Notice sur l’Album de Villard de Honnecourt architecte du XIIIe siècle/1

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I

MÉCANIQUE


Villard de Honnecourt se flattait d’avoir trouvé le mouvement perpétuel. Il s’en explique avec une satisfaction marquée, et en faisant ressortir l’impuissance des tentatives faites avant lui. Maint jor, écrit-il, se sunt maistre desputé de faire torner une ruee par li seule. Ves ent ci con en puet faire par maillés non pers u par vif argent. « Maintes fois les maîtres ont cherché entre eux la manière de faire tourner une roue d’elle même. Voici comment on peut y parvenir au moyen de maillets en nombre impair ou par du vif-argent. » La figure expliquée par ce texte (fol. 5 recto du ms.), représente une roue montée sur un arbre entre deux jumelles. Une gorge, pratiquée dans l’épaisseur de cette roue, est traversée en sept points équidistants par autant de petits axes sur chacun desquels joue un maillet suspendu par le bout de son manche. Le cas du vif-argent que l’auteur indique sans le représenter, consisterait évidemment à substituer aux maillets des boules creuses remplies de mercure à la moitié ou aux deux tiers, de manière à avoir leur centre de gravité mobile.

L’illusion de Villard s’explique assez par son dessin. Le système des maillets y est figuré dans un moment où celui d’en bas n’est pas encore revenu à la verticale. Des personnes qui n’ont pas, comme lui, l’excuse de vivre au XIIIe siècle, se laissent encore prendre à pareille visée, et il ne se passe pas d’année que l’Académie des sciences ne reçoive la communication du mouvement perpétuel découvert précisément par la suspension de poids mobiles sur la circonférence d’une roue.

Comme théorie de la mécanique, l’album ne contient rien de plus que cette invention. Il est plus riche en dessins de mécanique appliquée. On y rencontre pas moins de trois pages toutes pleines de machines. Ce sont là de précieux matériaux, mais d’un difficile emploi. Rien de bizarre comme le système dans lequel ont été conçues les figures de ces machines. Elles sont présentées à la fois dans toutes les perspectives, à vol d’oiseau et en hauteur, de face et de profil, de sorte que c’est un problème que d’avoir à définir le plan de chaque pièce. Joignez à cela que plus d’une fois des rouages importants ont été omis soit par l’inadvertance du dessinateur, soit par impossibilité de sa part à tout représenter.

Les machines dessinées sont les suivantes :

Une scierie hydraulique (fol. 22 verso). — La figure a pour légende : Par chu fait om une soore soir par li sole, « par ce fait-on une scie scier d’elle même. » La scie est en élévation. On en distingue très bien le ressort, qui est une longue perche flexible. l’articulation opposée au ressort consiste en quatre barres assemblées entre elles comme les pièces d’un sautereau. sur l’arbre de la roue motrice, vu en projection, sont établis une roue dentée pour faire avancer le bois qu’on scie entre ses guides, et un tourniquet qui s’abat sur l’articulation de la scie.

C’est bien là le point de départ de nos appareils aujourd’hui si perfectionnés. L’invention remontait à l’antiquité, puisque Ausone, dans son poème de la Moselle, mentionne des scieries de marbre établies sur la petite rivière d’Arouvre :

Præcipiti torquens cerealia saxa rotatu

Stridentesque trahens per lævia marmora serras.

Du Cange cite, pour le moyen âge, plusieurs exemples de scieries mécaniques, mais tous postérieurs au dessin de Villard de Honnecourt. Le plus ancien est celui d’un établissement de ce genre, acheté en 1303 par les chanoines de Saint-Sernin de Toulouse, au Mas-Saintes-Puelles (Aude). Deux autres exemples, postérieurs d’une trentaine d’années, constatent la prohibition des scieries mécaniques tant à Monréal (Aude) qu’à Allevard (Isère). Au contraire, les autorisations pour en construire abondent à la fin du même siècle, particulièrement en Bigorre et en Savoie. Les dénominations fournies par les titres, sont celles de ressega, ressia, reyssia, resea de aqua, seyta, sciarium.

