moyen efficace pour stimuler la production consiste à débarrasser l’éleveur du jeune cheval, qui, pour lui, représente un capital improductif. Peut-on croire qu’en prolongeant d’un an ou de dix-huit mois le séjour des animaux chez le propriétaire, ils seraient plus prêts à entrer en service, ou en dressage, au sortir de la ferme ? « Il faudrait pour cela, nous dit très justement un officier de remonte[25], qu’ils fussent nourris au grain et au sec dès l’âge de trois ans, ou au moins de trois ans et demi. Les éleveurs y consentiront-ils ? Ils le promettront si l’on veut, mais ils n’en feront rien, et ils auront raison, l’élevage au sec et au grain les constituerait en perte. Ils feront bien ce sacrifice pour quelques chevaux d’élite qui compenseront plus tard, par leur prix de vente au commerce, les frais qu’ils auront faits pour leur élevage ; mais ce sera l’exception. Ils ne le feront jamais pour le cheval de remonte. Ils continueront l’élevage à l’herbe du cheval d’armes, sauf pendant quelques mois d’hiver, mois pendant lesquels ils les nourriront aux farineux ; ils les mettront gras, luisans pour la vente. Cet animal aura toutes les apparences de la santé ; mais ses fibres et ses viscères n’en seront pas moins relâchés par cette nourriture aqueuse et peu substantielle. Le développement du cheval est lent sous l’influence d’un pareil régime, sa trempe et ses forces sont retardées. Il aura bien, peut-être, toutes les apparences extérieures de la santé et de la vigueur, mais il lui faudra quand même de douze à quinze mois d’une nourriture sèche et à l’avoine pour le mettre en état de supporter les fatigues du dressage, pour changer sa lymphe, son sang aqueux, en un sang riche et généreux, pour tremper enfin tout son organisme et le rendre aussi résistant que possible. »
Ces faits sont indéniables ; ils sont connus et constatés, et tous les hommes de cheval sont d’accord ; personne d’ailleurs dans l’armée ne songe à réclamer l’achat de chevaux faits qui, nous l’avons démontré, n’existent pas et ne peuvent pas exister. Il reste à trouver maintenant le moyen d’entretenir pendant un an ou dix-huit mois ces chevaux de trois ans et demi, car il n’est pas possible d’embarrasser les corps de telles non-valeurs.
La question se pose en France, aujourd’hui, dans les termes mêmes où elle se posait en Prusse en 1820. Il est intéressant de constater que toutes les solutions expérimentées jadis par nos voisins : création de dépôts d’élevage ou de transition ; mise en dépôt des jeunes chevaux chez des propriétaires ; envoi dans les corps et constitution de petits dépôts régimentaires, ont été simultanément proposées et pour la plupart mises à l’essai. Nous ne reviendrons pas sur les argumens pour ou contre déjà exposés à propos de la Prusse, et nous croyons volontiers que les expériences tentées par cette nation pourraient suffire à fixer nos idées.
D’une part, le service de la remonte a organisé, en 1883, dans les anciennes fermes impériales du camp de Châlons, un vaste dépôt d’élevage peuplé de 1,500 à 1,800 jeunes chevaux ; d’autre part, des marchés passés avec des particuliers ont permis l’installation d’un certain nombre de petits dépôts d’élevage[26].
Les fermes hippiques de Suippes, au camp de Châlons, donnent de bons résultats, au point de vue de la préparation du jeune cheval au service du régiment ; mais l’entretien journalier du cheval, dont le régime est calqué sur celui des dépôts de remonte allemands, revient à un prix double ; de plus, le personnel, entièrement militaire, comprend 9 officiers, 8 vétérinaires et 274 hommes de troupe détachés des régimens et par conséquent distraits du service actif.
Les établissemens particuliers sont plus économiques ; un propriétaire s’engage à nourrir les chevaux pour un prix fixé par tête de cheval (1 fr. 60 en général). Il bénéficie des fumiers, et l’état n’a plus à fournir de soldats-palefreniers, ni à s’occuper de l’entretien des bâtimens ; mais il n’a que peu de garanties quant au régime des chevaux, et les résultats obtenus sont discutables.
Enfin, la proposition de former dans certaines garnisons des dépôts de jeunes chevaux dont les corps intéressés auraient la gestion est mise à l’étude.
Si l’on tient pour acquis les avantages que retire la Prusse de ses dépôts d’élevage, — et la preuve de leur importance est facile à faire, — la solution tout indiquée serait l’adoption pure et simple de cette institution. Malheureusement pour nous, deux entraves y mettent obstacle.
