Nostradamus (Bonnellier)/Tome 1/Il l’auroit pendu !…

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Abel Ledoux (1p. 125-147).


VIII.

IL L’AUROIT PENDU !…


Abraham Ochosias, le plus riche des Israélites habitant dans les provinces du Languedoc et de la Provence, étoit, en effet, mort de la peste dans la matinée du jour où Élie Déé avoit fait son entrée dans Montpellier. Mais, conformément à l’usage des juifs de cacher leur opulence, usage d’ailleurs inspiré et justifié par les brutales persécutions dont ils étoient les victimes en tous pays, Ochosias n’avoit, en aucune circonstance, manifesté sa richesse. Une pauvre habitation, voisine de l’église Saint-Pierre, avoit été son gîte pendant cinquante-deux ans ; la même robe noire, peut-être, avoit été, pendant le même temps, la pièce unique de sa garde-robe. Ochosias avoit eu le maniement de toutes les créances faites à trente lieues à la ronde ; il avoit satisfait à toutes les taxes extraordinaires imposées par les édits et les injonctions secrètes des délégués du bailliage et de la prévôté, qui vouloient être indemnisés de leur tolérance illégale à son égard ; mais, avant de s’exécuter, il s’étoit laissé obséder par tant de promesses, tant de menaces, tant d’instances ! il avoit versé tant de larmes, il s’étoit roulé aux pieds des demandeurs avec l’expression d’un désespoir si déchirant, que chaque sac d’argent arraché de ses mains sembloit être le dernier qu’il possédât, et qu’il avoit l’art d’en inspirer la croyance à ceux même dont il gorgeoit la cupidité.

Les coréligionnaires d’Ochosias n’étoient cependant pas ignorans de sa situation réelle ; la plupart ruinés par lui, comme l’avoient été les juifs d’un autre temps par Nicolas Flamel de Pontoise, savoient parfaitement, en dépit de ses dénégations assermentées, que sous ses haillons battait un cœur ému par les joies du lucre et de la richesse, que sous le toit délabré de sa demeure il devoit se trouver, en un coin, en un trou, plus d’or que n’en auroit demandé François Ier, lorsqu’en 1521 il fit enlever et fondre, impie et dépensier, la grille d’argent pesant sept mille marcs, dont Louis XI avoit entouré le tombeau de Saint-Martin de Tours ; mais, faiblement assistés, de temps à autres, par cet adroit usurier, les juifs se taisoient.

L’un d’eux, Élie Déé, certainement le plus riche après Ochosias, et fidèle imitateur de son jeu d’indigence, étoit lié par des habitudes d’affaires et de parenté avec le Flamel de la Provence ; rusé comme lui, il ne s’en étoit pas laissé dépouiller, et Ochosias, pour ne pas perdre l’occasion d’arriver à ce but, avoit maintenu avec son confrère des relations de bonne amitié, telles que, dans la certitude où il étoit de vivre plus long-temps que Déé, il lui avoit fait agréer l’étrange proposition d’un échange de testament.

La peste s’étoit plu à donner un démenti aux prévisions d’Ochosias, et il en avoit fini avec l’escompte et la vie, lorsqu’Élie, attiré par l’espoir d’un héritage, recueillit d’un pauvre journalier la bonne nouvelle que son testateur étoit mort.

— D’où le sais-tu ? avoit demandé le juif venant d’Arles.

— Le pauvre Ochosias avoit grand froid hier soir, lorsque j’ai été, sur les huit heures, rallumer et remplir de braise son petit fourneau bien mal garni. Tous deux nous avons soufflé sur les charbons à grand bruit de poumons, et mon vieux voisin râloit d’une inquiétante manière ; il y a eu un instant, où, la braise produisant une flamme, j’ai vu la figure d’Ochosias toute tachée de jaune ; j’ai prétexté une prière à faire dans l’église Saint-Pierre, et je suis sorti bien vite, en me bouchant le nez.

— Mais, ce matin, ne l’as-tu pas vu ?

— Oh ! ce matin, sa fenêtre ronde et grillée est fermée… c’est qu’il dort du sommeil des juifs quand ils sont morts, car, depuis trente-cinq ans, cette fenêtre s’ouvre avec le jour.

