Notice sur les titres et les travaux scientifiques de Louis Lapicque

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GRADES

TITRES ET FONCTIONS UNIVERSITAIRES



1886. Licencié ès sciences naturelles, Paris.

  • 1887: Préparateur du Laboratoire des Cliniques de la Faculté de Médecine à l'Hôtel-Dieu de Paris.
  • 1892: Chef-adjoint dudit Laboratoire.
  • 1892-1893: Congé d'un an. Mission scientifique du Ministère de l'Instruction publique (Abyssinie, Malaisie, golfe persique).
  • 1894: Officier d'Académie.
  • 1894: Chef du Laboratoire de la Clinique médicale de la Faculté de Médecine à l'Hôtel-Dieu.
  • 1895: Docteur en médecine (lauréat de la Faculté).
  • 1896: Préparateur au Laboratoire de physiologie de la Faculté des sciences de Paris.
  • 1897: Docteur ès sciences naturelles.
  • 1897: Chargé de Conférences.
  • 1899: Maitre de Conférences à la Faculté des Sciences de l'Université de Paris.
  • 1903: Congé de six mois. Mission scientifique du Ministère de l'Instruction publique (Indes anglaises).
  • 1903: Membre de la Commission des vues et notices pour l'enseignement des adultes au Ministère de l'Instruction publique.
  • 1904: Officier de l'Instruction publique.
  • 1908: Membre de la Commission des Missions scientifiques au Ministère de l'Instruction publique.

RÉCOMPENSES

DISTINCTIONS ET SOCIÉTÉS SAVANTES


  • 1885: Membre depuis la fondation (secrétaire-adjoint la première année) de la Société mycologique de France.
  • 189?: Membre de la Société d'anthropologie de Paris.
  • 1891: Lauréat de la Société de géographie de Paris (Médaille d'or, prix Bourbonnaud).
  • 1894: Elu membre titulaire de la Société de biologie.
  • 1898-1901: Professeur-suppléant du cours d'anthropologie biologique à l'Ecole d'anthropologie de Paris.
  • 1899: Lauréat de l'Académie des sciences (prix Barbier partagé).
  • 1905: Lauréat de l'Académie des sciences (prix Lallemand partagé).
  • 1906: Lauréat de la Société d'anthropologie de Paris (prix Paul Broca).
  • 1906: Legum doctor (honoris causa), Université de Toronto.
  • 1907: Secrétaire de la Commission permanente pour l'étude des croisements ethniques, Société d'anthropologie.
  • 1908: Membre du Comité central de la Société d'anthropologie de Paris.
  • 1908: Vice-président de la Société de biologie.


  • Publications scientifiques par ordre de date
  • 1886.
    • 1. Collaboration à l'ouvrage : Les champignons supérieurs, par L. Forquignon, professeur à la Faculté des Sciences de Dijon, 1 volume, Doin, Paris, 1886.
  • 1887.
    • 2. Recherches sur l'action physiologique de l'Inée ou STROPHANTUS HISPIDUS, avec E. Gley, Société de Biologie, 2 juillet.
    • 3. Sur le mode d'action de l'inée, avec E. Gley, Société de Biologie, 5 novembre.
  • 1888.
    • 4. Note sur un nouvel uréomètre, Société de Biologie, 18 février.
  • 1889.
    • 5. Procédé rapide de dosage du fer dans le sang, Société de Biologie, 2 mars.
    • 5 bis. Procédé rapide de dosage du fer dans le sang, Société Chimique, 12 juillet.
    • 6. Toxicité du cyanure d'éthyle, Société de Biologie, 30 mars.
    • 7. Recherches sur la répartition du fer chez les nouveau-nés, Société de Biologie, 22 juin.
    • 8. Recherches sur la quantité de fer contenue dans le foie et dans la rate des jeunes animaux, Société de Biologie, 20 juillet.
    • 9. Comment l'iodure de potassium agit sur le coeur, avec Germain Sée, Académie de Médecine, 8 octobre.
    • 10. Action de la caféine sur le système nervo-musculaire, avec E. Parisot, Société de Biologie, 7 décembre.
  • 1890.
    • 11. Sur l'action physiologique de l'acide sélénieux, avec E. Chabrié, Académie des Sciences, 20 janvier.
    • 12. Action de la caféine sur les fonctions motrices et respiratoires à l'état normal et à l'état d'inanition, avec Germain Sée et Parisot, Académie de Médecine, 11 mars.
    • 13. Sur l'action de la caféine comparée à celle de la Kola, Société de Biologie, 10 mai.
    • 14. Rôle de la ration azotée dans l'alimentation, Revue critique, Médecine Moderne, 1er mai.
    • 15. Sur le dosage colorimétrique du fer, Société de Biologie, 29 novembre.
  • 1891.
    • 16. Note sur la diminution de l'oxygène du sang artériel dans la maladie pyocyanique, avec Charrin et Gley, Société de Biologie, 25 juillet.
    • 17. Note sur l'appareil servant au dosage de l'oxygène par le procédé de Paul Schützenberger et Risler, Société de Biologie, 25 juillet.
    • 18. Note sur l'action des alcalins, Société de Biologie, 31 octobre.
  • 1892.
    • 19. Sur le dosage colorimétrique du fer, Société Chimique, 22 janvier.
    • 20. Sur l'action physiologique des combinaisons de l'iode, Société de Biologie, 6 février.
    • 21. Action de l'iodure de strontium sur la circulation, avec A. Malbec, Société de Biologie, 4 juin.
    • 22. Activité comparée des iodures alcalins et alcalino-terreux, action des iodures sur le cœur, Société de Biologie, 11 juin.
    • 23. L'alcalinité du sang, Revue critique, Tribune Médicale, 16 et 23 juin.
    • 24. Quelques faits relatifs à la répartition du fer chez les jeunes animaux, Société de Biologie, 16 juillet.
  • 1893.
    • 25. Accidents tétaniques d'origine infectieuse chez la grenouille, avec E. Gley, Société de Biologie, 28 janvier.
    • 26. Etude quantitative sur le régime alimentaire des Abyssins, Société de Biologie, 4 mars.
  • 1894.
    • 27. Note sur le régime alimentaire des Malais, Société de Biologie, 3 février.
    • 28. Photographies relatives aux habitants des îles Mergui (les Selons), observations anthropologiques et ethnographiques sur cette population, Société d'Anthropologie, 15 février.
    • 29. Deux expériences sur la ration azotée minima chez l'homme, avec Ch. Marette, Société de Biologie, 17 mars.
    • 30. Les populations sauvages de la Péninsule Malaise, Congrès des Sociétés savantes, Paris, 29 mars.
    • 31. Présentation d'objets provenant des îles Andaman, Société d'Anthropologie, 19 avril.
    • 32. Sur les Kjökkenmödding des îles Andaman et la prétendue industrie de la pierre dans ce pays, Société d'Anthropologie, 3 mai.
    • 33. Recherches sur la ration d'aliments albuminoïdes nécessaires à l'homme, Archives de Physiologie, 1er juillet.
    • 34. Recherches sur les variations physiologiques de la toxicité urinaire, avec Ch. Marette, Société de Biologie, 21 juillet.
    • 35. Observations sur le procédé de Kjeldahl-Henninger pour le dosage de l'azote, Société Chimique, 9 novembre.
    • 35 bis. Voyage sur la côte du Béloutchistan et dans le golfe persique, Société de Géographie de Paris, 23 novembre.

L'auteur a été en voyage (Mission scientifique) d'août 1892 à janvier 1894. La note 25 a été publiée par M. Gley sur un travail fait en commun avant le départ. Le mémoire 28 a été écrit à Massouali, et envoyé de là à la Société de Biologie.

  • 1895.
    • 36. Quantité de fer contenue dans le foie el la rate d'un foetus humain à terme, Société de Biologie, 19 janvier.
    • 37. Quantité de fer contenue dans l'urine. Société Chimique, 9 février, Société de Biologie, 9 février.
    • 38. Sur l'élimination du fer par l'urine, Archives de Physiologie, avril.
    • 39. Sur l'élimination par le rein du fer injecté dans le sang, Société de Biologie, 30 mars.
    • 40. Article Aliments du Dictionnaire de Physiologie, avec Charles Richet, 87 pages.
    • 41. Notice sommaire sur la mission du yacht « Sémiramis » (illustrée), publiée à l'occasion de l'Exposition au Muséum d'Histoire naturelle des photographies et collections recueillies pendant cette mission.
    • 41 bis. Note sur la mission du yacht « Sémiramis », Bulletin du Muséum, 1er mars.
    • 42. Recherches chimiques sur un cas de diabète pigmentaire, avec E. Auscher, Société de Biologie, 25 mai.
    • 43. Hyperglobulie expérimentale, avec E. Auscher, Société de Biologie, 25 mai.
    • 44. Recherches chimiques sur un cas de diabète pigmentaire (suite), hydrate de fer colloïdal, avec E. Auscher, Société de Biologie, 29 juin.
    • 45. Article Anthropologie (au point de vue physiologique), dans le Dictionnaire de Physiologie.
    • 46. Sur le dosage du fer dans les recherches physiologiques, thèse pour le Doctorat en Médecine, Faculté de Paris.
    • 47. A la recherche des négritos (Voyage du yacht « Sémiramis »).
      • 1° Partie : Les Andaman, avec 36 illustrations d'après les photographies de l'auteur et 1 carte, Le Tour du Monde, 31 août, 7, 14 et 21 septembre.
      • 2° Partie : L'archipel Mergui, avec 19 illustrations et 1 carte, Le Tour du Monde, 14 et 21 décembre.
  • 1896.
    • 47. A la recherche des négritos (Voyage du yacht « Sémiramis »).
      • 3° Partie : La Péninsule Malaise, avec 30 illustrations et 1 carte, Le Tour du Monde, 28 décembre 1895, 25 janvier et 1er février.
      • 4° Partie : La Sonde orientale, avec 26 illustrations et 1 carte, Le Tour du Monde, 8 et 15 février.
    • 48. Un hiver dans l'Erythrée, Société de Géographie de Paris, 10 janvier.
    • 49. Foie et toxine diphtéritique, Société de Biologie, 7 mars.
    • 49 bis. Foie et toxine diphtéritique : réponse à la note de MM. Tessier et Guinard, Société de Biologie, 21 mars.
    • 50. Accumulation d'hydrate ferrique dans l'organisme animal, avec E. Auscher, Archives de Physiologie, août.
    • 51. Documents ethnographiques sur l'alimentation minérale, L'Anthropologie, mars.
    • 52. Sur l'explication physiologique de l'usage du sel comme condiment, Société de Biologie, 30 mai.
    • 53. Dosage du fer dans les tissus que l'on ne peut débarrasser mécaniquement de leur sang, avec A. Guillemonat, Société de Biologie, 20 juin.
    • 54. Variations pathologiques de la teneur en fer du foie et de la rate chez l'homme, avec A. Guillemonat, Société de Biologie, 20 juin.
    • 55. Fréquence relative de la rubigine en pathologie humaine, avec A. Guillemonat, Société de Biologie, 20 juin.
    • 56. Variations quantitatives du fer organique sous l'influence des toxines microbiennes, avec Charrin et Guillemonat, Société de Biologie, 27 juin.
    • 57. Le fer dans le foie et dans la rate : comparaison de l'homme avec diverses espèces animales, avec Guillemonat, Société de Biologie, 11 juillet.
    • 58. La race Négrito et sa distribution géographique, 5 pl. hors texte, Annales de Géographie, 15 juillet.
    • 59. Teneur en fer du foie et de la rate chez l'homme, avec Guillemonat, Archives de Physiologie, octobre.
  • 1897.
    • 60. Production expérimentale de la rubigine, avec E. Auscher, Société médicale des Hôpitaux, 12 février.
    • 60 bis. Observations sur les dosages du fer de MM. XX dans un cas de cirrhose pigmentaire, Société de Biologie, 27 février et 6 mars.
    • 61. Quantité de fer contenue dans les fèces de l'homme, avec Guillemonat, Société de Biologie, 3 avril.
    • 62. Sur l'histoire de la sidérose viscérale et des pigments ferrugineux, Société de Biologie, 1er mai.
    • 62 bis. Rappel aux textes, Réponse à la note de M. Claudius Regaud sur l'historique de l'hémosidérine et des cirrhoses pigmentaires, Société de Biologie, 15 mai.
    • 63. Expérience montrant que le foie détruit l'hémoglobine dissoute et qu'il en garde le fer, Société de Biologie, 8 mai, Académie des Sciences, 10 mai.
    • 64. Observations et expériences sur les mutations du fer chez les Vertébrés, thèse de Doctorat ès Sciences, Paris, Carré et Naud.
    • 65. Détermination quantitative de la ration alimentaire de l'homme, leçon du cours d'anthropologie biologique, Revue mensuelle de l'Ecole d'anthropologie de Paris, décembre.
  • 1898.
    • 66. Sur la relation du poids de l'encéphale au poils du corps, Société de Biologie, 15 janvier.
    • 67. Localisation de la rubigine produite par injection du sang dans le péritoine, avec E. Auscher, Société de Biologie, 15 janvier.
    • 68. Variation de la moelle épinière en fonction de la taille chez le chien, avec Ch. Dhéré, Société de Biologie, 25 juin.
    • 69. Relation entre la forme du cerveau et la grandeur du sujet chez le chien, avec Ch. Dhéré, Société de Biologie, 9 juillet.
    • 70. Variation de la composition chimique du cerveau suivant la grandeur de cet organe, Société de Biologie, 30 juillet.
    • 71. Variation des diverses parties des centres nerveux en fonction du poids du corps chez le chien, avec Ch. Dhéré, Société de Biologie, 30 juillet.
    • 72. Sur le rapport entre la grandeur du corps et le développement de l'encéphale, avec Dhéré, Archives de Physiologie, octobre.
  • 1899.
    • 73. Méthode colorimétrique pour apprécier la résistance globulaire, avec Vast, Société de Biologie, 13 mai.
    • 74. Action de la toluglènediamine sur les globules rouges, avec Vast, Académie des Sciences, 15 mai.
    • 75. Du rôle des mouvements dans la perception visuelle monoculaire, leçon du cours d'anthropologie biologique, Revue mensuelle de l'Ecole d'anthropologie, juin 1899.

En juin 1899, l'auteur a été atteint d'une fièvre typhoïde qui l'a tenu couché cinquante jours, et qui a causé dans son travail une lacune d'une année.

  • 1900.
    • 76. Sur la teneur en fer de l'hémoglobine de cheval, avec H. Gilardoni, Société de Biologie, 12 mai, Académie des Sciences.
    • 77. Sur la toxicité urinaire, Société de Biologie, 9 juin.
    • 78. Sur la courbe hématolytique, Société de Biologie, 28 juillet.
    • 79. Contre l'application pure et simple des lois de l'osmose aux échanges interstitiels, Société de Biologie, 27 octobre.
    • 80. Remarque sur une communication de M. Wallace Wood, intitulée : « Côté cardiaque et côté solaire », Société de Biologie, 22 décembre.
  • 1901.
    • 81. Sur le temps de réaction suivant les races ou les conditions sociales, Société de Biologie, 15 juin, Académie des Sciences, 17 juin.
    • 82. Sur l'activité de la réduction de l'oxyhémoglobine aux diverses altitudes, observation sur une communication de M. Hénocque, Société de Biologie, 23 novembre.
    • 83. Repos et travail au point de vue énergétique, Rectification à la Bibliographie de M. Lefèvre, Société de Biologie, 1er mars.
  • 1902.
    • 84. L'expérience du compas de Weber et la localisation tactile : question de vocabulaire physiologique, avec Victor Henri, Société de Biologie, 5 avril.
    • 85. Sur le rôle de la rate dans la fonction hématolytique, Société de Biologie, 19 juillet et Académie des Sciences, 21 juillet.
    • 86. Rapport sur le concours pour le prix Godard et notamment sur les travaux de M. Abderhalden, Société de Biologie, 13 décembre.
  • 1903.
    • 87. Sur la relation entre la longueur de l'intestin et la grandeur de l'animal, Société de Biologie, 10 janvier.
    • 88. Influence du chloral sur les battements rythmiques dans le coeur de chien excisé, avec Mme Gatin-Gruzewska, Société de Biologie, 7 février.
    • 89. Sur la contractilité et l'excitabilité de divers muscles, avec Mme Lapicque, Société de Biologie, 7 mars.
    • 90. La loi d'excitation électrique et les décharges de condensateur, avec Mme Lapicque, Société de Biologie, 4 avril.
    • 91. Variation de la loi d'excitation électrique pour les divers muscles de la grenouille suivant la rapidité de contraction, avec Marcelle Lapicque, Société de Biologie, 4 avril.
    • 92. Expériences sur la loi d'excitation électrique chez quelques invertébrés, avec Mme Lapicque, Société de Biologie, 9 mai, Académie des Sciences, 11 mai.
    • 93. Expression nouvelle de la loi d'excitation électrique, Société de Biologie, 13 juin, Académie des Sciences, 15 juin.
    • 94. Hyperglobulie périphérique sous l'influence du froid, avec A. Mayer, Société de Biologie, 27 juin.
    • 95. Rapport sur l'attribution de la fondation Laborde, Société de Biologie, 4 juillet.
    • 96. Excitabilité et contractilité de divers muscles, réponse à Mai Joteyko, avec Mme Lapicque, Société de Biologie, 23 juillet.
    • 97. Recherches sur la loi d'excitation électrique, avec Marcelle Lapicque, Journal de Physiologie et de Pathologie générale, septembre.
    • 98. Recherches sur la loi d'excitation électrique, avec Marcelle Lapicque, Journal de Physiologie et de Pathologie générale, novembre.
  • 1904.
    • 99. Sur les bambous employés comme sarbacanes par les sauvages de l'Inde et de la Péninsule Malaise, Bulletin du Muséum, mars.
    • 100. A propos d'une communication sur l'activité des combustions organiques aux hautes altitudes, Société de Biologie, 16 avril.
    • 100 bis. Critiques générales sur la mesure des échanges par la méthode de Hénocque, Société de Biologie, 10 novembre.
    • 101. Sur l'emploi en campagne de la toise horizontale, expérience faite dans le sud de l'Inde, Société d'Anthropologie, 24 avril.
    • 102. En quoi peut être utile à la Sensitive le mouvement par lequel elle répond à un contact?, Société de Biologie, 28 mai, et La Nature, 6 août.
    • 103. Deux ascensions en ballon pour l'étude des questions physiologiques, Société de Biologie, 23 juillet.
    • 103 bis. Diminution de l'hémoglobine dans le sang central pendant les ascensions en ballon, Société de Biologie, 23 juillet.
    • 104. Oscillogrammes de diverses ondes électriques appliquées à l'excitation musculaire, Journal de Physiologie et de Pathologie générale, septembre.
    • 105. Pouvoir d'excitation du régime permanent du courant électrique sur le nerf moteur, Démonstration au Congrès international de Physiologie, Bruxelles, septembre, publié dans Annales d'Electrobiologie, octobre.
    • 106. Variation systématique de la loi d'excitation avec la température. Ibid.
  • 1905.
    • 107. Observations sur la note de M. Gellé : La réforme de l'orthographe et la physiologie, Société de Biologie, 21 janvier.
    • 108. Sur l'excitation des nerfs par les ondes électriques très brèves, Société de Biologie, 18 février, Académie des Sciences, 20 février.
    • 109. Durée des processus d'excitation pour différents muscles, avec Mme Lapicque, Société de Biologie, 18 mars, Académie des Sciences, 20 mars.
    • 110. Sur la forme de la loi d'excitation électrique exprimée par la quantité, Réponse à M. Hoorweg, Société de Biologie, 8 avril.
    • 111. Poids de l'encéphale en fonction du poids du corps chez les oiseaux, avec P. Girard, Société de Biologie, 8 avril, Académie des Sciences, 10 avril.
    • 112. Le sud de l'Inde, le pays et les habitants, la religion, série de 25 vues à pro-jections et notice de conférence, Musée pédagogique, Ministère de l'Instruction publique.
    • 113. L'exploitation des forêts dans le sud de l'Inde, La Science au xx° siècle, 15 mai.
    • 114. Note sommaire sur une mission ethnologique dans l'Indoustan, la race noire prédravidienne, Bulletin du Muséum d'Histoire naturelle, juin.
    • 115. Recherches sur l'ethnogénie des Dravidiens : les Khader des monts d'Anémald et les tribus voisines, Société de Biologie, 3 juin, Académie des Sciences, 5 juin.
    • 116. Recherches sur l'ethnogénie des Dravidiens : relations anthropologiques des tribus de la montagne avec les castes de la plaine, Société de Biologie, 17 juin, Académie des Sciences, 19 juin.
    • 117. Sur la loi d'excitation électrique en fonction de la durée utile des décharges de condensateur, Société de Biologie, 1er juillet.
    • 118. Observations sur la communication de M. Weiss : à propos de l'excitation électrique des muscles et des nerfs, Société de Biologie, 8 juillet.
    • 119. Ethnogénie des Dravidiens. Conclusion : Prédravidien de type nègre et proto-dravidien de type blanc, Société de Biologie, 8 juillet, Académie des Sciences, 10 juillet.
    • 120. L'homme préhistorique démontré par son industrie, série de 25 vues à projection et notice de conférence, Musée pédagogique, Ministère de l'Instruction publique.
    • 121. Sur la grandeur des temps à considérer pour les phénomènes d'excitation, comparaison de la grenouille à quelques invertébrés marins, Bulletin de la Station biologique d'Arcachon, 8ème année.
    • 122. Le problème anthropologique des Parias et des castes homologues chez les Dravidiens, Société d'Anthropologie, 2 novembre.
  • 1906.
    • 123. Influence de la proportion de myéline sur la fixation du chloroforme par les centres nerveux, Société de Biologie, 27 janvier.
    • 124. Observations sur une communication de M. Zanietowski relative aux lois d'excitation, Société de Biologie, 27 janvier.
    • 125. Les nègres d'Asie et la race nègre en général, conférence annuelle Broca, Société d'Anthropologie, 8 mars, Revue Scientifique, 14 et 21 juillet.
    • 126. Comparaison de l'excitabilité du muscle à celle de son nerf moteur, avec Marcelle Lapicque, Société de Biologie, 26 mai.
    • 127. Variation d'excitabilité du muscle dans la curarisation, avec Marcelle Lapicque, Société de Biologie, 9 juin.
    • 128. Unité fondamentale des races d'hommes à peau noire, indice radio-pelvien, Académie des Sciences, 2 juillet.
    • 129. Poids des diverses parties de l'encéphale chez les oiseaux, avec P. Girard, Société de Biologie, 7 juillet.
    • 130. La loi de Du Bois-Reymond en présence des conceptions nouvelles sur l'excitation électrique, communication à la Section de Physiologie de l'Association Médicale Britannique, Congrès de Toronto, août.
    • 131. Sur les limites de l'isodynamie, à propos du coefficient isodyname des albuminoïdes, Congrès international d'Hygiène alimentaire, Paris, 2 octobre.
    • 132. Exercices d'observation (leçons de choses): introduction à l'étude des sciences physiques et naturelles, 1 volume, 224 pages, Cornély et Cie, Paris, 1906.
    • 133. Sur les fonctions rythmiques des animaux littoraux soumis à l'alternance des marées, observation sur la note de M. Bohn, Société de Biologie, 29 décembre.
  • 1907.
    • 134. Influence d'une variation locale de température sur l'excitabilité du nerf moteur, avec Mme Lapicque, Société de Biologie, 12 janvier.
    • 135. Sur la précision dans la question du rythme des marées, Société de Biologie, 23 février.
    • 135 bis. Réponse à une communication de M. Bohn, même sujet, Société de Biologie, 16 mars.
    • 136. Première approximation d'une loi nouvelle de l'excitation électrique basée sur une conception physique du phénomène, Société de Biologie, 13 avril.
    • 137. Les théories récentes de l'excitation électrique et les décharges de condensateur, Société de Biologie, 20 avril.
    • 138. Sur l'excitation par décharges de condensateur, détermination directe de la durée et de la quantité utiles, Société de Biologie, 27 avril.
    • 139. Tableau général des poids somatique et encéphalique dans les espèces animales, Société d'Anthropologie, 2 mai.
    • 140. Sur les décharges de condensateur, à propos de la note de M. Cluzet, importance de la vérification des formules par la comparaison arec le courant constant, Société de Biologie, 4 mai.
    • 141. Réponse à la note de M. Cluzet, intitulée: Sur l'excitation par décharges de condensateur; deuxième note à propos des communications de M. Lapicque, Société de Biologie, 25 mai.
    • 141 bis. Nouvelle réponse sur le même sujet, Société de Biologie, 8 juin.
    • 141 ter. Réponse à M. Weiss sur le même sujet, Société de Biologie, 6 juillet.
    • 142. Sur le poids de l'encéphale chez les animaux domestiques, avec Pierre Girard, Société de Biologie, 1er juin.
    • 143. Le poids encéphalique en fonction du poids corporel entre individus d'une même espèce, Société d'Anthropologie, 6 juin.
    • 144. Tableau général du poids encéphalique en fonction du poids du corps, Académie des Sciences, 24 juin.
    • 145. Sur la nature du phénomène par lequel l'électricité excite les nerfs, Journal de Physiologie et Pathologie générale, juillet.
    • 146. Recherches quantitatives sur l'excitation électrique des nerfs traitée comme une polarisation, Journal de Physiologie et de Pathologie générale, juillet.
    • 147. Sur la fécondité des croisements entre races humaines distantes, Société d'Anthropologie, 4 juillet.
    • 148. Polarisation de membrane dans les électrolytes du milieu physiologique reproduisant la loi de l'excitation électrique des nerfs, Société de Biologie, 6 juillet.
    • 149. Sur l'osmose à travers les sacs de collodion, Société de Biologie, 6 juillet.
    • 150. Comparaison du poids encéphalique entre les deux sexes de l'espèce humaine, Société de Biologie, 9 novembre.
    • 151. Centres échelonnés pour la coordination de la marche chez les crustacés décapodes, Société de Biologie, 30 novembre.
    • 152. Différence sexuelle dans le poids de l'encéphale chez les animaux: rat et moineau, Société de Biologie, 21 décembre.
    • 153. Plan d'une théorie physique du fonctionnement des centres nerveux, Société de Biologie, 28 décembre.
  • 1908.
    • 154. Orthorhéonome à volant, excitabilité de nerfs différents pour des ondes lentes ou rapides, Société de Biologie, 11 janvier.
    • 155. Excitation par double condensateur, Société de Biologie, 29 février.
    • 156. Observation sur l'ouvrage de Liebreich: L'asymétrie du visage et son origine, Société d'Anthropologie, 2 avril.
    • 157. Excitation par double condensateur, influence de la température et de la vitesse propre du nerf, avec Mme Lapicque, Société de Biologie, 4 avril.
    • 158. La relation entre le poids du cerveau et le poids du corps, Revue du Mois, 10 avril.
    • 159. Sur les injections de cocaïne dans les centres nerveux, Société de Biologie, 11 avril.
    • 160. Opsonic index: indice opsonique, Société de Biologie.
    • 161. Sur la théorie de l'excitation électrique, Académie des Sciences, 18 mai.
    • 162. Sur l'explication physiologique de l'usage du sel, discussion contre Bunge de certains documents ethnographiques, Société de Biologie, 6 juin.
    • 163. Relation entre la grandeur des yeux et le poids de l'encéphale chez les Vertébrés inférieurs, avec M. Henri Laugier, Société de Biologie, 20 juin.
    • 164. Sur de prétendues mutations hydriques transcutanées, Société de Biologie, 20 juin.
    • 165. La grandeur relative de l'oeil et l'appréciation du poids encéphalique, Académie des Sciences, 20 juillet.
    • 166. Sur la théorie de l'excitation électrique, Journal de Physiologie et de Pathologie générale, juillet.
    • 167. Expérience montrant qu'il n'y a pas une durée limite pour l'excitation, Journal de Physiologie et de Pathologie générale, juillet.
    • 168. Electrodes au chlorure d'argent, Société de Biologie, 25 juillet.
    • 169. Une théorie physiologique du vol plané, Revue du Mois, 10 août.


  • Tableau systématique des recherches principales


1. Anthropologie

  • Anatomie et zoologie
  • Sur les races noires.
  • Observations personnelles en Abyssinie, Béloutchistan, Indes orientales, îles Andaman, Mergui, Péninsule de Malacca, Florès et Timor.
  • Découverte des petits nègres de la Péninsule de Malacca.
  • Explication ethnogénique de la prétendue race dravidienne et des Indous en général; protodravidien blanc et prédravidien nègre.
  • Réduction de l'origine de toutes les races noires à une race primitive unique caractérisée par les proportions du corps aussi bien que par la couleur, la chevelure et les traits du visage.
  • Recherches couronnées par la Société de géographie de Paris, médaille d'or (prix Bourbonnaud), 1895, et par la Société d'anthropologie de Paris (prix Broca), 1906.


2. Anatomie comparée

  • Sur l'évolution quantitative du système nerveux chez les Vertébrés.
  • Le poids de l'encéphale en fonction du poids du corps chez les oiseaux.
  • Loi intérieure de l'espèce différente de la loi d'espèce à espèce; application au dimorphisme sexuel : égalité du poids relatif chez l'homme et chez la femme.
  • Régression cérébrale des animaux domestiques.
  • Relation entre la grandeur de l'œil et le poids de l'encéphale.
  • Mesure, par un procédé chimique, de la proportion de substance blanche suivant la grandeur et le degré d'évolution organique.