2° Scie à receper les pilots (fol. 23 r.). — Ce n’est pas sans surprise que j’ai rencontré là cette scie qui passe pour une invention du siècle dernier ; car, lorsque depuis un temps immémorial, les constructeurs hydrauliques ne savaient piloter qu’à l’aide de batardeaux, Belidor imagina de supprimer l’opération si dispendieuse de l’épuisement au moyen d’une scie qui atteindrait les pilots au fond de l’eau. L’idée de Belidor fut mise à exécution, non par lui (il n’y put réussir), mais par M. de Vauglie, ingénieur de la généralité de Touraine, qui construisit la première scie à receper en 1758, et l’employa à la fondation du pont de Saumur[1]. Voilà un exemple de plus après tant d’autres, du mal qu’ont eu les modernes à retrouver des choses parfaitement connues des anciens.

Pour la curiosité du fait, nous reproduisons ici le dessin de l’album. Il est accompagné de la légende que voici :Par cest engien recopon estaces dedens une aie por une sole asir sos, « par cet engin recepe-t-on pilots dans l’eau pour asseoir dessus une plate-forme. » Une partie du mécanisme a été omise, ou bien il faut admettre qu’on agissait à bras sur les montants de la scie dans le sens opposé au poids que conduit la roue ; sans cela, le mouvement de va-et-vient n’aurait pas eu lieu. Quant à l’instrument qu’on voit à droite du dessin, il me paraît destiné à établir le niveau de la scie.

Vis à lever les fardeaux (fol. 22 v.). — Une longue vis qui, par son mouvement, fait monter un écrou entre deux guides. Une corde passée autour de l’écrou et fortement nouée sur le devant constitue l’intermédiaire entre la puissance et la résistance. Légende :Par chu fait om on des plus fors engiens ki soit por fais lever. « Ainsi fait-on un des plus forts engins qu’il y ait pour lever des fardeaux. »

Cette machine, en effet très puissante, était peu commode à cause de la lenteur de son action. Le principe s’en conserva jusqu’aux temps modernes. La figure 38 du Théatre mécanique de Jacques Besson, Forma novæ machinæ ad exonerandas quasvis naves, est une très légère modification de celle de l’album.

Trébuchet (fol. 30 recto). — On appelait ainsi une machine de guerre fort en usage au XIIe et au XIIIe siècle. On s’en servait pour lancer des quartiers de pierre ou des flèches de sièges. Celle de Villard de Honnecourt est appropriée au jet des flèches. Elle est représentée en plan ; l’élévation, ainsi que le marque la légende, se trouvait jadis sur un feuillet précédent qui manque aujourd’hui. Malgré ce que la figure a d’incomplet, on comprend que le jeu de la machine dépendait de deux énormes ressorts agissant dans son plan à droite et à gauche. Ces ressorts sont des pièces de bois flexibles, assemblées en potence. Il y a pour les tendre un câble que des poulies de renvoi et un tour conduisent à l’extrémité d’un fort barreau planté dans un treuil. L’auteur indique que, lorsque les ressorts étaient tendus, autrement dit lorsque le barreau était renversé en arrière, il fallait, pour l’y tenir en respect, une masse de douze cent quatre-vingt-seize pieds cubes de terre. Quant à l’affût et au jet de la flèche, ils étaient représentés sur la page aujourd’hui absente. Voici l’explication commune aux deux dessins :

Se vous volés faire le fort engieng con apiele trebucet prendres ci garde ; ves ent ci les soles, si com il siet sor tierre. Ves là devant les ij. Windas et le corde ploie a coi on ravale le verge. Veir le poes en cele autre pagene. Il i a grant fais al ravaler, car li contrepois est moult pezans ; car il i a une huge plainne de tierre, ki ij. Grans toizes a de lonc, et viiij. Piés de lé, et xij. Piés de parfont. Et al descosier de le fleke pensés et si vous en dones garde, car ille doit estre atenue à cel estancon la devant.

« Si vous voulez faire la forte machine qu’on appelle trébuchet, faites attention ici. Voici les soles qui procurent son assiette par terre. Voilà les deux guindales (ressorts) et la corde détendue dans laquelle on passe le barreau quand on le renverse. Vous en pouvez voir le jeu à l’autre page (celle qui manque). Il faut un grand effort pour le renverser vu la puissance du contrepoids qui est une manne pleine de terre, ayant deux grandes toises de long, neuf pieds de large et douze pieds de profond. Quant à la manière de décocher la flèche, jugezen par l’idée qu’elle doit être affûtée sur la traverse placée là devant la machine. »

Tout cela justifie très bien les expressions grandis, materialis, versilis machina, appliquées au trébuchet dans quelques-uns des exemples rapportés par Du Cange (v° Trebuchetum).