— Tu es donc le voisin d’Ochosias ?

— La petite cour de la maisonnette que j’habite nous est commune, sa porte et la mienne lui servent d’issue.

— Es-tu pauvre ?

— Autant que vous paroissez l’être, autant que l’est mon voisin, autant que l’étoit Job, lorsqu’il étoit sur son fumier.

— Veux-tu être riche ?

— Demandez-moi si la plante desséchée veut de l’eau, si le loup affamé veut un agneau.

— Tu seras riche !

— À nous autres terrassiers, on nous dit cela chaque veille de Pâques au confessionnal, et, de toutes les fosses, de tous les trous que j’ai faits en ma vie, je n’ai encore retiré qu’une médaille en plomb, dont un savant bénédictin m’a donné un liard, et une plume d’oie que je lui ai aussi portée, mais dont il ne m’a rien donné, bien qu’il l’ait gardée pour en marquer la page de son missel.

— Tu seras riche, te dis-je, si tu veux l’être !… Moi aussi je suis bien pauvre, mais donne-moi asile en ta maison dans une heure à peu près, et tous deux nous achèterons deux chandeliers d’or.

— Mais il faut que j’aille gagner le pain de ma journée.

— Fais silence sur Ochosias, sur toi et sur moi. Voici un petit sou d’à-compte sur tout l’or que je te donnerai, comme unique légataire d’Ochosias, rentre en ta maison ; dans une heure je reviens.

Fidèle à sa parole, Élie Déé, pourvu par les soins de Michel de Nostredame d’une boîte contenant une poudre anti-pestilentielle, d’une fiole pleine d’un élixir doué de la même vertu, et de la recette pour faire un intelligent usage de ces deux préservatifs, revint trouver le journalier, sa nouvelle connoissance.

La lutte des offres et des refus, des raisonnemens et des observations fut longue entre le juif et le craintif artisan : de sa part, c’étoient d’abord la peur de la peste, puis la peur d’une mauvaise action, puis la peur de la justice, puis la peur de la corde, et toutes ces peurs résumées ou fortifiées par celle de ne rien trouver sous le toit d’Ochosias : mais l’habile Élie Déé trouvoit aussitôt un calmant pour toutes ces craintes ; le dernier de tous fut le partage du contenu dans la boîte et la fiole. Si bien que le terrassier se passa un chapelet à gros grains autour du cou, s’aspergea de l’élixir, se saupoudra de préservatif, prit sa pioche, sa pelle, alluma la bougie jaune d’une petite lanterne, et, suivi du légataire universel de son voisin, traversa la petite cour, ouvrit, en faisant le signe de la croix la porte de la maison du pestiféré.

— Abraham Ochosias ! cria-t-il par trois fois d’une voix forte.

Point de réponse.

— J’aurois pu me procurer une écuelle d’eau bénite, dit le terrassier, comme se ravisant, le sacristain de Saint-Pierre est mon ami, si j’allois la lui demander, il nous prêteroit son goupillon.

Élie Déé haussa les épaules, et se mit à appeler lui-même et par trois fois son parent et ami Abraham Ochosias ; ne recevant point de réponse : — Il est mort, dit-il, et il franchit le seuil.

Au premier étage, dans une petite pièce dont le mobilier étoit composé d’un lit, d’une petite table, d’un vieux fauteuil dépouillé de sa garniture, d’un vieux coffre sans serrure, Abraham étoit assis devant la table, la tête renversée sur le dossier du fauteuil, la main appuyée sur du papier, et, dans ses doigts déjà roides, tenant encore une plume ; une petite lampe en fer-blanc, souillée de vieille huile encrassée et de rouille, brûloit, pâle et foible ; il l’avoit allumée pour éclairer sa veillée, la mort s’en servoit pour éclairer son œuvre.

Les deux visiteurs s’arrêtèrent à deux pas, retenant leur haleine, et portant à leur nez les vapeurs de la fiole pour échapper aux vapeurs de la peste.

— Dort-il ? demanda bien bas le terrassier.

Élie Déé, prit la lanterne, l’éleva, et en projeta la clarté sur la tête d’Ochosias, placée dans une ombre : un frisson courut sur tout son corps, mais l’avidité lui tint lieu de cordial.

