Nos enfants/Marie

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Hachette (p. 14-15).

MARIE


Les petites filles ont un désir naturel de cueillir des fleurs et des étoiles. Mais les étoiles ne se laissent point cueillir et elles enseignent aux petites filles qu’il y a en ce monde des désirs qui ne sont jamais contentés. Mademoiselle Marie s’en est allée dans le parc ; elle a rencontré une corbeille d’hortensias et elle a connu que les fleurs d’hortensia étaient belles ; c’est pourquoi elle en a cueilli une. C’était très difficile : elle a tiré la plante à deux mains et elle a couru grand risque de tomber sur son derrière quand la tige s’est rompue. Elle est contente et fière de ce qu’elle a fait. Mais la nourrice l’a vue. Elle gronde, elle s’élance, elle saisit Mademoiselle Marie par le bras, elle la met en pénitence, non dans le cabinet noir, mais sous un grand marronnier, à l’ombre d’un vaste parasol japonais.

Là, Mademoiselle Marie, surprise, étonnée, est assise et songe. Sa fleur à la main, elle a l’air, sous l’ombrelle qui rayonne autour d’elle, d’une petite idole étrange.

LA JEUNE PÉNITENTE, IMMOBILE SOUS SON DAIS ÉCLATANT, REGARDE AUTOUR D’ELLE ET VOIT LE CIEL ET LA TERRE. C’EST GRAND LE CIEL ET LA TERRE ET CELA PEUT AMUSER QUELQUE TEMPS UNE PETITE FILLE. MAIS SA FLEUR D’HORTENSIA L’OCCUPE PLUS QUE TOUT LE RESTE.

La nourrice a dit : « Marie, je vous défends de porter cette fleur à votre bouche. Si vous désobéissez, votre petit chien Toto vous mangera les oreilles. » Ayant ainsi parlé, elle s’éloigne.

La jeune pénitente, immobile sous son dais éclatant, regarde autour d’elle et voit le ciel et la terre. C’est grand le ciel et la terre, et cela peut amuser quelque temps une petite fille. Mais sa fleur d’hortensia l’occupe plus que tout le reste. Elle songe : « Une fleur, cela doit sentir bon ! » Et elle approche de son nez cette belle boule d’un rose trempé de bleu ; elle essaye de sentir, mais elle ne sent rien. Elle n’est pas bien habile à respirer les parfums : il y a peu de temps encore, elle soufflait sur les roses au lieu de les respirer. Il ne faut pas se moquer d’elle pour cela : on ne peut tout apprendre à la fois. D’ailleurs aurait-elle, comme sa maman, l’odorat subtil, qu’elle ne sentirait rien. La fleur d’hortensia n’a pas d’odeur : c’est pourquoi elle lasse, malgré sa beauté. Mais Mademoiselle Marie se prend à songer : « Cette fleur, elle est peut-être en sucre. » Alors elle ouvre la bouche toute grande et va porter la fleur à ses lèvres.

Un cri retentit : Ouap !

C’est le petit chien Toto qui, s’élançant par-dessus une bordure de géraniums, vient se poser, les oreilles toutes droites, devant Mademoiselle Marie, et darde sur elle le regard de ses yeux vifs et ronds.