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Note sur la déesse bouddhique Târâ

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Note sur la déesse buddhique Tārā.

Si, en publiant les Matériaux pour servir à l’histoire de la déesse buddhique Tārā[1], nous avions cru avoir réuni une série quelque peu complète d’indications relatives à notre sujet, nous nous serions promptement vu dans le cas de revenir d’une illusion.

Ce n’était pas notre idée ; déjà lors de nos premières études, l’ampleur du domaine à parcourir et la faiblesse de nos moyens d’investigation ne nous échappaient pas ; un hymne inédit intéressant nous avait attiré ; autour du Sragdharā-Stotra, conservé dans plusieurs langues et dans des régions différentes par les soins pieux d’une religion à la fois infiniment respectueuse de ses textes et changeante en ses lieux, nous avons groupé quelques données historiques et légendaires glanées dans la littérature, l’épigraphie et l’iconographie alors à notre portée.

Dans les dernières années, l’étude du buddhisme a poursuivi les conquêtes que la méthode admirable de ses initiateurs lui promettait. La moisson a continué abondante et utile ; dans une certaine mesure la collection des matériaux qui intéressent Tara a participé à l’enrichissement général ; nous indiquons ici quelques-uns de ces progrès.

Il est réservé à la littérature tibétaine de révéler l’épanouissement considérable qu’a fourni à travers l’histoire du buddhisme le culte des Tārās. Nulle part le buddhisme n’a produit une littérature plus touffue que dans ce dernier pays.

M. Sylvain Lévi, dans sa belle Histoire du Népal[2], poursuivant la tradition buddhique, redit l’histoire connue désormais du roi Srong-btsam Sgam-po et des deux reines ses épouses : la fille du roi du Népal Amçuvarman et la princesse Wen-tch’eng, parente de l’empereur de Chine.

La légende a fait des deux reines, zélatrices au Tibet de leur religion paternelle, les incarnations des Tārās du pays : la Tārā verte et la Tārā blanche.

C’est dans le canon tibétain qu’il convient de rechercher la forme définitive de cristallisation des manifestations littéraires du culte adressé aux Taras. Le Kandjour et le Tandjour, dont les exemplaires sont rares et peu aisés à dépouiller en leur étendue considérable, ont livré au public au moins la table des textes relatifs à l’objet de notre étude, qu’ils recèlent.

Nous devons ce travail préliminaire au Dr Palmyr Cordier et au Pandit Satis Chandra Vidyābhūsana.

Le premier, dans son index du Tandjour[3], section tantrique (rgyud), a mis au jour toute une mine de textes relatifs à Tārā dans le volume La (XXVI). Avec le titre sanscrit, transcrit ou corrigé de l’original tibétain, ou encore reconstitué, il donne les noms des auteurs, traducteurs et lieux de la traduction. En dehors du volume La, on peut encore glaner un certain nombre de documents dans les volumes Ca (V) et Thu (LXX).

Le second a publié un volume[4] consacré à la littérature de Tārā. On y trouve le texte du Sragdharā-stotra avec la glose de Jinarakṣita, d’après deux manuscrits de la Société asiatique du Bengale[5] dont nous avons eu des copies en main pour notre édition. Ces morceaux ne contiennent point de variantes importantes à relever. Dans l’introduction de son volume, M. S. C. V. épuise la liste des textes du tome La du Tandjour[6], il en indique l’emplacement précis et la longueur. Il groupe en outre ce qu’il y a dans le Kandjour[7]. Un grand nombre des titres relevés reproduisent ceux de textes déjà connus, mais il y en a de nouveaux aussi.

Ce dépouillement est suivi d’une liste de manuscrits buddhiques existants actuellement dans l’Inde, intéressant la littérature de Tārā ; mais l’auteur néglige des textes classés simplement comme « tantras » et non comme « tantras buddhiques », par exemple ceux de l’India Office[8], et sans doute d’autres encore.

Avant de perdre la trace de Tārā dans les fourrés d’un tantrisme obscur où sa figure se confond avec celles d’innombrables Çaktis et Dākhiṇīs[9] il est important de recueillir et de connaître les données de la plastique qui permettent de retrouver ses traits.

M. Alfred Foucher a pris ce soin. Dans son Iconographie bouddhique de l’Inde[10], avec une expérience et une sagacité critiques qui laissent peu de place au doute, il détermine une série de miniatures du xie siècle appartenant au manuscrit Add. 1643 de Cambridge.