— Il est mort, dit-il d’une voix ferme et haute.

Il s’approcha de la table.

— Il écrivoit, le digne parent ! lorsque la peste a retenu sa main ; sans doute sa dernière pensée m’était adressée… bon et vertueux Ochosias !… le plus saint de nos patriarches te soit en aide auprès du Seigneur !

— Vite, Brunot (c’étoit le nom du terrassier), vite à la cave ! Les rats ne forment pas leurs magasins sur la branche des arbres, ni sur la dalle des églises ; à la cave ! la journée s’avance.

Ils descendirent vers le caveau de la maison, que douze marches séparoient du niveau du sol, marches d’inégale hauteur, déchaussées de la muraille, et vacillant sous le pied.

— Oh ! c’est bien ici, Brunot, que le vieux hibou venoit déposer sa couvée ; vois comme son pas plus que septuagénaire a fatigué la pierre.

Le caveau avoit à peu près huit pieds carrés, il étoit vide, la terre en étoit humide, l’air épais et asphyxiant, car il n’avoit point de soupirail pour y faire l’office de ventilateur.

— Pose là ta lanterne, et d’abord inspectons les murs, sondons le terrain… rien… À ta pioche, Brunot.

Le terrassier commença son travail.

— Abraham Ochosias, disoit Élie Déé, en allant et venant, piquant la muraille, piquant le sol avec une longue tringle en fer, assez semblable à la lancette des agens de notre octroi de bienfaisance, — Abraham, si seulement ta voix charitable et fraternelle nous crioit une fois, rien qu’une fois : — C’est là, fouillez toujours.

Le terrassier suoit à grosses gouttes, non que la fatigue épuisât ses ressorts, il auroit creusé, sans en souffrir, la fosse du conclave tout entier, mais les perceptions de son esprit commençoient à se troubler ; ce vieillard si jeune, si audacieux, si avide, cet homme mort là haut, ce caveau dont la chaude atmosphère portoit des miasmes humides, l’opération à laquelle il se livroit à la lueur douteuse de sa lanterne, tout cela excitoit fortement sa superstition, de temps à autre éblouissoit sa vue, et faisoit flageoller ses jambes.

— Abraham Ochosias ! répétoit Élie Déé, marchant toujours, Abraham l’enfouisseur, Abraham le voleur, Abraham qui as pris pitié de ton ami Élie, et as consenti à mourir tandis qu’il lui restoit encore assez d’années pour jouir du bienfait de ton héritage, Abraham ! parle, et, s’il le faut, descends, viens nous montrer la place !…

Brunot suspendit ses mouvemens, laissa tomber sa pioche à terre, éleva sur le juif un regard terne, et d’une voix chevrotante :

— Messire, ne faites pas un appel à celui qui n’est plus… Je ne sais s’il est en marche pour descendre, mais mon sang se glace… Je vais tomber si vous dites un mot de plus.

— Que dis-tu ? s’écria Élie Déé en accourant auprès du terrassier, qu’il saisit dans ses bras en l’étreignant avec tendresse, tu perds ta force et ton courage ?… Enfant ! n’ai-je pas mesuré les forces de la vie et le néant de la mort, ne sais-je pas que le cruel Ochosias n’a plus d’oreilles pour son ami !… Crains-tu la peste ? nos préservatifs sont sûrs, d’ailleurs, au chapitre XIV du Lévitique, il est écrit, verset 37 : « Et s’il voit dans les murailles comme de petits creux, et des endroits défigurés par des taches pâles et rougeâtres, et plus enfoncés que le reste de la muraille… »

Saisissant vivement la lanterne, et la promenant contre le mur :

— Tu le vois, point de taches pâles ou rouges… Brunot, mon ami, mon frère, reprends ta pioche… l’heure s’écoule, la justice va peut-être s’inquiéter du sort d’Ochosias !… Brunot, des trésors sont là sous nos pieds, là, à une profondeur que ton bras peut atteindre, puisque le misérable Ochosias y plongea son bras soupçonneux… Oh ! vite, reprends ta pioche !… attends, non… nous sommes des fous… il se sentoit mourir, il écrivoit ; l’agonie lui aura donné la véracité qui manqua à sa vie entière… Remontons.