3. Physiologie

  • Fonctions de nutrition
  • Sur les mutations du fer chez les Vertébrés.
  • Procédé de dosage du fer adapté aux recherches biologiques.
  • Faibles mutations de fer entre l'organisme et le milieu.
  • Circulus interne du fer.
  • Teneurs en fer du foie et de la rate; dans l'espèce humaine, différence sexuelle.
  • Double mécanisme de destruction des globules rouges et d'emmagasinement du fer qui en provient.
  • Isolement et détermination chimique du principal pigment ferrugineux.
  • Le début de ces recherches a été récompensé par l'Académie des Sciences d'une mention de 1600 francs, Prix Montyon, 1897.


4. Sur la ration d'entretien chez les animaux à sang chaud.

  • Analyse de régimes alimentaires chez des populations intertropicales.
  • Rectification du chiffre classique exprimant le besoin minimum d'albumine.
  • Contributions à la théorie énergétique de l'alimentation.
  • Rectification de l'explication physiologique de l'usage du sel comme condiment.
  • Recherches couronnées par l'Académie des Sciences. Prix Barbier (partagé), 1899.


5. Fonctions de relation

  • Sur l'excitabilité musculaire et nerveuse.
  • Réduction de l'excitation électrique à un phénomène physico-chimique, la polarisation des membranes hémiperméables.
  • Explication des lois classiques empiriquement établies.
  • Introduction dans la notion d'excitabilité d'un paramètre chronologique.
  • Gradation évolutive de la vitesse d'activité étudiée sur divers muscles et nerfs dans la série animale.
  • Isochronisme de chaque muscle et de son nerf moteur.
  • Théorie physique du fonctionnement des centres nerveux.
  • Recherches couronnées par l'Académie des Sciences. Prix Lallemand (partagé), 1905.


  • Avant-propos

"La physiologie ne peut être raisonnablement opposée à la morphologie... Que pour faciliter l'enseignement on distingue la science des formes et qu'on mette en regard la science des fonctions, cela peut être de quelque utilité. Mais à la condition de ne pas masquer les rapports intimes qui unissent ces deux ordres de connaissances." (Alfred Giard)


Des travaux scientifiques n'ont besoin, semble-t-il, que d'être exposés en eux-mêmes, et par rapport à l'état de la science. Pourtant, après avoir essayé de classer les miens dans le tableau qui précède, je demande la permission de dire quelques mots personnels; en somme, c'est ma vie scientifique qu'il s'agit de soumettre au jugement du lecteur. Pour ordonner mes recherches suivant les cadres traditionnels, je suis obligé de les répartir dans plusieurs des spécialisations biologiques. Dois-je craindre qu'on m'en fasse grief? Si l'on veut bien noter que je ne prétends nullement tout connaître de l'Histoire naturelle, je dirai que toute l'Histoire naturelle m'intéresse. Quand j'étais jeune garçon, mon père, vétérinaire dans une petite ville, m'emmenait aux champs dans tous les moments de loisir que me laissait le collège; avec lui, j'ai dessiné des champignons, séché des plantes en herbier, piqué des papillons et empaillé des oiseaux. Plein d'admiration pour l'infinie splendeur de la vie, au moment où je dus choisir une carrière, je voulus formellement devenir un naturaliste. Mais quelle forme pratique peut revêtir un tel désir pour un enfant dans un coin de province? D'après les exemples que j'avais sous les yeux, je ne vis qu'un moyen de satisfaire mes goûts: me faire médecin. Venu à Paris pour suivre l'enseignement médical, je n'ai pas tardé à chercher quelque chose en dehors; j'ai été rôder au Muséum, puis à la Faculté des Sciences, et là, je suis devenu l'élève d'Henri de Lacaze-Duthiers. Ce maître éminent me fit l'honneur de me remarquer; et quand j'eus passé ma licence, il m'offrit de rester dans son laboratoire, me promettant une carrière dans la zoologie telle qu'il la comprenait. Il n'aimait pas la technique physiologique, même la plus simple, et traitait irrévérencieusement de tournebroche le cylindre enregistreur. J'étais au contraire très attiré par ce que j'avais entrevu de cette technique. Je quittai Lacaze-Duthiers pour entrer dans un laboratoire de Physiologie. Mon choix, tout instinctif qu'il fût, ne m'égarait pas, il me semble. "L'avenir en Biologie est aux sciences expérimentales... à celles où l'on soumet des substances ou des êtres vivants aux agents physiques et chimiques." (1) Ainsi s'exprimait récemment un homme qui est au premier plan de la zoologie contemporaine, et ce n'est pas dans sa bouche une formule vaine. Pour quelques-uns, de telles études ne sont plus de la zoologie; je ne chercherai pas une querelle de mot à ceux qui veulent garder aux étiquettes primitives le sens étroit des sciences à leurs débuts. Mais faisant de la zoologie sous sa forme nouvelle, étais-je obligé de renoncer à l'ancienne? Il est bien vrai qu'on peut faire de la physiologie animale sans connaître les animaux, étudier la vie en faisant abstraction des innombrables formes vivantes. C'est même la physiologie la plus élevée, puisque la plus générale; et toute étude physiologique un peu poussée va dans ce sens, vers "la chimie et la physique de la vie", comme disait récemment M. Dastre, en faisant remarquer lui-même que l'expression est "un peu étroite" pour une définition de la physiologie. J'ai pour ma part travaillé à réduire ainsi l'organique à l'inorganique, et, de ce travail, j'ai tiré de profondes jouissances. Mais à côté, j'ai gardé le goût, le besoin même, des formes concrètes, des structures visibles; je m'intéresse aux espèces, ces réalisations contingentes des lois immuables, et j'ai la curiosité des contingences passées dont elles dérivent. Aussi, quand l'occasion s'est offerte (2) de faire autour de l'Océan indien un voyage de quinze mois, pour l'étude d'une question de morphologie humaine et de classification ethnique, j'ai accepté volontiers, interrompant une recherche sur le fer où j'avais entrepris d'accumuler des centaines et des centaines de dosages. Ces temps derniers, mes recherches sur l'excitation électrique sont arrivées à prendre une forme presque purement physique, avec des expériences brèves, où l'objet de l'étude n'apparaît que par une coïncidence numérique obtenue après de laborieux calculs; je me reposais de cette abstraction en disséquant des encéphales, en revenant à une observation directe, où le chiffre exprime seulement avec plus de précision ce que l'œil a perçu tout d'abord. Ce n'est pas à dire que mes efforts se sont dispersés; dans le vaste champ de l'histoire naturelle, si je ne me suis pas interdit de glaner çà et là au passage, j'ai ouvert des fouilles en quelques points, distants les uns des autres, mais peu nombreux, et en chacun de ces points j'ai creusé avec persévérance. Mes recherches sur les mutations du fer, où j'ai commencé par me créer mon procédé de dosage, ont été poursuivies pendant plus de douze ans. Mon voyage ethnologique présentait une lacune; quand je l'ai pu, c'est-à-dire après dix ans, je suis retourné aux Indes pour combler cette lacune. L'excitabilité nerveuse fait depuis 1901 mon occupation principale. Et ainsi des autres. Si l'on veut bien, pour l'une quelconque de ces recherches, examiner l'exposé que j'en donne plus loin, j'espère qu'on y verra l'enchaînement logique de raisonnements et d'expériences qui constitue la méthode. Et d'un ordre d'études à l'autre, comme au fond toutes les disciplines biologiques se tiennent, qu'elles n'ont qu'un seul objet envisagé sous des angles divers, les faits bien souvent s'éclairent et se complètent. Par exemple, l'observation ethnographique m'a fourni pour la théorie du régime d'entretien des documents importants; l'évolution quantitative des centres nerveux m'a éclairé sur des faits de l'évolution fonctionnelle. La série de recherches qui m'a conduit à l'analyse physico-chimique du processus général de l'excitation a eu comme point de départ la question suivante: préciser l'adaptation fonctionnelle des muscles de la jambe au mode de locomotion chez les Batraciens. D'autre part, est-il besoin de le dire? Le contact personnel avec des manifestations plus diverses de la vie fait saisir sous un dessin d'autant plus ferme et d'autant plus achevé les conceptions générales, les grandes synthèses comme la doctrine de l'Évolution.

Presque dès le début de mon activité scientifique, mon travail a été autonome. J'ai eu en physiologie deux maîtres, M. Gley, à l'origine; plus tard, M. Dastre; je dois beaucoup à l'un et à l'autre pour la formation de mon esprit; mes recherches me sont personnelles. Les collaborateurs dont on trouvera les noms dans ma bibliographie, et dont quelques-uns sont aujourd'hui professeurs à l'étranger, étaient presque tous mes élèves au moment où j'ai eu le plaisir de travailler avec eux. 11 y a quelques travaux, formant un anneau de la chaîne de mon raisonnement que j'ai suscités, dirigés et contrôlés, mais où je n'ai pas mis mon nom parce que je n'y avais aucune part matérielle; je mentionne ces travaux à leur place logique. Par contre, dans les sociétés savantes dont je suis membre, j'ai souvent pris la parole à propos d'un travail présenté, sans avoir de faits personnels à produire; en général, je n'ai pas cru nécessaire de rédiger mes observations, qui néanmoins n'ont pas toujours été perdues. Parfois j'ai publié une note plus ou moins longue. Je mentionnerai celles-là; la critique est une partie de la besogne scientifique qui ne me parait pas négligeable. Je trouve même que son avantage est double: en vertu de l'inévitable loi du talion, elle constitue une épreuve aussi pour le travail personnel de celui qui la présente. J'ai eu la satisfaction de voir le mien résister fort bien à cette épreuve. Après vingt et un ans de publication scientifique, je n'ai pas encore eu à revenir sur quelque chose que j'aie donné comme un fait. Quant aux théories, je m'en suis longtemps abstenu, trop sévèrement peut-être: celles que je me suis permises récemment n'ont pas encore eu beaucoup de temps pour être critiquées; mais elles sont si près du fait que je peux les espérer solides.

Chacune de mes recherches principales forme un chapitre de l'exposé qui suit, dans l'ordre du tableau systématique (pages X et XI); les recherches fragmentaires sont rassemblées à la fin. Je remercie Messieurs les Éditeurs Masson et Cie, Hachette et Cie, A. Colin et Cie, qui m'ont obligeamment permis de reproduire ici quelques-uns des clichés ayant paru chez eux dans mes publications.


  • (1) Yves Delage : L'anatomie comparée et les bases de la morphologie, Revue scientifique, 5 août 1903, page 112.
  • (2) Voyage de la Sémiramis à Jules Lebaudy: on s'était adressé d'abord à l'École normale, pour lui demander un jeune naturaliste, et c'est de là que la proposition restée sans réponse m'est revenue.


  • Chapitre I: Etude anthropologique sur les races noires


  • Recherches sur l'aire géographique des Négritos
  • 1894
    • (28). Présentation de photographies relatives aux habitants des îles Mergui, les Sélons. Observations anthropologiques et ethnographiques sur cette population, Société d'Anthropologie de Paris, 15 février;
    • (30). Les populations sauvages de la Péninsule Malaise, Congrès des Sociétés savantes, Paris, 29 mars;
    • (31). Présentation d'objets ethnographiques provenant des îles Andaman, Société d'Anthropologie, 19 avril;
    • (32). Sur les Kjökkenmödding des îles Andaman et la prétendue industrie de la pierre dans ce pays, Société d'Anthropologie, 3 mai;
    • (35). Voyage sur la côte du Béloutchistan et dans le golfe persique, Société de Géographie de Paris, 23 novembre.
  • 1895
    • (41). Notes sur la mission du yacht « Sémiramis », Bulletin du Muséum, mars;
    • (47). A la recherche de Négritos, Voyage du yacht « Sémiramis », « Le Tour du Monde », août, septembre et décembre.
  • 1896, idem, janvier et février;
    • (58) La race Négrito et sa distribution géographique, Annales de Géographie, 15 juillet.

Crawfurd, en 1848, proposait de distinguer des Mélanésiens ou Papous les populations négroïdes de plus petite taille que l'on avait remarquées aux Philippines et aux îles Andaman, que l'on soupçonnait dans l'intérieur de la Péninsule Malaise; il en faisait, en raison surtout de cette petite taille, une race particulière à laquelle il appliquait le nom de Négritos, donné par les Espagnols aux petits sauvages noirs habitant les montagnes des Philippines. Vers 1860, l'exploration de Mouat dans les îles Andaman rapporta des pièces ostéologiques, provenant des petits nègres qui formaient jusque-là une population pure dans l'archipel; Owen, puis Quatrefages, en firent l'étude, et y reconnurent des brachycéphales; ce caractère crânien séparait nettement les Andamanais des Papous, qui sont très dolichocéphales; au contraire, on notait des rapprochements nombreux avec les Négritos philippins. La conception de Crawfurd ainsi justifiée, prit ensuite, avec les travaux de Quatrefages et de M. Hamy, une grande extension. Ces auteurs relevèrent dans les récits des voyageurs de nombreux indices relatifs à des sauvages, petits et noirs, habitant des points peu accessibles, jungles et montagnes, au milieu de régions considérées comme la patrie de populations différentes; ils signalent de tels indices, en dehors de la Malaisie, vers le nord, parmi les jaunes en Indochine, à Formose, jusqu'aux îles Liou-Kiou voisines du Japon; vers l'est, jusqu'en Nouvelle-Guinée, au milieu des Papous; vers l'ouest, à Ceylan et dans toute la Péninsule Hindoue. Bien plus à l'ouest encore, à Suze, M. Marcel Dieulafoy a montré que les documents anciens témoignent d'un rôle considérable joué dans cette région aux premiers temps de l'histoire par des noirs, et M. Houssay a retrouvé des traces de sang noir dans la population actuelle. Partout ces noirs apparaissent comme une population plus ancienne que tout ce qui l'entoure. Admettant que toutes ces indications se rapportent à des Négritos, on arrive à considérer cette race comme une portion jadis importante de l'humanité, ayant couvert une région étendue.

En 1892, sur les conseils de M. Marcel Dieulafoy, j'ai entrepris de contrôler directement et de relier entre elles, si possible, les observations assez disparates que l'on possédait sur la question Négrito. Les moyens matériels étaient assurés dans des conditions exceptionnelles par la générosité de Mme Jules Lebaudy, qui prêtait pour cette recherche un yacht à vapeur de 500 tonnes, la Sémiramis, et prenait tous les frais à sa charge (1). La Sémiramis quitta la France à la fin de novembre 1892, se dirigeant sur le golfe persique ; mais les vents violents qui règnent en hiver dans le sud de la Mer rouge arrêtèrent le capitaine; il relâcha à Massouah jusqu'au changement de mousson; pendant les deux mois de cette relâche, j'étudiai l'anthropologie physique des Abyssins (voir plus loin) et leur régime alimentaire (voir Chapitre IV). Quand je pus repartir, étant donnée la saison, je fis faire cap directement sur les îles Andaman, pour y prendre connaissance personnelle du Négrito dans son échantillon le plus typique et le plus pur. Je passai trois semaines dans l'archipel, dont je visitai une grande partie avec un inspecteur anglais en tournée; j'examinai successivement les diverses tribus entre lesquelles se partage la petite population andamanaise.

(1) Le yacht avait été armé, sous le commandement du capitaine Viel, pour procurer un voyage instructif à Max Lebaudy, que je devais accompagner et tâcher d'intéresser à la science. Nous attendions ce jeune homme depuis deux mois à Port-Vendres, quand il renonça définitivement au voyage. Mme Jules Lebaudy, sa mère, envoya alors au capitaine l'ordre de partir immédiatement en considérant comme seul but de la croisière la recherche scientifique. Dans ces conditions, je regrettai vivement d'être le seul naturaliste à profiter de cette croisière, dont on aurait pu rapporter une riche moisson de documents dans les différentes branches de l'histoire naturelle; mais étant seul, je jugeai que le mieux était de concentrer mes forces sur un programme limité. Le champ Négrito était encore trop vaste en dehors de la Péninsule Malaise, d'un intérêt capital, je me suis efforcé de décider le capitaine à me conduire dans les contrées où l'on va difficilement par les paquebots.

Je recueillis tous les objets typiques de son industrie, qui avaient été correctement décrits, mais dont il n'existait pas un seul spécimen en France; finalement, je fouillai un Kjökkenmödding, pour comparer l'ethnographie ancienne avec l'actuelle; je pus me convaincre qu'il n'y avait eu, au cours de plusieurs siècles, pas de variation sensible. En particulier, l'emploi des instruments de pierre, quoi qu'en aient dit certains auteurs, n'était pas plus développé autrefois qu'aujourd'hui (32). Quant au type physique, je constatai aussi qu'il avait été correctement décrit. Mes mesures relatives aux grandeurs somatiques principales, notamment la taille (150 centimètres pour les hommes, 140 pour les femmes), et l'indice céphalométrique (83), concordèrent avec les chiffres publiés, en particulier, avec ceux de M. Man. On avait seulement exagéré l'uniformité de la race, en tenant un compte trop exclusif de la petite tribu voisine de l'établissement anglais.


  • Les îles Mergui.

Sous la même latitude, à la rive orientale du golfe du Bengale, se trouve l'archipel de Mergui, dont la population était « à peu près inconnue » (Hamy). Un voyageur italien disait y avoir trouvé des Négritos. Cette population (les Sélons) est nomade sur ses barques, et très farouche. Après en avoir aperçu quelques spécimens au port de Mergui (Birmanie), j'allai à sa recherche dans l'archipel, et je réussis à en bloquer dans une baie une tribu que je pus examiner et photographier. Mes observations m'amènent à la conclusion suivante : la race est mélangée ; elle comprend au moins deux éléments, l'un de haute taille, dolichocéphale, blanc; et un élément de plus petite taille mongolique. Ses caractères physiques, comme son ethnographie, la rattachent aux populations ordinaires de la côte voisine, quelques indices laissent à peine soupçonner une légère immixtion de sang noir. Les Sélons n'ont de remarquable comme industrie que leurs barques; ils se livrent sur les bancs de corail à la pêche des holothuries, qu'ils font sécher et vendent aux marchands chinois.


  • La Péninsule Malaise.

Dans le milieu d'avril 1873, la Sémiramis arrivait à Poulo-Pinang et j'entrepris une exploration systématique de la Péninsule Malaise. Il s'agissait de combler une lacune essentielle dans la théorie du Négrito. Crawfurd, lors du travail qui a ouvert cette question en 1848, avait vu à la côte un petit nègre amené de l'intérieur et avait entendu parler d'un autre; dans le demi-siècle écoulé depuis lors, je ne connais que deux observations analogues, tout aussi sommaires. Au contraire, les études de Logan sur les aborigènes de l'intérieur de la Péninsule montraient toute autre chose que des nègres; et, d'autre part, Miklukho-Maklay, en 1873, avait étudié des tribus à caractère de mulâtres, mais son étude le conduisait à considérer l'élément noir de ce métissage comme dolichocéphale. Or, nous sommes ici au coeur du domaine hypothétique

des Négritos, entre les deux seules stations incontestées, les Philippines au Nord-Est, les Andaman à l'Ouest. C'est la notion même du petit nègre brachycéphale qui est en cause.

Je pris comme premier objectif de trouver les tribus vraiment négroïdes signalées par les rares échantillons venus de la côte. Partant des renseignements notés par les auteurs sur les provenances de ces échantillons, je les cherchai dans les montagnes de l'axe de la Péninsule, vers la frontière entre le Siam et les colonies anglaises, et je réussis, après quelque temps, à les trouver sur les flancs d'un petit massif montagneux, le Gounong-Inas, qui sépare le bassin de la rivière Krian de la haute vallée du Perak. Là, à peu de distance, dans la forêt vierge au delà des derniers villages malais, je visitai deux tribus, comprenant ensemble environ 150 individus, qui étaient, sinon des nègres tout à fait purs, du moins des mulâtres à élément noir nettement prédominant. La couleur de la peau est chocolat ; les cheveux sont franchement crépus chez presque tous les individus. Les traits rappellent beaucoup ceux des Andamanais (surtout des indigènes de l'Andaman du Nord), avec une tête arrondie et un visage camard sans prognathisme. La taille (moyenne des deux sexes) est de 149 centimètres, supérieure de 4 centimètres à la moyenne des Andamanais; l'indice céphalométrique moyen s'élève à 79,5, inférieur de trois unités et demie à l'indice moyen des Andamanais. Ces petits nègres sont restés au stade sauvage, sans cultures, demi-nomades en pleine jungle, n'ayant que des abris rudimentaires, et vivant de chasse. Ils sont eux-mêmes considérés comme des singes par les Malais qui leur donnent la chasse par sport; en malais le même mot, Orang-outan, hommes des bois, sert à désigner indifféremment ces sauvages et les singes anthropoïdes. Depuis on a retrouvé et étudié des tribus semblables en des points voisins du point où j'avais opéré moi-même; les photographies, les mesures et les observations diverses n'ont guère fait que confirmer les miennes, qui restent les premières. Les désignations multiples et contradictoires des tribus sauvages n'ont aucune valeur ethnologique; j'ai proposé pour le type noir le nom que se donne à elle-même la première tribu observée: Méniks. L'existence de nègres dans l'intérieur de la Péninsule Malaise étant reconnue, il faut classer ces nègres, et, à défaut de spécimens tout à fait purs, discuter l'ensemble des éléments ethniques combinés dans les diverses tribus de montagne qui représentent les populations anciennes de la contrée.

Ces éléments ethniques sont complexes; j'ai étudié, en diverses excursions réparties sur un total de cinq mois, une série de tribus échelonnées du Nord au Sud depuis le Gounong-Inas jusqu'au détroit de Johor, près de Singapour. Voici les conclusions que j'en ai tirées et qui me paraissent confirmées par les observations ultérieures quand même leurs auteurs en ont tiré des conclusions différentes. Toutes ces tribus résultent d'un métissage entre trois races très distantes:

  • 1° des nègres, de petite taille, sous-brachycéphales et non prognathes;
  • 2° des jaunes brachycéphales qu'on pourrait appeler des protomalais;
  • 3° des dolichocéphales, Indonésiens (de Hamy) ou blancs allophylles de Quatrefages (type dayak).

L'un ou l'autre de ces éléments prédomine dans certaines tribus, le type Négrito chez les Méniks (pages 5 et 6); le type jaune chez les Jakouns, tout au sud de la Péninsule (page 7), le type indonésien, que je suis aussi le premier à avoir signalé dans cette région, chez les Sakaies du Datong-Padang, entre les deux. Le mélange avec Indonésiens dolichocéphales explique l'abaissement de l'indice céphalique observé chez les Méniks, et on peut faire rentrer l'élément noir primitif dans le cadre du Négrito classique.

  • La Malaisie orientale.

Ce point éclairci, j'allais chercher à l'extrémité de la Sonde orientale, aux îles de Florès, Solar, et Timor, la limite orientale des Négritos, leur contact avec les Papous, suivant la conception de Quatrefages et Hamy. Il me fut impossible de relever dans cette région autre chose qu'un mélange inextricable entre négroïdes, Indonésiens et Malais. On ne trouve pas, en effet, dans ces îles, les conditions favorables pour l'ethnologie que présentent les tribus de jungle de la Péninsule; la grande forêt équatoriale qui rend les communications extrêmement difficiles, même entre deux vallées voisines, entretient, en effet, une ségrégation relative et fait subsister longtemps des témoins des populations anciennes; tout au moins, en ralentissant la diffusion, elle maintient dans le métissage une gradation régulière qui permet de reconnaître par l'analyse les caractères des types constituants. Dans la Sonde orientale, les forêts sont peu importantes; les diverses tribus font continuellement des incursions guerrières les unes chez les autres, et vont parfois fort loin sur leurs prahos, embarcations d'assez grande taille conduites par des marins hardis. Tout ce que je puis préciser, c'est qu'en allant vers l'Est, en passant de Florès à Timor, le caractère nègre s'accentue en même temps que la taille s'accroit. Comme, d'autre part, les brachycéphales que j'ai pu observer paraissent déformés ou sont attribuables à l'élément mongolique, on ne voit pas d'indices de petits nègres brachycéphales, c'est-à-dire de Négritos; l'élément noir doit être étiqueté Papou. Outre les mensurations et les photographies, j'ai recueilli divers objets d'une ethnographie curieuse et dont nous n'avions pas de spécimens en France; j'ai recueilli aussi six crânes; jusque-là, il n'existait dans tous les musées d'Europe réunis qu'un seul crâne de cette région (1).

(1) Voir Ernest Hamy : Note sur l'anthropologie des îles Florès et Adonara, in Bulletin du Muséum, 29 mars 1895, travail basé sur les crânes en question, que j'ai donnés au Muséum. Les collections d'ethnographie sont au Musée du Trocadéro.


  • Béloutchistan et golfe Persique.

Quand revint l'hiver boréal, je repris mon programme sur le point que je n'avais pu réaliser l'hiver précédent: chercher dans le golfe persique la limite ouest de l'aire des Négritos. Je visitai tous les points habités de l'aride côte du Béloutchistan, où l'on retrouve toujours les Ichthyophages d'Hérodote; j'allai à quelques journées de chameau dans l'intérieur examiner la population des oasis. A la frontière du Béloutchistan et de la Perse, je trouvai les ruines d'une assez grande ville abandonnée, dont je fouillai les cimetières; je visitai trois ports persans, et, partant de l'un d'eux, une série de villages jusqu'au pied du haut plateau. Partout j'ai observé du nègre africain importé comme esclave, mais point de signe d'un élément noir autochtone. Comme le pays est nu, que les lieux habitables sont rares, je crois pouvoir penser que de la zone de l'Indus au Chott-el-Arab, au moins sur une bande de vingt lieues de largeur bordant la mer, il n'existe pas de population montrant l'existence d'un tel élément. Le cimetière de la ville ruinée était musulman, d'après la disposition des tombes, mais relativement ancien, puisque certaines tombes, creusées dans une butte gréseuse, avaient subi une érosion atmosphérique d'environ un mètre. Les quelques crânes, d'ailleurs incomplets, que j'ai pu y recueillir, ne montrent pas une différence sensible avec la population actuelle de la région.


Je rentrai en Europe au mois de janvier 1895, et je me mis à l'étude de mes documents. Outre les notes et mémoires ci-dessus, j'ai commencé une publication plus complète et plus systématique; grâce à la générosité encore de Mme J. Lebaudy, j'ai pu faire tirer 60 planches en phototypie. Mais en avançant dans mon travail, je me suis trouvé, entre les doctrines classiques dont j'étais imbu et les faits que j'avais observés, dans l'impossibilité de comprendre. Je ne pouvais publier dans ces conditions. Il a fallu, pour m'éclairer, un voyage ultérieur et le travail qui l'a suivi. J'espère maintenant pouvoir rapidement mettre au jour cette publication.


  • Ethnologie de L'Indoustan
  • 1905
    • (114). Note sommaire sur une mission ethnologique dans l'Indoustan: la race noire prédravidienne. Bulletin du Muséum, juin;
    • (115). Recherches sur l'ethnologie des Dravidiens: 1) Les Khader des monts d'Anémalé et les tribus voisines, Société de Biologie, 3 juin, Académie des Sciences, 5 juin;
    • (116). Recherches sur l'ethnologie des Dravidiens: 2) Relation anthropologique des tribus de la montagne aux castes de la plaine, Société de Biologie, 17 juin, Académie des Sciences, 19 juin;
    • (119). Ethnogénie des Dravidiens, conclusion: prédavidien de type nègre et protodravidien de type blanc, Société de Biologie, 8 juillet, Académie des Sciences, 10 juillet;
    • (122). Le problème anthropologique des Parias et des castes homologues chez les Dravidiens, Société d'Anthropologie, 2 novembre.

Dans mon voyage de 1893, j'avais systématiquement laissé de côté l'Indoustan, qui constituait un domaine important de la théorie des Négritos, si important même que je n'avais pas cru pouvoir l'étudier en passant. Les circonstances ne me permirent d'y revenir que dix ans plus tard, grâce à une mission que voulut bien m'accorder le ministère de l'Instruction publique. Quatrefages, et surtout Hamy, avaient corrigé une série de renseignements sur l'existence, en divers points de l'Inde, dans des régions montagneuses et boisées, des tribus plus ou moins noires, toujours plus noires et de plus petite taille que les populations de la plaine environnante; ils en avaient déduit que l'élément noir primitif de l'Inde était le Négrito. Mais, mesurées récemment, par Risley dans le Bengale et le Centre, par Thurston dans le Sud, ces tribus de jungle ont montré, au lieu de la brachycéphalie ou de la sous-brachycéphalie attendue par Quatrefages, la même dolichocéphalie sensiblement que les populations de plaine alentour. D'autre part, les frères Sarrazin avaient reconnu en 1893 que les Veddas de Ceylan, admis aussi comme Négritos, étaient en réalité dolichocéphales. Y avait-il donc lieu, comme le veulent ces derniers auteurs, d'admettre une nouvelle race de petits noirs, la race veddaïque, race qui tiendrait dans l'Inde et Ceylan la même place que les Négritos en Malaisie? Mais les petits noirs de Risley, de Thurston et des frères Sarrazin étaient décrits comme pourvus de cheveux ondés et non pas crépus ; les auteurs insistent sur ce point. Il était possible qu'il s'agit là, comme chez les aborigènes de la Péninsule Malaise jadis décrits par Mikluko-Maklay, de métis, de mulâtres, ayant perdu à la fois le caractère de leur crâne et celui de leurs cheveux par l'influence d'un ancêtre dolichocéphale et lissotriche. C'est ce qu'il s'agissait de vérifier.

