Note sur la propriété que possèdent quelques métaux de faciliter la combinaison des fluides élastiques

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avec la plus grande facilité, nous allons l’exécuter sous les yeux de l’Académie[1].

N’ayant aucune connaissance des recherches que l’auteur de cette belle expérience a sans doute entreprises pour en découvrir la théorie, nous n’avons pu résister au désir de faire nous-mêmes quelques essais dirigés vers ce but ; et quoique nous ne l’ayons point encore atteint, nous pensons que les résultats des observations que nous avons faites jusqu’ici ne sont pas indignes de l’attention de l’Académie.

Dans l’expérience que nous venons de faire, l’éponge de platine devient incandescente lorsqu’on la place à l’endroit où l’hydrogène qui s’échappe du réservoir se trouve intimement mêlé avec l’air. Il était évident, d’après cela, qu’en plongeant un morceau de cette éponge dans un mélange de deux parties d’hydrogène et d’une partie d’oxigène, il devait y avoir détonation : c’est ce que l’expérience a confirmé. Si les proportions du mélange gazeux s’éloignent beaucoup de celles de l’eau, ou s’il se trouve en présence un gaz étranger à la combinaison, tel que l’azote, par exemple, la combinaison se fait lentement, la température s’élève peu, et l’on voit bientôt l’eau se condenser sur la cloche.

L’éponge de platine fortement calcinée perd la propriété de devenir incandescente ; mais, dans ce cas, elle produit lentement, et sans élévation très sensible de température, la combinaison des deux gaz. Le platine réduit en poudre très-fine par un procédé chimique bien connu n’a point d’action, même lente, à la température ordinaire : même résultat avec des fils ou des lames. Le rapprochement de ces observations pouvait faire naître l’idée que la porosité du métal était une condition essentielle du phénomène ; mais les faits suivans détruisent cette conjecture.

Nous avons fait réduire du platine en feuilles aussi minces que le comporte la malléabilité de ce métal. Dans cet état, le platine agit, à la température ordinaire, sur le mélange d’hydrogène et d’oxigène, avec d’autant plus de rapidité que la feuille est plus mince. Nous en avons obtenu qui déterminaient la détonation après quelques instans. Mais ce qui rend cette action plus extraordinaire encore, c’est la condition physique indispensable pour la développer. Une feuille de platine très-mince, enroulée sur un cylindre de verre ou suspendue librement dans un mélange détonant, n’a produit aucun effet sensible, au bout de plusieurs jours. La même feuille, chiffonnée comme une bourre de fusil, agit instantanément et fait détoner le mélange. Les feuilles disposées comme nous venons de le dire, et qui sont alors sans effet à la température ordinaire, les fils, la poudre et les lames épaisses de platine, dont l’action est toujours nulle dans la même circonstance, agissent lentement et sans produire d’explosion à une température de 2 à 300° suivant leur épaisseur.

Nous avons reconnu que d’autres métaux jouissent de la même propriété que le platine. Le fait très-remarquable que M. Davy a eu occasion de découvrir dans le cours de ses recherches sur la lampe de sûreté, savoir, que les fils de platine et de palladium portés au rouge obscur deviennent incandescens lorsqu’on les plonge dans un mélange détonant, nous ayant paru se rattacher à la même cause que le phénomène, dont il s’agit, nous avons été conduits à essayer d’abord le palladium.

Le morceau qui nous a servi avait été donné à l’un de nous par M. Wollaston ; il devait être exempt d’alliage : cependant nous n’avons pu en obtenir des feuilles très-minces ; il s’est déchiré sous le marteau du batteur. Nous attribuons à cette circonstance la nullité de son action à la température de l’atmosphère ; mais il agit au moins aussi bien que le platine, de la même épaisseur, à une température élevée. Le rhodium, étant cassant, n’a pu être soumis à la même préparation ; mais il a déterminé la formation de l’eau à une température de 240° environ.