Le terrassier, docile serviteur, suivit l’intrépide Élie Déé, rajeuni de trente ans, parce qu’il avoit la fortune en espoir, la peste et la mort en face. Rien n’étoit changé dans la chambre d’Ochosias, seulement l’insalubrité de l’air y étoit accrue, autant par le séjour de la maladie que par la fumée de la lampe, qui, privée d’huile, avoit enfin perdu sa flamme, et ne conservoit plus sur sa mêche charbonnée qu’un feu lent et fétide.

Le légataire, en s’approchant de la table, vit au doigt index de la main droite du cadavre une cornaline gravée, montée sur or ; il fit craquer la phalange en forçant le doigt qui étoit recourbé, enleva l’anneau, se le passa au même doigt, prit hardiment le bras d’Ochosias, le leva de dessus le papier, sur lequel il pesoit comme un marbre, et lut des yeux ce qu’il nous sera possible de transmettre ici, ayant eu la faculté de copier exactement cette pièce curieuse dans les archives de la synagogue de Francfort, où un incident qui nous est inconnu l’a fait déposer :

« Au nom de Jérémie, fils d’Helcias, l’un des prêtres qui demeuroient à Anathoth, dans la terre de Benjamin, et qui a parlé au Seigneur des misères d’Israël, je proteste livrer en ce moment mon ame au repentir, au désespoir d’avoir mal agi… me sentant saisi au cœur et à l’esprit d’inconcevables terreurs, je me hâte d’offrir à la synagogue et à l’église catholique ce qui restera de moi, après moi, laissant au seigneur Dieu à juger de quel côté les dons auront été légitimement et fructueusement adressés… Je ne sais pas, et, dans mon doute, j’enverrois un petit cadeau à Luther, si je lui supposois le moindre crédit au ciel.

» Avant tout, je déclare menteur et voleur par le sang, par la langue et par la gorge le juif Élie Déé, s’il venoit à produire un testament qui le concernât en quoi que ce soit : voue ce misérable… »

Élie Déé tourna la tête vers Ochosias, le regarda effrontément, un rire convulsif le saisit, il le laissa éclater, et, au moment même où il reprenoit sa gravité pour continuer à lire, poussé par une colère insensée, il asséna un violent coup de pied dans la jambe du testateur. Le cadavre placé déjà de côté, perdit son aplomb, glissa, et tomba du fauteuil sur le carreau.

Brunot cria :

— Jésus !

— Silence ! lui dit Élie d’une voix puissante.

Il reprit sa lecture.

« Voue ce misérable aux feux de l’enfer, dont il est sorti, donnant son corps au bourreau, comme ayant servi d’asile à toutes les pensées de maléfice et de sorcellerie. »

Les dents élimées du lecteur claquèrent. —

« Déclare à justice que, ne voulant pas exposer mes biens au pillage, les ai convertis, pour la somme de cinq cent mille écus, en titres de créances certaines sur des villes et des bourgeois solvables ; ces titres seront trouvés dans… »

La plume avoit écrasé son bec après ce mot, qui étoit le dernier qu’eût écrit Abraham Ochosias. La fureur d’Élie Déé étoit à son comble, mais son instinct dominant ne l’abandonna pas.

— Brunot, dit-il à son complice, mon parent et ami, que le diable a tourmenté à l’heure de sa mort, dit positivement en cet écrit que ses biens sont en sa demeure… À l’œuvre, Brunot ! s’écria-t-il avec l’éclat de voix d’un homme dont la raison s’égare à force de préoccupation, ne sortons d’ici que riches !… ce coffre ? Il courut au coffre, l’ouvrit, en sortit une vieille robe en lambeaux, des vieux souliers, un morceau de pain azyme, qui roula comme une pierre. Cette paillasse ? Il s’approcha du lit, le retourna, le fouilla. Rien ! s’écria-t-il de manière à faire trembler le terrassier. Rien, et nous ne serions venus chercher ici que la peste et la mort ! Il frappa du pied sur le carreau : la brique céda, le pied descendit dans un trou évidemment arrangé avec art. Je suis riche !… Brunot ! Brunot ! ta lanterne, vite ta lanterne… c’est là, là ; le pied me brûle… là, un trésor ! cette chambre s’illumine… mon étoile, je la vois : tu mourras riche, me dit-elle ! Il sortit son pied du trou, tomba à genoux auprès, dérangea la brique, et, enfonçant ses deux bras jusqu’aux coudes, retira un paquet dont l’enveloppe étoit en drap d’or. Renonce à ta pelle, à ta pioche, Brunot, fais la banque, ou, si tu tiens à l’église catholique, fais-toi pape, cela s’achète… et te voilà riche… partons ! Il se releva.