  • Les tribus des monts d'Anémalé

Je m'étais proposé, suivant la même méthode que dans la Péninsule Malaise, de rechercher la tribu la plus négroïde et la plus primitive. Les gisements les plus remarquables des petits noirs de l'Inde ont été signalés dans les deux massifs de montagne qui forment les points culminants de la Péninsule et se disposent symétriquement au nord et au sud de la passe de Palghat. Après examen des documents que M. Thurston me communiqua obligeamment à Madras, je fis choix pour commencer de la tribu des Kader, dans les monts d'Anémalé, du massif sud. C'est la seule, probablement dans toute l'Inde, qui vive d'une vie purement sauvage, en pleine jungle, sans aucune culture ni défrichement. Sur place, après avoir passé plus de vingt jours en deux campements, et observé un nombre relativement considérable de Kader (plus d'une centaine), je dus reconnaître que, s'ils présentent certains types de figure très négritiques, il y a là un mélange de races manifeste; d'ailleurs, contrairement à leurs traditions et à l'opinion acceptée par mes prédécesseurs, leur ethnographie me parait indiquer qu'ils sont des réfugiés de la plaine ayant rétrogradé comme état social; et leur langage, quoi qu'on en ait dit, diffère très peu du tamoul. Ils sont tous dolichocéphales (moyenne de 32 mâles adultes, 73,3; indices individuels extrêmes, 69 et 77), et petits (moyenne de la taille des mêmes, 156 centimètres; taille maxima, 166), chiffres voisins de ceux donnés par Thurston sur une série moins nombreuse. Mais la répartition des cas individuels est loin de présenter une courbe de fréquence régulièrement décroissante autour de la moyenne. Dès lors, il était impossible de prendre une telle tribu pour type de la race noire primitive. Je cherchai vainement un témoin resté plus pur plus avant dans la montagne.

Les Kader vivent entre 600 et 1000 mètres d'altitude; à 1200 mètres, dans une vallée d'accès difficile de toute part, j'ai visité une tribu de Moudower, caste peu ou point connue des anthropologistes. Les Moudower sont à un état social beaucoup plus avancé que le Kader; ils ont des cultures régulières, du bétail et ils ont des serfs, qu'ils appellent Poulayer et qu'ils considèrent comme impurs. Ils affirment, avec des détails d'une précision probablement légendaire, que leurs ancêtres sont venus de la plaine à la suite d'une guerre. Leur langue est tamoulique. Quelques Moudower se rapprochent du type nègre, d'autres s'en éloignent beaucoup. Par contre, leurs serfs forment un ensemble bien plus uniformément nègre que les Kader. Les uns et les autres sont d'ailleurs dolichocéphales (Moudower, 73; Poulayer, 74,5) et de petite taille (Moudower et Poulayer, 159, à quelques millimètres près). La montagne est donc ici, comme en général dans les pays où la civilisation a longuement évolué, non l'asile inviolé des premiers habitants, mais le refuge de tous les vaincus. L'anthropologie de la montagne ne peut plus légitimement être séparée de celle de la plaine, si l'on en veut tirer des déductions ethnogéniques. Même la dolichocéphalie constatée ne permettrait pas à elle seule de conclure à la dolichocéphalie de tous les types ancestraux, dans l'état de nos connaissances sur la valeur spécifique de la forme crânienne. Il me fallait changer de méthode, et, au lieu de l'étude approfondie d'un groupe, entreprendre une esquisse de toute l'ethnologie de la contrée; je dus renoncer à prendre des mensurations complètes, et je m'en tins, quant aux chiffres, à trois caractères: taille, indice nasal, indice céphalique (soit cinq mesures par individu). Les conclusions qui suivent sont fondées sur les mesures de plus de huit cents sujets choisis.


  • Relations anthropologiques des tribus de la montagne et des populations de la plaine.

Les gens de la plaine, tout autour des montagnes en question, sont des Dravidiens, mais appartenant à des divisions assez nettes de ce groupe. Au Nord, ce sont les Tamouls. Les Tamouls, qui ont été les plus étudiés comme type des Dravidiens, ont subi de nombreuses vicissitudes; les formes sociales anciennes ne survivent que très altérées. La plupart des auteurs les ont décrites en partant de conceptions aryennes et ont été conduits ainsi à les méconnaître (122). Les Parias constituent une caste nettement délimitée, dont les Brahmanes ne tiennent pas compte; les Brahmanes ont, au contraire, accepté dans leur cadre social et religieux, en les assimilant aux Sudras, c'est-à-dire à la plus basse caste hindoue, la caste dravidienne des Vellalas, cultivateurs propriétaires que certains vestiges non douteux indiquent comme une ancienne noblesse territoriale. A la marge même de la forêt, vivent les Malasser, tribu extérieure au système social des habitants de la plaine, mais en relation continuelle avec eux; ces Malasser sont au moins aussi nègres que les Kader; ils sont manifestement métissés, mais c'est chez eux que j'ai vu, dans cette région, le plus de chevelures quasi crépues. Il n'y a pas de différence bien tranchée comme aspect physique entre les diverses castes de la plaine, non plus qu'entre elles et les tribus de la montagne. La plupart des Vellalas, comme un grand nombre de Parias, et aussi bien certains montagnards, ont, en même temps qu'un teint très foncé, des cheveux lisses et des traits fort peu négritiques, ou des traits de mulâtre. Mais, quand on a sous les yeux des ensembles, on perçoit une gradation manifeste qui apparaît en chiffres dans les moyennes (1). Voici les moyennes de mes mesures sur les Parias et les Sudras tamouls, et sur les Malasser (2):

  • Indice nasal
  • Indice céphalique
  • Taille
  • 43 Malasser: 79; 76,2; 150;
  • 42 Parias: 77,7; 76,7; 162;
  • 31 Sûdras: 74; 78; 171.

Les Parias, qui ont, conformément à la loi de Risley, un indice nasal plus élevé que les Sudras, se placent, à ce point de vue, entre les Sudras et les tribus de la montagne. L'indice céphalique présente une variation concomitante, mais dans ce sens que la brachycéphalie s'accuse à mesure que le nez devient plus fin; autrement dit, ce sont les blancs qui sont relativement brachycéphales.

(1) Une telle gradation a été signalée dans le nord de l'Inde par Risley quant à l'indice nasal; il a formulé la proposition suivante: "Entre castes différentes, l'indice nasal augmente à mesure que le niveau social s'abaisse." Il considère, avec raison, qu'une telle gradation a une signification importante pour l'ethnologie; je ne puis qu'abonder dans ce sens, bien que Risley ait été conduit par là, faute d'avoir poussé sa recherche assez loin, à une conclusion inexacte comme je le montre plus bas.

(2) Dans ce qui suit, comme précédemment, il n'est question que des hommes; les chiffres des femmes, quand j'ai pu en avoir, suivent les mêmes variations avec un écart systématique.

Du côté opposé, c'est-à-dire au Sud-Ouest, se trouve un autre pays dravidien, le Malabar. De ce côté, dans les collines boisées qui forment le dernier gradin au revers des monts d'Anémalé, vivent, sur des défrichements sommaires, de petites tribus, non divisées en castes, et extérieures au système social de la plaine. Ce sont les Malayer (ou Malarayas); leur physique est assez semblable à celui des Malasser ou des Kader, dont ils sont le pendant, c'est-à-dire qu'au milieu du mélange ordinaire de types, on distingue certains individus très négritiques. Dans la plaine, le pays malabar offre une société restée plus archaïque, où les vieilles formes dravidiennes sont plus faciles à saisir, que du côté tamoul. On trouve là une caste nombreuse de serfs attachés à la glèbe, qu'on appelle Poulayer ou Cheroumas; ils me paraissent représenter l'état primitif des Parias tamouls. La terre et les Poulayer appartiennent en général aux Nayer, qui sont historiquement connus comme une noblesse, une classe dominante de propriétaires fonciers portant l'épée, mais sont acceptés dans la religion brahmanique seulement au titre de Sudras. A la lisière même de la forêt, les Oullader sont des tribus de jungle passant à l'état servile. Enfin les Ijawer sont des ouvriers agricoles, libres, mais impurs pour les Brahmanes. Au point de vue physique, les Ijawer, les Poulayer, à part la petite taille de ces derniers, n'ont rien qui les caractérise dans la masse des Dravidiens. Les Nayer sont souvent mulâtres, mais quelques-uns d'entre eux peuvent se comparer, comme traits, aux plus beaux types de l'Europe; leurs habitudes marquent une certaine crainte du grand soleil.

Voici les moyennes que j'ai recueillies sur les populations du Malabar:

  • Indice nasal
  • Indice céphalique
  • Taille
  • 16 Malayer: 81; 76,8; 133;
  • 12 Oullader: 80; 76; 156;
  • 50 Poulayer: 77; 74,5; 155;
  • 31 Ijawer: 73; 73,3; 159;
  • 14 Nayer: 75; 73,2; 163.

Comme du côté tamoul, les tribus et castes, rangées dans un ordre à la fois géographique et social, présentent une variation systématique des moyennes. L'indice nasal va en s'abaissant des montagnards aux hommes libres de la plaine (1), les serfs tenant le milieu; l'indice céphalique a une variation plus régulière encore, mais, cette fois, la dolichocéphalie augmente à mesure qu'on s'éloigne du type négroïde. On voit ainsi les populations platyrhiniennes, libres ou serves, en contact et en pénétration réciproques avec deux populations leptorhiniennes, l'une un peu plus dolichocéphale, l'autre moins dolichocéphale qu'elles-mêmes; entre ces deux influences, leur indice moyen n'oscille que de 74 à 77. L'examen d'un autre massif montagneux, au nord de la passe de Palghat, m'a donné des chiffres presque identiques.

(1) L'indice nasal obtenu pour les Nayer est vraisemblablement trop élevé; la série est à tout point de vue insuffisante; les recherches sur les hautes castes exigent des précautions diplomatiques et critiques que je n'avais pas le temps de réaliser dans ce voyage.

Le Wainaad est un plateau assez accessible entre le Malabar, sensiblement tel que nous venons de le voir, et d'autres populations dravidiennes qui ont été reconnues mésaticéphales, Kourg et les Kanaras (Mysore). Les populations caractéristiques du Waïnaad sont, d'une part, les Panyer, les négroïdes les plus accusés et les plus homogènes que j'aie vus, et probablement qui existent dans toute l'Inde; ils ont encore des moeurs de chasseurs de la jungle, mais sont serfs de Nayer venus du Malabar avec de petites colonies de leurs Poulayer; d'autre part, des tribus vivant de leur côté sur leurs propres cultures, fortement négroïdes encore, mais plus mélangées; tels sont les Naïker et les Kouroumbas, leur langue les rattache aux Kanaras.

  • Indice nasal
  • Indice céphalique
  • Taille
  • 54 Panyer: 84; 74; 154;
  • 28 Kouroumbas: 81; 75; 157;
  • 12 Naïker: 80; 76,9; 157.

L'indice nasal et l'indice céphalique moyens présentent donc des valeurs très voisines dans des groupes homologues malgré la séparation géographique, et des variations bien systématiques entre groupes contigus, suivant le degré du métissage. Ce qui conduit à leur attribuer une grande importance comme caractères ancestraux. La taille, qui est influencée par les conditions de vie, suit la gradation des deux autres caractères avec quelques irrégularités dues à cette influence. Cette gradation des caractères anthropologiques me parait très remarquable; son étude systématique conduirait, il me semble, à la meilleure méthode d'ethnogénie. Je me propose de développer ultérieurement cette étude pour elle-même. Dans le cas particulier de l'Inde, le régime des castes rend le phénomène très apparent et la déduction relativement facile. Je pense avoir obtenu de cette manière la détermination de l'élément noir primitif de l'Inde, élément dont on ne peut plus espérer trouver de représentants purs. La solution de ce point important pour la question des races noires donne en même temps la définition ethnique de quelques cent millions d'hommes jusqu'ici fort ballottés dans la classification des races humaines.

  • Élément noir primitif de l'Inde.

On admettait généralement que l'élément noir primitif de l'Inde était le Dravidien. Mais les Dravidiens ne sont définis qu'au point de vue philologique; s'ils forment une race, les caractères de cette race, et à plus forte raison ses affinités anthropologiques, ont donné lieu aux appréciations les plus contradictoires. Hoeckel lui attribuant un nez saillant et étroit en faisait une espèce, Homo Dravida, proche parent des blancs méditerranéens; Huxley les rapprochait des Australiens. Risley après avoir insisté sur ce point que le caractère essentiel est un nez large et plat, laissait, à regret, les Dravidiens parmi les Caucasiens mélanochromes de Flower. Le plus récent des auteurs qui se sont occupés de la question avant moi, M. Thurston, qui avait poussé le plus avant les études de fait, et qui est le spécialiste le plus autorisé en la matière, avait ajouté que la taille diminue régulièrement à mesure que l'indice nasal s'élève; il avait appelé archidravidien le sauvage de la jungle, petit, noir, platyrhinien, dolichocéphale, à cheveux ondés. Quant à la place de cet archidravidien dans la classification, M. Thurston, en 1899, dans un mémoire intitulé "The Dravidian problem", passait en revue les diverses opinions pour montrer qu'elles sont toutes insoutenables, et, sans conclure lui-même, terminait malicieusement par cette citation de C. Johnston : « Il faut nous contenter pour le moment de dire qu'il parait assez certain qu'il existe dans le sud de l'Inde une grande famille ethnique, sans relation avec aucune autre famille de l'Asie, de sorte qu'il faut chercher ses affinités dans quelque direction à présent indéterminée. »

La série que nous venons de passer en revue comprend à une extrémité les Nayer, presque blancs; à l'autre extrémité, les Panyer, presque nègres; entre les deux, tous les intermédiaires; les deux types ethniques extrêmes sont eux-mêmes métissés, mais, par extrapolation, on est en mesure de reconstituer les types primitifs, au moins quant aux caractères observés. Mes documents sont suffisants pour fixer les traits distinctifs de ces types et en indiquer les affinités réelles. Il y a un type nègre, qui peut être défini tel, parce qu'il avait la peau noire, le nez large et plat, la bouche épaisse, les cheveux crépus. Ce dernier caractère est généralement nié, même par ceux qui considèrent l'élément dravidien comme essentiellement platyrhinien (Risley). En effet, les cheveux sont le plus souvent lisses, même dans des castes où l'aspect négroïde est déjà prédominant; chez les Panyer, les cheveux sont généralement frisés sans plus. Des mulâtres de nègre africain présenteraient, pour des traits du visage également négritiques, une forte proportion de chevelures incontestablement crépues. Voici les faits sur lesquels je me fonde pour affirmer les cheveux crépus du type primitif aujourd'hui introuvable dans la péninsule: 1) Le caractère de la chevelure se modifie graduellement dans ce sens avec les autres caractères négroïdes; les castes serviles de la plaine ayant les cheveux généralement lisses ou ondulés, les Malasser sont frisés huit fois sur dix, les Panyer le sont presque tous. J'ai observé et photographié dans ces castes de montagne quelques individus, exceptionnels il est vrai, dont les cheveux décrivaient des spires de 8 à 10 millimètres de diamètre; c'est la limite conventionnelle entre le frisé et le crépu; 2) Dans mon voyage précédent, aux îles Andaman, j'ai observé une femme Négrito pure dont les cheveux étaient, comme tous ceux de sa race, crépus à l'extrême (diamètre moyen des spires, 2 millimètres); d'un père inconnu, probablement Hindou, elle avait deux enfants, une petite fille (quatre ans), dont les cheveux fins, soyeux, étaient à peine ondulés, et un petit garçon (dix-huit mois) dont les cheveux frisés (diamètre des boucles, 15 millimètres) ressemblaient plus à des cheveux frisés d'Européens qu'à des cheveux de mulâtre. On a noté (Montano) aux Philippines, et j'ai noté moi-même dans la Péninsule Malaise, que les métis de Négritos incontestables ont généralement des cheveux ondulés. J'en conclus que le caractère du cheveu Négrito n'est pas aussi marqué dans la descendance en cas de croisement que pour le cheveu du nègre africain. C'est un caractère qu'on peut appeler récessif, bien qu'il ne s'agisse pas d'un caractère proprement disjonctif. Si donc on admet, comme j'y suis conduit pour diverses autres raisons, à rapprocher le nègre indien primitif du Négrito, il est facile de comprendre que les métis n'aient pas les cheveux vraiment crépus, même quand le sang noir est prédominant. Par les caractères que nous venons d'indiquer, le type en question rentre dans le type nègre général, mais il est petit; d'autre part, il n'est pas prognathe. Ces deux caractères le séparent des nègres africains et océaniens et le rapprochent du type Négrito. De celui-ci, il ne diffère que par un caractère, mais très net: il est dolichocéphale.


  • Dravidien primitif.

Le type qui s'indique chez les Nayer apparaît comme clair de peau, leptorhinien, avec des cheveux lisses sans raideur (euplocame); c'est donc un blanc. Il est grand et très dolichocéphale; de plus, il a le système pileux du visage et du corps très développé. Malgré le nombre trop petit d'individus que j'avais pu observer, et malgré le métissage assez considérable de la caste, ce type s'était dessiné dans mon esprit avec tous les caractères que je viens de citer, mais aussi avec toutes les réserves que comporte une reconstruction. Lorsque j'en reconnus un spécimen isolé et sensiblement pur, un véritable témoin, chez les Todas des Nilghirris. Les Todas ont beaucoup attiré l'attention depuis trois quarts de siècle; le plateau élevé qui constitue leur gisement étant devenu le grand sanatorium de l'Inde, un grand nombre d'Européens ont eu l'occasion de les voir et ont signalé avec étonnement leur beau type caucasique ou sémitique. Ils tranchent en effet sur le Dravidien ordinaire, encore plus sur les populations noires du Wainaad, telles que les Panyer, qui sont leurs voisins sur la carte, mais avec une dénivellation de mille mètres ou davantage. Voici côte à côte les moyennes de ces deux groupes au point de vue des trois mesures que j'ai prises:

  • Indice nasal
  • Indice céphalique
  • Taille
  • 54 Panyer: 84; 74; 154;
  • 33 Todas: 68; 72,7; 169.

Si l'indice céphalique est à peu près le même, la taille et l'indice nasal présentent d'un groupe à l'autre un écart des plus marqués, eu égard à l'échelle de variation des races humaines. La répartition des cas individuels, figurée dans le tableau ci-dessous, montre combien la différence dans le caractère considéré est significative de chaque groupe (chaque sujet est représenté par un astérisque dans la ligne horizontale correspondant à sa taille (de centimètre en centimètre), ou à son indice nasal (de 2 en 2 centièmes).


  • Indice nasal (Panyer, Todas)
  • 94; 92; 90; 88; 86; 84; 82; 80; 78; 76; 74; 72; 70; 68; 66; 62; 60; 58; 56; 54;
  • (1, 0); (2, 0); (8, 0); (5, 0); (6, 0); (6, 0); (6, 0); (8, 1); (3, 0); (4, 3); (1, 2); (1, 1); (2, 5); (0, 3); (1, 4); (0, 4); (0, 7); (0, 1); (0, 1); (0, 1); (0, 1);


  • Taille (Panyer, Todas)
  • 182; 180; 178; 176; 174; 172; 170; 168; 166; 164; 162; 160; 158; 156; 154; 152; 150; 148; 146;
  • (0, 1); (0, 0); (0, 1); (0, 2); (0, 2); (0, 4); (0, 4); (0, 9); (1, 2); (2, 3); (2, 2); (5, 1); (9, 1); (5, 0); (6, 0); (6, 1); (10, 0); (4, 0); (4, 0).


Bien que les différences soient facilement visibles (elles correspondent à deux apparences, à deux physionomies dont la dissemblance a frappé tous les voyageurs sans culture scientifique), la plupart des ouvrages anthropologiques, notamment le Census of lndia, si consciencieusement documenté en ethnologie, classent les Panyer et les Todas sous la même étiquette de Dravidiens, les uns et les autres étant dolichocéphales, parlant un idiome dravidien. D'ailleurs la dissemblance apparaît moins nettement si, au lieu de les comparer entre eux, on les compare à la prétendue race dravidienne, dont la diagnose, toujours intermédiaire à ces deux types, se rapproche de l'un ou de l'autre, suivant les auteurs.

Dans la série des groupes que j'ai étudiés, s'indique en outre un troisième type, leptorhinien et tendant à la brachycéphalie; il faut le considérer comme adventice, relativement récent. Entre Bombay et Madras, Risley a relevé une zone continue de mésaticéphales qu'il appelle Scytho-Dravidiens. Plus au Sud, j'ai pu noter que le crâne d'indice élevé se propage avec les castes brahmaniques, qui précisément ne sont pas réellement dravidiennes.

Il reste donc deux races fondamentales; voici comment j'ai précisé la relation de ces races entre elles, et la dénomination qu'il convient de leur appliquer. Les Vellalas et les Nayer sont, d'après la discussion approfondie faite par Caldwell lui-même, le créateur du mot, les vrais Dravidiens; ils refusent à leurs esclaves le droit de s'appeler des noms nationaux dravidiens, Tamouls ou Malabares. Des éléments de cette discussion (malgré les conclusions opposées de Caldwell qui manquait d'information anthropologique), comme de toutes les considérations topographiques, il résulte que le type, nègre maintenant démontré, est prédravidien. Les Dravidiens primitifs, les Protodravidiens, peuvent être considérés comme des Blancs, et en somme très peu différents des Indo-Aryens; venus avant ceux-ci dans l'Inde, ils se sont mélangés profondément aux Noirs qu'ils avaient réduits en esclavage, de la même façon que les créoles des Antilles se sont mélangés à leurs esclaves nègres, et c'est ainsi que s'est formée la population dravidienne actuelle. Les Todas, souvent considérés comme une énigme, mais incontestablement Dravidiens, constituent un témoin protodravidien resté pur, parce que resté pasteur et n'ayant ainsi pas eu besoin de serfs agricoles. J'ai donné au noir prédravidien, caractérisé par le type particulier que j'ai reconstitué, et qui est l'origine des castes serviles dravidiennes, la dénomination de Nègre Paria. L'hypothèse d'une population primitive formée de véritables nègres avait été tout à fait abandonnée, parce qu'elle avait été conçue à partir du Négrito brachycéphale. La notion d'un Dravidien blanc et non autochtone est contraire à toutes les idées reçues. Seul A. H. Keane, dans son "Ethnology", avait formulé, brièvement et sans la justifier, une théorie se rapprochant de la mienne. J'attends la discussion de pied ferme. En réponse à l'envoi de mes publications, M. Thurston m'a fait savoir qu'il n'avait rien à objecter à mes propositions essentielles. D'ailleurs, j'ai en préparation très avancée une publication d'ensemble où je présenterai, avec le détail de mes observations, des documents complémentaires, notamment l'étude de squelettes et de crânes intéressants.


  • Unité de la race nègre en général
  • 1896
    • (48). Un hiver dans l'Erythrée, Société de Géographie, 10 janvier.
  • 1906
    • (125). Les nègres d'Asie et la race nègre en général, Conférence annuelle Broca, Société d'Anthropologie, 8 mars;
    • (128). Unité fondamentale des races d'hommes à peau noire, Indice radio-pelvien, Académie des Sciences, 2 juillet.

Le Nègre Paria, de petite taille, mais dolichocéphale, au voisinage géographique du Négrito sous-brachycéphale, m'a amené, pour chercher sa place dans la classification, à réviser par un examen d'ensemble toutes les races d'hommes à peau noire ou foncée. Ces races sont :

  • 1) les Nègres d'Afrique (que je puis prendre ici en bloc, malgré la diversité qui apparaît à l'étude détaillée de ce groupe considéré en lui-même);
  • 2) les Éthiopiens de l'angle nord-est de l'Afrique (Abyssins, Danakils, Somalis);
  • 3) les Dravidiens de l'Inde;
  • 4) les Négritos des Andamans, des Philippines et de la Péninsule Malaise;
  • 5) les Noirs d'Océanie, Mélanésiens, Papous, Australiens, etc.

Je possédais des documents personnels sur toutes ces races; documents insuffisants par eux-mêmes en ce qui concerne les grands groupes extrêmes, Africains et Mélanésiens (1), mais ceux-ci ont été les plus étudiés, et mon information directe était suffisante pour me permettre d'user de la bibliographie avec une critique assurée. J'ai examiné en outre les squelettes des collections de Paris et quelques autres.

(1) J'ai étudié à Florès et à Timor des populations où se montre une forte proportion de sang mélanésien. Comme Nègres africains, j'ai eu quelques Nègres nilotiques en Abyssinie, puis des

Sénégalais (Ouolofs, Toucouleurs, etc.) mesurés dans des exhibitions en Europe. Cette série, peu importante par elle-même, m'a été fort utile comme contrôle, en m'assurant des mesures de la même main que sur les Nègres asiatiques.

Le point de départ de la notion de Nègre est le Nègre africain, clairement perçu dès l'antiquité, et caractérisé, outre sa couleur, par sa chevelure crépue et des traits du visage particuliers, dont le plus important est le nez camard. A cette notion superficielle correspondent entièrement les Mélanésiens et les Négritos. Les Dravidiens et les Éthiopiens s'en écartent; ils ont (moins qu'on ne l'a dit) les traits du visage des Blancs, notamment le nez fin et saillant. Ils ont été le plus souvent, par les classificateurs, rapprochés des Blancs; d'autres fois, mis dans un groupe intermédiaire, mais autonome, avec les Australiens.

  • 1) J'ai montré que les Dravidiens actuels sont une race mixte, avec un ancêtre vraiment nègre, crépu et camard, aussi bien que noir; dans l'état actuel, on observe des individus très près du Blanc ou très près du Nègre, ou à n'importe quel degré de l'échelle intermédiaire: En Abyssinie et sur les bords de la mer Rouge (1), j'ai observé une gradation tout à fait analogue; ici il est facile de retrouver les deux éléments extrêmes du mélange dans les Sémites qui sont à l'Est et les Nègres qui sont à l'Ouest. Ces prétendues races noires non nègres sont donc, en réalité, des races mixtes dont un des éléments est purement et simplement nègre. Je pense qu'il en est de même pour les Australiens; je les connais seulement par des photographies et des pièces ostéologiques; mais ces documents montrent une grande analogie avec les faits précédents.
  • 2) Toutes les populations noires sont localisées sur le pourtour de l'Océan indien ; ailleurs dans le monde (abstraction faite des Nègres d'Amérique qui sont d'origine africaine) il n'y a point de Nègres, il n'y a point de Noirs. Dans l'Inde, il est facile de reconnaître que l'élément nègre était sinon l'autochtone, du moins le premier occupant. Dans la Malaisie, les Négritos se présentent comme les témoins d'une population plus ancienne que toutes celles qui les entourent. Entre les Nègres d'Afrique et les Nègres d'Océanie, les Nègres d'Asie jalonnent ainsi une communication interrompue par des migrations blanches et jaunes, et l'on est amené à reconstituer, pour l'ensemble des Nègres, un habitat primitif unique et continu.
  • 3) Il n'est pas étonnant que dans une aire aussi étendue une race ne reste pas d'un bout à l'autre identique à elle-même. Les différences observées sont d'ailleurs assez faibles. Les Papous et les Mélanésiens sont manifestement infiltrés d'éléments étrangers; la forme du nez et l'allure de la chevelure, souvent diverses dans un même village, paraissent ne s'écarter du type nègre général que sous l'influence du métissage. La divergence la plus profonde est la brachycéphalie relative des Négritos (leur petite taille a beaucoup moins de signification spécifique). Mais si l'indice céphalique est un caractère héréditaire stable, sa valeur comme base de classification est plus ou moins conventionnelle. Les Nègres africains ne sont pas tous dolichocéphales; d'ailleurs, entre la sous-brachycéphalie des Andamanais et la dolichocéphalie des autres Nègres, les Parias, sous-dolichocéphales, empêchent de tracer une démarcation.

(1) J'ai fait une étude de cette race sur 53 mensurations complètes de sujets des deux sexes, mensurations prises dans le pays sur le vivant, et, en outre, sur les 37 crânes existant au Muséum, dont 29 rapportés par moi (ce dernier travail en collaboration avec le Dr Verneau). Cette étude est restée inédite pour les raisons que j'ai dites. M. Verneau en cite les résultats dans le tome II du Compte-rendu de la mission de Jean Duchesne-Fournet, Paris, 1908.


Conclusion: Les Noirs se présentent comme une espèce unique avec des variétés locales. Cette conclusion est fondée sur l'examen des caractères suivants: peau noire, cheveux crépus, visage camard; si elle est exacte, c'est-à-dire si elle répond à la classification naturelle, elle doit être vérifiée par l'examen de caractères non considérés; j'ai fait cette vérification en examinant les proportions du corps. Un Nègre typique, africain, possède des caractères somatiques tels qu'il serait facile de reconnaître comme lui appartenant un squelette privé de tête, dépourvu par conséquent de tous les traits que nous avons considérés jusqu'à présent. Ces caractères somatiques, en premier lieu la grande longueur relative des membres, puis l'étroitesse transversale du bassin, lui donnent une forme de corps particulière, reconnaissable sur une simple silhouette; ils sont, d'autre part, faciles à exprimer par des rapports (Exemple, l'indice anti-brachial de Broca.) J'ai examiné spécialement les caractères de ce genre chez les hommes à peau noire en général, et j'ai trouvé régulièrement qu'ils marchent de pair avec la pigmentation, la platyrhinie et la frisure des cheveux. Il faut observer toutefois, que dans une race humaine quelconque, dans un groupe homogène, les individus petits ont les membres relativement courts, et les diamètres du tronc relativement grands; cette modification systématique de la forme corporelle suivant la taille se retrouve quand on compare comme ici des grandes races nègres à des petites races nègres. Néanmoins, le caractère nègre du corps est assez marqué pour rester nettement visible dans ces conditions (1). J'ai trouvé une expression numérique qui rend bien cette forme du corps. En rapprochant, sous forme d'un rapport, les deux traits les plus accusés du corps nègre, avant-bras long et bassin étroit, on obtient l'indice radio-pelvien. Ce rapport (multiplié par 100) est, en valeur approchée, de 86 chez le Français, et de 112 chez le Nègre africain (les mâles seulement). Voici maintenant les chiffres que j'ai obtenus pour les autres races noires, soit sur le vivant, soit sur le squelette (dans ce dernier cas, l'indice est un peu plus élevé que dans le premier): Négritos andamanais, 100 à 104. Meniks de la Péninsule Malaise, 95. Nègre paria métissé (Kader et Malasser), 100 à 102. Australiens (squelette exclusivement), 103. Mélanésiens (idem), 98. Ethiopiens (vivants), 96. Pour les autres races, quelques chiffres sur des squelettes m'ont donné les valeurs provisoires suivantes: Japonais, 86. Indonésiens, 95. Maoris, 91. Péruviens anciens, 85. Eskimos, 82. Chez les Négritos purs, comparés aux Africains, l'indice parait encore très élevé si l'on veut bien tenir compte que les africains sont grands et que les Négritos sont très petits. Chez les Négritos métissés de la Péninsule Malaise, le chiffre de 95 parait très caractéristique si on le rapproche de la valeur présentée par une tribu voisine formée des mêmes éléments ethniques, mais où domine l'élément mongolique; chez les Jakouns, j'ai trouvé 84. Il y a donc une conformation particulière du corps, résumée en un chiffre par l'indice radio-pelvien qui se retrouve chez tous les Noirs et rien que chez les Noirs; elle suit les caractères sur lesquels nous nous sommes basés, s'atténuant comme eux par le métissage. C'est donc une preuve, en quelque sorte cruciale, que la race des hommes à peau noire est fondamentalement une.