L’arc infaillible (fol. 22 v.). — L’arc de Villard de Honnecourt est une arbalète dont le fût est déterminé par une petite mitre tout à fait pareille à un éteignoir. Cet appendice était percé à son sommet d’abord pour diriger l’œil sur le but que l’on visait, et ensuite pour laisser passer le trait. Le dessin représente l’arc bandé et le trait posé sur le fût. A la queue du trait est attachée une longue ficelle nouée par l’autre bout sur le travers d’une cheville. Le trait étant chassé emportait avec lui la ficelle qui le suivait jusqu’à ce que la cheville vint barrer l’orifice de la mitre. Elle devait donc être plus longue que la distance à parcourir pour atteindre le but, puisque lorsqu’elle s’arrêtait, le trait s’arrêtait aussi. Une ligne droite tirée par delà la pointe de la mitre marque la tension de la ficelle lorsqu’elle sera emportée par le trait. Je ne connais pas de texte ancien qui atteste l’usage d’un instrument de cette sorte. Peut-être n’a-t-il jamais existé que dans l’imagination des mécaniciens du moyen âge, et il méritait d’y rester. Il est le digne pendant de celui qui montre le mouvement perpétuel. Légende :Par chu om une arc ki ne faut, « ainsi fait-on un arc qui ne manque jamais. »

Mécanisme pour faire tourner une statue sur elle-même dans un espace de temps donné (fol. 22 verso). — La légende explique la chose dans des termes qui ne conviennent qu’à un cas tout particulier :Par chu fait om un angle tenir son doit adès vers le solel. « Ainsi fait-on qu’un ange tienne son doigt toujours levé du côté du soleil. » Ceci serait une énigme si l’on ne se rappelait l’ancien usage de placer des statues d’ange sur le comble des grandes églises à l’endroit du rond-point. On ignore, il est vrai, qu’un mécanisme ait été jamais appliqué à ces statues pour leur faire accomplir du soir au matin une évolution en rapport avec le cours du soleil ; mais, outre que notre dessin prêterait difficilement à double entente, un monument détruit, il y a peu d’années, offrait encore des marques de ce vieil usage. Je veux parler de l’ange placé au chevet de la cathédrale de Chartres avant l’incendie de 1836. Il était de plomb et placé sur un pivot, ce qui avait accrédité l’opinion qu’il était là pour servir de girouette ; mais n’eût-il pas été bizarre de donner à un objet si pesant une pareille destination ?Il est bien plus naturel d’aller chercher dans le manuscrit de Saint-Germain l’explication du pivot de la statue de Chartres. Un pivot est en effet l’organe mécanique auquel aboutit l’appareil dessiné par Villard de Honnecourt. Comme l’arbre de ce pivot adhérait à la statue, pour n’avoir pas à déranger celle-ci, on l’aura laissé subsister, lors de la suppression de la machine.

Le mécanisme figuré dans l’album est fondé sur le même principe que le mouvement d’horlogerie. Un contrepoids suspendu à l’extrémité d’une corde entraîne un poids moindre qui lui fait opposition à l’autre bout de la corde. Dans l’intervalle s’effectue, au moyen de diverses décompositions de mouvement, l’emploi de la force produite. Ainsi, du côté de contrepoids, la corde guidée par une poulie de renvoi va s’enrouler sur un arbre horizontal que modère un volant ; de là elle passe et s’enroule encore sur un arbre vertical qui est la pièce pivotante ; enfin, après avoir été reçue par une dernière poulie, elle retrouve la verticale par l’effet du poids qui la sollicite.

Mécanisme de l’aigle du lutrin (fol. 22 verso). — Voici encore un effet de mécanique admis par l’Église pour exciter l’admiration des fidèles. La légende est ainsi conçue :Par chu fait om dorner la teste del aquile vers le diachene kant list la vengile. « Ainsi fait-on tourner la tête de l’aigle vers le diacre lorsqu’il lit l’évangile. »

La figure que nous reproduisons à cause de son intérêt archéologique, demande à être corrigée et complétée par la pensée. D’abord l’aigle qu’on voit par son profil extérieur, devrait être représenté sur coupe, puisque le mécanisme était établi dans son corps, de même qu’un couvercle de boîte. La broche sur laquelle la corde est enroulée et nouée, devait rester immobile dans le cou de l’oiseau ; les deux poulies, posées sur des axes également immobiles, étaient au contraire dans le corps. On faisait jouer la machine en tirant la corde par un bout qui sortait vers la queue. Cette corde se raccourcissant faisait tourner le cou sur sa coulisse par la traction de la broche. La lâchait-on, un contre poids intérieur réagissait et l’aigle reprenait sa première attitude.