Le malheureux journalier, tout étourdi par cette inconcevable scène, ne conçut en ce moment qu’une joie, celle de sortir aussitôt de cette hideuse chambre, de cette fatale maison.

— Attends encore, lui dit Élie, en regardant la tête dégoûtante d’Ochosias, il faut, en reconnoissance, des honneurs funèbres à celui-ci… pendons-le par les pieds. »

— Jésus ! Maria ! cria Brunot.

— Pendons-le, le misérable qui voue mon ame à l’enfer !

Une lueur frappa le terrassier-fossoyeur au visage, il sentit une glace passer sur sa tête, il ouvrit la bouche avec effort, et d’une voix perdue :

— Ah ! çà, mais, le bon sens me revient !… Vous n’êtes donc pas catholique !… qui donc êtes-vous ?

— Élie Déé, de la tribu de Lévi.

— Juif ! vous êtes juif !… et vous volez un juif… Puis, vous voulez le pendre !… Au secours ! au secours !…

Brunot lança, dans sa terreur, sa lanterne au hasard, elle alla frapper Élie Déé au visage. Il s’enfuit à toutes jambes, ferma la porte de la cour à triple tour, sortit de sa maison, cria dans la rue : — Ochosias est mort, on le pend, on le vole… au secours ! au secours ! Et, la peste dans le sang, la folie au cerveau, il tomba à la renverse sur les cailloux. Ses yeux, avant de se fermer pour toujours, eurent encore le temps de voir un moine qui, par forme d’absolution générale, lui donnoit en passant sa bénédiction.

En un instant, la rue fut pleine de monde ; la prevôté envoya ses agens pour ouvrir la maison du juif Ochosias, en retirer son cadavre et la refermer ensuite. C’étoit dans l’après-midi ; Michel de Nostredame revenoit de l’hôpital, au moment où la rumeur de la foule l’avertit d’un tumulte dans la maison d’un juif mort de la peste ; il se dirigea de ce côté. La porte de cette habitation venoit d’être enfoncée, Élie Déé en sortoit, accompagné de deux sbires de la sénéchaussée ; son visage étoit voilé d’une teinte olivâtre, ses yeux vitrés restoient grands ouverts, et ses dernières forces se réunissoient pour étreindre le paquet enveloppé de drap d’or.

— Ne perdez pas de temps, dit Nostredame, s’avançant au devant de lui et s’adressant aux agens de la prevôté, — à l’instant même dépouillez cet homme, portez-le à l’hôpital, et, à cette place, mettez le feu à tout ce qui l’a touché, à tout ce qu’il porte.

— Du feu ! du feu ! cria la foule empressée.

L’ordre du jeune maître en la faculté de Montpellier, bien connu du peuple à cause de sa science et de ses services rendus aux indigens pendant la pestilence, fut aussitôt exécuté ; on dépouilla Élie Déé jusqu’à son dernier vêtement, et des tisons enflammés furent placés sur ce qu’il portoit, sur tout ce qui l’avoit touché. Le misérable, en voyant la flamme entamer le drap d’or, et effeuiller les titres de créances d’Abraham Ochosias, voulut se ruer sur ce bûcher qui avoit cinq cent mille écus pour aliment ; Nostredame eut seul le courage de le saisir par un bras et de le retenir. Les parcelles du papier brûlé s’en allèrent au vent, et vinrent voltiger, comme des papillons noirs, au-dessus de la tête d’Élie Déé ; quand il vit cela, il poussa un cri parti du fond de ses entrailles, jeta sur Nostredame un long et horrible regard, et s’évanouit.