(1) Il faut, pour comparer de cette façon les Noirs aux Européens, faire attention à considérer chez ces derniers la forme réelle et non la forme conventionnelle des artistes qui se rapproche de la forme nègre, par l'allongement des jambes. Toutefois, pour les femmes, notre vision artistique conserve, un peu stylisé, le galbe des hanches; à ce point de vue, la silhouette des négresses, à quelque groupe qu'elles appartiennent, est particulièrement frappante.

  • Chapitre II: Recherches sur l'évolution quantitative du système nerveux
  • Relation du poids de l'encéphale au poids du corps entre espèces différentes
  • 1898
    • (66). Sur la relation du poids de l'encéphale au poids du corps, Société de Biologie, 15 janvier.
    • (72). Sur le rapport entre la grandeur du corps et le développement de l'encéphale chez le chien (avec Ch. Obéré), Archives de Physiologie, octobre.
  • 1905
    • (111). Poids de l'encéphale en fonction du poids du corps chez les oiseaux (avec Pierre Girard), Société de Biologie, 8 avril, Académie des Sciences, 10 avril.
  • 1907
    • (139). Tableau général des poids somatique et encéphalique dans les espèces animales, Société d'Anthropologie, séance du 2 mai (parue en novembre).
    • (144). Tableau général du poids céphalique en fonction du poids du corps, Académie des Sciences, 24 juin.
  • 1908
    • (158). La relation entre le poids du cerveau et le poids du corps, Revue du Mois, 10 avril.

L'encéphale d'une souris pèse 0 gr. 40; celui d'un hippopotame, 600 grammes. Lequel de ces deux animaux doit être considéré comme le mieux doué en organes nerveux? Lequel possède, relativement, le plus d'encéphale? Relativement, car on ne peut évidemment pas négliger la différence de grandeur des animaux. Mais comment faut-il calculer cette relation? La réponse à cette question doit être donnée avant toute tentative de comparaison entre la grandeur du cerveau et le degré de l'intelligence. Cuvier calculait simplement le rapport entre le poids de l'encéphale et le poids du corps; c'est ce qu'on a appelé jusqu'à ces dernières années le poids relatif de l'encéphale; un tel calcul fait accorder aux petits animaux un poids relatif d'encéphale plus élevé qu'aux grands. On a discuté à perte de vue sur ce résultat; il doit s'interpréter simplement comme une erreur systématique: l'encéphale considéré comme fonction de poids du corps, e = f(p), croit moins vite que e = k*p (k = constante). Il est impossible, d'autre part, d'accepter pour cette fonction l'expression e = k*p+m (m, nouvelle constante) qui a eu en France une certaine vogue depuis 1885; cette expression conduit en effet à une conséquence absurde (e = m pour p = 0) et à d'autres conséquences non vérifiées par les faits. En 1897, E. Dubois (de la Haye) a fourni pour les mammifères une expression purement empirique, mais numériquement satisfaisante, en écrivant: e = k*(p^(0,56)). La valeur de l'exposant de relation a été obtenue de la manière suivante: soient deux espèces semblables (exemple, chat et tigre) donnant respectivement p et p' comme poids du corps, e et e' comme poids de l'encéphale; on pose e/(e') = (p/(p'))^(x) et on en tire x; dans toutes les familles, on trouve des valeurs de x très voisines de 0,56. Les familles diffèrent entre elles par la valeur k, coefficient céphalique. C'est ce coefficient céphalique qui représente le véritable poids relatif de l'encéphale. Dans l'exemple schématique sur lequel j'ai posé la question, il vient, pour la souris (avec un poids du corps de 20 grammes), 0,08; pour l'hippopotame (pesant 1.800 kilogrammes), 0,18. Le poids relatif de Georges Cuvier donnerait un cinquantième pour la souris, un trois millième pour l'hippopotame; soit une valeur 60 fois plus petite pour le second que pour la première. Le coefficient céphalique de Dubois ne montre aucune erreur importante des plus petits aux plus grands animaux (158).


  • Loi chez les oiseaux (111).

J'ai entrepris d'examiner (avec M. Pierre Girard d'abord, puis seul ensuite) la relation du poids de l'encéphale au poids du corps chez les oiseaux. On ne possédait presque aucun document de ce genre sur cette classe, si ce n'est des chiffres datant du commencement du XIXème siècle, et publiés sous une forme telle qu'ils étaient inutilisables. On n'avait jamais essayé de préciser la façon dont s'ordonneraient les oiseaux suivant leur développement cérébral, ni l'étendue des variations de ce développement de la classe. En examinant les chiffres après cent et quelques déterminations, nous avons remarqué d'abord qu'il fallait mettre à part les oiseaux de basse-cour (voir page 44). Puis nous avons calculé sur divers couples l'exposant de relation de Dubois, x = (log(e) - log(e'))/(log(p) — log(p')). En ajoutant aux chiffres déterminés avec M. Girard des pesées que j'ai exécutées postérieurement, puis quelques chiffres empruntés à un travail américain paru dans l'intervalle, j'ai obtenu les valeurs suivantes (158):

  • Geai à Corbeau: 0,546
  • Sarcelle à Cygne: 0,596
  • Mouette à Goéland: 0,544
  • Emouchet à Aigle: 0,516
  • Perruche à Perroquet: 0,590

La moyenne de ces nombres est 0,558; elle concorde remarquablement avec la valeur 0,56 donnée par M. E. Dubois pour les mammifères.

Si maintenant, pour diverses espèces d'oiseaux, formant des séries naturelles bien nettes et présentant une échelle de grandeur suffisante, on calcule le quotient du poids de l'encéphale par la puissance 0,56 du poids du corps, on trouve que ce rapport classe les oiseaux en respectant les familles naturelles; en outre, il met en tête et en queue du tableau ceux que tout le monde s'accorde à considérer comme les plus intelligents et les moins intelligents.

  • Oiseau
  • Poids du corps
  • Poids de l'encéphale
  • K
  • Perruche, Palœornis docilis L.: 90; 3,58; 0,29;
  • Perroquet, Chrysotis amazonica L.: 340; 7,83; 0,30;
  • Geai, Garrulus glandarius (L.): 177; 4,79; 0,27;
  • Chouca, Colœus monedula (L.): 230; 5,55; 0,26;
  • Corneille, Corvus cornix L.: 524; 8,69; 0,26;
  • Emouchet, Falco tinnunculus L.: 232; 3,74; 0,17;
  • Buse, Buteo vulgaris L.: 1010; 7,92; 0,16;
  • Aigle, Aquila chrysœtos L.: 5273; 18,6; 0,15;
  • Mouette, Sterna hirundo L.: 275; 3,10; 0,13;
  • Goéland, Larus argentatus Brunn: 1000; 6,33; 0,13;
  • Sarcelle, Anas querquedula L.: 307; 2,83; 0,12;
  • Canard sauvage, Anas boschas L.: 1072; 6,30; 0,13;
  • Cygne, Cygnus olor L.: 5300; 15,5; 0,12;
  • Faisan, Phasianus colchicus L.: 1220; 3,95; 0,07;
  • Paon, Pavo cristatus L.: 2220; 5,71; 0,07.

Ainsi, la formule de Dubois s'applique convenablement aux oiseaux, bien que la constitution de l'encéphale diffère sensiblement de celle des mammifères.


  • Tableau général du poids encéphalique en fonction du poids du corps.

J'ai eu l'idée de construire un graphique, en représentant chaque espèce animale par un point dont l'ordonnée est le logarithme de son poids cérébral, et l'abscisse, le logarithme de son poids corporel. J'ai obtenu ainsi un tableau qui permet d'avoir une vue d'ensemble assez claire sur des relations qui ont généralement paru embrouillées. L'avantage ordinaire des coordonnées logarithmiques, qui donnent des distances égales pour des rapports égaux et non pour des différences égales, est ici très appréciable; on peut, sur un seul tableau de dimension restreinte, comparer le rat et la souris, aussi facilement que l'éléphant et la baleine.

En outre, la formule de Dubois, e = k*(p^(0,56)), prend la forme de la courbe la plus facile à tracer, à suivre et à extrapoler; elle doit s'écrire, en effet:

  • log(e) = (0,56)*(log(p)) + log(k)

qui revient ici à:

  • y = ax + b.

L'encéphale en fonction du poids du corps chez les mammifères et les oiseaux, dans une famille où k est constant, est exprimé par une droite. Les droites des diverses familles sont toutes parallèles entre elles (pente constante de 0,56) et placées les unes au-dessus des autres, suivant la différence présentée par le logarithme de k. Ces droites qui représentent des niveaux d'égalité dans l'organisation nerveuse, abstraction faite de la masse du corps, j'ai proposé de les appeler isoneurales. Les lignes qui représenteraient une proportion constante au poids du corps, un vingtième, un centième, sont ici des droites inclinées à 45°; elles coupent les isoneurales, de façon à bien montrer l'erreur systématique du poids relatif de Cuvier. Une espèce isolée, portée au tableau sous forme d'un point suivant ses coordonnées, est alors immédiatement repérée quant au degré de son évolution nerveuse. Pour les animaux à sang chaud, on peut saisir d'un coup d'oeil le sens de cette évolution; il est en gros conforme à ce que nous savons des animaux, au point de vue psychique comme au point de vue phylogénique. Par exemple, l'homme dont la supériorité cérébrale, incontestable, a été longtemps d'une expression si difficile, apparaît nettement au-dessus de toute la série; assez loin au-dessous, la première isoneurale est celle des singes anthropoïdes; et la baleine, malgré son encéphale de 7 kilogrammes, est facilement ramenée dans le gros des mammifères, l'oeil étant guidé par la série des parallèles. Seul, l'éléphant occupe une position un peu choquante dont l'explication est encore à chercher. A titre simplement de première indication (car la relation du poids de l'encéphale au poids du corps semble ici très différente), j'ai posé les points de quelques vertébrés à sang froid, et même de deux invertébrés, le poulpe et le homard, en prenant la somme des ganglions sus et sous-oesophagiens comme l'équivalent de l'encéphale. Un tableau graphique a l'avantage de faire apparaître aux yeux des relations qui peuvent échapper sous la forme abstraite de la formule algébrique.

  • 1° Je remarque que, vers la gauche, la rencontre des lignes isoneurales avec la ligne de proportion 1/20 parait marquer la limite inférieure du poids du corps dans une famille donnée. Il n'y a pas de très petits animaux à fort coefficient céphalique, et l'on comprend facilement qu'il ne peut y en avoir (1).
  • 2° Du côté droit, les lignes sont d'autant plus courtes qu'elles sont situées plus bas. Il n'existe pas, au-dessous du tapir ou de l'hippopotame, des animaux correspondant aux lignes isoneurales des mammifères inférieurs.

De tels animaux ont probablement existé ; et, sans avoir mesuré leur capacité crânienne, on peut supposer que les grands édentés fossiles, le Scelidotherium et le Megatherium, seraient venus se placer, à peu près en ces valeurs d'abscisses, sur une isoneurale voisine de celle où se trouve aujourd'hui le Pangolin. De tels animaux n'existent plus ; il n'a pas pu subsister d'animal à grand corps et à petit cerveau. Aucune raison interne, géométrique ou trophique, ne s'oppose à leur existence en elle-même ; mais, dans la concurrence vitale, au point de vue de la survivance de l'espèce, l'infériorité de cette combinaison est évidente.

  • (1) Des recherches non terminées me portent à admettre que ce sont des raisons d'équilibre mécanique (poids de la tête), et non des raisons d'équilibre trophique, qui s'opposent à l'apparition d'espèces ayant une trop forte proportion d'encéphale.


  • Loi intérieure à l'espèce
  • 1898
    • (66). Sur la relation du poids de l'encéphale au poids du corps, Société de Biologie, 15 janvier.
  • 1907
    • (142). Sur le poids de l'encéphale chez les animaux domestiques (avec Pierre Girard), Société de Biologie, juin.
    • (148). Le poids encéphalique en fonction du poids corporel entre individus d'une même espèce, Société d'Anthropologie, 6 juin.

Il fallait se demander si la formule de Dubois, fort bien vérifiée entre espèces, parmi tous les animaux à sang chaud, est valable aussi entre individus d'une même espèce.

  • Loi chez le Chien domestique.

Bien avant la publication du mémoire de Dubois, dès 1893, quand M. Charles Richet avait publié son mémoire sur le poids du cerveau, de la rate et du foie chez les chiens de différentes tailles, j'avais remarqué que la loi était différente, d'une part, chez le chien, d'autre part, dans la série des mammifères; mais je n'avais pas réussi à donner à cette différence une expression précise. Lorsque parut le mémoire de Dubois, je m'empressai d'essayer la formule exponentielle. Me servant des chiffres réunis par M. Richet, je fis des groupes de grands chiens et de petits chiens, et je calculai l'exposant de relation. Dans sept combinaisons de sept groupes, j'obtins les valeurs suivantes:

  • 0,25; 0,20; 0,20; 0,23; 0,25; 0,20; 0,23;

toutes valeurs bien différentes de la valeur 0,56, mais peu différentes de la fraction 1/4 = 0,25. J'obtins le même résultat sur une série d'observations personnelles (recueillies en collaboration avec M. Dhéré).

A peu près tous les chiens dont j'ai pu avoir les chiffres, soit par moi-même, soit en les empruntant à d'autres auteurs, étaient des chiens livrés aux laboratoires par la fourrière; ce sont toujours, comme les règlements l'exigent, des animaux sans valeur; autrement dit, jamais des chiens de race, rien que des bâtards le plus souvent indéterminables. J'ai donc été obligé de traiter tous les chiens comme appartenant à une seule et même espèce, ce qui ne parait pas nécessairement a priori créer des erreurs dans le cas où nous sommes placés, quand même les chiens proviendraient de plusieurs souches distinctes, et quand même les races artificielles posséderaient des caractères spéciaux dans leur développement encéphalique. A posteriori, ayant construit le graphique de la répartition des cas individuels, je n'ai vu apparaître aucune distribution systématique des points. La courbe de fréquence s'écarte beaucoup de la loi de Gauss, loi des écarts probables, qui s'applique aux groupes naturels monomorphes; mais elle ne présente pas plusieurs maxima distincts caractérisant d'emblée un polymorphisme. Je pense qu'avec les documents dont nous disposons actuellement, il est inutile de chercher à analyser une telle complexité. Si on avait affaire à des chiens de races bien définies, on verrait probablement la série globale se décomposer en séries partielles dont les relations seraient intéressantes. J'ai essayé de rassembler des matériaux pour cette étude, mais je n'ai encore rien obtenu d'utilisable. Si le poids de l'encéphale peut, chez nos chiens, être traduit par une expression de la forme E = k*(P^r), c'est avec une valeur de l'exposant égale environ à 0,25 qu'il faut l'essayer. Voici les valeurs de k calculées dans dix groupes au moyen de cet exposant; si la loi s'applique, k doit être sensiblement le même pour tous les groupes:

  • Nombre de cas
  • Poids moyen du corps
  • Poids moyen de l'encéphale
  • Coefficient
  • I. 17; 38 kilogrammes; 107 grammes; 7,6;
  • II. 27; 28 —  ; 95 —  ; 7,3;
  • III. 27; 22 —  ; 94 —  ; 7,8;
  • IV. 18; 19 —  ; 86,5 —  ; 7,4;
  • V. 27; 15 —  ; 85 —  ; 7,7;
  • VI. 27; 10 —  ; 75 —  ; 7,4;
  • VII. 24; 7 —  ; 72 —  ; 7,8;
  • VIII. 11; 5 —  ; 64 —  ; 7,6;
  • IX. 6; 3 —  ; 60 —  ; 8,1;
  • X. 4; 1,6 —  ; 51 —  ; 8,1.

Excepté pour les deux derniers groupes, les écarts sont faibles et non systématiques; on peut réduire ces écarts à rien en fusionnant II et III, IV et V, VI et VII. On obtient en effet les valeurs suivantes :

  • Numéro du groupe
  • Poids moyen du corps
  • Coefficient
  • I. 38 kilogrammes; 7,6;
  • II-III. 26 —  ; 7,5;
  • IV-V. 17 —  ; 7,6;
  • VI-VII. 8,5 —  ; 7,6;
  • VIII. 5 —  ; 7,6.

Il y a donc lieu, chez le chien, d'admettre un exposant de relation avec la valeur 0,25.


  • Loi dans l'espèce humaine.

Aucune autre espèce que le chien ne présente une aussi large variation de poids du corps. A mesure que cette variation diminue, on est tenu à une précision de plus en plus grande, car lorsque les poids du corps sont peu écartés, une très petite différence sur le chiffre de ce poids ou celui de l'encéphale modifie sensiblement la valeur qui serait trouvée pour l'exposant de relation. L'espèce humaine, qui présente une variation du poids corporel relativement peu étendue, est susceptible néanmoins d'être étudiée à ce point de vue, en raison du nombre énorme d'observations. J'estime à 17000 au moins le nombre de poids encéphaliques publiés. Il est donc possible de constituer des groupes assez nombreux pour réduire à très peu de chose les variations individuelles (en regard desquelles les erreurs de pesées sont négligeables s'il s'agit de pesées de la même main). Néanmoins, l'influence du poids du corps est si faible, par rapport à ces variations individuelles, qu'elle a d'abord été niée; aujourd'hui, on peut considérer comme admis par les anthropologistes en général que, suivant une règle formulée pour la première fois par John Marshall en 1875, le poids encéphalique croit un peu moins vite que la taille. Or, la taille c'est, en première approximation, une fonction de la racine cubique du poids du corps; la relation admise après Marshall par Bischoff en Allemagne, Paul Broca et Manouvrier en France, peut donc se traduire, dans la notation employée plus haut: k*(p^(0,33)) > e > k*(p^0). D'autre part, M. Dubois, après avoir trouvé sa formule relative aux espèces de mammifères, a essayé de l'appliquer à l'intérieur de l'espèce humaine (1898); à son grand étonnement, il a constaté, par une détermination d'ailleurs indirecte et assez peu sûre, que l'exposant de relation était dans ce cas sensiblement 0,125 et non 0,56. Il n'avait pas eu connaissance de la note où j'avais, quelques mois auparavant, indiqué exactement la même valeur pour l'espèce canine, et il considéra le fait relatif à l'homme comme une exception, attribuable au développement des circonvolutions (?).

Les pesées suffisamment nombreuses d'encéphales humains étant toujours faites sur des sujets morts de maladie, le poids du corps, quand il a été noté, n'a pas grande valeur. Mais on peut se servir de la taille comme mesure de la grandeur du corps, et, pour comparer aux animaux, revenir de là au poids si on établit la relation entre la taille et le poids chez l'homme normal.

J'ai cherché cette relation du poids à la taille, en me servant des nombres publiés par M. Hassing (74000 déterminations sur des Américains du Nord). On sait que le poids n'est pas proportionnel au cube de la taille, il croit moins vite qu'elle. J'ai cherché d'abord arithmétiquement si le poids marche comme une puissance de la taille autre que le cube. Voici les chiffres auxquels je suis arrivé, en prenant quelques séries par âges que j'ai divisées en groupes successifs suivant la taille:

  • Hommes de 30 à 34 ans.
  • Taille; Poids;
  • a: 186; 82,82;
  • b: 176; 72,83;
  • c: 166; 64,59;
  • d: 156; 58,94;
  • Hommes de 35 à 39 ans.
  • Taille; Poids;
  • a: 188; 87,19;
  • b: 176; 74,13;
  • c: 164; 64,30;
  • d: 152; 59,40;
  • Hommes de 40 à 44 ans.
  • Taille; Poids;
  • a: 180; 79,09;
  • b: 168; 68,40;
  • c: 158; 61,96.

Ces chiffres, pris par deux couples de diverses manières, donnent les nombres sui-vants pour l'exposant de la puissance à laquelle il faut élever la taille pour retrouver le poids expérimental.

  • Hommes de 30 à 34 ans.
  • a et d: 1,92;
  • a et b: 2,33;
  • b et c: 2,05;
  • c et d: 1,47;
  • Hommes de 35 à 39 ans.
  • a et d: 1,80;
  • a et b: 2,0;
  • b et c: 2,30;
  • c et d: 1,04;
  • Hommes de 40 à 44 ans.
  • a et c: 1,84;
  • a et b: 2,41;
  • b et c: 1,55.


On trouve une valeur voisine de 1,9 quand on compare entre elles, soit les plus grandes et les plus petites tailles, soit deux tailles voisines de la moyenne, l'une au-dessus, l'autre au-dessous de la moyenne. Mais quand on compare entre elles deux tailles d'un même côté de la moyenne, l'exposant baisse pour les petites tailles et monte pour les grandes. On ne peut pas exprimer la courbe du poids en fonction de la taille par la proportionnalité simple à une puissance de la taille. Néanmoins, quand il s'agira de comparer entre eux deux groupes d'individus pris, les uns dans les grandes tailles, les autres dans les petites, on pourra pratiquement calculer comme si le poids variait proportionnellement au carré de la taille, ou un peu moins vite (1).

Prenant maintenant toutes les bonnes séries où sont notés la taille et le poids cérébral, celles de Bischoff (Allemands, 1880), de Broca (Français, in Manouvrier, 1885), Retzius (Suédois, 1900), Matiegka (Bohême, 1902), F. Marchand (Hessois, 1902), et ne conservant que les sujets de vingt-cinq à quarante ans, ce qui me laissait encore plusieurs centaines par série, je suis arrivé aux chiffres suivants (je mets en colonnes distinctes les hommes H, et les femmes, F).

  • Auteurs
  • Exposant des relations (H - F)
  • Bischoff: 0,14; 0,25;
  • Broca-Manouvrier: 0,34; 0,15;
  • Retzius: 0,34; 0,25;
  • Matiegka: 0,19; 0,25;
  • Marchand: 0,14; 0,28;
  • Moyenne: 0,230; 0,224.
  • (1) C'est de cette formule pratique que je me suis servi en prenant la valeur 1,9. Mais j'ai eu la curiosité de chercher une formule exprimant d'une façon plus exacte la fonction de la taille suivant laquelle croit le poids du corps. En portant en graphique les points expérimentaux (poids du corps en ordonnée, taille en abscisse), on voit apparaître une courbe (comme cela ressort des chiffres ci-dessus) plus arquée que la courbe a*(x^2) passant par deux points quelconques. Prolongée vers l'ordonnée d'origine par le sentiment de la continuité, la courbe expérimentale parait tendre à couper cette ordonnée à une certaine hauteur au-dessus de 0; il était donc indiqué d'essayer de la traduire empiriquement par une équation de la forme y = a*(x^3) + b. On obtient en effet des valeurs assez concordantes, avec une erreur systématique encore, mais faible, en représentant le poids P en fonction de la taille H par la formule P = 9*(H^3) + 25 (la taille en mètres et le poids en kilogrammes pour la commodité des nombres).
  • Taille
  • Poids observé
  • Poids calculé
  • 1,50; 1,55; 1,60; 1,65; 1,30; 1,15; 1,80;
  • 57; 58,5; 51; 64; 68; 72; 76,5;
  • 55,2; 58,5; 61,8; 65,2; 69; 73,1; 77,1.
  • Loi dans une espèce sauvage.

Chez les animaux vivant à l'état de nature, les variations de la taille dans une espèce sont beaucoup plus faibles que chez les animaux domestiques. Il semble bien aussi que les variations individuelles du poids encéphalique sont beaucoup plus faibles, mais nous avons en général un très petit nombre de déterminations dans une espèce, si même nous en avons plusieurs. Il y aurait là des matériaux intéressants à récolter, car on obtiendrait des faits plus purs, peut-on dire, plus faciles à interpréter que chez l'homme et chez le chien. Il serait extrêmement intéressant d'avoir des chiffres en nombre suffisant sur les races qui peuvent dans des régions distinctes, même voisines, présenter de notables différences de taille; exemple, les lièvres des Vosges et les lièvres d'Alsace. Actuellement, de tels chiffres font, je crois, absolument défaut; quand on a plusieurs déterminations dans une espèce, il est impossible d'en faire un groupement par race, harde ou canton. Si on avait seulement un nombre un peu grand de cas individuels dans quelques espèces, il faudrait chercher si la même loi que chez le chien et chez l'homme s'applique. Jusqu'ici, je n'ai pu faire qu'une seule vérification de ce genre, mais elle est satisfaisante.

Dans la collection considérable de chiffres déterminés par Hrdlicka, on trouve trois espèces d'écureuils américains.

  • A) Sciurus rufiventer: 5 individus donnent un poids moyen du corps, P = 580 gr. (de 522,5 à 650) et un poids encéphalique moyen, E = 8 gr. 95 (de 8,4 à 9,2).
  • B) Sciurus carolinensis: 14 individus; P = 466 gr. (de 364 à 595); E = 7 gr. 48 (de 6,55 à 8,25); les sept plus petits donnent: P = 424, E = 7,36; les sept plus grands: P = 509, E = 7,61.
  • C) Sciurus hudsonius: 6 individus; P =160; E = 4,1.

En faisant le calcul de l'exposant de relation entre les moyennes des espèces, on trouve: A à C: 0,60; B à C: 0,56. En faisant le même calcul entre les grands et les petits individus de B, on trouve 0,20. Il s'agit de trois espèces franchement distinctes. Les deux premières habitent à peu près la même région, dans les États-Unis, mais elles sont assez différentes pour avoir été classées dans deux sous-genres distincts; la troisième habite la région subpolaire du Canada et appartient, d'ailleurs, à un autre sous-genre encore que les deux premières. Non seulement nous trouvons pour l'exposant de relation des valeurs très différentes suivant que nous comparons les moyennes de deux espèces, ou les moyennes des petits et des grands individus dans une même espèce, mais encore ces valeurs sont très voisines de celles auxquelles nous sommes arrivés dans les autres groupes: 0,56 dans un cas, 0,25 dans l'autre. Si l'on tient compte du petit nombre des individus d'une part, du faible écartement des poids corporels de l'autre, la concordance apparaît comme très remarquable. Nous pouvons maintenant généraliser la loi intérieure de l'espèce, constatée chez le chien, l'homme et l'écureuil. DANS UNE ESPÈCE DONNÉE, abstraction faite des variations individuelles, LE POIDS ENCÉPHALIQUE VARIE SENSIBLEMENT COMME LA RACINE QUATRIÈME DU POIDS DU CORPS.


  • Application au cas de variation dans une espèce.

Puisqu'il y a une différence considérable dans la relation du poids de l'encéphale au poids du corps suivant qu'il s'agit d'espèces différentes ou d'individus d'une même espèce, il en résulte que l'on ne peut pas comparer, même approximativement, deux individus ou groupes d'individus pris chacun dans deux espèces différentes, sans s'être assuré que chacun des groupes ou individus s'écarte peu, par la grandeur du corps, de la normale de son espèce. C'est ce qui est toujours réalisé pratiquement dans les cas où les variations individuelles du poids du corps sont négligeables par rapport à l'écart entre les deux espèces; par exemple, la différence entre un grand chat et un petit chat (je ne dis pas un jeune chat), la différence entre un grand tigre et un petit tigre, ne sont rien auprès de la différence de taille qui existe entre n'importe quel chat et n'importe quel tigre. Mais quand les tailles des espèces sont moins éloignées l'une de l'autre, la comparaison devient inexacte si la taille du sujet ou du groupe de sujets représentatif d'une espèce est notablement au-dessus ou au-dessous de la taille normale. L'erreur peut être considérable si l'une des deux espèces, sous l'influence de la domestication et de la sélection artificielle, a donné naissance à des races de tailles très diverses. Ainsi, les chiens de 38 kilogrammes donneraient, suivant la formule de Dubois, un coefficient céphalique de 0,29; les chiens de 3 kilogrammes, un coefficient de 0,67. Or, ce coefficient doit représenter le niveau de l'espèce dans l'échelle de supériorité d'organisation; avec une des valeurs, les chiens seraient au-dessous des félins; avec l'autre, presque au niveau des singes anthropoïdes. Nous avons malheureusement très peu de chiffres pour les canidés sauvages; Hrdlicka mentionne un loup américain (Canis nubilus) pesant 29,030 gr., avec un encéphale de 115 gr.5; le coefficient céphalique s'établit à 0,365. J'ai recueilli les chiffres de quatre renards; un poids moyen de 8500 grammes pour le corps, de 46 gr. 73 pour l'encéphale, donne un coefficient de 0,383, voisin du précédent; en attendant que nous ayons des chiffres plus nombreux, on peut les admettre comme représentant le niveau normal du genre Canis. Mais quel est le coefficient qu'il faut adopter pour le chien domestique? Nous avons vu que, dans la complexité actuelle de nos races, il n'y a pas de raison objective d'établir plusieurs étages de développement cérébral. Pour toutes les races, et pour toutes les tailles, on exprime la moyenne en écrivant E = (7,6)*(P^(0,25)); mais cela ne permet de comparer les chiens qu'entre eux, nullement de les comparer avec les autres mammifères ni même avec les autres espèces du même genre.

