Notes et impressions d’une parisienne/24

La bibliothèque libre.


La Vente Michelet


12 décembre 1899.


Que de curieuses chroniques il y aurait à écrire pour un habitué de l’hôtel Drouot voyant se disperser tour à tour sous les coups secs du marteau d’ivoire les mobiliers clinquants des demi-mondaines, le bric-à-brac des pauvres diables et les bibelots des célébrités. Quel tohu-bohu étrange de vice, de gloire et de misère !

Hier, c’étaient les derniers souvenirs de l’accueillante maison de la rue d’Assas, où vécut de si longues années le ménage Michelet, qui s’éparpillaient aux feux des enchères.

Une véritable cohue emplissait la salle 3 ; des amis, quelques journalistes étaient venus pour voir et peut-être aussi pour acheter une bagatelle, manière de dire ensuite : « Vous savez, c’était à Michelet. »

Les marchands surtout s’étaient donné rendez-vous, et c’est avec une véritable âpreté qu’ils se sont disputé les porcelaines, les tableaux, les petits bibelots de mille sortes qu’on a vendus durant toute l’après-midi.

Une soupière ancienne, fêlée, atteint 62 fr. ; deux salières de faïence avec personnages, 80 francs ; un minuscule coffret de bois, 27 francs ; un plat japonais, 70 francs.

Puis c’est tout un stock de porcelaines variées, des assiettes, des bonbonnières, des vide-poches, des bouquetiers, des cache-pots, des jardinières, des tasses, des sucriers, qui s’enlèvent dans une frénésie croissante.

Tous les antiquaires sont en émoi ; ils se querellent, payent parfois des objets très cher pour le plaisir de les enlever à des collègues.

Un vase de Saxe avec une guirlande de roses est adjugé à 105 francs ; un surtout de table, représentant un Bacchus assis sur son tonneau entouré d’amours nus, atteint, bien que très endommagé, la somme de 50 francs ; un buste de Mirabeau en biscuit trouve preneur à 62 francs ; une garniture Empire, la pendule à colonnes d’albâtre et les flambeaux en bronze doré, monte à 500 francs ; un fer à cheval, sur lequel une Bacchante est à demi couchée, se vend 150 francs.

Tout s’enlève : une pauvre statue de pierre ébréchée, que le crieur met en vente à vingt sous, atteint 41 francs. Un sucrier Louis-Philippe en cristal bleu monté sur argent est acheté 100 francs par un amateur ; l’éventail de Mme Michelet, en dentelle noire sur monture de nacre, est en revanche assez dédaigné, et le commissaire-priseur l’adjuge à 17 francs.

Les bibelots sont nombreux, et la plupart sans grande valeur, ce qui arrache aux marchands des réflexions peu respectueuses.

— Mais c’était donc un bazar, la maison de cet historien ?…

On passe à la vente des tableaux, de piètres toiles dans de mauvais cadres ; elles atteignent des prix modestes variant de 10 à 30 francs.

Un dessin d’Henri Pille avec dédicace à Michelet monte pourtant à 100 francs.

Un petit paysage représentant quelques maisons de campagne, couvertes en tuiles rouges, et un coin de champ où l’on aperçoit une pierre tombale avec ces mots :

CI-GÎT
Gustave Maupassant

est acheté par un ami.

Derrière la toile on lit cette dédicace :

À ma gracieuse amie Madame Michelet, 1849.
Gustave Maupassant.
Des gravures sans valeur, des portraits, des

photographies trouvent ensuite preneurs à des prix élevés.

— C’est fou, insensé, disait près de moi un brocanteur ; je n’ai jamais vu des vieilleries semblables atteindre de pareils chiffres ; les camarades ne gagneront pas deux sous sur tout ce qu’ils viennent d’acheter.

Après les tableaux, voici les armes, massues, fleurets, sabres japonais, jusqu’à l’épée à manche de nacre, à garde de bronze, finement ciselée, de l’académicien.

À sept heures, la vente prend fin. Elle recommence le lendemain. On s’occupe des meubles.

Le salon vert tendre aux tentures ornées de bandes de tapisserie exécutées par Mme Michelet, la salle à manger en noyer sculpté, le cabinet de travail, les commodes anciennes à ferrures de cuivre, les vieux lits et jusqu’à la cage en bois ciselé où l’auteur de l’Oiseau aimait à enfermer tout un petit peuple ailé qu’il soignait lui-même, passent par le marteau du commissaire-priseur, sans oublier une mignonne pendule où à la place du cadran un auteur inconnu a écrit ce quatrain :

Montre neuve et femme gentille
Sont fort sujettes à changer.
L’hymen aime à poser l’aiguille
Et l’amour à la déranger.

. . . . . . . . . . . . . . .

La dernière enchère tombée, il ne reste plus rien de ce qui fut le foyer de ces deux êtres charmants, ménage délicieux où la femme fut toute grâce et tout sourire, ensoleillant de sa jeunesse l’hiver de son grand historien d’époux.