Notes sur des oasis et sur Alger/Kef el Doh’r

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Le Roman du LièvreMercure de France (p. 285-286).
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KEF EL DOH’R


En route vers Tuggurth le sombre, sombre à force d’éclatement…

La Mort était partout. Désolation des désolations.

Où trouverions-nous les gourdes, les outres, les vergers ?

Mon âme s’assoiffait. Ma fièvre espérait en vain les palais blancs de Sindbad et les rues d’eau de rose, les seuils de marbre, les repas, les récits de voyages, les alcarazas, Hindbad et les pièces d’argent.

Après le sable, le sable.

Dans ce désert implacable, nous trouvâmes cependant trois coloquintes pareilles à des balles d’enfant.

Nous les cueillîmes à tort. Peut-être étaient-elles le cœur de ce sable insensé ? Peut-être les gardait-il, jaloux, au fond de lui, comme un mystérieux amour ? Peut-être avait-il volé à la mort qui le recouvrait cette parcelle de vie ? Peut-être aimait-il ces humbles fruits ?

Le sable. Le sable.

Mais tout changea.

À Kef el doh’r, l’air vibrait sur les chotts. Des Méditerranées d’azur, mirages merveilleux, naquirent du terrible Rien. C’était, peut-être, les rêves géants du Désert endormi.

Sur des eaux glissèrent des voiles, surgirent des rocs. D’inexistantes oasis bercèrent leurs palmes au-dessus de l’horizon qui pâlissait en s’éloignant.

Le Songe de l’Eau s’épaississait, devenait bleu de prusse et jaune. Des plages brillaient comme des fleurs de palmier mâle, lorsqu’elles ne sont pas mûres et que les mangent les enfants.

Des constructions s’élevèrent. Elles évoquaient des villes mortes, des villes de l’Indus abandonnées des hommes, des palais de marbre où des singes adroits et mystérieux se seraient retirés pour y mener, loin des multitudes, une vie de volupté, pour se bercer, au soir, des grognements des crocodiles dans les réservoirs croupis tachés de poissons d’or.

Le sel des lacs luisait traîtreusement. On croyait à la neige. Sur eux régnait un ciel d’une infinie douceur, pâle et bleu comme une tempe de vierge.