Chaufferette à mains (fol. 9 recto). Appareil usité à ce qu’il paraît dans les églises du XIIIe siècle, et dont la construction répond au problème suivant :Tenir un foyer suspendu dans une position constante au milieu d’une boule exposée à tous les mouvements. C’est une sphère creuse, formée de deux parties qui adhèrent l’une contre l’autre au moyen de rivure boulonnées. Dans l’un des hémisphères sont disposés six cercles concentriques dont les rayons vont toujours en diminuant d’une quantité égale à la distance qui sépare le plus grand des parois de l’appareil. Chacun est muni extérieurement de deux tourillons dans le sens de son diamètre. Les tourillons du premier jouent contre les parois de la sphère ; les tourillons du second, tournés perpendiculairement à ceux du premier, jouent sur lui ; les tourillons du troisième, tournés dans le même sens et sur le même axe que ceux du premier, jouent sur le second ; les tourillons du quatrième, tournés dans le même sens et sur le même axe que ceux du second, jouent sur le troisième, et ainsi des deux autres. Sur le sixième s’appuie également, au moyen de deux tourillons, un foyer marqué sur le dessin par une surface circulaire qui occupe ainsi le centre de l’appareil. C’était une petite poêle ou coupelle, nécessairement massive, où on mettait des parcelles de charbon allumé. On conçoit que chaque révolution de la sphère déterminait de cercle en cercle jusqu’à la poêle et de la poêle sur les cercles une réciprocité de mouvements qui empêchaient celle-ci de se déplacer brusquement, de sorte qu’elle arrivait toujours à trouver son assiette sans laisser échapper le feu qu’elle contenait.

Villard de Honnecourt explique cela comme il suit :

Se vous voleis faire j. escaufaile de mains, vos fereis aussi come une pume de keuvre de ij. moitiés clozeice. Par dedans le pume de keuvre doit avoir vj. ciercles de keuvre ; cascuns des ciercles a ij. toreillons, et ens, en mi liu, doit estre une paelete à ij. toreillons. Li toreillon. doivent estre cangiet en tel manière que li paelete al fu demeurt adès droite ; car li uns des toreillons porte l’autre ; et se vous le faites à droit si comme li letre le vous devize et li portraiture, torner le poès quel part que vous voleis. ja li fus ne s’espandera. Cis engiens est bons à vesque. Hardiement puet estre à grant messe, car ja tant com il tiegne cest angiens entre ses mains, froides nes ara, tant com fus puist durer. En cest engieng n’a plus. « Si vous voulez faire une chaufferette à mains, vous ferez comme une pomme de cuivre de deux moitiés qui s’emboîtent. Par dedans la pomme de cuivre il doit y avoir six cercles de cuivre, chacun des cercles est muni de deux tourillons et dans l’intérieur, tout au milieu, doit être une poêlette aussi sur deux tourillons. Les tourillons doivent être alternés de manière à ce que la poêlette à feu demeure toujours droite, car les tourillons d’un cercle emportent ceux de l’autre. Et si vous faites de point en pont comme la légende et le dessin le disent, vous tournerez la boule dans tel sens que vou voudrez sans que le feu se répande. Cet appareil est bon pour un évêque. Il n’aura pas à craindre d’assister à la grand’messe, ayant cela entre les mains ; il n’y sentira pas de froid aussi longtemps que pourra durer le feu. Il n’y a rien de plus à dire sur cet appareil. »

De plus, au milieu de la figure, dans le cercle qui représente la poêle, est écrit :Cis engiens est fais par tel manière, quel part qu’il tort, adès est li paelete droite « Cet instrument est fait de telle sorte que de quelque côté qu’on le tourne, la poêlette est toujours droite. »

Les termes de la note ci-dessus restreignent aux seuls évêques l’usage de l'eschaufaille à mains ; de là sans doute la rareté de cet objet dont aucun échantillon n’a été signalé depuis que l’on recherche les pièce du mobilier des anciennes églises. C’est à lui, sans aucun doute, qu’il faut appliquer une acception de calefactorium que Du Cange n’a pas pu déterminer, et dont il rapporte deux exemples, tous deux tirés d’un ancien inventaire de la cathédrale d’York :Unum calefactorium argenti deauratum cum nodis curiosis insculptis, ponderis unius unicæ. Item unum calefactorium de cupro deaurato cum nodis incultis ponderans x. unicias. Ces nodi unsculpti sont les rivures des boulons destinés à maintenir ensemble les deux parties de la sphère.