D’abord les dispositions de nos règlemens financiers interdisent aux ministres de faire directement recette des produits de leur administration. Comme le fonctionnement des dépôts de remonte allemands a pour base l’exploitation agricole de leur domaine, nos règlemens sur la comptabilité publique, — faits pour sauvegarder la dignité des agens de l’état bien plus que les intérêts budgétaires, — s’y opposent. En second lieu, nous possédons pour le service de la remonte une organisation qui comporte un personnel militaire considérable et de nombreux établissemens répartis sur tout notre territoire. Or, s’il est relativement facile de créer de toutes pièces une institution nouvelle, il l’est moins de supprimer ou de transformer un service important, ce qui ne peut avoir lieu qu’en lésant des intérêts multiples.
Il existe aujourd’hui, à l’intérieur[27] de notre territoire, dix-neuf dépôts de remonte (pourvus d’une commission d’achat), répartis entre quatre circonscriptions. Quant au personnel qui concourt au service, il comprend : 2 généraux, 20 officiers supérieurs, 50 officiers subalternes et 20 vétérinaires, les uns hors cadre, les autres détachés de leurs régimens à titre permanent, et, de plus, 46 officiers des cinq compagnies de cavaliers de remonte de l’intérieur, dont l’effectif est de 2,318 hommes. En y joignant le nombre des officiers et cavaliers détachés aux fermes hippiques du camp de Châlons, nous trouvons qu’une troupe égale à la valeur de quatre régimens de cavalerie est affectée, en France, au service de la remonte. Faut-il rappeler qu’en Allemagne le même service est pleinement assuré par un général et sept officiers, sans un seul homme de troupe ?
Nous ne saurions nous en étonner, car la surabondance du personnel dans toutes les branches de l’administration française a de tout temps[28] fait l’étonnement des économistes. Aussi les frais d’achat d’un cheval sont-ils six fois plus élevés en France qu’en Allemagne.
Si nous ne pouvons adopter intégralement l’organisation prussienne, il serait tout au moins rationnel de modifier l’état de choses existant et d’appliquer quelques mesures transitoires. Tout d’abord, il y aurait lieu d’aménager les dépôts de remonte existant aujourd’hui, de telle sorte qu’ils pussent conserver les jeunes chevaux pendant un an ou dix-huit mois. Certains dépôts, placés au centre des villes (Angers, Guéret, etc.) ne s’y prêtent pas, nous le savons ; il serait sans doute possible de changer leur destination, et au besoin de les vendre ou de les échanger. La recherche d’emplacemens favorables à l’établissement des jeunes chevaux ne saurait présenter de difficultés. En Italie, par exemple, le dépôt de remonte de Palmanova a pour siège les bâtimens militaires de cette ancienne place forte aujourd’hui déclassée. Les glacis et les fossés ont été transformés en prairies.
D’autre part, la diminution du nombre des comités d’achat semble s’imposer, et, pour chacun d’eux, la réduction du nombre des tournées qui parfois, dans certaines régions, majorent de 500 francs de frais le prix de chaque cheval acquis. Actuellement, ces tournées ont lieu toute l’année, bien qu’elles soient pendant quatre à cinq mois à peu près infructueuses, car les cinq sixièmes des chevaux sont achetés dans le même semestre (octobre à mai).
Enfin, la circonscription de remonte, rouage intermédiaire entre la direction des remontes et le dépôt, pourrait sans inconvénient disparaître.
Des critiques non moins fondées pourraient être formulées à l’égard de la répartition des chevaux entre les différentes armes. En prenant l’armée allemande comme terme de comparaison, un simple rapprochement de chiffres démontrera trop aisément la redoutable infériorité numérique de notre cavalerie.
L’armée française entretient un effectif total de 131,139 chevaux, tandis que l’armée allemande en compte 108,679 seulement. C’est donc une supériorité de 22,460 chevaux à notre avantage. Mais la décomposition de cet effectif est particulièrement instructive, car la cavalerie exceptée, tous les autres corps et services sont plus libéralement dotés en France qu’en Allemagne. Le tableau suivant, où nous ne mentionnons que les principaux, en donne la preuve :
Allemagne | Prusse | Excédant pour nous | |
---|---|---|---|
Infanterie | 4.933 | 6.895 | 1.962 |
Artillerie | 20.044 | 31.879 | 11.835 |
Train | 3.422 | 10.112 | 6.690 |
Génie | 384 | 1.139 | 755 |
Ecoles | 152 | 2.009 | 1.857 |
Gendarmerie | 3.000 | 12.212 | 9.212 |
Totaux | 31.935 | 64.246 | 32.311 |
Nous avons donc, pour toutes les armes autres que la cavalerie, un total de 32,311 chevaux de plus que l’armée allemande.