Les origines du chien, qui ont donné lieu à une littérature considérable, sont loin d'être éclaircies; nous ne savons pas si l'homme a fait dériver toutes les races d'une seule espèce, ou bien s'il a domestiqué, en des lieux divers, des espèces différentes qui se sont ensuite croisées. Mais ayant pu exprimer pour toutes les grandeurs de corps, la grandeur moyenne de l'encéphale au moyen de la formule de l'espèce, je crois être en droit de traiter mathématiquement cette série comme une espèce, qu'elle provienne en fait d'une souche unique ou de plusieurs. La nécessité de traiter la comparaison des individus d'une même espèce autrement que la comparaison de deux espèces, apparaît ici sans qu'il soit nécessaire de faire intervenir aucun calcul. Les renards, pesant de 5 à 6 kilogrammes, ont un encéphale de 46 à 47 grammes; les chiens domestiques de 5 à 6 kilogrammes, ont un encéphale qui varie de 55 à 75 grammes, moyenne 64 gr. 3. La comparaison directe donnerait donc une grande supériorité au chien. Le loup américain pesé par Hrdlicka a un encéphale de 115 gr. 5 pour un corps de 29 kilogrammes. Les chiens qui pèsent de 28 à 31 kil. 5 ont un encéphale moyen de 94,9, chiffres extrêmes, 80 et 105; à la comparaison directe, l'infériorité des chiens serait non moins évidente que leur supériorité tout à l'heure. Il est certain que par l'action de l'homme, la taille des chiens a été accrue d'une part, et diminuée de l'autre; le ou les ancêtres de nos chiens, à l'état de nature, n'étaient ni si grands qu'un loup, ni si petits qu'un renard. Si nous admettons, pour le raisonnement, qu'il n'y ait eu qu'une espèce souche, sa taille originelle était quelque part dans le milieu de l'échelle de tailles des chiens; admettons encore que par l'effet de la domestication, le degré de céphalisation du chien n'ait pas changé; l'ancêtre type est alors représenté par les chiens d'un certain poids qui doivent avoir en moyenne le même poids cérébral que lui; faisons la troisième hypothèse que cet ancêtre avait sensiblement le même degré de céphalisation que les espèces sauvages actuelles du genre Canis, nous avons alors le moyen de déterminer par le calcul le poids de son corps et le poids de son encéphale. En effet, en tant qu'espèce du genre Canis, il répond à la formule E = (0,37)*(P^(0,56)); en tant qu'individu de l'espèce Canis familiaris, il répond à la formule E = (7,6)*(P^(0,25)); E et P ont nécessairement une seule et même valeur dans ces deux expressions, qui deviennent par conséquent un système de deux équations à deux inconnues; il est facile d'obtenir les valeurs numériques: on trouve 17 kilogrammes pour le poids du corps, et 87 grammes pour le poids de l'encéphale (1). On peut suivre moins abstraitement le raisonnement sur un graphique, où la loi des Canidés, et celle de l'espèce Chien, sur coordonnées logarithmiques, prennent la forme d'une droite; les deux lois se coupent; le point de croisement représente l'ancêtre type supposé. Il est bien entendu que ce calcul est donné à titre d'exemple schématique. La valeur obtenue est très vraisemblable, et il est possible qu'elle soit ultérieurement confirmée; mais en l'état actuel de la question, il y aurait d'abord trois hypothèses à démontrer; ensuite, la loi des Canidés est insuffisamment établie. Mais voici un autre cas où, certaines hypothèses étant remplacées par des faits connus, le raisonnement permet de juger une hypothèse restante.

  • (1) Voici le détail du calcul qui donne P; égalant les deux valeurs de E, on a

(0,37)*(P^(0,56)) = (7,6)*(P^(0,25))

En divisant par (P^(0,25)) et par 0,37, il vient

(P^(0,56-0,25)) ou (P^(0,31)) = (7,6)/(0,37)

d'où (0,31)*(log(P)) = log(7,6) — log(0,37) = 0,880 + 1 — 0,568

log(P) = (1,312)/(0,31) = 4.322

P = 17060.

  • Régression cérébrale des animaux domestiques. — 1° Lapins.

Charles Darwin, comparant les diverses races de lapins domestiques au lapin de garenne qui en est la souche, fait la remarque suivante: ces races domestiques sont, en général, plus grandes, et souvent beaucoup plus grandes, que l'espèce primitive; mais la capacité crânienne ne s'est pas accrue corrélativement. Notamment, il est facile de voir que les grands lapins ont une capacité inférieure à celle des lièvres qui ont à peu près la même grandeur corporelle. D'où Darwin conclut que la domestication a eu pour effet de diminuer le poids de l'encéphale par défaut d'usage. Cette conclusion a besoin d'être reprise à la lumière des constatations générales que nous avons faites sur la relation du poids de l'encéphale au poids du corps. Il résulte en effet du paragraphe précédent que la comparaison directe du lapin au lièvre est illégitime et pourrait conduire à une erreur.

Le problème qui restait en partie indéterminé chez le chien peut ici être étudié complètement, puisque nous avons sous la main l'espèce souche, que nous en pouvons connaître par conséquent et le poids corporel et le poids encéphalique. La seule hypothèse nécessaire, c'est que dans l'espèce Lepus cuniculus s'applique la loi E = K*(P^(0,25)) que nous avons constatée dans les espèces Homo sapiens, Canis familiaris et Sciurus carolinensis. Étant donné que ces trois cas constituent la totalité des cas étudiés, qu'on n'a par suite pas d'exception, la généralisation paraît légitime. Voici les moyennes que j'ai obtenues pour une série de lapins de garenne — de lapins domestiques (en ayant soin de prendre des adultes, en bon état sans surcharge graisseuse) — et de lièvres.

  • Poids moyen du corps
  • Poids moyen de l'encéphale
  • Lapin de garenne: 1.463; 10,54;
  • Lapin domestique: 3.375; 11,20;
  • Lièvre: 3.833; 10,70.

Entre les lièvres et les lapins domestiques qui sont à peu près du même poids corporel, la différence de poids encéphalique est frappante. C'est ce qu'avait déjà vu Darwin. Inversement, du lapin de garenne au lapin domestique, pour un poids de corps plus que double, le poids de l'encéphale n'est accru que de très peu. Si on calculait sur ces chiffres l'exposant de relation dans l'espèce Lepus cuniculus, on trouverait la valeur extrêmement faible 0,07.

Ces faits m'avaient d'abord suggéré une théorie que j'ai dû rejeter, car elle est en désaccord avec d'autres faits, mais que je veux indiquer néanmoins, car elle me paraît contenir une part de vérité qui devra peut-être retrouver sa place dans une théorie plus complète. Entre deux espèces affines, le poids de l'encéphale varie toujours comme la puissance 0,56 du poids du corps. Ces deux espèces peuvent être considérées comme dérivant d'un ancêtre commun extrêmement reculé dans les temps, à travers un nombre de générations extrêmement grand; même si l'évolution a donné à ces deux espèces des tailles très différentes, elles ont eu le temps d'arriver chacune à son équilibre. Mais quand a commencé à se produire la variation, brusque ou lente, cette variation peut avoir porté d'abord sur la grandeur du corps, grandeur relativement sensible, comme nous savons, aux influences extérieures. Le système nerveux central n'est point une masse d'éléments homologues simplement additionnés, comme une glande ou un muscle; c'est un réseau d'éléments individuellement spécialisés, assemblés suivant un plan absolument précis, quoique d'une complexité au-dessus de notre imagination: il est très difficile de concevoir qu'un tel organe s'accroisse ou se réduise aussi facilement qu'un muscle, qu'une glande, ou qu'un os; il faut faire intervenir une sorte d'adaptation interne, une évolution du système nerveux nécessairement lente. Soit un individu possédant un corps plus petit ou plus grand que celui de ses parents; il serait possible que son cerveau ne soit accru ou diminué que suivant une progression extrêmement faible, c'est-à-dire suivant un exposant de relation voisin de zéro; si sa variation de taille se fixe chez ses descendants, alors le cerveau va s'adapter peu à peu aux nouvelles dimensions du corps, tendant vers la limite d'équilibre représentée par l'exposant de relation 0,56. Ainsi, on comprendrait que les diverses races d'une même espèce présentent pour l'exposant de relation une valeur intermédiaire entre 0 et 0,56, par exemple 0,25 comme je l'ai trouvé chez le chien, domestiqué, artificiellement sélectionné et varié depuis l'époque néolithique. Dans cette hypothèse, l'exposant de relation plus faible 0,07 trouvé chez le lapin aurait correspondu à une variation plus récente. Mais en étendant le champ de mes observations, j'ai trouvé, comme je l'ai dit plus haut, la valeur 0,25 (ou très voisine de 0,25), pour l'exposant de relation dans une même espèce, trois fois sur trois. Il y a donc là, semble-t-il, une règle fixe, un équilibre particulier, et non une variation en marche, car alors on trouverait vraisemblablement dans les divers cas des valeurs diverses entre 0 et 0,56. De plus, j'ai constaté sans doute possible, sur d'autres espèces, une réduction du poids de l'encéphale par l'effet de la domestication.

Il faut comparer la race domestique à la souche au moyen de l'exposant de relation 0,25. Suivant ce calcul du lapin de garenne au lapin domestique, celui-ci devrait avoir 13 gr. 03 d'encéphale; le poids constaté est de 11 gr. 20; le déficit est de 2 gr. 10, soit environ 15 p. 100. Voilà la mesure de la réduction de l'encéphale par la domestication. La comparaison directe, comme le faisait Darwin, avec le lièvre, donnerait 5 gr. 50 pour la réduction qui paraîtrait ainsi deux fois et demie trop forte.


  • 2° Ruminants.

Parmi nos autres mammifères domestiques, l'étude des ruminants conduit, avec moins de précision, à admettre pour eux aussi une diminution du poids de l'encéphale. Divers ruminants sauvages, la girafe, le mouflon, le chevreuil, une grande et une petite antilope (Oryx Beïsa et Cephalophus Maxwelli) présentent, chiffres de divers auteurs, pour des poids corporels, échelonnés de 3 à 500 kilogrammes, une loi assez régulière, qui est figurée (toujours en coordonnées logarithmiques) dans la figure. Les ruminants domestiques, boeufs et moutons, se placent bien au-dessous de cette ligne. Si l'on veut supposer que l'élevage a accru leurs poids corporels, leurs poids encéphaliques ne s'accroissant que suivant la racine quatrième de ce poids, on peut, en faisant passer par leurs points des lignes de pente 0,25, reconnaître approximativement sur le graphique le poids corporel que devrait avoir présenté l'espèce souche pour qu'il n'y ait pas eu régression cérébrale. La souche de nos boeufs aurait dû peser à peine 150 kilogrammes; celle des moutons, 15 kilogrammes. Ces chiffres sont invraisemblables; c'est la régression qui est probable. Les équidés paraissent s'être comportés autrement, l'homme ayant traité le cheval autrement que le boeuf et le mouton. Malheureusement, je n'ai pu, sur les équidés sauvages, exprimer que des désiderata.

  • 3° Oiseaux de basse-cour.

Le canard fournit l'exemple le plus net de la réduction encéphalique par la domestication. Le canard de nos basses-cours provient incontestablement du canard sauvage (Anas boschas), il a même relativement peu varié. Or, voici les moyennes que m'ont données mes pesées:

  • P
  • E
  • Canards sauvages: 1,072; 6,30;
  • Canards domestiques: 1,708; 5,32.

Ici, aucun calcul à faire: chez le canard domestique, par rapport à l'espèce souche, le poids du corps est augmenté et le poids de l'encéphale est diminué. Pour les poulets, le fait est moins net. La souche parait connue : c'est le Gallus Baniciva qui habite les forêts de l'Inde et de la Malaisie; nous n'avons malheureusement pas de chiffres pour cette souche. J'ai le regret amer, aujourd'hui, d'avoir autrefois tué des Gallus Bankiva et des Gallus Sonerati, sans les considérer autrement que comme nourriture. A défaut de ce document direct, j'ai considéré l'isoneurale fournie par le paon et le faisan comme pouvant servir de base. Tous les coqs et poules dont j'ai pesé le corps et l'encéphale se placent au-dessous de cette ligne, excepté une minuscule poulette de Bantam. Les poulets paraissent donc s'être comportés comme tous les animaux domestiques que nous venons de passer en revue. La conclusion générale est celle de Darwin, mais cette fois solidement assise: la domestication a causé chez ces espèces une diminution du poids relatif de l'encéphale.


  • Comparaison du poids encéphalique entre l'homme et la femme
  • 1907
    • (143). Le poids encéphalique en fonction du poids du corps entre individus d'une même espèce, Société d'Anthropologie, 6 juin.
    • (150). Comparaison du poids encéphalique entre les deux sexes de l'espèce humaine, Société de Biologie, 9 novembre.
    • (152). Différence sexuelle dans le poids de l'encéphale chez les animaux: rat et moineau, Société de Biologie, 21 décembre.

La femme a un encéphale moins pesant que celui de l'homme. Mais elle a aussi un corps moins grand et moins pesant. A-t-elle un poids relatif d'encéphale plus petit, plus grand, ou égal? On voit que cette question, passionnément discutée, dépend de la définition du poids relatif. J'ai été naturellement amené à la reprendre à la suite des études que je viens d'exposer. Les poids corporels et encéphaliques de l'homme et de la femme, chez les Européens, sont connus avec une bonne approximation. En tenant compte de tous les résultats des auteurs, j'arrive aux valeurs rondes que voici:

  • P
  • E
  • Homme: 66.000; 1360;
  • Femme: 54.000; 1220.

Pour l'encéphale, ces chiffres sont peu différents de la moyenne brute calculée par Vierordt sur toutes les séries européennes (1357 et 1235); ils diffèrent très peu aussi des chiffres calculés par Topinard sur les meilleures séries anciennes, Paul Broca, Bischoff, Boyd (1361 et 1211); ils sont confirmés par les séries récentes de Retzius (Suédois, 1399 et 1248) et de Marchand (Hessois, 1388 et 1252); car si ces derniers chiffres sont un peu plus élevés, ils proviennent de races plus grandes que la moyenne de l'Europe, et le rapport de l'homme à la femme reste sensiblement le même. Les poids du corps sont les poids physiologiques, résultant des pesées à l'état vivant; les moyennes prises en considération sont, pour les hommes, celles de Krause, d'Adolphe Quetelet et de Hassing; pour les femmes, celles de Krause, de Hofmann, de Quetelet et de Kobylin. Ces nombres, dont je vais me servir, je les avais établis sans idée préconçue, avant le calcul qui m'a conduit à une conclusion imprévue pour moi. D'ailleurs, l'incertitude qu'ils peuvent présenter n'est pas d'un ordre suffisant pour entacher cette conclusion. Le poids absolu donne une différence en moins pour la femme de 140 grammes, soit 11 pour 100 de l'encéphale de l'homme.

Le poids relatif de Georges Cuvier donne, pour l'homme, 1/(48,4), pour la femme, 1/(44,2); soit, en plus pour les femmes, 8 p. 100 de l'encéphale de l'homme. C'est-à-dire que l'on trouve dans la comparaison de l'homme à la femme le même fait que dans la comparaison des grands animaux aux petits: le plus grand a le cerveau le plus lourd, mais le poids relatif (de Cuvier) donne l'avantage au petit. C'est ce que l'on avait constaté depuis longtemps, et c'est là-dessus que l'on a discuté, bien que ces relations soient dépourvues de signification physiologique. Pour comparer entre eux deux groupes d'animaux de tailles différentes, il faut diviser le poids de l'encéphale par la puissance 0,56 du poids du corps si ces êtres appartiennent à deux espèces distinctes, par la puissance 0,25 de ce poids s'ils appartiennent à la même espèce. Il semble donc, à première vue, que le procédé de comparaison s'impose: de la moyenne de l'homme à la moyenne de la femme, il faut calculer le coefficient de céphalisation avec l'exposant de relation 0,25. Pourtant, si l'on serre ce raisonnement, on voit qu'il n'est pas justifié. Nous avons affaire ici à un cas particulier.

Quand nous comparons des grands chiens à des petits chiens, ou des grands Sciurus carolinensis à des petits écureuils de la même espèce, nous pouvons arbitrairement limiter nos groupes, parce que nous les avons découpés dans une série continue. Ici les moyennes de l'homme et les moyennes de la femme, corps ou encéphale, nous sont donnés par la nature même des choses; nous avons affaire à deux catégories objectivement distinctes, et chacune de ces catégories a sa loi propre unissant la grandeur encéphalique à la grandeur corporelle, tandis que pour les grands ou les petits chiens, les petits ou les grands écureuils, c'est la même loi, avec seulement une valeur différente de la variable. Cette différence est si profonde qu'elle est sentie intuitivement même quand les lois auxquelles je fais allusion sont inconnues ou ne se présentent pas expressément à l'esprit. Par exemple, il est facile de constituer des séries soit de même taille, soit de même poids corporel, en prenant d'une part des hommes relativement petits, d'autre part, des femmes relativement grandes. A-t-on le droit ensuite de comparer en valeur absolue les moyennes encéphaliques de ces deux séries? Bien qu'il ait été donné une réponse affirmative à cette question, il semble que les naturalistes sentiront en général quelque chose de choquant à un tel procédé. Sexe à part, des femmes ayant en moyenne l m 60 ne seront pas identiques à des hommes de même taille ou de même poids moyen. Quand même il n'y aurait pas, comme cela existe en fait, un canon différent pour l'homme et pour la femme, de sorte que ces tailles, longueurs globales, ne correspondent pas à une même somme de parties; quand même il n'y aurait pas, comme cela existe en fait, une composition différente pour les tissus de l'homme et de la femme, de sorte qu'un même poids global correspond pour l'un et pour l'autre à des quantités différentes d'eau, de sels, de carbone, etc.; il suffit que l'un des groupes soit au-dessous pour que la comparaison directe soit discutable, sinon illégitime.

J'ai montré que chaque sexe, séparément de l'autre, suit pour la relation de l'encéphale au poids du corps, la loi intérieure d'une espèce, la proportionnalité à la racine quatrième. Par conséquent, nous voyons que la comparaison directe entre hommes et femmes de même poids constitue la même erreur que la comparaison du loup ou du renard à des chiens de même poids. Pour comparer la céphalisation du loup ou du renard à celle du chien, il faut faire le rapport du poids de l'encéphale à la puissance 0,56 du poids du corps avec les moyennes spécifiques, c'est-à-dire appliquer la formule propre aux espèces distinctes. J'étais ainsi amené, mathématiquement, à traiter de même l'homme et la femme, comme deux espèces distinctes. La forme inadmissible de cette proposition disparaît si on l'énonce de la façon suivante: dans le cas de dimorphisme sexuel qui nous occupe, la relation d'un sexe à l'autre, au point de vue du caractère différentiel, doit être traitée comme la relation d'une espèce à une autre au point de vue de la différence spécifique. On pourrait, inversement, reprendre les propositions générales que j'ai appelées loi d'espèce à espèce, loi intérieure de l'espèce et les formuler d'une façon plus abstraite, telle que le dimorphisme sexuel puisse y entrer sans difficulté. C'est donc le calcul avec l'exposant 0,56 qui s'impose. Voici le résultat, que non seulement je ne cherchais pas, mais qui m'a surpris :

  • Homme: ((66.000)^(0,56)) = 498; 1360/498 = 2,73;
  • Femme: ((54.000)^(0,56)) = 448; 1220/448 = 2,72.

Il y a égalité. Je dis égalité dans les résultats du calcul; j'ai en tout cas le droit de formuler la proposition suivante, traduction pure et simple de calculs objectifs: Les poids corporels et encéphaliques des hommes d'une part, des femmes de l'autre, sont entre eux exactement dans les mêmes rapports que s'il s'agissait de deux espèces animales distinctes et égales en organisation nerveuse. En publiant ces résultats, tant à la Société de Biologie qu'à la Société d'Anthropologie, j'ai fait les plus expresses réserves sur les conséquences psychologiques ou même sociales qu'on en pourrait tirer. « En Biologie, nos problèmes comprennent tant d'indéterminations, qu'il faut se méfier de la logique pure, et confronter à maintes reprises ses indications avec l'expérience. » Pour avoir cette vérification expérimentale, il faudrait étudier dans les espèces animales sauvages une différence sexuelle du même genre. Je me suis dans ce but adressé (152) à des espèces banales, le rat et le moineau, dont on peut obtenir des séries assez nombreuses. Ayant pesé 13 individus de chaque sexe et de chaque espèce, j'ai vu dans ces deux espèces que les mâles sont plus grands et ont plus de cerveau que les femelles; la relation d'un des caractères à l'autre se rapproche de ce que j'ai montré dans l'espèce humaine; mais les différences sont trop petites pour donner une approximation démonstrative. J'ai commencé sur les oiseaux de proie des recherches qui seraient particulièrement significatives; mais je n'ai pu avoir encore des matériaux assez nombreux.


  • Analyse du poids encéphalique

Les formules qui expriment le poids du cerveau par la proportionnalité à la puissance 0,56 ou à la racine quatrième du poids du corps ne présentent pas par elles-mêmes un sens intelligible. J'ai essayé d'analyser la complexité du fait que traduisent de telles formules empiriques.

  • Variation des divers organes de l'encéphale.
  • 1899
    • (71). Variation des diverses parties des centres nerveux en fonction du poids du corps chez le chien (avec Ch. Dhéré), Société de Biologie, 30 juillet.
  • 1906
    • (129). Poids des diverses parties de l'encéphale chez les oiseaux (avec Pierre Girard), Société de Biologie, 7 juillet.

Et d'abord, les parties nettement diverses dont la somme compose l'encéphale suivent-elles toutes la même loi? Chez les chiens, avec Dhéré (71) pesant séparément les hémisphères et le cervelet, j'ai trouvé que ces parties présentent l'une et l'autre un rapport constant avec la racine quatrième du poids du corps, comme l'encéphale tout entier. Voici le résumé de nos observations (les coefficients expriment le quotient du poids de l'organe, en grammes, à la racine quatrième du poids du corps, en kilogrammes):

  • Nombre de sujets
  • Poids moyen du corps
  • Coefficient hémisphérique
  • Coefficient cérébelleux
  • 6: 4,22; 22,7; 2,52;
  • 6: 7,02; 22,3; 2,40;
  • 6: 10,01; 23,6; 2,65;
  • 5: 13,90; 22,4; 2,58;
  • 5: 17,05; 23,1; 2,63;
  • 6: 24,02; 22,3; 2,65;
  • 8: 36,07; 22,8; 2,56.

Il n'y a évidemment aucune marche systématique. Voilà dans l'intérieur d'une espèce; d'espèce à espèce, il en va autrement. Chez les oiseaux, avec Pierre Girard (129) j'ai trouvé que le rapport entre elles des diverses parties de l'encéphale, hémisphères, cervelet, lobes optiques, varie, dans un groupe naturel, des petites espèces aux grandes.

  • Poids du corps (en gr.)
  • Hémisphères en centièmes de l'encéphale
  • Cervelet en centièmes de l'encéphale
  • Lobes optiques en centièmes de l'encéphale
  • Sarcelles: 307; 64,4; 11,1; 9,5;
  • Canards: 1072; 67,6; 10.6; 5,7;
  • Emouchets: 232; 58,0; 16,3; 12,9;
  • Buses: 1010; 61,2; 14,5; 10,8;
  • Pies: 135; 73,3; 8,0; 8,2;
  • Geais: 165; 72,8; 8,5; 9,4;
  • Corneilles: 524; 77,6; 8,1; 5,4;

Bien que l'écart dans le poids du corps soit relativement faible, il est facile de voir que les hémisphères croissent avec ce poids plus vite que l'ensemble, et les lobes optiques beaucoup moins vite. C'est-à-dire que l'expression E = K*(P^(0,56)) paraît devoir être décomposée en une somme E = a*(P^x) + b*(P^y) + c*(P^z) ou en une autre somme de fonctions propres à chacun des organes encéphaliques. On conçoit que de cette façon, on puisse constituer une relation globale empiriquement exprimable par cette puissance bizarre 0,56. Le fait suivant doit être pris en sérieuse considération.


  • Variation de la composition chimique du cerveau avec la taille et le degré d'évolution.
  • Note à la Société de Biologie, 30 juillet 1898. En outre, Thèse de Ch. Dhéré: Recherches sur la variation des centres nerveux en fonction de la taille, Faculté de Médecine de Paris, 1898; et Thèse de Pierre Girard : Facteurs dont dépendent la masse, la forme et la composition chimique quantitative de l'encéphale chez les oiseaux, Faculté des Sciences de Paris, 1908.

On avait déjà indiqué, d'une façon théorique, que la valeur fonctionnelle d'un cerveau ne doit pas croître proportionnellement à sa masse, puisque la longueur des conducteurs augmente nécessairement avec les dimensions de l'organe. J'ai eu l'idée de doser, dans des cerveaux de grandeurs différentes, l'extrait éthéré, c'est-à-dire, grosso modo, la myéline qui recouvre les conducteurs. J'ai obtenu les proportions suivantes en p. 100 du poids sec.

  • Chien: 40
  • Mouton: 38
  • Bœuf: 47
  • Homme: 45

En comparant le mouton au bœuf, on trouve une augmentation de myéline, conformément aux raisonnements géométriques que j'ai rappelés. Mais en passant de l'encéphale d'un bœuf (poids, 425 grammes) à l'encéphale d'un homme (poids, 1.450 grammes), au lieu d'une augmentation progressive, il y a, au contraire, une diminution des substances solubles dans l'éther. L'examen anatomique des deux organes montre, en effet, que chez l'homme la substance blanche, laciniée par des replis plus profonds de l'écorce, ne s'accroit pas suivant une loi de similitude géométrique par rapport au cerveau du bœuf. La proportion de centres et de conducteurs (ou de substance grise et de substance blanche) dans un cerveau donné dépend à la fois de la grandeur et du degré d'évolution de l'organe. M. Dhéré appliquant la même recherche aux chiens de tailles diverses a trouvé une variation bien systématique, mais faible; la proportion d'extrait éthéré varie de 38 à 41 quand on passe des plus petits aux plus gros chiens. M. Girard a repris la question sur diverses espèces d'oiseaux, en substituant, sur mes propres conseils, l'épuisement par l'alcool bouillant à l'épuisement par l'éther. Il a obtenu des chiffres très significatifs, tout à fait dans le sens de mes premières constatations.

  • Espèces
  • Poids de l'encéphale frais
  • Coefficient de céphalisation
  • Extrait p. 100 du cerveau sec
  • Perroquet: 7,828; 0,30; 25;
  • Corbeau: 8,650; 0,26; 32;
  • Geai: 4,775; 0,25; 30;
  • Emouchet: 4,120; 0,16; 33;
  • Canard sauvage: 6,070; 0,12; 34;
  • Sarcelle: 2,750; 0,12; 30.

Je continue ces recherches qui me paraissent avoir une grande importance pour la mesure du niveau psychique que l'on cherche dans le poids relatif du cerveau. La question, malgré les considérations théoriques auxquelles j'ai fait allusion, appartient jusqu'ici à peu près tout entière à mes collaborateurs et à moi. Les recherches très anciennes de Von Bibra (1858) avaient conduit à une conception opposée; à savoir qu'une forte proportion de graisse (phosphorée) est nécessaire au fonctionnement cérébral, et que cette proportion augmente avec l'élévation dans la hiérarchie zoologique; largement développée par Jacob Moleschott, cette conception a régné dans la science jusqu'à ces dernières années. Les chiffres analytiques de Bibra ne sont pas en désaccord avec les miens; mais il faisait la moyenne entre divers mammifères, la plupart de petit poids cérébral, pour les comparer à l'homme.


  • Variation de la moelle épinière en fonction du poids du corps chez le chien.
  • Note (avec Ch. Dhéré) à la Société de Biologie, 25 juin 1898.

Sur 36 sujets, nous avons déterminé, pour le corps et pour la moelle épinière, le poids et la longueur. Le poids de la moelle varie à peu près comme la racine carrée du poids du corps mais les chiens de poids moyen donnent pour ce rapport une valeur un peu plus forte que les petits et les grands chiens. Ces animaux ne sont d'ailleurs pas géométriquement semblables entre eux; le rapport du poids du corps au cube de sa longueur est plus faible chez les chiens de taille moyenne que chez les petits et les grands. La moelle est donc fonction à la fois de la masse et de la longueur du corps. Si on calcule la section moyenne de la moelle (quotient de son poids par sa longueur), on obtient la meilleure mesure de la puissance fonctionnelle d'une moelle; cette section moyenne varie presque exactement comme la racine quatrième du poids du corps. La moelle suit donc la même loi que toutes les parties des centres nerveux (71).

  • Relation entre la forme du cerveau et la grandeur du sujet chez le chien.
  • Note (avec Ch. Dhéré) à la Société de Biologie, 9 juillet 1898.