L’or et l’argent en feuilles minces n’agissent qu’à des températures élevées, mais toujours au-dessous de celle de l’ébullition du mercure. L’argent est moins efficace que l’or. Une lame épaisse de ce dernier agit encore, quoique plus difficilement que les feuilles ; et une lame épaisse d’argent n’a plus qu’une action assez faible pour être douteuse.

Nous avons aussi recherché si d’autres combinaisons pourraient être effectuées parle même moyen. L’oxide de carbone et l’oxigène se combinent, et le gaz nitreux est décomposé par l’hydrogène à la température ordinaire, en présence de l’éponge de platine. Les feuilles minces du même métal n’opèrent la combustion du premier qu’à une température au-dessus de 300°. Les feuilles d’or la déterminent aussi à un degré voisin de l’ébullition du mercure.

Enfin le gaz oléfiant mêlé d’une quantité convenable d’oxigène est transformé complètement en eau et en acide carbonique par l’éponge de platine, mais seulement à une température de plus de 300°.

Nous rappellerons, au sujet des expériences précédentes, que l’un de nous a prouvé depuis long-temps que le fer, le cuivre, l’or, l’argent et le platine, avaient la propriété de décomposer l’ammoniaque à une certaine température, sans absorber aucun des principes de cet alcali, et que cette propriété paraissait inépuisable. Le fer la possède à un plus haut degré que le cuivre, et le cuivre plus que l’argent, l’or et le platine à égalité de surface.

Dix grammes de fer en fil suffisent pour décomposer, à quelques centièmes près, un courant de gaz ammoniac assez rapide et soutenu pendant huit à dix heures, sans que la température dépasse le terme auquel l’ammoniaque résiste complètement. Une quantité triple de platine en fil, de la même grosseur, ne produit pas, à beaucoup près, un semblable effet, même à une température plus élevée.

Les résultats remarquables de cette expérience dépendent peut-être des mêmes causes que celles qui font que l’or et l’argent déterminent la combinaison de l’hydrogène et de l’oxigène à 300°, le platine en masse à 270°, et le platine en éponge à la température ordinaire.

Or, si l’on observe que le fer qui décompose si bien l’ammoniaque n’opère point ou n’opère que difficilement la combinaison de l’hydrogène avec l’oxigène, et que le platine, qui est si efficace pour cette dernière combinaison, ne produit qu’avec peine la décomposition de l’ammoniaque, on est porté à croire que, parmi les gaz, les uns tendraient à s’unir sous l’influence des métaux, tandis que d’autres tendraient à se séparer, et que cette propriété varierait en raison de la nature des uns et des autres. Ceux des métaux qui produiraient le mieux l’un des effets, ne produiraient pas l’autre, ou ne le produiraient qu’à un moindre degré.

Nous nous abstiendrons d’ailleurs de présenter les conjectures que ces phénomènes singuliers ont fait naître dans notre esprit, jusqu’à ce que nous ayons terminé les expériences que nous avons entreprises pour les vérifier.



  1. La lampe à gaz hydrogène perfectionnée par M. Gay-Lussac est très-commode pour faire cette expérience. On enlève l’électrophore, ou l’on détache simplement les conducteurs ; on place, à la distance de 2 centimètres environ de l’ouverture par laquelle le gaz s’échappe, un morceau d’éponge de platine très-légère, et, en tournant le robinet, le jet de gaz hydrogène arrive mêlé d’air sur la surface de l’éponge. Celle-ci devient aussitôt incandescente, et le gaz hydrogène, une fois enflammé, continue de brûler à mesure qu’il s’écoule, comme s’il eût été allumé par étincelle.

    À défaut d’une lampe, on peut se servir de l’appareil ordinaire qui sert dans les laboratoires pour obtenir le gaz hydrogène. Il faut seulement avoir l’attention de faire sortir le gaz par une ouverture très-étroite, afin qu’il se mêle plus intimement avec l’air.