En revanche, notre cavalerie ne compte que 63,625 chevaux pour 71,500 en Allemagne, ce qui nous assure, a priori, une infériorité de 7,875 chevaux. Mais cette infériorité prend de bien autres proportions quand on serre ces chiffres de près. Dans l’effectif allemand ne sont pas compris les 9,000 jeunes chevaux qui peuplent les dépôts de remonte. Les nôtres, au contraire, sont comptés dans notre total. Si nous défalquons encore les régimens de cavalerie d’outre-mer, ou du moins ceux qui, en cas de mobilisation, doivent défendre notre empire colonial, nous arrivons à cette conclusion qu’il nous faudrait aborder la cavalerie allemande avec une infériorité de 15,000 chevaux, correspondant à la force de plus de 100 escadrons, soit 25 régimens ou II divisions de cavalerie, alors que le budget français entretient 22,460 chevaux de plus que le budget allemand !
Il importe donc que le parlement porte sans tarder son attention sur la question de l’accroissement des forces de la cavalerie ; le souci constant, la recherche exagérée des prévisions de détail, de la satisfaction des services accessoires, a dans notre armée fait perdre de vue souvent les points essentiels. Peut-être aussi la permanence des efforts considérables qu’on ne cesse de diriger vers la constitution des défenses inertes a-t-elle porté préjudice à la préparation des forces agissantes. En nous efforçant de démontrer que la répartition et l’entretien de l’un de nos armemens les plus précieux ne sont réglés ni par la considération de la bonne gestion des finances, ni par celle de la constitution des forces nationales, puissions-nous attirer l’attention des pouvoirs publics sur une question dont on ne peut méconnaître l’importance !
- ↑ L’effectif de l’armée allemande, sur le pied de paix, était de 378,000 hommes en 1870 ; la loi du 11 mars 1887 l’a fixé à 168,409 hommes de troupe, non compris les volontaires d’un an, à partir du 1er avril 1887 jusqu’au 31 mars 1894 ; de plus, la loi du 11 février 1888 a augmenté le nombre des classes disponibles pour la mobilisation, en reculant jusqu’à quarante-cinq ans la durée légale du service.
- ↑ Le dernier recensement (10 janvier 1883) accuse, pour l’empire allemand, un total de 3,522,316 chevaux ; les statistiques du ministère de l’agriculture évaluent à 2,837,932 In nombre des chevaux employée, en France, aux travaux agricoles seulement.
- ↑ M. de Burgsdorff a gardé pendant vingt-huit ans le commandement du haras de Trakehuen (1814 à 1842).
- ↑ Dans ses Idées pratiques sur la cavalerie, le général de Rosenberg, qui actuellement commande la 1re division de cavalerie prussienne, s’exprime ainsi : « Quand nos chevaux auront encore plus de sang, ce que nous désirons ardemment, il faudra modifier notre Cours d’équitation… » (P. 51 de l’édition française.) Et plus loin : « D’année en année, nos chevaux de troupe ont plus de sang : ils demandent d’autant plus de soins, mais ils rendront aussi de bien meilleurs services. (P. 77.)
- ↑ Dont l’un, Oberseenerhof, supprimé le 12 mars 1887, ce qui porte à quatorze le nombre de dépôts prussiens.
- ↑ Dans leurs conventions militaires avec la Prusse, les grands-duchés de Mecklenbourg-Schwerin et Strelitz s’étaient réservé, dans l’intérêt de l’élevage local, le droit de remonter leurs contingens particuliers en chevaux faits, qu’ils achetaient directement ; ils y ont renoncé en 1886 et reçoivent aujourd’hui des dépôts de remonte prussiens les 161 chevaux qui leur sont annuellement nécessaires.
- ↑ L’administration des haras, en Prusse, est placée, depuis 1848, dans les attributions du ministère de l’agriculture : à sa tête se trouve un haut fonction nuire qui porte le titre d’écuyer en chef (Oberlandstalmeister) ; le personnel des haras est civil, mais presque tous les employés supérieurs ont appartenu à l’armée, et la commission pour le développement de l’élevage, analogue au conseil supérieur des haras de France, comprend des membres militaires : le général inspecteur des remontes, un colonel, un major et un capitaine de cavalerie. Il suffit d’ailleurs de connaître les traditions du gouvernement prussien pour savoir que toutes les administrations travaillent en faveur des intérêts militaires.
- ↑ Müller et Schwarznecker : Die Pferdezucht nach ihrem rationellen Standpunct, 1884.
- ↑ « Les gourmes, dit le comte d’Aure, sont d’autant plus fortes et dangereuses que le cheval est tourmenté ; les transpirations trop abondantes, provoquées alors, peuvent amener la morve ou des fluxions de poitrine, qui reculent a tout jamais, ou pour longtemps, une éducation que l’on aurait voulu trop avancer. L’école de Versailles, parfaitement convaincue de ce que je viens de dire, savait attendre ; lorsque, pour doter le pays d’un encouragement salutaire, elle achetait à trois ans les chevaux bruts chez l’éleveur, elle ne les mettait en service qu’à cinq ans. Le résultat était d’avoir pour les écuries royales des chevaux dont la durée était incalculable. Le renouvellement du service de la selle se faisait par quatorzième. Nous avions encore, en 1830, des chevaux achetés sous l’empire. (Traité d’équitation, p. 157.)