Sur 47 encéphales de chiens adultes, préalablement durcis, nous avons mesuré les diamètres antéro-postérieur, vertical et transverse. En groupant nos sujets suivant le poids du corps, nous avons obtenu les indices suivants:

  • Nombre de sujets
  • Poids moyen du corps
  • Poids moyen de l'encéphale
  • 100 Transv. aut. post.
  • 100 Vertic. aut. post.
  • 100 Vertic. Transv.
  • 6: 4230; 64; 90; 70; 77;
  • 6: 7200; 69; 86; 66; 77;
  • 5: 10000; 82,5; 85; 66; 78;
  • 6: 12710; 83,5; 81; 62; 76;
  • 5: 17460; 91,7; 79; 59; 74;
  • 10: 25120; 96,3; 78; 58; 75;
  • 9: 37333; 111; 78; 56; 72.

Ces chiffres expriment nettement une variation systématique de la forme qui est très apparente; tous les petits chiens sont brachyencéphales; tous les gros, dolichencéphales. L'aspect si différent des têtes des diverses races tient aux variations de la face, et non à celles du crâne. La forme du crâne est indépendante de l'allure générale de la tête. Pourtant, chez le bouledogue, elle est influencée par cette allure, mais en sens contraire: le bouledogue est dolichencéphale; fait qui s'explique de lui-même à la dissection; les muscles temporaux, ramassés d'arrière en avant et accrus en épaisseur, compriment le crâne en son milieu. Nous n'avons pas fait rentrer les bouledogues dans notre série; il s'agit ici d'un caractère contingent, d'origine, en somme, tératologique. J'ai pensé, pendant un certain temps, que le fait révélé par les chiens pouvait être une loi générale; je voulais le rapprocher de la brachycéphalie des Négritos comparés aux grands Nègres; j'ai attendu la vérification par d'autres petits noirs; et alors, le nègre paria, de l'Inde, m'a montré que chez l'homme, une très petite taille peut coexister avec la dolichocéphalie.


  • Influence de la grandeur oculaire sur le poids encéphalique
  • 1908
    • (163). Relation entre la grandeur des yeux et le poids de l'encéphale chez les vertébrés inférieurs (avec M. Laugier), Société de Biologie, 20 juin.
    • (185). La grandeur relative de l'oeil et l'appréciation du poids encéphalique, Académie des Sciences, 20 juillet.

Chez les vertébrés inférieurs, j'ai trouvé, avec M. Henri Laugier, qu'il existe entre la grandeur de l'œil et le poids de l'encéphale une relation évidente sans calcul. Exemples: Rana esculenta et Rana fusca présentent à peu près le même poids du corps; elles ne paraissent pas se distinguer l'une de l'autre quant à la complexité de leur vie de relation; or l'encéphale de R. esculenta est plus lourd que l'encéphale de R. fusca, de 20 p. 100 environ; le diamètre transversal de l'œil varie de l'une à l'autre à peu près dans le même rapport. L'encéphale de Lacerta viridis est presque triple (en poids) de celui d'Anguis fragilis; le diamètre de l'œil du premier est un peu plus que double de celui du second. Une Dorade, Pagellus centrodontus, se distingue parmi les Sparidoe par les dimensions considérables de ses yeux; son encéphale l'emporte d'un tiers (toujours à poids du corps égal) sur celui d'une espèce voisine à œil plus petit. Réciproquement, Alytes obstetricans et Hyla arborea, avec des poids du corps dont l'un est presque le double de l'autre, ont des yeux à peu près égaux; leurs poids encéphaliques sont aussi à peu près égaux. La surface rétinienne a donc, sur le poids de l'encéphale, une influence prépondérante par rapport aux autres surfaces somatiques. Cette prépondérance se retrouve chez les mammifères; mais ici, pour s'en rendre compte, il faut d'abord déterminer la loi suivant laquelle la grandeur de l'œil varie avec la grandeur du corps entre animaux semblablement organisés. On sait (depuis Haller) que les dimensions de l'œil varient moins que les dimensions homologues du corps en général; on n'a jamais formulé une relation précise. Le chat domestique, pour un poids corporel de 3 kilogrammes, présente un diamètre oculaire transversal de 20 millimètres; la panthère, pour un poids de 40 kilogrammes, un diamètre oculaire de 28 millimètres. En calculant sur ces chiffres, on trouve que la surface rétinienne varie moins vite que la racine carrée et plus vite que la racine cubique de la racine corporelle. Une telle relation n'a pas de signification géométrique; d'autre part, les données expérimentales sont généralement le poids du corps et le diamètre oculaire; il est donc préférable d'établir la relation directement entre ces données. On trouve alors que les diamètres oculaires sont entre eux sensiblement comme les racines huitièmes des poids corporels. Cette relation, essayée sur tous les chiffres que j'ai pu me procurer, m'a paru convenable au moins comme première approximation.

J'ai appelé coefficient oculaire d'un animal le quotient de son diamètre oculaire moyen (en millimètres) par la racine huitième de son poids corporel (en grammes). Ceci, pour comparer des espèces; dans l'intérieur d'une espèce, ainsi que je l'ai reconnu chez le chien, il faut prendre, comme pour l'encéphale, un exposant de relation deux fois plus petit. Si maintenant l'on compare ce coefficient oculaire au coefficient céphalique (quotient du poids encéphalique par la puissance 0,56 du poids corporel), voici quelques exemples chez les mammifères (tous les chiffres, sauf ceux de l'homme, d'après mes déterminations personnelles):

  • Poids du corps (grammes)
  • Poids de l'encéphale (grammes)
  • Diamètre oculaire
  • Coefficient de céphalisation 10^2
  • Coefficient oculaire
  • Musaraigne: 8,8; 0,17; 1,0; 5; 0,8;
  • Rat: 370; 2,30; 5,5; 8; 2,6;
  • Gerboise: 295; 2,56; 10; 11; 4,9;
  • Marmotte: 3000; 12,0; 16; 13; 5,9;
  • Lapin de garenne: 1460; 10,5; 17; 19; 6,9;
  • Chat: 3000; 29; 20; 33; 7,4;
  • Panthère: 40000; 133; 28; 35; 7,5;
  • Renard: 5500; 47; 19; 38; 6,5;
  • Chien (moyen): 17000; 87; 22; 37; 6,5;
  • Chameau: 625000; 650; 43; 38; 8,1;
  • Gazelle: 68000; 216; 40; 43; 10;
  • Cheval: 368000; 532; 50; 41; 10;
  • Homme: 66000; 1360; 23;273; 5,7.

La famille des rongeurs est particulièrement significative; dans ce groupe, en effet, le coefficient céphalique présente de grandes divergences que E. Dubois a signalées comme une énigme. Pour les espèces citées ici, on voit que ces divergences suivent presque exactement les différences dans les dimensions relatives de l'œil. Le coefficient céphalique extrêmement bas des insectivores coïncide avec un extrêmement petit coefficient oculaire. Inversement, au grand œil des herbivores, nettement exprimé par le coefficient oculaire, correspond un encéphale relativement très pesant; la liaison des deux grandeurs est soulignée par le cas du chameau dont le coefficient oculaire un peu moindre est accompagné d'un coefficient céphalique moins élevé. La considération de ce facteur rétinien modifie notablement la signification du coefficient céphalique. Assurément, l'acuité sensorielle est un élément non négligeable de l'intelligence; il est même remarquable, à ce propos, de voir, dans un groupe où les hémisphères cérébraux ont pris un tel développement, la relation quantitative entre l'œil et l'encéphale total restée aussi étroite que chez les poissons, où les lobes optiques font le quart et même le tiers de l'encéphale. Mais ce qu'on avait espéré trouver dans le coefficient céphalique, c'était la mesure de la coordination nerveuse supérieure, abstraction faite de toute question de grandeur somatique. Le coefficient de Dubois donnait cette mesure, à la condition que la richesse relative de chaque espèce d'innervation, sensorielle ou motrice, resterait constante en passant d'un animal à un autre. Cette condition n'est pas réalisée, puisque la richesse relative en innervation visuelle varie beaucoup, et, a posteriori, influe considérablement sur le développement quantitatif total de l'encéphale. Il y a donc, de ce fait, une correction parfois importante à introduire avant que d'apprécier la supériorité intellectuelle par le coefficient en question. Je n'ai pas encore trouvé le moyen d'effectuer numériquement cette correction. Mais la simple comparaison sans calcul des chiffres reproduits dans les deux dernières colonnes du tableau permet de rétablir une appréciation plus juste du niveau des espèces. Le lapin, par exemple, n'est pas deux fois et demie plus intelligent que le rat; il perçoit seulement les objets de plus loin; sa supériorité est visuelle, non intellectuelle. La supériorité de l'homme, avec son coefficient oculaire médiocre, n'en devient que plus considérable.



  • Chapitre III: Recherches sur les mutations du fer et les globules rouges

Procédé de dosage du fer spécialement adapté aux recherches biologiques

  • 1889. Procédé rapide de dosage du fer dans le sang. Société de biologie, 2 mars, et Société chimique, 12 juillet.
  • 1890. Sur le dosage colorimétrique du fer. Société de Biologie, 29 novembre.
  • 1892. Sur le dosage colorimétrique du fer. Société chimique, 22 janvier.
  • 1895. Sur le dosage du fer dans les recherches physiologiques. Thèse pour le doctorat en médecine. Faculté de Paris.

Le procédé classique en biologie avait été longtemps celui de Théophile-Jules Pelouze, c'est-à-dire le procédé volumétrique de Margueritte au permanganate, appliqué sur l'extrait chlorhydrique des tissus calcinés au fourneau à mouffle ; comme on ne dispose souvent, pour ces recherches, que de très petites quantités de fer, on avait successivement reconnu et diminué un certain nombre de causes d'erreurs qui devenaient importantes par rapport à ces quantités, et on était arrivé peu à peu à une technique laborieuse et compliquée ; on ne pouvait néanmoins, comme je l'ai montré, donner une approximation acceptable que si l'on disposait, pour une lecture, de 5 à 10 milligrammes de Fe au moins. Or, en physiologie, on a besoin d'analyses nombreuses ; il faut donc un procédé rapide ; d'autre part, il est souvent impossible d'avoir pour une opération plus d'un milligramme de fer, parfois on en a beaucoup moins ; il faut donc un procédé très sensible. Je trouvai ce procédé dans la colorimétrie du sulfocyanate ferrique. La réaction si éclatante et si délicate des sulfocyanates alcalins sur les solutions ferriques acides avait été plusieurs fois essayée au point de vue quantitatif, mais on l'avait explicitement abandonnée, en la déclarant inutilisable, parce que la coloration pâlit quand on dilue, c'est-à-dire que le sulfocyanate ferrique est dissocié par l'addition d'eau. Je reconnus que l'intensité colorante reste, entre d'assez larges limites, proportionnelle à la dilution si au lieu de diluer avec de l'eau on dilue avec une solution de sulfocyanate au même titre ; en outre, si la réaction de la liqueur est dès le début assez fortement acide, par HCl ou SO4H2, un excès plus ou moins grand du même acide ne change rien à la coloration ; enfin, je vérifiai que les différents sels, bases et acides qui peuvent se trouver dans les liqueurs provenant des tissus animaux n'ont aucune influence, sauf l'acide phosphorique, à partir d'une certaine proportion que j'ai déterminée exactement. La colorimétrie en général, à la suite de quelques applications maladroites, était fort en défaveur ; j'ai étudié méthodiquement la façon dont il faut l'employer pour qu'elle mérite confiance.

Il existe divers colorimètres : l'opération essentielle consiste toujours à comparer la coloration de deux portions du champ visuel ramenées côte à côte par l'appareil et à établir l'égalité de teinte en faisant varier l'épaisseur de la solution colorée ; de cette épaisseur, on déduit l'intensité colorante. Or, notre oeil perçoit assez grossièrement les différences d'intensité dans un ton un peu foncé ; il est au contraire fort sensible à une modification de nuance, à un virage. Mais, pour une matière colorante donnée, il y a lieu de chercher, pour en faire la colorimétrie, une teinte sensible qui existe en général. Pour le sulfocyanate ferrique en particulier, lorsqu'il est vu en couche mince, il est jaune pâle ; lorsqu'on fait croître l'épaisseur, avant que d'arriver à sa couleur sang bien connue, il passe par une teinte orangée qui, pour un faible changement d'épaisseur, vire d'une façon très sensible vers le jaune ou vers le rouge. On doit chercher cette nuance, et, pour avoir toujours la même sensibilité, la repérer au moyen d'un étalon fixe, en verre coloré. La lumière doit être constante comme qualité et comme direction : il faut donc opérer à la chambre noire, avec une source de lumière artificielle, fixée d'une manière immuable par rapport à l'appareil. En outre, il faut toujours se servir de colorimètre comme on fait de la balance dans le procédé de la double pesée : la liqueur titrée et la liqueur à titrer seront mises successivement du même côté du colorimètre, et prises chacune sous l'épaisseur nécessaire pour donner l'égalité de coloration avec l'étalon de verre placé de l'autre côté. Enfin, pour passer des épaisseurs lues à l'intensité colorante cherchée, on peut appliquer la simple règle de proportion, à la condition que ces épaisseurs soient voisines, c'est-à-dire que l'intensité colorante de la liqueur à titrer soit voisine de celle de la liqueur titrée.

Moyennant ces conditions, on peut reconnaître une variation de un cinquantième de la teneur en fer d'une solution donnée ; comme on peut opérer avec une quantité totale bien inférieure à 1 milligramme de Fe, on atteint facilement un centième de milligramme. Reste à obtenir, à partir des organes, la liqueur propre à la colorimétrie ; j'ai établi le procédé suivant : l'échantillon, soit par exemple un gramme de sang, est introduit dans un ballon de Kjeldahl, additionné de un centimètre cube d'acide sulfurique monohydraté, chauffé et additionné, suivant certaines précautions, d'acide azotique ; et l'on obtient rapidement, sans avoir fait un épuisement ni une filtration, dans le récipient même où l'on avait pesé la matière première, c'est-à-dire sans aucune chance de perte, une solution peu étendue, parfaitement limpide et incolore ; le fer y est contenu à l'état de sulfate ferrique, en présence d'un grand excès d'acide sulfurique ; nous sommes d'emblée dans les conditions où doit s'effectuer le dosage colorimétrique. Un dosage, dans sa totalité, ne prend guère plus d'une heure ; deux dosages, menés parallèlement, peuvent être terminés en une heure et demie. Ce procédé est indiqué en France comme le procédé de choix par M. Albert Dastre et par la plupart des manuels (1) ; parmi les auteurs qui l'ont employé à l'étranger, je puis citer M. Dhéré (de Fribourg, Suisse), et M. Tedeschi (de Pise) (2).

1. Notamment, Jean-Pierre Morat et Maurice Doyon, Traité de physiologie, 1er volume, 1904.

2.

  • En ce qui concerne les invertébrés, les ressources dont dispose la chimie ne permettaient pas cette étude. Nous-même n'avons pu l'aborder que grâce au procédé de Lapicque. Ce procédé est parfaitement adapté aux recherches biologiques. Les comparaisons avec la méthode volumétrique de Margueritte ou la méthode par pesée ont mis en évidence la sûreté des déterminations et par conséquent la confiance qu'elles méritent. Albert Dastre et Floresco, Archives de Physiologie, 1898.
  • La méthode colorimétrique (de Lapicque) est très bonne pour chercher et calculer de très petites quantités de fer ; la substance organique et tout le procédé nécessaire pour sa destruction ne changent pas la sûreté des résultats. Alessandro Tedeschi, in Journal de Physiologie et de Pathologie générale, 1899, p. 24.
  • J'ai recouru au procédé colorimétrique de M. Lapicque, le seul qui permette de déterminer avec certitude les fractions du milligramme. Ch. Dhéré, même recueil, 1900, p. 621.

Circulus organique du fer

Le fer n'est point un composant banal de l'organisme ; bien qu'il soit très répandu dans le monde extérieur, il ne circule pas dans le corps des animaux d'une façon contingente, entrant par l'intestin et sortant par le rein au hasard des alimentations, comme font la potasse et la soude, par exemple ; on ne le trouve que dans certains organes, du moins en proportions plus fortes que de simples traces. Chez les vertébrés, on lui connaît un rôle particulièrement important : c'est de servir à la constitution du pigm ent respiratoire ; j'ai cherché à connaître le circuit organique par lequel il est emprunté au milieu pour venir constituer la molécule de l'hémoglobine ; puis, comme l'hémoglobine est incessamment détruite, ce qu'en devient le fer. On n'avait là-dessus que des renseignements fort contradictoires (1). Or, on peut étudier la teneur et les variations quantitatives du fer dans les différents organes en dehors de toute hypothèse ; avec un bon procédé de dosage, on est sur un terrain chimique solide, et on doit arriver à des faits bien établis. J'ai obtenu dans cette direction un certain nombre de résultats que je vais exposer (2).

Élimination du fer par l'urine.

  • 1895. Quantité de fer contenue dans l'urine. Société Chimique, 8 février, et Société de Biologie, 9 février. Sur l'élimination par le rein du fer injecté dans le sang. Société de Biologie, 30 mars. Sur l'élimination du fer par l'urine. Archives de Physiologie, 1er avril.
  • 1897. Observations et expériences sur les mutations du fer chez les Vertébrés, p. 45.

Le rein n'élimine à l'état normal que des traces impondérables de fer, certainement moins d'un demi-milligramme par vingt quatre heures chez l'homme (36). Avant mes recherches, on admettait une élimination beaucoup plus considérable ; les recherches postérieures ont confirmé ce chiffre minime. D'ailleurs, le fer injecté sous une forme quelconque dans le sang ne reparaît dans l'urine qu'en proportion très faible et seulement dans les premiers instants qui suivent une injection considérable (38). L'étude de l'urine ne peut donc nous renseigner en aucune manière sur les mutations organiques du fer.

Élimination du fer par l'intestin.

  • 1897. Quantité de fer contenue dans les fèces de l'homme (avec Guillemonat). Société de Biologie, 1er mai. Observations et expériences, p. 62.

On savait que l'épithélium intestinal élimine normalement du fer ; quel est le taux de cette élimination?

  • 1. Dès qu'un auteur croit avoir établi quelque chose, un autre vient le démentir, et un troisième expérimentateur ne tarde guère à mettre en doute le bien-fondé de la seconde opinion. Zaleski, Archives expérimentales de Pathologie, t. XXIII, p. 325, 1887.
  • 2. M. Lapicque a publié en 1897 sur les mutations du fer chez les Vertébrés, un travail resté classique. Charles-Émile François-Franck, Société de Biologie, 16 mars 1907, p. 451.


Pour faire cette mesure, il faut évidemment exclure la circulation des résidus alimentaires. Une méthode semblait propre à cette étude, l'opération de Hermann, dans laquelle une certaine longueur d'intestin est sectionnée, en laissant intacts ses nerfs et ses vaisseaux ; la continuité du reste de l'intestin est rétablie, et l'anse isolée, après avoir été lavée, est refermée sur elle-même en forme d'anneau et replacée dans l'abdomen ; de la sécrétion qui s'accumule dans cette anse on conclut à la sécrétion dans l'intestin normal. Par cette méthode, chez le chien, Fritz Voit avait constaté une élimination de fer assez importante. En répétant ces recherches, j'ai trouvé qu'en effet il y avait une élimination notable de fer organique par la muqueuse intestinale, mais j'ai fait remarquer que par suite de l'opération elle-même, qui est nécessairement une opération grave, il se produit chez les animaux en expérience une dénutrition considérable, et, notamment, une diminution des globules rouges ; par conséquent, l'intensité de l'élimination du fer après l'opération est sans signification par rapport à la vie normale.

Il était intéressant de doser le fer éliminé avec les sécrétions intestinales par les foetus pendant leur vie intra-utérine, avant aucun mélange de matière alimentaire. Sur mes conseils, mon élève et ami le Dr Guillemonat a examiné cette question ; il a trouvé chez trois foetus humains à terme, comme quantité de fer pour la totalité du contenu de l'intestin (méconium), seulement une fraction de milligramme, à savoir, respectivement pour chacun des sujets : 0 milligramme 63, 0 milligramme 37, 0 milligramme 48 (Société de Biologie, 26 mars 1898).

Quantité de fer apportée par l'alimentation.

  • 1897. Quantité de fer contenue dans les fèces de l'homme (avec Guillemonat). Société de Biologie, 3 avril. Observations et expériences, p. 56.

On avait des chiffres en ce qui concerne l'homme, mais très divergents ; j'ai trouvé de 15 à 30 milligrammes par vingt-quatre heures. Ce chiffre a été vérifié et adopté.

Proportion du fer dans le foie et la rate

  • 1889. Recherches sur la répartition du fer chez les nouveau-nés. Société de Biologie, 22 Juin. Recherches sur la quantité de fer contenue dans le foie et dans la rate des jeunes animaux. Société de Biologie, 20 juillet.
  • 1892. Quelques faits relatifs à la répartition du fer chez les jeunes animaux. Société de Biologie, 10 juillet.
  • 1895. Quantité de fer contenue dans le foie et la rate d'un foetus humain à terme. Société de Biologie, 19 janvier.
  • 1896. Dosage du fer dans les tissus que l'on ne peut débarrasser mécaniquement de leur sang (avec Guillemonat). Société de Biologie, 20 juin. Variations pathologiques de la teneur en fer du foie et de la rate chez l'homme. Société de Biologie, 20 juin. Le fer dans le foie et dans la rate ; comparaison de l'homme aux diverses espèces animales (avec Guillemonat). Société de Biologie, 11 juillet. Teneur en fer du foie et de la rate chez l'homme (avec Guillemonat). Archives de Physiologie (octobre).
  • 1897. Observations et expériences, pp. 69 à 111.

Ce qu'il faut étudier, c'est le fer fixé dans le tissu même de l'organe, et non celui qui s'y trouve dans les vaisseaux sous forme d'hémoglobine. Le foie peut souvent être débarrassé mécaniquement de tout son sang par une abondante circulation d'eau physiologique ; pour les autres cas et pour la rate en général, j'ai dû établir un procédé permettant de déterminer à part le fer existant sous forme d'hémoglobine.

Existence d'une moyenne spécifique.

La première question qui se pose est la suivante : Y a-t-il dans la période d'état de l'organisme, une fois la croissance terminée, et avant la vieillesse, une proportion normale de fer dans le foie et dans la rate, ou bien cette proportion est-elle soumise à des variations, sinon accidentelles, du moins tout à fait contingentes, dépendant, par exemple, de l'alimentation? S'il en était ainsi, il serait complètement inutile de chercher des lois. Chez le chien adulte normal, sacrifié sans précaution préalable, on obtient pour le fer du foie des chiffres qui sont le plus souvent voisins de 0,10 (1), mais qui s'élèvent parfois à 0,15, rarement jusqu'à 0,25. J'ai, après cette constatation, soumis deux chiens à un jeûne de quinze jours ; les animaux ne recevaient que de l'eau. Au bout de ce temps ils ont été sacrifiés ; j'ai obtenu des chiffres rentrant complètement dans la série habituelle. Puisqu'un jeûne si prolongé n'a eu aucune influence appréciable, on peut admettre que le fer du foie n'est pas sous la dépendance de l'alimentation. Les variations assez considérables qu'on observe exceptionnellement tiennent à des causes indéterminées, mais liées à des processus intimes de la nutrition. Nous verrons plus loin, en déterminant expérimentalement quelques-unes des causes qui font varier le fer dans le foie, que les effets de ces causes sont durables et se retrouvent parfois à très longue échéance. La teneur en fer du foie d'un sujet donné n'est donc pas un phénomène éphémère, et, hors du cas d'un accident intercurrent, on trouverait le même chiffre en sacrifiant le sujet plusieurs jours et même plusieurs semaines plus tôt ou plus tard. En comparant diverses espèces de mammifères et d'oiseaux, j'ai constaté l'existence d'une sorte de moyenne spécifique, plus faible chez le boeuf (0,01) que chez le chien (0,12), plus élevée au contraire chez les lapins (0,23) et chez divers animaux de moindre taille : 0,50 chez le hérisson, 0,35 chez le canard. Je n'ai pas poursuivi l'étude de cette relation zoologique.

1. Tous les chiffres ainsi imprimés en gras expriment des millièmes du poids de l'organe frais.

Réserve de fer à la naissance.

Je me suis attaché à élucider la question physiologique suivante, question fort controversée: le foie et la rate servent-ils de lieu d'emmagasinement pour le fer, soit comme réserve en vue de l'hématopoièse, soit comme dépôt du fer de déchet? Il était indiqué d'étudier les variations quantitatives du fer dans ces organes au cours de la croissance ; Bunge avait en effet démontré (au moins pour le lapin) l'existence et la nécessité d'une réserve en fer à la naissance, sans pouvoir préciser en quel point du corps était située cette réserve, la technique ancienne permettant en effet à peine une bonne détermination du fer de l'organisme entier pour un animal de la taille d'un lapin nouveau-né. Chez le chien, à la naissance, on trouve d'ordinaire, dans le foie, une proportion de fer plus élevée qu'à l'âge adulte ; il n'est pas rare de trouver 0,4, et même 0,6 mais il y a de très grandes irrégularités individuelles. Chez le lapin, l'augmentation est à la fois plus marquée et plus régulière. On peut alors, en sacrifiant successivement les animaux à mesure qu'ils avancent en âge, voir la proportion de fer décroître de jour en jour pendant les premiers temps de la vie extra-utérine. Exemple :

  • AGE POIDS POIDS DU FOIE FER DU FOIE (p. 1000) FER DU SANG
  • 5 heures 46 gr. 6 gr. 55 1,74 0,52
  • 6 heures 60 gr. 6 gr. 86 1.67 0,43 (1)
  • 7 jours 92 gr. 0,97 0,39
  • 8 jours 120 gr. 4 gr. 6 1,0 0,45
  • 11 jours 137 gr. 4 gr. 10 0.20 0,40
  • 21 jours 320 gr. 10 gr. 0,14 0,41

1. Le n° 2 avait tété, et non le 1er ; là git l'explication de la différence des chiffres du fer du sang chez ces deux sujets, corrélative à la différence des poids corporels.

Pour la rate, au contraire, au moment de la naissance ou dans les premiers jours, je l'ai toujours trouvée pauvre en fer dans toutes les espèces de mammifères que j'ai examinées.

La rate, contrairement à ce que pensaient divers auteurs, doit donc être mise hors de cause comme réservoir de fer, au moins à cet âge. Quant au foie, il contient au moins en grande partie, chez le lapin, la réserve signalée par Bunge, et qui apparaît bien comme une provision destinée à l'accroissement de l'organisme, puisqu'on la voit disparaître au fur et à mesure de cet accroissement. Dans d'autres espèces, cette réserve est plus faible, douteuse même, au moment de la naissance. L'homme rentre dans cette dernière catégorie. Pour se renseigner sur ce point on dispose de sujets qui peuvent être considérés comme normaux : ce sont les foetus à terme qui meurent d'un accident pendant l'accouchement. J'ai analysé les organes de deux de ces foetus ; le foie n'a pas été lavé, mais l'hémoglobine a été dosée et son fer retranché par le calcul : j'ai trouvé pour l'un 0,17 et pour l'autre 0,10. Sur mes conseils, M. Guillemonat a constitué une série plus nombreuse ; les chiffres ont varié de 0,10 à 0,53 ; moyenne: 0,26. Il y aurait lieu, pour expliquer la divergence entre les espèces, de tenir compte du degré différent de développement présenté par les jeunes animaux au moment de la naissance, moment qui est bien loin de marquer chez tous les mammifères un stade homologue.

Phase de minimum chez les animaux en croissance.

Mais entre la première période de la vie et l'âge adulte, il y a pour le fer du foie une phase remarquable de minimum que personne n'avait soupçonnée. Ayant examiné trois jeunes hérissons, je trouvai chez le n° 1, pesant 142 grammes, comme teneur du foie en fer, 0,16 ; chez le n° 2, pesant 155 grammes, 0,11 ; et chez le n° 3, pesant 270 grammes, 0,27. Il résultait de là que les fortes proportions de fer qui s'observent chez le hérisson adulte ne se retrouvent pas chez les jeunes : malgré les différences individuelles que nous avons constatées dans la réserve de fer à la naissance, il y avait là un fait qui me frappa, et j'eus l'idée alors de rechercher pour d'autres espèces ce que donnait le fer du foie entre les premières semaines de la vie et l'état adulte. A Paris, les veaux qui sont amenés pour la boucherie ont, en général, deux ou trois mois. Si l'on achète des échantillons de foie de veau au hasard, on trouve toujours une proportion de fer extrêmement faible, 0,03 ou quelque chose d'extrêmement voisin. Le foie d'un chevreau de cinq semaines m'a donné ce même chiffre 0,03. Les jeunes chiens entre sept semaines et trois mois m'ont donné le chiffre de 0,05. Chez le lapin, on avait indiqué comme proportion normale 0,03 et moi-même j'avais retrouvé ce chiffre et l'avais considéré d'abord comme la teneur spécifique. Mais je réfléchis que nos lapins de laboratoire, amenés à Paris pour l'alimentation, sont des animaux jeunes, d'environ trois mois ; et quand je me fus procuré des lapins vraiment adultes, j'y trouvai le chiffre beaucoup plus élevé (0,20 à 0,25) que j'ai cité plus haut.