Chantepleure (fol. 9 r.). Ce mot qui plus tard désigna un arrosoir, sert à dénommer ici une certaine application du siphon. L’appareil, comme on voit, consiste en une petite tour à toit aigu sur le faite de laquelle est un oiseau qui penche la tête en avant. Cette tour porte sur trois pieds et l’on aperçoit qu’un tube la traverse verticalement, se prolongeant par en bas un peu au-dessous du niveau des trois pieds. Le tout est disposé dans un hanap ou large coupe. On lit à côté :

Vesci une cantepleure con puet faire en j. henap en tel manière quens, en mi le henap, doit avoir une torete ; et ens, en mi liu de le tourete doit avoir j. behot qui tiengne ens el fons del henap ; mais que li behos soit aussi lons com li henas est par fons. Et ens en le torete doit avoir iij. traveçons par sontre le fons del henap, si que li vins henap puist aller al behot. Et par deseur le torete doit avoir j. oiziel qui doit tenir son biec si bas que, quant li henas iert plains, qu’il boive. Adont s’en corra li vins par mi le behot et parmi le piet del henap qui es dobles. Et s’entendes bien que li oiziaus doit estre crues. « Voici une chantepleure qu’on peut faire dans une coupe. Pour cela il doit y avoir au milieu de la coupe une petite tour, et la tour doit être traversée par un tube qui aille au fond de la coupe, tellement donc que le tube sera aussi long que la coupe est profonde. De plus il doit y avoir dans la tour trois lasseaux (pour lui servir de pieds) contre le fond de la coupe, afin que le vin de la coupe puisse aller au tube. Enfin par-dessus la tour il doit y avoir un oiseau dont le bec ira assez bas pour qu’il semble boire, lorsque la coupe sera pleine, alors le vin circulera par le tube et par dedans le pied du hanap qui est à double paroi. Entendez bien aussi que l’oiseau doit être creux. »

Cette explication, aussi bien que la figure qu’elle accompagne, est inexacte ou incomplète. L’oiseau creux et le tube forment siphon ; mais par où amorçait-on ce siphon ?Pourquoi et de quelle façon le pied du hanap était-il double ?Il y a grande apparence que notre auteur ne comprenait pas bien le jeu de l’appareil.

Le principe du siphon a été appliqué, dans le moyen âge, à la construction de certains ustensiles d’église. En 1140. Hugues Payen, évêque du Mans, fit cadeau à sa cathédrale d’un vase de ce genre[2]. « Il est tout orné de pierreries, dit l’auteur qui en parle, et par sa forme ressemble assez à un encensoir, sauf que le chapiteau se termine par un appendice recourbé comme un crochet. Par cet appendice qui est percé d’un trou presque imperceptible, on peut verser le vin dans le calice, sans craindre qu’il s’y mêle ni duvet, ni aucune ordure des ordures qui volent dans l’air. La docte antiquité à donné à cet ustensile le nom de syon. Il est porté en cérémonie par le diacre qui le tient en guise de manipule »

J’ai achevé la revue des appareils mécaniques dessinés par Villard de Honnecourt. Il ne me reste plus qu’à mentionner, comme complément de la matière, deux figures qui concernent la construction des machines. L’une (fol. 20 r.) consiste tout simplement en un cercle sur la surface duquel est appliquée une jauge à trois encoches, tandis qu’une corde enroulée sur la circonférence, s’en éloigne en un point selon la tangente. Au bas est écrit :Par chu tor le vis d’un persoir, « par ce tour tourne la vis d’un pressoir ; » légende très inexacte, car on ne voit nulle part l’apparence d’un tour, mais seulement les objets dont le tourneur se sert pour tracer une vis :la corde qui en décrit l’hélice, la jauge qui en mesure l’évidement.

L’autre dessin (fol. 23 r.) est celui d’un moyeu en forme de cadre entretenu par quatre moises, sur les extrémités desquelles sont chevillés huit rayons ayant leurs naissances sous le cadre. Légende :Par chu fait om l’enbracement d’one roe sans l’arbre endamer ; « ainsi fait-on l’ambrassure d’une roue sans entamer l’arbre. »

  1. Encyclopédie méthodique, Arts et métiers, t. I, p. 550.
  2. Gesta pontif. Genom., dans Analecta de Mabillon, éd. In-fol., p. 326.