M. A. F. y trouve des Tārās nombreuses qu’il identifie, pour autant que le permettent l’attitude, les accessoires et la couleur, encore que déjà peu différenciés de ceux d’autres figures féminines.

Après Alokiteçvara l’image de Tārā occupe le premier rang ; elle se trouve sous divers aspects :

La Tara blanche : Sitā Tārā[11] ; la Tārā bleue : Ugrā Tārā ou Ekajaṭī ; la Tārā aux sourcils froncés : Bhŗkuṭī Tārā ; la Tārā jaune (?) : Ratna Tārā ; la Tārā verte, porteuse du lotus bleu : Nīlotpalakarā Devī ; cette dernière revient fréquemment comme assistante, toujours à droite du protagoniste.

Plusieurs manuscrits du Sragdharā-stotra sont ornés de la même figure de la Tārā verte. Mentionnons aussi un manuscrit du texte des Cent-huit noms de Tārā, à caractères dorés sur fond noir, avec miniature initiale représentant la Tārā verte au lotus bleu ; manuscrit rapporté du Népal par M. Sylvain Lévi à l’auteur de ces lignes en 1898.

Tārā se retrouve encore avec les attributs que nous venons de voir, sous forme de statues (hauts reliefs), signalées par M. Foucher[12], au musée de Calcutta. Nous pouvons à côté des miniatures de la Tārā de Lātā, de celle du Kambojadeça ou Tibet, de celle de Vaîçāli ou Tirhut, reconnaītre deux Tārās du Magadha, d’une exécution que leur bonne conservation permet d’apprécier.

Les indications que nous relevons marquent dans l’histoire des Tārās une étape nouvelle. Celui qui, disposant des documents tibétains, serait à même d’en extraire des textes peut-être inconnus dans la littérature sanscrite actuelle, poserait en quelque sorte les bornes du domaine littéraire de Tārā. Le résultat d’un travail de ce genre acquerrait une valeur encore plus certaine s’il s’y ajoutait une analyse analogue des transcriptions et traductions que peut contenir le Tripiṭaka chinois ; M. Édouard Specht a signalé jadis l’existence de deux textes transcrits en chinois ; l’un, des cent-huit noms de Tārā, l’autre, d’un Stotra[13] ; il est permis de croire qu’il y en a davantage.

Comme on le voit, c’est seulement à la suite d’une étude, importante encore, que l’on pourra donner une idée de l’extension qu’a prise avec la diffusion du buddhisme le culte de la déesse objet de notre étude : mythe à l’origine peut-être, revêtant un anthropomorphisme divin plus tard, incarnation de deux reines en passant, Tārā a projeté des rayons brillants à travers le ciel du buddhisme triomphant avant de choir dans l’océan obscur des formules polythéistes et dissolvantes.


  1. Bibliothèque de l’École des Hautes-Études. Paris, 1895.
  2. Sylvain Lévi, Histoire du Népal. Paris, 1905-8. V. vol. I, p. 346 et vol. II, p. 152 ; cf. A. Grünwedel, Mythologie du buddhisme au Tibet et en Mongolie, trad. Goldschmidt. Leipzig, 1900, p. 144 et suivantes.
  3. Catalogue du fonds tibétain de la Bibliothèque Nationale, 2e partie. Paris, 1909.
  4. Bibliotheca Indica, New Series N° 112, Bauddha Stotra-Saṃgraha, vol. I Sragdharāstotram.
  5. Cat. N° B, 63 et 64.
  6. M. S. C. V. n’a pas connaissance du travail de M. F. W. Thomas : Deux collections sanscrites et tibétaines de Sādhanas. Muséon, 1903, p. 1-42.
  7. Dépouillement fait par Csoma de Körös. Voir Annales du Musée Guimet, vol. II, p. 131 et suivantes.
  8. V. Cat. of the Sanscrit Mss. in the library of the India Office, pp. 897, 903. Nous devons cette indication obligeante à M. L. de la Vallée Poussin.
  9. L. de la Vallée Poussin, Le Bouddhisme, Études et Matériaux, Londres, 1898, pp. 135, 154, 171, et Grünwedel, op. cit., p. 144.
  10. A. Foucher, Étude sur l’Iconographie bouddhique de l’Inde. Paris, 1900, chap. V et planches ; voir aussi deuxième étude. Paris, 1905, chap. II.
  11. Cf. Grünwedel, op. cit., p. 146 et Wright, History of Nepal, p. 28.
  12. A. Foucher, op. cit., fig. 22 et 23. Cf. Grünwedel, op. cit., p. 116, image de bronze.
  13. Voir Matériaux, p. 3 et 4.