Tous ces mammifères, dans l'âge de croissance, présentent donc une pauvreté en fer remarquable, et sensiblement égale chez la plupart d'entre eux. Or, si l'on prend un chien adulte, et qu'on le saigne assez abondamment, trois fois en un mois, par exemple, on ramène le fer de son foie précisément à cette proportion de 0,03. On a là, il me semble, la démonstration que le fer du foie constitue bien une réserve pour l'hématopoièse, réserve qui est utilisée, d'une part, pour l'accroissement de la masse sanguine chez l'animal en croissance, d'autre part, pour la réparation d'une hémorragie accidentelle. Toutefois, il faut remarquer que chez l'adulte, cette réserve est faible, et ne saurait suffire à la régénération du sang, même après une seule saignée : le foie d'un chien de 13 kilogrammes pèse en chiffres ronds 400 grammes, et contient de 40 à 60 milligrammes de fer ; ce fer correspond à 100 ou 120 grammes de sang au maximum ; or une saignée quatre fois plus forte sera rapidement réparée. Pendant cette période de croissance, au contraire, le fer de la rate augmente un peu ; par exemple, on trouve chez les jeunes chiens et les jeunes chats 0,20 ou 0,30 au lieu de 0,14 en moyenne à la naissance. La rate joue donc un tout autre rôle que le foie.

Dans l'espèce humaine, différence sexuelle.

Je n'ai pas jusqu'ici parlé de l'homme à l'état adulte ; c'est qu'il est très difficile de se procurer des pièces convenables provenant d'un sujet mort brusquement en pleine santé. A défaut de tels documents, j'ai constitué (1) une série assez nombreuse (53 sujets) sur des cadavres quelconques d'hôpitaux ; et j'ai noté soigneusement la maladie, de façon à apercevoir, si elle existait, l'influence de tel ou tel état pathologique. Cette recherche m'a donné des résultats intéressants, dont le plus curieux est la différence très nette, au point de vue de la teneur du foie en fer, entre l'homme et la femme. Si l'on examine la répartition des sujets suivant la proportion de fer de leur foie, les hommes d'un côté, les femmes de l'autre, on obtient le double tableau suivant (chaque sujet est figuré par une astérisque dans la colonne correspondante à son chiffre ; la succession linéaire de ces points figure ainsi l'ordonnée de la courbe de fréquence).

1. Avec la collaboration de M. Guillemonat.

  • PROPORTION DE FER (p. 1000) HOMMES FEMMES
  • 100: 1
  • 90: 2
  • 80:
  • 70:
  • 60:
  • 50: 3
  • 40: 4
  • 30: 12
  • 20: 6 ; 8
  • 10: 4 ; 13

Sous cette forme, la différence sexuelle saute aux yeux. Mais on peut la préciser. Pour les femmes, l'échelle est si peu étendue qu'on trouve nécessairement pêle-mêle les diverses affections. Mais les sujets mâles présentent, à part trois cas tout à fait aberrants, un groupement régulier autour d'un maximum très accusé entre 20 et 30 ; ce groupement donne tout d'abord l'impression d'une série homogène, malgré les maladies différentes dont elle est formée ; en examinant le diagnostic de chaque individu, j'ai constaté que ces maladies sont disséminées sans ordre et j'ai été amené à conclure que, dans la série de nos chiffres, n'apparaît d'influence spécifique pour aucune des maladies qui s'y trouvent suffisamment représentées. Nous sommes donc autorisés à calculer une moyenne. En laissant de côté, suivant la règle, les trois cas aberrants, les hommes donnent, pour 29 cas, la moyenne de 0,23, moyenne qui concorde avec le maximum du groupement observé ci-dessus. Cette moyenne parait assez solidement établie puisque l'on peut faire la vérification suivante : les dix premiers sujets mâles, dans l'ordre où le hasard les a présentés, donnent la moyenne de 0,24 ; les dix suivants, 0,23 ; les neuf derniers, 0,21 ; ces moyennes partielles s'écartent donc fort peu de la moyenne générale. Les femmes (21 cas) donnent comme moyenne générale 0,09 ; les dix premières donneraient, 0,10 ; les onze dernières, 0,08.


Le foie des hommes contient donc, en moyenne, deux fois et demie plus de fer que celui des femmes. C'est un fait qui avait complètement échappé aux physiologistes qui se sont occupés de la question avant moi. On y pensait si peu que, dans beaucoup de travaux, le sexe n'était pas mentionné. Quant aux trois chiffres aberrants, ils s'expliquent par la présence d'un pigment ferrugineux que j'ai spécialement étudié et sur lequel je reviendrai plus loin (page 69). L'âge (à partir de l'âge adulte) n'a aucune influence sur la teneur du foie en fer. Mes sujets, classés suivant l'âge, donnent les moyennes suivantes :

  • FEMMES HOMMES
  • De 20 à 40 ans (6 cas) : 0,08 (12 cas) : 0,23
  • De 40 à 60 ans (8 cas) : 0,09 (7 cas) : 0,23
  • Au delà de 60 ans (6 cas) : 0,09 (8 cas) : 0,21

L'égalité des moyennes pour chaque période est aussi parfaite que possible, étant donnée la brièveté des séries. Chez les sujets jeunes, la différence sexuelle n'existe pas à la naissance ; les garçons donnent comme moyenne 0,25, les filles 0,27 ; Guillemonat a trouvé chez un garçon de deux ans 0,02 ; chez une fille du même âge, 0,02. La différence sexuelle consiste donc en ce que le fer du foie, chez la femme, ne remonte que très peu après le minimum de l'adolescence. Une hypothèse simple se présente d'abord pour expliquer le fait, c'est la perte de sang menstruelle ; nous avons vu en effet les saignées faire baisser la teneur en fer du foie. Mais il faut remarquer que la différence reste la même passé l'âge de la ménopause. Pour la rate, on observe des chiffres beaucoup plus irréguliers que pour le foie ; et là, l'influence pathologique est visible ; les cas de tuberculose, notamment, présentent en général les chiffres de fer les plus élevés. Dans toutes les rates qui présentent ces chiffres élevés, on trouve du pigment ferrugineux. Si l'on fait abstraction des cas où la teneur était supérieure à 1, les moyennes par âge et par sexe donnent le tableau suivant :

  • HOMMES FEMMES
  • De 20 à 40 ans (9 cas) : 0.39 (5 cas) : 0,39
  • De 40 à 60 ans (7 cas) : 0,29 (7 cas) : 0,19
  • Au delà de 60 ans (7 cas) : 0,29 (6 cas) : 0,17

Tandis que les deux dernières périodes donnent sensiblement le même chiffre l'une que l'autre dans chacun des deux sexes, la première période donne un chiffre notablement plus fort. Cette période de vingt à quarante ans est celle où l'on meurt le plus de tuberculose, on retrouve ici une influence pathologique ; en éliminant du calcul les chiffres supérieurs à 1, nous avons laissé encore beaucoup de chiffres pathologiquement élevés. Cette moyenne de 0,39, qu'on retrouve identiquement dans les deux sexes pour la période de vingt à quarante ans, ne représente donc rien de bien défini. La moyenne des deux autres périodes, étant donné l'accord entre ces deux périodes dans chaque sexe, présente une signification physiologique. Il y a une différence sexuelle de même sens que pour le foie, mais beaucoup moins accusée.

La rubigine, pigment constitué par un hydrate ferrique

  • 1895. Recherches chimiques sur un cas de diabète pigmentaire (avec E. Auscher). Société de Biologie, 20 mai. Recherches (suite). Hydrate de fer colloïdal (avec E. Auscher). Société de Biologie, 29 juin.
  • 1896. Accumulation d'hydrate ferrique dans l'organisme animal (avec E. Auscher). Archives de Physiologie. Fréquence relative de la rubigine en pathologie humaine (avec A. Guillemonat). Société de Biologie, 20 juin.
  • 1897. Sur l'histoire de la sidérose viscérale et de pigments ferrugineux. Société de Biologie, mai. Observations et expériences, pages 112-128.

Au commencement de l'année 1895, mon ami regretté le Dr. Auscher avait attiré mon attention sur un sujet dont il faisait l'autopsie ; il s'agissait d'un cas de diabète pigmentaire, ou cirrhose pigmentaire (le diabète n'étant là qu'un épiphénomène). Dans cette maladie, on trouve la plupart des organes, mais en première ligne le foie, bourrés de pigments qui jusque-là avaient été mal définis. Tout d'abord, nous avons constaté l'existence de deux pigments distincts, l'un noir et l'autre jaune brun, ocracé. Dès la simple inspection des organes de la cavité abdominale, cette dualité s'imposait, à cause de la localisation différente des deux pigments.

Tout le péritoine pariétal et viscéral était coloré en noir intense ; le foie présentait à sa surface comme sur les coupes une coloration ocre très frappante ; la rate était de la même couleur, ainsi que les ganglions lymphatiques ; le pancréas avait une teinte ocracée un peu plus pâle ainsi que les glandes salivaires. Au microscope, on distinguait deux espèces de granulations pigmentaires dans les mêmes tissus ; l'aspect macroscopique tient, en effet, non à une localisation exclusive, mais à la prédominance très marquée de l'un des pigments sur l'autre. Quelques essais microchimiques montrèrent que les deux pigments ne diffèrent pas moins par leurs propriétés chimiques que par leur aspect.

Les granulations jaunes résistent à l'action des alcalis étendus, même à chaud ; les acides organiques sont sans action sur elles ; les acides minéraux étendus les dissolvent très lentement ; le sulfhydrate d'ammoniaque les colore en noir. Au contraire, les granulations noires se dissolvent dans les alcalis et dans le sulfhydrate d'ammoniaque. Le pigment jaune, noircissant par le sulfhydrate d'ammoniaque, se présente donc comme une substance ferrugineuse. En effet, tous les organes qui se distinguent par leur coloration ocracée contiennent une proportion de fer anormalement élevée. L'analyse a donné les quantités suivantes, exprimées en Fe pour mille du tissu frais :

  • Rate: 4,2
  • Foie: 11,3
  • Glande parotide: 1,5
  • Glande sous-maxillaire: 0,7
  • Ganglion lymphatique (du hile du foie): 18,5

Dans un autre ganglion, le dosage du fer a été fait sur le tissu desséché à 110 degrés ; le ganglion a laissé 15 p. 100 de résidu sec ; ce tissu sec contenait, pour mille, 89 de Fe, soit près de 9 p. 100. Au contraire, les tissus colorés en noir sont pauvres en fer. Un fragment de l'intestin grêle, que l'on dépouilla de sa muqueuse (celle-ci aurait pu contenir du fer étranger à la question), mais coloré en noir intense du côté de sa tunique séreuse, ne donna que la proportion minime de 0,03 Fe pour 1.000.

Laissant de côté pour le moment le pigment noir, nous allons suivre le pigment ocre. Si l'on examine qualitativement un fragment d'un de ces tissus jaune-brun, que nous avons reconnu être très riche en fer, un fragment du foie, par exemple, on observe toutes les réactions qui caractérisent le fer organique, appelé par Bunge fer fortement combiné. Une goutte de sulfhydrate d'ammoniaque, déposé sur une coupe du tissu, ne donne pas immédiatement une réaction, mais il se produit progressivement une coloration vert noirâtre qui passe au noir et devient très intense au bout de quelques minutes ; le ferrocyanure en solution acétique ne réagit pas ; en solution chlorhydrique, il réagit lentement ; il en est de même du sulfocyanate. L'alcool chlorhydrique n'enlève pas de fer à ces tissus ; l'acide chlorhydrique en solution aqueuse étendue ne dissout du fer que très lentement. On serait donc amené à l'idée d'une combinaison organique, dans laquelle le fer serait très fortement lié à la molécule, telle, par exemple, que l'hématogène de Bunge (nucléine ferrugineuse) ou la ferratine d'Oswald Schmiedeberg et Marfori ; mais il faudrait supposer un corps bien plus riche en fer, même que la ferratine (6 à 8 p. 100 de Fe au maximum), puisque certains tissus (ganglions), dont le pigment ne forme évidemment qu'une partie, nous présentent déjà pour leur ensemble une teneur en fer au moins égale. D'autre part, l'hématogène et la ferratine sont facilement solubles dans les alcalis, tandis que notre pigment y est complètement insoluble.

Isolement du pigment ferrugineux.

Après avoir essayé un certain nombre de dissolvants neutres organiques, qui ne se chargèrent pas de la plus petite quantité de matière colorante, nous cherchâmes à isoler ce pigment par la manoeuvre inverse, c'est-à-dire dissoudre le tissu dans la soude étendue et chaude, à laquelle les grains de pigment paraissent résister d'une façon complète. Mais, comme nous craignions beaucoup de l'altérer par un tel traitement, nous procédâmes d'abord avec beaucoup de lenteur et de précautions sur un petit échantillon dans un tube à essai, suivant au microscope, par des prises successives, les modifications qui pourraient se produire dans les granulations pigmentaires ; celles-ci ne changeaient en rien d'aspect, et finalement, tout le tissu ayant été dissous, les granulations pigmentaires inaltérées se déposèrent au fond du tube. Ce procédé d'isolement fut alors appliqué à une grande quantité de matière. Les réactions que ce pigment ainsi isolé présente sont exactement celles que nous avons vues sur le tissu frais qui la contenait en abondance. Une petite quantité, mise en suspension dans l'eau et additionnée de quelques gouttes de sulfhydrate d'ammoniaque, garde d'abord sa teinte rouge-brique ; il faut attendre plusieurs secondes pour voir cette teinte se foncer un peu, puis elle devient gris verdâtre et ne donne du noir qu'après une ou deux minutes ; il faut plusieurs minutes pour que la réaction soit totale. Les réactions ont la même lenteur avec le ferrocyanure et le sulfocyanate, présence de l'acide chlorhydrique. L'acide chlorhydrique étendu et froid ne parait pas avoir d'action. Si l'on chauffe à la température voisine de l'ébullition, le précipité se dissout presque tout à coup en donnant une liqueur jaune, mais il reste toujours, dans le pigment le plus pur que nous ayons pu obtenir, une petite partie insoluble, qui persiste sous forme de légers flocons blancs. Il fut facile, avec une matière première aussi riche que le foie de notre sujet, d'obtenir plusieurs grammes de ce pigment pour l'analyser.

Analyse du pigment ferrugineux.

Desséché à 110 degrés et refroidi sur l'acide sulfurique, puis calciné au rouge sombre dans un creuset de platine, il noircit sans dégager aucune fumée ni aucune odeur ; il présente une légère incandescence, puis, par refroidissement, reprend une couleur rouge-brun foncé. La perte de poids subie par la calcination est de 17,5 p. 100. Le résidu de la calcination, repris par l'acide chlorhydrique, s'y dissout entièrement. Cette solution chlorhydrique, précipitée par l'ammoniaque en présence d'un excès de chlorure ammonique, donne un précipité volumineux d'hydrate ferrique brun-rouge. Recueilli sur un filtre sans cendres et calciné de nouveau, avec les précautions usitées pour le dosage de l'oxyde ferrique, ce précipité donne 98 p. 100 du résidu dissous dans l'acide chlorhydrique. Le dosage colorimétrique du fer sur cette solution chlorhydrique (en ayant soin de prendre comme liqueur titrée également une solution chlorhydrique de fer), donne une proportion de fer concordante avec la pesée d'oxyde ferrique. Nous avons vu plus haut que le pigment dissous dans l'acide chlorhydrique chaud laisse une petite partie insoluble sous forme de flocons blanchâtres. Ces flocons, recueillis sur un filtre sans cendres, lavés et desséchés, donnent un poids de 2,5 p. 100 environ de la quantité de pigment soumise à la dissolution. C'est une matière organique : le filtre, calciné avec son contenu, ne laisse pas de résidu appréciable.

La conclusion qui découle de ces résultats, c'est que le pigment est constitué essentiellement par un hydrate ferrique de formule 2 Fe2O3, 3 H20. J'ai proposé de l'appeler rubigine (de rubigo, rouille), nom qui rappelle à la fois sa composition et son apparence. Le pigment, à son état naturel, est certainement bien plus hydraté ; mais il ne contient, sauf une toute petite quantité de matière organique et d'impuretés minérales, que de l'hydrate ferrique et de l'eau ; il est à l'état de solution colloïdale. On le voit en effet reprendre partiellement cet état après qu'on l'a isolé, lorsqu'on le place dans de l'eau suffisamment débarrassée de la soude du traitement. Cette solution colloïdale est coagulée par un grand nombre de sels, mais tout spécialement par une trace d'acide fort. Il s'agit évidemment d'un hydrate ferrique différent de ceux que l'on étudie ordinairement en chimie minérale.

Généralisation.

Ce pigment est loin d’être rare. Même les accumulations énormes comme celle qui m’a servi de point de départ, sans être nombreuses par rapport au nombre des autopsies, se trouvent assez facilement dans une grande ville quand on les cherche. Dans l’année 1896-1897, à la suite de notre travail, divers médecins des hôpitaux, MM. Maurice Letulle, Albert Brault, Parmentier, Édouard Jeanselme, etc. en publièrent une demi-douzaine de cas, où, comme dans le nôtre, le pigment était assez abondant pour se révéler à l’œil nu sans addition d’aucun réactif. M. Claudius Regaud en signala trois cas à Lyon. Sur les pièces qui me furent remises par ces Messieurs, je trouvai comme teneurs du foie en fer de 3 à 10 p. 1000 des poids frais. (Je rappelle que la moyenne est 0,23. J’avais jusque-là relevé dans la science quatre observations seulement d’une teneur supérieure à 2 toutes quatre en Allemagne.) Le fer de la rate variait de 2 à 4 p. 1000. Mais quand on cherche au microscope la rubigine, on la trouve beaucoup plus souvent. Cette recherche est très facile, il suffit de dissocier un fragment de tissu dans de la soude étendue et froide ; tous les éléments deviennent très transparents, et la rubigine, si elle existe, devient au microscope très apparente ; elle présente, sans l’addition des réactifs du fer, un aspect parfaitement caractéristique ; ce sont de petites sphérules réfringentes et colorées en jaune. Avec Guillemonat, sur cinquante-trois cas examinés, nous l’avons trouvée sept fois.

Aussi, ce pigment avait été bien souvent rencontré par les histologistes, mais on n’en avait pas déterminé la véritable nature. En France, on l’appelait généralement pigment ocre après Engel et Kiener qui en ont décrit les apparences microscopiques avec une grande netteté, si bien que je puis identifier avec certitude leur pigment avec la rubigine. En Allemagne, on disait hémosidérine, mais en confondant sous ce nom tout ce qui dans les tissus noircissait par le sulfhydrate. En 1882, un chimiste, Kunkel, faisant l’analyse d’un ganglion certainement infiltré de rubigine, avait bien, à cause de l’énorme proportion de fer de l’ensemble du tissu, avancé que les granulations brunes devaient être de l’hydrate ferrique, mais il n’avait pas isolé le pigment. Son opinion était considérée comme peu fondée par Neumann lui-même, le créateur du mot hémosidérine (1). D’autre part, Nasse, en 1889, avait essayé d’isoler un pigment brun ferrugineux très fréquent dans la rate des vieux chevaux ; il était arrivé à la conclusion que ce pigment était constitué par une combinaison d’albumine et de fer. J’ai vérifié que ce pigment de la rate des vieux chevaux est bien de la rubigine ; c’est même là qu’il est le plus commode d’aller la chercher quand on veut en préparer.

(1) « Il apparaît donc que le pigment ferrugineux n’est pas un corps de composition chimique constante, et, en tout cas, il est difficile de le considérer comme constitué par de l’hydrate d’oxyde de fer. » (Archives de Rudolf Virchow, t. 111, p. 27, 1888)

Pathogénie de la rubigine et des accumulations de fer.

Variations quantitatives du fer organique sous l’influence des toxines microbiennes (avec Charrin et Guillemonat). Société de Biologie, 27 juin 1896. Observations et expériences, p. 93 et 108.

Avec Charrin et Guillemonat, à deux lapins, nous avons injecté de la tuberculine ; à deux autres, de la toxine diphtérique. Nous avons, en outre, à deux autres, injecté du sérum antidiphtérique de l’Institut Pasteur. Les injections sous-cutanées étaient faites chaque jour. Au bout de cinq semaines, tous les animaux étaient très malades, amaigris et affaiblis, la plupart présentaient des abcès sous-cutanés. Deux furent sacrifiés à ce moment, un sujet ayant reçu de la tuberculine et un autre ayant reçu de la toxine diphtérique. On cessa les injections aux sujets restants, pendant une semaine ; leur état général s’améliora sensiblement. On reprit les injections ; le sujet à la toxine diphtérique mourut dans les vingt-quatre heures qui suivirent la reprise des injections ; les trois survivants furent sacrifiés au bout de huit jours ; ils étaient de nouveau très malades et semblaient sur le point de périr. Les dosages de fer ont été exécutés sur le foie préalablement débarrassé de son sang ; la rate a été analysée avec le sang qu’elle contenait ; les résultats sont consignés dans le tableau suivant :

  • Tuberculine
  • Toxine diphtérique
  • Sérum antidiphtérique
  • SEXE SANG FOIE RATE
  • Fer p. 1000
  • Poids en grammes
  • Fer p. 1000
  • Poids en grammes
  • Fer p. 1000
  • DUREE de l’expérience
  • M 0,27 158 0,05 1,23 0,33
  • M 0,25 127 0,065 0,99 0,34
  • F 0,25 126 0,045 0,87 1,17
  • M idem 102 0,04 2,56 0,65
  • F idem 72 0,095 0,74 0,40
  • F 0,22 121 0,095 3,11 1,54
  • 5 semaines.
  • 7 semaines.
  • 5 semaines.
  • 6 semaines.
  • 7 semaines.
  • 7 semaines.

Chez les quatre sujets où le fer du sang a été dosé, il y a diminution considérable et constante, quel que soit le produit injecté. On peut admettre comme moyenne normale, chez le lapin, 0,40, d’après les dosages assez nombreux que j’ai faits ; la diminution du fer du sang est donc d’un tiers à deux cinquièmes, par conséquent considérable. Voyons comment cette déglobulisation a retenti sur le fer du foie et de la rate. Chez le lapin, la moyenne normale est d’environ 0,04 dans les conditions où nous avons ces animaux dans les laboratoires. Pour la toxine diphtérique, les deux expériences donnent des chiffres tout à fait normaux ; pour la tuberculine, une augmentation faible ou douteuse ; avec le sérum antidiphtérique, une augmentation nette, exactement la même dans les deux cas, qui atteignent le double de la normale. 11 y a à chercher un mécanisme particulier pour ce dernier cas. Tout de suite, vient à l’idée que c’est le sérum qui a agi, non par ses modifications spéciales sous l’influence des toxines, mais en tant que sérum d’une espèce différente. On sait que les globules du lapin sont très facilement détruits par le sérum d’une espèce différente. Nous verrons plus loin que l’hémoglobine dissoute est détruite par le foie qui en fixe le fer ; c’est à ce mécanisme qu’il faut rapporter l’augmentation du fer du foie ici ; c’est même en cherchant à me rendre compte du phénomène que j’ai été amené à concevoir les expériences par lesquelles j’ai démontré le rôle hématolytique spécial du foie. Mais en dehors de ce cas particulier de l’hémoglobine dissoute, nous voyons les toxines microbiennes produire une cachexie profonde sans faire varier le fer du foie, sinon en proportion insignifiante. Pour la rate, dans les expériences ci-dessus, les numéros 1, 2 et 5 présentent des chiffres normaux, numéros 3 et 4, une élévation assez forte si l’on tient compte de l’augmentation du poids de la rate chez le numéro 4. Enfin, le numéro 6 présente une accumulation de fer remarquable ; il y a à la fois une augmentation de volume et proportion élevée. Une même intoxication produisant une même cachexie peut donc augmenter beaucoup le fer de la rate ou le laisser sans changement. On est amené à penser que l’augmentation, lorsqu’elle se produit, soit chez le malade, soit chez l’animal expérimentalement cachectisé, est le résultat, non pas directement de la maladie et de l’anémie, mais d’un accident pour lequel la maladie n’est qu’une cause prédisposante. Sur le lapin comme sur l’homme, la présence de la rubigine concorde exactement avec les teneurs en fer les plus élevées. Cela signifie-t-il que toutes les fois que le fer est très abondant dans un organe, il revêt cette forme granulaire particulière, ou bien existe-t-il un mécanisme pathologique particulier qui produit ce pigment ferrugineux et par suite fait monter la teneur en fer des organes où ce pigment s’accumule? Plusieurs années auparavant, en Allemagne, Quincke avait produit dans divers organes des dépôts ferrugineux abondants, une sidérose en provoquant une pléthore expérimentale chez ses sujets (chiens) par injection intra-veineuse de sang défibriné d’un autre chien ; il avait signalé un pigment ferrugineux granulaire qui paraissait être la rubigine. J’ai repris des expériences de ce genre en précisant davantage et les conditions et les résultats, et je suis arrivé à de nouveaux faits intéressants.

Études expérimentales sur l'emmagasinement du fer provenant de la destruction des globules rouges

  • 1897. Production expérimentale de la rubigine (avec E. Auscher). Société médicale des Hôpitaux, 12 février. Expérience montrant que le foie détruit l’hémoglobine dissoute et qu’il en garde le fer. Société de Biologie, 8 mai. Académie des Sciences, 10 mai. Observations et expériences sur les mutations du fer chez les Vertébrés, chap. 9 et 10.
  • 1898. Localisation de la rubigine produite par injection du sang dans le péritoine (avec E. Auscher). Société de Biologie, 12 février. Thèse de L. Meunier. Contribution expérimentale à l’étude pathogénique de la cirrhose pigmentaire. Faculté de Médecine de Paris.
  • 1899. Méthode calorimétrique pour apprécier la résistance globulaire (avec A. Vast). Société de Biologie, 13 mai. Action de la toluyiène-diamine sur les globules rouges (avec Vast). Société de Biologie, 13 mai. Académie des Sciences, 15 mai. Thèse de A. Vast : Action de la toluyiène-diamine sur les globules rouges : contribution à l’élude de l’hématolyse. Faculté de Médecine de Paris.
  • 1900. Sur la courbe hématolytique. Société de Biologie, 28 juillet. Thèse de Lesage. Recherches expérimentales sur la résorption du sang par le péritoine. Faculté des Sciences de Paris.
  • 1902. Sur le rôle de la rate dans la fonction hématolytique. Société de Biologie, 19 juillet. Académie des Sciences, 21 juillet.

J’ai commencé par injecter à des chiens dans le tissu cellulaire de l’aisselle 50 à 60 centimètres cubes de sang, puisés immédiatement auparavant dans une artère du même animal au moyen d’une seringue stérilisée ; au bout de deux ou trois semaines, je sacrifiais l’animal et je recherchais la rubigine au lieu de l’injection. J’ai toujours trouvé un tissu cellulaire parfaitement normal ; mais en remontant au ganglion lymphatique correspondant, on pouvait observer que celui-ci était comme marbré de jaune. Au microscope, on reconnaissait que ces traînées ocreuses étaient produites par l’accumulation de grains de rubigine parfaitement caractérisés ; un petit fragment de ganglion traité par la soude étendue, à 100 degrés, laissait un petit dépôt de rubigine sur lequel on pouvait obtenir les réactions caractéristiques, coloration lente par le sulfhydrate, insolubilité dans l’acide chlorhydrique étendu et froid, etc. Dans un cas, le ganglion du côté injecté pesant 0 gramme 62, contenait 0 milligramme 15 de fer ; le ganglion du côté opposé pesant 0 gramme 90, ne contenait qu’une trace impondérable. Ainsi on avait bien une formation de rubigine et dépôt de celle-ci dans les ganglions lymphatiques efférents, mais ce dépôt ne contenait qu’une partie très minime du fer injecté. Dans le cas dont je rapporte le dosage, il avait été injecté 60 centimètres cubes de sang contenant probablement de 25 à 30 mil ligrammes de fer. La plus grande partie de ce fer avait donc été résorbée sous une forme ou sous une autre. Je refis alors l’expérience eu sacrifiant l’animal huit jours seulement après l’injection. Je ne retrouvai rien au lieu de l’injection, pas de rubigine dans les ganglions correspondants ; mais les préparations histologiques montraient des taches d’un jaune assez pâle et le traitement par le sulfhydrate faisait apparaître en ces endroits des colorations noires. On avait là, comme j’en eus la confirmation par des recherches ultérieures, un stade intermédiaire entre l’hémoglobine et la rubigine. Mais on ne retrouvait toujours qu’une petite fraction du fer de l’hémoglobine injecté. Laissant de côté pour le moment le sort de la grosse fraction de l’hémoglobine, et désirant avant tout obtenir de la rubigine en quantité notable, je fis des injections sanguines massives dans le péritoine et aux dépens d’un autre chien. Afin de contrôler avec précision les quantités injectées en exposant le sang au minimum d’altération, l’expérience était disposée de la façon suivante. Le sujet est fixé le ventre en l’air, sur un des plateaux d’une grande balance de Roberval spécialement construite à cet effet. Un trocart stérilisé et vaseliné est enfoncé dans l’abdomen de l’animal, et relié par un court tube de caoutchouc à l’artère d’un second chien. On établit l’équilibre de la balance au moyen d’une tare placée dans l’autre plateau et comprenant une éprouvette graduée vide. Dès que le sang passe d’un animal à l’autre, on voit naturellement la balance s’incliner ; on rétablit l’équilibre en versant de l’eau dans l’éprouvette graduée ; on connaît ainsi à chaque instant, d’une façon précise, la quantité de sang qui a été injectée. Si on injecte en une seule fois 30 grammes de sang par kilogramme d’animal, c’est-à-dire une quantité supérieure à la moitié du propre sang du sujet, on observe de l’hémoglobinurie pendant les deux jours qui suivent. L’injection de 25 grammes par kilogramme ne provoque aucun trouble appréciable, et on peut recommencer l’opération au bout de huit jours. Après avoir injecté des quantités de sang diverses, je laissai vivre mes animaux deux à trois mois, puis je les sacrifiai. Voici les teneurs en fer que j’ai obtenues pour le foie et pour la rate, les sujets étant ordonnés par rapport à la quantité de sang injectée (celle-ci en grammes par kilogramme d’animal).