- ↑ On n’achète de chevaux de cinq ans que pour l’artillerie-trait et dans de faibles proportions ; ils sont dirigés immédiatement sur les corps destinataires.
- ↑ Ou à l’indemnité correspondante.
- ↑ En France, ces fonctionnaires ont droit à 718 chevaux.
- ↑ L’écurie royale entretenait en permanence des écuyers-courtiers dans les pays d’élevage. Tout cheval qui, après acceptation, passait au rang de cheval de tête, son dressage accompli, était classé bride d’argent et valait à l’éleveur une prime de 500 livres ; s’il avait l’honneur de passer au rang des chevaux du roi, il était dit bride d’or, et l’éleveur recevait 1,000 livres.
- ↑ Traité de la conformation extérieure du cheval, p. 433.
- ↑ De la régénération des haras, p. 29.
- ↑ Comte Gabriel de Honneval, les Haras français.
- ↑ Marquis de Saincthorent, les Chevaux du Limousin.
- ↑ De Charnacé, les Races chevalines de la France.
- ↑ Comte de Montendre, Institutions hippiques, t. II, p. 6.
- ↑ De l’industrie chevaline en France, p. 144. Le décret impérial du 4 juillet 1806 ordonne que les fonctionnaires des haras seront choisis « parmi les militaires retirés qui, ayant servi dans les troupes à cheval, se trouveront avoir les connaissances requises. »
- ↑ Les Haras français, p. 273.
- ↑ Pour permettre le fonctionnement de ce système, les conseils d’administration avaient une masse de remonte à raison, par cheval et par an, de 71 fr. 43 pour la grosse cavalerie, de 65 fr. 72 pour les dragons ut l’artillerie à cheval, et de 51 fr. 43 pour la cavalerie légère et les trains. Cette masse s’augmentait du produit de la vente des chevaux réformés. Les prix moyens des chevaux de remonte ont été :
1825 1835 1845 1855-1865 1875 1885 Cuirassiers 500 650 750 800 1.000 1.300 Dragons 460 520 600 650 900 1.050 Cavalerie légère 360 430 500 550 800 930 - ↑ Rapport sur une mission hippique en Allemagne en 1883, p. 40.
- ↑ Pour donner une idée des variations imprévues qui, de tout temps, ont jeté la perturbation dans l’esprit des éleveurs, il est bon de citer quelques chiffres : de 8,000 chevaux en 1831, les achats descendaient à 5,000 en 1832 et à 79 en 1834. Plus récemment, nous les avons vus passer de 9,000 on 1873 à 15,000 en 1875, de 14,000 en 1880 à 24,000 en 1881, pour redescendre à 13,000 en 1884.
- ↑ La Question des remontes. Caen, 1885.
- ↑ Le Gibaud (Charente-Inférieure), Orgeville (Eure), Bellac et Saint-Junien (Haute-Vienne), Beauval (Loir-et-Cher).
- ↑ Nous négligeons dans cette étude la question de la remonte des troupes d’Afrique, qui s’opère dans des conditions spéciales. L’Algérie possède une excellente race de chevaux qui y rend les meilleurs services, mais ne remplit pas toutes les conditions requises pour la guerre en Europe. On peut appliquer au cheval arabe le jugement que portait Warnery, au XVIIIe siècle, sur les races du Midi : « Chevaux très bons pour un jour de bataille ; mais, étant tous entiers et fougueux, ils n’auraient jamais pu soutenir les grandes marches et corvées qui se sont faites dans les dernières guerres d’Allemagne. » Comme nous n’avons plus aujourd’hui de régimens de France montés en chevaux arabes, il importe, pour favoriser l’élevage algérien, de lui fournir un débouché en généralisant la mesure qui consacre des chevaux arabes castrés à la remonte des officiers d’infanterie. Le principe a été posé par Napoléon : Tous les officiers d’infanterie, les administrateurs, les officiers, sous-officiers et trompettes du train seront montés sur des chevaux taille d’éclaireurs, ce qui conservera les chevaux de taille pour la cavalerie et le » officiers d’état-major. »
- ↑ Le comte d’Aure écrirait en 1840 : « En Prusse, le personnel d’un haras est dans la proportion d’un à quatre, avec un établissement du même genre en France. Cela tient autant aux formes moins compliquées de l’administration qu’à l’extrême réserve que met le gouvernement prussien à confier des grades dans l’administration comme dans l’armée. » (L’Industrie chevaline, p. 372.)