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Notes d’un condamné politique de 1838/21

La bibliothèque libre.
Librairie Saint-Joseph (p. 191-195).


XXI

COMMENT PAR ACCIDENT JE DEVINS FABRICANT DE CHANDELLES OU À PEU PRÈS.


Il y avait un an que nous étions employés à la fabrication des lattes, lorsque vint fondre sur notre établissement une calamité qui pouvait avoir des suites terribles relativement à notre situation ; car tout est relatif dans ce monde.

Le feu mis dans les bois à quelques milles de notre cabane s’avançait vers nous poussé par le vent : lorsque nous en fûmes avertis, il n’était plus qu’à deux milles de notre chantier. Aussitôt que l’alarme nous fut donnée, nous courûmes de suite à la cabane : une partie de notre troupe s’occupa à sauver de la case les hardes et autres effets, provisions et petites valeurs. Nous n’avions, mon associé et moi, en dehors des habits qui nous couvraient, et de nos lattes, dont une cargaison était prête à partir, que deux couvertures de laine. Ceux qui s’étaient chargés des effets, mon associé était du nombre, coururent avec leurs charges vers une profonde ravine bordée de rochers nus et au fond de laquelle coulait un ruisseau. Le reste de notre troupe resta pour tâcher de sauver le bois manufacturé, les planches, pièces de charpente, bardeaux et lattes.

Pour moi, je me dirigeai vers notre tas de lattes et me mis de suite à nettoyer jusqu’à la terre, autour du tas, de toutes les feuilles et de tous les branchages secs, un grand espace circulaire. Dès que j’eus débarrassé ce cercle de tout ce qui pouvait donner prise à l’incendie, je me préparai à mettre le feu aux amas de feuilles et de branches accumulés par moi tout à l’entour de mon cordon sanitaire. Je ne voulais mettre le feu qu’au moment d’être atteint par la conflagration générale de la forêt, afin de ne pas risquer de faire inutilement deux incendies au lieu d’un. Je n’attendis pas longtemps : d’abord un bruit sourd, puis une fumée épaisse m’annoncèrent l’approche de l’élément destructeur. Au moment où les premières lueurs se montrèrent à moi à travers les interstices de la forêt, je mis le feu à plusieurs points de mes amas de feuilles sèches. En un instant, je fus environné de flammes qui couraient dans toutes les directions, mais en s’éloignant de moi. Ce feu, allumé de mes mains, détruisit autour de mes lattes et de ma personne, en peu d’instants, tout ce qui pouvait donner prise à l’incendie qui s’avançait. Je demeurai appuyé sur mon tas de lattes, d’où je vis passer, dans toute sa majesté, ce personnage qui a nom le feu dans les bois.

Il fallait voir les flammes fureter tous les coins de la forêt, pour dévorer tout ce qui s’y rencontrait de feuilles séchées par le soleil et de petits débris de bois mort. Le feu s’éloigna aussi vite que nous l’avions vu s’approcher. Quand il fut passé, je regagnai la cabane, où, bientôt, nous fûmes tous réunis pour contempler les ruines de notre établissement. La case était en cendres ; à la vérité, ce n’était pas une grosse perte : en deux jours elle était remplacée par une autre tout aussi grande et tout aussi commode. Mais il y avait des pertes, une grande partie du bois préparé par nos compagnon avait été brûlée ; ils avaient même perdu quelques effets et provisions, déposés dans une petite clairière, parce que la distance de la cabane à la ravine était assez considérable, mais nos amis avaient fait des épargnes importantes, et ils pouvaient supporter ce petit désastre.

Pour nous, nous n’avions rien perdu : les seules choses que nous eussions à perdre, nos peaux, nos deux couvertures et nos lattes étaient sauvées.

J’oubliais de dire, ce que le lecteur au reste a dû deviner, qu’aucun de nous ne fut atteint dans sa personne : un seul ressentit une incommodité momentanée qui lui fit perdre connaissance, pour s’être trop exposé à la fumée et à la chaleur dans le travail de sauvetage du bois de charpente.

Mon associé, dans le moment, se trouva tout-à-fait dégoûté de la vie des bois et du métier de fabricant de lattes ; nous résolûmes donc de chercher une autre occupation. Notre dernier chargement opéré, nous dîmes adieu à nos compagnons, que, pour ma part, je laissais à grand regret, et nous nous embarquâmes de nouveau sur la rivière Paramata pour le marché aux lattes de Sydney.

Le lendemain, après avoir, du produit de notre cargaison, payé nos redevances et nos dettes, nous nous retrouvâmes de nouveau sur le pavé de Sydney à chercher un nouvel emploi. La chose n’était pas plus facile que l’année précédente ; la détresse durait encore et le gouvernement était toujours dans l’obligation de nourrir un certain nombre d’immigrants qui n’avaient aucun moyen de gagner leur vie. Nous fûmes obligés, M. Ducharme et moi, de nous séparer, pour chercher, chacun de notre côté, avec plus de chances de succès.

Le cinquième jour de recherches infructueuses, je rencontrai trois Français nouvellement arrivés dans le pays, avec l’intention des s’y fixer comme industriels, avec des capitaux suffisants, me dirent-ils. Ils s’étaient arrêtés à la fabrication des chandelles. Comme ils ne parlaient pas un mot d’anglais, ils me prirent pour leur interprète et leur homme d’affaire. Je pouvais me faire comprendre facilement dans cette langue apprise en prison, et dans l’exil ; mais je ne m’engageai pas aux Français comme puriste : j’étais bien loin de ce degré de perfection.

Mes bourgeois établirent leur usine à huit milles de Sydney et à quatre milles de toute habitation ; en sorte que je me trouvai de nouveau dans le bois et dans des édifices qui ressemblaient beaucoup à la cabane du chantier canadien. Je n’étais soumis, dans mon nouvel emploi, à aucun travail manuel : ma besogne consistait à faire l’achat du suif sur le marché de Sydney et à opérer la vente de la chandelle sur la même place, dès que nous eûmes du suif à acheter et de la chandelle à vendre, car nous mîmes environ un mois à préparer les choses.

C’était la quatrième fois que je changeais d’état, depuis mon départ de Long-Bottom ; j’avais été successivement confiseur, jardinier, forestier, et je me voyais en ce moment commis-marchand, pour la vente du suif et de la chandelle. Si les recettes n’étaient pas brillantes, la variété ne manquait pas au moins.

Je faisais, trois fois par semaine, et à pied, le trajet entre notre fabrique et la ville de Sydney, ordinairement seul, quelquefois accompagné de l’un des associés. Les choses n’allaient pas au mieux ; la plus grande partie du capital de mes bourgeois consistait en illusions pour eux et en belles promesses pour les autres. Ils n’étaient pas même parfaitement au fait de l’industrie, qu’ils avaient choisie.

Prévoyant que l’établissement ne tiendrait pas et que je finirais par n’être pas payé, j’abandonnai ma position au bout de quatre mois ; et bien m’en prit, car le résultat répondit à mes prévisions.