  • QUANTITÉ DE SANG injectée PROPORTION DE FER
  • dans le foie dans la rate
  • 15 grammes 0,21 0,83
  • 25 grammes 0,14 0,92
  • 30 grammes 0,16 1,03
  • 42 grammes 0,44 2,02
  • 50 grammes 0,83 3,40
  • 122 grammes (5 injections) 0,94 6,35 On voit que le fer ne se comporte pas de la même façon dans le foie et

dans la rate. Pour la rate, il y a une proportion croissante régulièrement ordonnée ; le premier chiffre est à peu près à la limite supérieure de ce qu’on observe à l’état normal. Pour le foie, les trois premiers chiffres disposés sans ordre rentrent dans la série normale, bien que leur moyenne soit plus élevée que la moyenne normale. Le quatrième et le cinquième en sortent complètement et montent tout de suite à des valeurs relativement considérables, qui ne sont pas beaucoup dépassées par le sixième. C’est-à-dire que, lorsqu’il y a peu de sang injecté, l’augmentation du fer porte seulement sur la rate et ce n’est qu’à partir d’une certaine limite que la teneur en fer du foie est influencée. L’augmentation coïncide pour l’un et l’autre organe avec la présence de la rubigine (60 et 64). J’ai examiné en même temps la moelle des os (fémur, humérus, radius, côtes), et dans tous les cas j’y ai trouvé de la rubigine et de plus en plus abondante avec l’augmentation du poids de sang injecté ; c’est-à-dire que la moelle des os se comporte exactement comme la rate ; mais une détermination quantitative totale pour la moelle des os est impossible ; toute détermination quantitative partielle serait illusoire ; et, par suite, si la teneur en fer dans le foie et la rate reste intéressante, le calcul de la quantité contenue dans ces organes serait sans signification, puisqu’il y a partage suivant une proportion inconnue.

Localisation du pigment au point de vue histologique.

Les examens histologiques faits avec Auscher nous ont montré, dans ces divers cas. une localisation identique du pigment, dont l’abondance seule est variable. Dans la rate, les grains pigmentaires isolés ou plus souvent agglomérés en amas mûriformes, se trouvent dans les cordons de la pulpe splénique ; il n’en existe pas dans les travées fibreuses, ni dans l’épaisseur de la capsule ; le pigment s’arrête et même s’accumule à la limite de ces formations. Les corpuscules de Malpighi ne contiennent pas non plus de rubigine, ou seulement quelques grains isolés. Jamais nous n’avons vu nettement de rubigine dans la lumière des canaux sanguins de la pulpe ; c’est entre les fibrilles des cordons de la pulpe qu’on rencontre les grains : ceux-ci paraissent libres, c’est-à-dire qu’ils ne forment pas d’enclave dans quelqu’une des cellules de la rate. (Il ne faut pas oublier que le pigment date au moins de deux mois.) Dans le foie, les grains sont également soit isolés, soit réunis en petits amas comme les grains d’une grappe. Leur répartition topographique est uniforme, sans prédominance dans tel ou tel des systèmes suivant lesquels s’ordonnent ordinairement les lésions du foie. Dans l’intérieur des lobules, on ne trouve aucun grain inclus dans les cellules hépatiques ; par contre, quelques cellules de Kupfer en contiennent nettement ; les grains sont ordinairement situés entre les rangées de cellules, dans le tissu fibrillaire qui entoure les capillaires sanguins ; souvent quelques grains agglomérés entre les fentes de ce tissu fibrillaire paraissent contenus soit dans un vaisseau lymphatique, soit dans une cellule dont le noyau se serait atrophié. Dans les espaces portes, ainsi qu’autour des veines sus-hépatiques, les grains de rubigine se rencontrent dans les traînées conjonctives. Les grains de rubigine ne déterminent, dans leur voisinage, aucune réaction des tissus ; il n’y a pas trace d’hyperplasie du tissu fibreux dans le foie ou la rate. Le fait est frappant surtout pour la rate du dernier sujet, où la proportion de rubigine est plus considérable que dans aucun cas pathologique qui ait été observé. Je reviendrai, dans des expériences spéciales, sur la coopération de la rate et de la moelle des os dans l’hématolyse (page 84). Mais je me suis posé encore diverses questions relatives à la rubigine. Le fer ainsi déposé dans les tissus y est-il immuablement fixé par une sorte d’élimination définitive à l’intérieur? L’opinion régnait alors que seules les combinaisons organiques du fer étaient assimilables ; la nature purement minérale de la rubigine, et tout particulièrement ses réactions de difficile solubilité me faisaient pencher pour l’affirmative. Les expériences suivantes me prouvèrent le contraire.

Un chien ayant reçu 36 grammes de sang par kilogramme, subit trois, quatre et cinq mois après trois fortes saignées ; la teneur en fer du foie est trouvée alors égale à 0,09 ; celle de la rate, à 0,37 ; c’est-à-dire tout à fait normales ; l’examen microscopique ne montre dans la rate ni dans la moelle des os pour ainsi dire pas de rubigine, seulement quelques gros grains très rares. Un chien ayant reçu 40 grammes de sang par kilogramme est conservé en vie pendant huit mois et demi ; les teneurs en fer de son foie et de sa rate sont alors trouvées égales respectivement à 0,17 et 0,33 ; recherche de la rubigine dans la rate entièrement négative ; quelques grains dans la moelle des os. Ces animaux ont dû posséder à un moment donné des teneurs en fer du même ordre que celles du quatrième sujet du tableau ci-dessus, fortes teneurs concomitantes d’une abondante rubigine ; des saignées répétées, ou simplement la survie un peu longue, ont fait disparaître ces dépôts ferrugineux (64).

Destruction de l’hémoglobine dissoute dans le sang.

Avant mes recherches, on pensait que l’hémoglobine à l’état de solution dans le plasma sanguin est éliminée par le rein ; en effet, l’injection dans les veines d’hémoglobine dissoute, ou bien de substances qui dissolvent les globules dans le sang circulant, fait apparaître de l’hémoglobine dans l’urine.

Reprenant la question quantitativement, j’ai vu qu’il passe dans l’urine seulement de 1 à 2 dixièmes de l’hémoglobine injectée. Que devient alors la grosse partie de cette hémoglobine ? J’ai pris pour sujets des chiens adultes, mais non pas vieux, ayant leur denture entière sans usure ou avec une légère usure seulement des incisives médianes supérieures. À cet âge (douze à quinze mois), à peine sortis de cette période de croissance où le foie est pauvre en fer, on obtient presque toujours une proportion de 0, 10 à 0, 15, c’est-à-dire un minimum de variation probable.

Autre point : chez de tels animaux, le foie, après le lavage intra-vasculaire, présente une coloration constante d’un brun très clair, fauve. Je me suis servi dans ces expériences, pour noter d’une façon objective cette coloration et préciser les comparaisons d’une expérience à une autre, du tableau chromatique dressé par Paul Broca pour la couleur de la peau dans les races humaines. J’y ai trouvé assez bien les nuances du foie que j’avais besoin de noter ; celle dont je parle, pour les animaux normaux, correspond d’une façon régulière au numéro 30 de ce tableau.

On peut faire passer de l’hémoglobine dans le sérum aux dépens des globules mêmes de l’animal en expérience ; par exemple, au moyen d’injection intra-veineuse d’eau distillée. Pour la même raison que lorsqu’il s’est agi d’étudier la formation de rubigine, c’est-à-dire pour avoir des données quantitatives précises, j’ai préféré injecter de l’hémoglobine provenant d’un autre animal et en quantité connue. Mais il fallait, pour que les expériences fussent bien significatives, que cette hémoglobine fût aussi voisine que possible de son état physiologique. Nous ne savons pas si l’hémoglobine cristallisée, puis redissoute, est dans ce cas. J’ai préparé des solutions de globules à partir du sang de chien normal centrifugé et débarrassé des globules blancs. L’hémoglobine de cette solution était dosée en fer par le procédé colorimétrique. En injection veineuse, de telles solutions sont assez rapidement toxiques : je n’ai pu injecter, même en deux fois, que des quantités relativement faibles du fer sous cette forme.

Voici, en un tableau, les données numériques de celles de mes expériences qui doivent être prises en considération :

  • POIDS de l’animal
  • FER de l’hémoglobine injectée
  • SURVIE après la 2e  injection
  • PROPORTION DE FER
  • du foie de la rate
  • QUANTITÉ TOTALE de fer dans le foie
  • 13, 5 123 mgr. 25 jours 0, 32 0, 52 128 mgr.
  • 5, 8 43 mgr. 5 jours 0, 30 0, 75 75 mgr.
  • 6, 5 65 mgr. 6 jours 0, 34 0, 80 84 mgr. La proportion du fer dans le foie est supérieure au maximum de ce que j’ai trouvé à l’étal normal ; elle est dans les trois cas presque triple de la valeur probable. Il y a donc une augmentation manifestement due à l’expérience. La rate donne des chiffres un peu au-dessus de la moyenne, mais rentrant dans la série des chiffres normaux ; l’augmentation en fer est donc

douteuse. Pas trace de rubigine, qui, chez le premier sujet, aurait eu le temps de se former. Enfin, le foie lavé est chez les trois sujets d’une couleur bien plus foncée que ce qu’elle est chez les animaux normaux comparables ; elle correspond aux numéros 28 et 43 du tableau de Broca. L’action élective du foie apparaît encore plus nettement si on compare les chiffres ci-dessus avec l’expérience suivante :

Un chien de 8 kilogrammes reçoit dans des conditions comparables au précédent 100 milligrammes de Fe sous forme de citrate de fer ammoniacal. Le foie montre une teneur en fer de 0, 25 ; quantité totale du fer dans le foie, 87 milligrammes.

L’enrichissement en fer du foie et de la rate s’étant fait ici dans une proportion inverse de ce que nous avons observé constamment après injection péritonéale du sang total, il faut admettre que le mécanisme physiologique qui détruit les globules dissous est essentiellement différent de celui qui détruit les globules injectés à l’état intact.

Les mutations du fer suivent un circulus interne.

L’ensemble des observations et des expériences que nous venons d’examiner nous conduit à une conclusion opposée à la direction dans laquelle on avait en général cherché jusque-là. Dans toutes les conditions, le fer provenant de la destruction de la molécule hémoglobine est non pas excrété par la bile ou toute autre sécrétion, mais déposé dans certains organes où il constitue une réserve de nouveau utilisable.

Le circulus organique du fer s’accomplit, pour sa masse principale, à l’intérieur de l’organisme.

Par conséquent, nous ne pouvons obtenir de renseignements sur l’hématolyse normale à l’âge adulte par la simple observation soit du fer excrété qui est presque négligeable, soit des teneurs en fer des organes qui est à peu près invariable. Dans les conditions ordinaires de la vie, il se produit journellement (tous les physiologistes sont d’accord là-dessus) une destruction de globules rouges, vieillis ou altérés de quelque manière, et qui sont remplacés par des globules jeunes. Mais la rénovation étant égale à la destruction, si c’est le même fer qui passe des molécules d’hémoglobine détruites dans les molécules reconstruites, il est évidemment difficile, même impossible, de saisir ce fer au moment de sa désintégration et avant son réemploi. Il a fallu modifier ce bilan du fer par l’expérimentation, soit par la saignée (déficit), soit par l’injection d’hémoglobine (excédent). Pour ce dernier cas, nous avons reconnu la mise en jeu, suivant les conditions, de deux mécanismes distincts. Que se passe-t-il dans l’hématolyse normale? Il y avait intérêt, m’a-t-il semblé, pour cette question physiologique importante, à pousser plus avant l’étude de la cirrhose pigmentaire qui présente une si incroyable déviation du bilan du fer. (Le sujet qui a servi de point de départ à mes recherches avait en dépôt dans son foie soixante fois plus de fer qu’un homme normal ; c’est-à-dire que ce dépôt, au lieu de correspondre à un dixième à peu près du fer du sang, représentait six fois la totalité de ce fer.)

Je fis faire dans cette direction quelques expériences par M. L. Meunier [Thèse citée]. Il trouva d’abord, ce qui est en accord avec la conception du circulus interne du fer, que les hémorragies internes ne conduisent nullement vers de telles accumulations. L’hémorragie interne expérimentale consisterait à faire couler d’une artère du sujet une certaine quantité de sang dans le péritoine (par exemple) du même sujet ; mais si l’on tient à éviter de faire passer et séjourner ce sang par un récipient où on pourrait le mesurer, on n’a que des notions quantitatives vagues sur la saignée produite. Sur mes conseils, M. Meunier effectua des transfusions péritonéales sur la balance, comme je l’ai indiqué page 22, et immédiatement après une saignée équivalente. Dans ces conditions, des doses de 50 et 60 grammes par kilogramme, en deux ou trois opérations, produisent une toute petite quantité de rubigine, mais le fer des organes ne montre aucun enrichissement appréciable. Je l’engageai ensuite à examiner l’action des poisons globulaires, par exemple de la toluylène-diamine, qui avait donné notamment à Engel et Kiener en France, Stadelmann en Allemagne, la production de pigment ocre, de eisenhaltige Körner, c’est-à-dire de rubigine, d’après l’identité des caractères histologiques. M. Meunier obtint en effet, chez le chien, une certaine accumulation de rubigine dans les organes ; et à l’inverse de ce qui se passe quand on injecte du sang pur, mais comme dans la cirrhose pigmentaire, l’accumulation de fer est plus marquée dans le foie que dans la rate. Nous avions donc là un moyen de nous rapprocher des conditions pathogéniques de la cirrhose pigmentaire. Il fallait essayer d’analyser l’action de la toluylène-diamine sur les globules rouges ; c’est ce que je fis avec M. A. Vast.

Action de la toluylène-diamine sur les globules rouges.

J’employais la toluylène-diamine (1, CH3 ; 2 et 4, Az H2) dissoute dans l’eau physiologique avec la quantité d’HCl strictement nécessaire, en injection sous-cutanée, à la dose (en une fois) de 1 à 6 centigrammes par kilogramme d’animal (chien). Les doses de 5 à 6 centigrammes par kilogramme donnent des phénomènes marqués d’intoxication générale et d’ictère grave ; pour 1, 2 ou même 3 centigrammes, on n’observe pas de troubles consécutifs à une seule injection ; les injections étant répétées de deux jours en deux jours, l’animal fait un ictère lent, il maigrit, mais il résiste pendant plusieurs semaines. Et quand on le sacrifie, on trouve de la rubigine en assez grande abondance dans le foie, la rate et la moelle des os, avec accumulation marquée dans le foie. Des auteurs avaient annoncé que la toluylène-diamine provoque la dissolution des globules dans le sang circulant ; s’il en était ainsi, je me trouvais ramené au cas étudié page 76 (action du foie sur l’hémoglobine dissoute). Je recherchai ce phénomène de la façon suivante. A des intervalles divers après l’injection, quelques centimètres cubes de sang étaient, directement au sortir du vaisseau, recueillis dans une très petite quantité d’une solution hypertonique oxalatée, et centrifugés immédiatement, vingt-quatre heures environ après l’injection, et seulement avec les doses fortes de poison, on observe une petite quantité d’hémoglobine diffusée. Cette quantité paraît trop petite pour rendre compte du fer accumulé. J’examinai de plus près l’action de la toluylène-diamine sur les globules rouges. Je constatai d’abord qu’il y avait une altération chimique de l’hémoglobine dans les globules mêmes ; en proportion plus ou moins considérable, elle était transformée en méthémoglobine. Cette altération est la règle sous l’influence des amines aromatiques, mais alors, elle était mal connue ; avec la toluylène-diamine, un auteur avait indiqué la formation d’hématine ; je fis voir, par une série de réactions, qu’il s’agissait, en réalité, de méthémoglobine. D’autre part, en examinant au microscope le sang des animaux intoxiqués, même quand il ne contenait point d’hémoglobine diffusée, il me parut qu’il était particulièrement difficile de faire des préparations de sang sans altérer les globules. J’eus alors l’idée de rechercher si ces faibles doses de toluylène-diamine, qui ne détruisent pas les globules dans le sang circulant, n’affaiblissent pas leur résistance.

Méthode nouvelle pour mesurer la résistance globulaire.

La mesure de la résistance globulaire est devenue classique depuis Hamburger. On sait que si on jette des globules rouges dans l’eau distillée, ils se dissolvent entièrement (laccage du sang) ; si on les jette dans de l’eau additionnée de 7 grammes de NaCl par litre, ils restent inaltérés, ou du moins, aucune trace de leur hémoglobine ne vient teinter le liquide ambiant. La méthode de Hamburger consiste à déterminer la plus forte concentration saline pour laquelle les globules rouges commencent à abandonner leur hémoglobine. Après Hamburger, Mosso et quelques-uns de ses élèves ont montré qu’il y avait intérêt aussi à déterminer la concentration la plus forte pour laquelle la destruction des globules est totale (résistance maxima, la méthode de Hamburger donnant la résistance minima). Ces méthodes ne nous donnèrent que des résultats incertains. Après quelques essais, j’ai imaginé, et j’ai mis en œuvre avec M. A . Vast, une méthode nouvelle qui me paraît de nature à donner, sur les variations de la résistance globulaire, des renseignements plus précis et plus complets.

On prépare une série de solutions de chlorure de sodium titrées de 4 en 4 centigrammes au-dessous de 0,62 p. 100, cette dernière concentration étant supérieure à celle qui représente l’isotonie normale. On met 10 centimètres cubes de chacune de ces solutions dans une série de tubes à essai et on mêle à chaque échantillon 1 centimètre cube de sang rapidement extrait d’une artère. La mesure du sang n’a pas besoin d’être rigoureuse. Aussitôt après le mélange, on centrifuge, et la séparation des globules étant effectuée, on détermine par la colorimétrie quelle est la proportion d’hémoglobine qui a diffusé dans chaque tube. Cette détermination est ainsi réalisée : une portion du liquide surnageant, décanté ou puisé avec une pipette, est comparée au colorimètre à un étalon, étalon qui peut être soit un disque de verre convenablement coloré, soit une solution quelconque d’hémoglobine considérée sous une épaisseur invariable. On obtient pour le liquide examiné l’épaisseur e. Les globules restés au fond du tube avec un peu du liquide sont additionnés de 11 centimètres cubes d’eau distillée qui les dissout entièrement. A cette solution, on ajoute exactement toute la partie du liquide qui a déjà servi à la colorimétrie. Les 22 centimètres cubes de liqueur ainsi obtenus contiennent en solution toute l’hémoglobine du sang introduit. On compare cette liqueur au même étalon colorimétrique que la première et on observe l’égalité de teinte sous une épaisseur e’. Le rapport e’/(2*e) donne la proportion d’hémoglobine qui a diffusé dans la solution saline. Chacune de nos solutions nous fournit ainsi un chiffre qui peut servir à exprimer l’altération subie par les globules au contact de cette solution, les titres des diverses solutions n’ayant d’ailleurs que des valeurs relatives. Pratiquement, comme on est quelquefois gêné par de petits caillots qui se forment dans le tube à essai, il y a avantage à remplacer dans les solutions salines un tiers ou un quart du chlorure de sodium par une quantité isotonique d’oxalate de sodium.

Avec ce procédé, il est très facile de voir que, le lendemain d’une injection de toluylène diamine, les globules sont plus vulnérables qu’avant l’injection. De plus, si on examine de nouveau le sang après trois ou quatre jours, on trouve une résistance plus forte qu’avant l’injection, ce qui est la preuve qu’un certain nombre de globules atteints par le poison ont disparu de la circulation et ont été remplacés par des globules neufs. (Divers auteurs avaient déjà constaté, par la méthode habituelle, une augmentation de résistance après une saignée.)

Voici une de nos expériences :

Chienne de 6 kilogrammes, adulte. Le 15 mars, injection de 0 gr. 24 de toluylène diamine. La première prise de sang, pour la mesure de la résistance globulaire, a été faite immédiatement avant l’injection.

  • TITRE de la solution (en NaCl p. 100)
  • PROPORTION DE L'HÉMOGLOBINE DIFFUSÉE
  • 15 mars 16 mars 21 mars
  • 0,50 indosable. 10 trace.
  • 0,46 id. 12 indosable.
  • 0,42 5 15 id.
  • 0,38 11 21 id.
  • 0,34 21 30 4
  • 0,30 36 48 10
  • 0,25 51 66 24

En portant en ordonnée la proportion d’hémoglobine diffusée et en abscisse le titre de la solution correspondante (noté en NaCl p. 10000), on obtient la figure ci-contre. Le 16 mars, on observait une trace d’oxyhémoglobine diffusée dans une solution hypertonique (concentration exprimée en NaCl : 1,3 p. 100), donc préexistante dans le plasma ; c’était d’ailleurs une simple trace, représentant une quantité impondérable. Il est possible que ces toutes petites quantités d’hémoglobine diffusée jouent un petit rôle dans l’accumulation du fer par le foie ; mais il me paraît que le phénomène principal consiste dans la destruction, par les organes hématolyliques, des globules altérés chimiquement et plus vulnérables, la destruction se faisant par phagocytose.

La courbe hématolytique.

La courbe de la destruction globulaire en fonction de l’hypotonie du milieu, comme on le voit sur la figure ci-dessus, convexe en bas pour les solutions fortes, tend vers une droite pour les solutions plus faibles ; poursuivant cet examen pour les solutions de plus en plus faibles, j’observai qu’avant d’atteindre sa limite 100, la courbe s’infléchissait en sens inverse. Cette courbe me parut valoir la peine d’être examinée pour elle-même sur divers sangs normaux, et je mis à ce travail un autre de mes élèves, M. Lesage. Ses résultats confirmèrent que la courbe a bien la forme en S que je viens de dire. En général, l’inflexion supérieure est moins marquée que l’inférieure ; au milieu, sur la plus grande partie de son étendue, la courbe est rectiligne et peu penchée. J’ai interprété cette courbe par l’existence de globules inégalement résistants, conception que des recherches différentes avaient déjà suggérée à M. Malassez ; la grande masse des globules (environ 85 p. 100 dans le sang de nos chiens adultes) fournit par sa destruction la partie de la courbe qui forme une droite peu inclinée comprise normalement entre les solutions 30 ou 34 d’une part, 42 ou 46 de l’autre ; il y a des globules moins résistants dont les plus fragiles commencent à se détruire dans la solution 50 ; et d’autre part, des globules, les moins nombreux de tous, qui sont un peu plus résistants que la masse.

Résorption du sang par les séreuses.

Avec ce procédé, M. Lesage, sous ma direction, a recherché ce que deviennent les globules quand on injecte dans le péritoine d’un chien du sang d’un autre chien. Une première série de contrôle avait montré que le sang de la jugulaire et le sang de la carotide donnent sensiblement les mêmes résultats. Avec deux animaux sains, les globules du sang injecté dans le péritoine ne paraissent pas varier sensiblement dans leur vitalité, si ce n'est au moment où il n’en reste plus que quelques gouttes, car le sang disparaît peu à peu ; ce sang est donc résorbé en nature ; en effet, la fistule du canal thoracique donne une lymphe chargée de globules rouges en bon état. Je conclus de ces recherches que l’injection péritonéale de sang équivaut à une transfusion veineuse faite lentement. Les résultats que j’ai obtenus par cette voie quant à l’accumulation du fer (page 74) se rapportent donc à la destruction des globules normaux en excès. D’après la localisation du résidu ferrique, cette destruction est effectuée d’abord par la rate et la moelle osseuse ; ensuite par le foie, qui vient s’ajouter aux organes précédents quand la quantité à détruire est considérable.

Rôle de la rate dans la fonction hématolytique.

J’ai cherché alors quelle est l’importance quantitative de la rate dans cette fonction. Le rôle hématologique de la rate est admis par tout le monde, mais nous manquions d’éléments pour apprécier l’importance de ce rôle. Lorsqu’on enlève la rate à un animal et qu’on observe ensuite son sang, on y trouve des changements extrêmement faibles, et même douteux. C’est qu’à l’état normal, la besogne à accomplir, rénovation ou destruction, hématopoïèses ou hématolyse, est peu considérable, et la rate absente est facilement vicariée par d’autres organes. J’ai pensé qu’on pouvait obtenir en quelque sorte une mesure de l’importance de la rate pour l’hématolyse en augmentant l’intensité du travail à accomplir. Si l’on fait une transfusion à un animal, on sait que l'hyperglobulie ainsi produite est de courte durée ; les globules surnuméraires sont détruits en quelques jours. Comment cette hématolyse sera-t-elle modifiée dans les cas de splénectomie préalable? J’ai fait faire dans ce sens une série d’expériences par M. Calugareanu.

Nous avons choisi le chien comme sujet ; on déterminait le nombre des globules et la richesse en hémoglobine du sang par de très petites prises sur l’artère de l’oreille. La quantité de sang injectée (dans une veine) a toujours été de 35 à 40 grammes par kilogramme d’animal, c’est-à-dire environ la moitié du sang supposé exister chez le sujet. Le nombre des globules, qui était d’environ 7 millions avant la transfusion, arrive le lendemain, ou mieux le surlendemain, de l’opération, à un chiffre compris entre 9 et 10 millions et l’hémoglobine exprimée en milligrammes de fer par centimètre cube de sang passe d’environ 0,45 à un chiffre compris entre 0,60 et 0,70. Sur deux chiens normaux, cette proportion considérable se maintint pendant dix jours environ, puis rapidement, en trois ou quatre jours, tout revint à la normale. Sur les chiens splénectomisés, le retour à la normale commença à s’accomplir au bout de temps égaux ou même plus courts et s’effectua aussi rapidement que chez les chiens normaux. La rate serait ainsi, même dans le cas de ce travail hématolytique considérable (destruction en quelques jours d’une quantité de globules à peu près égale à la moitié des globules normaux), complètement vicariée par d’autres organes. Les quantités de sang injecté avaient été systématiquement choisies dans la proportion où, chez les animaux normaux, la rubigine commence à apparaître dans le foie, c’est-à-dire où l’ensemble des autres organes hématolytiques paraît à la limite de sa puissance. On est donc, semble-t-il, dans les meilleures conditions pour saisir l’effet de la suppression de la rate. Or, la comparaison des animaux dératés aux animaux normaux ne montre que des différences assez faibles, tant pour la localisation de la rubigine que pour la teneur en fer des organes considérés. Les chiens normaux ont donné des résultats semblables à ceux de mes séries antérieures ; la moelle osseuse et la rate sont riches en rubigine ; à peu près pas de rubigine dans le foie. Les chiens dératés montrent beaucoup de rubigine dans la moelle osseuse, un peu dans le foie. Les proportions de fer ont été chez les animaux normaux transfusés : dans le foie, 0,21 et 0,18 ; dans la rate, 1,17 et 1,09 ; chez deux animaux dératés transfusés ; dans le foie, 0,33 et 0,24. Par conséquent la rate a été vicariée par la moelle osseuse, à laquelle le foie s’est adjoint dans une faible mesure.

Par les dosages de fer comme par la marche suivie dans la diminution des globules, on voit que la suppression de la rate n’apporte que des changements peu considérables à la fonction hématolytique : à tel point qu’il me paraît inexact de dire que la rate est vicariée par d’autres organes. Ces expériences s’interprètent bien mieux en disant : la rate est une portion relativement peu considérable d’un vaste système hématolytique.

Proportion de fer dans l'hémoglobine

  • 1900. Sur la teneur en fer de l'hémoglobine de cheval (avec M. Gilardoni). Société de Biologie, 12 mai.

La proportion de fer dans l’hémoglobine semblait connue ; elle était fixée à 0,45 p. 100, à peu de chose près, lorsque Bunge, avec ses élèves, Zinofski, puis Jacquet, affirma que cette hémoglobine ne contenait que 0,335 p. 100 de Fe. J’ai montré ailleurs que les anciens dosages de fer sont en général entachés d’une erreur par excès ; mais ici cette cause d’erreur paraît insuffisante pour expliquer l’écart considérable des deux estimations. J’ai voulu voir si cet écart ne tiendrait pas à ce que les analyses ont porté, de part et d’autre, sur des produits différents, fournis par des méthodes de préparation différentes ; les méthodes anciennes comportaient des manipulations très lentes ; l’introduction des appareils centrifugeurs pour le lavage des globules a permis de réduire considérablement le temps de la préparation. Avec M. H. Gilardoni, j’ai donc préparé de l’hémoglobine de cheval en m’attachant à opérer aussi vite que possible ; on peut arriver à mettre la solution d’hémoglobine pure à cristalliser dans la glacière environ quatre heures après que le sang est sorti des vaisseaux ; d’autre part, j’ai repris la technique d’Hoppe-Seyler (possible seulement par les temps froids), qui exige plusieurs jours pour les mêmes opérations. Sept préparations entièrement distinctes ont donné soit 0,30, soit 0,33 à 0,34 p. 100 de Fe, suivant des conditions incomplètement définies, soit pour la préparation, soit pour la cristallisation (toujours en milieu alcoolique refroidi). Les chiffres anciens restent donc inexplicables ; c’est le chiffre de Bunge, ou même un chiffre un peu plus bas, qui doit être considéré comme exact. Cette conclusion a été confirmée par tous les travaux postérieurs.

Recherches sur l'hyperglobulie

  • 1893. Hyperglobulie expérimentale (avec E. Auscher). Société de Biologie, 23 mai.
  • 1903. Hyperglobulie périphérique sous l’influence du froid (avec André Mayer). Société de Biologie, 27 juin.
  • 1904. Deux ascensions en ballon pour l’étude de questions physiologiques. Société de Biologie, 23 juillet. Diminution de l’hémoglobine dans le sang central pendant les ascensions en ballon. Ibid.

En 1890, François Viault a signalé que les animaux qui vivent aux grandes altitudes ont dans leur sang plus de globules rouges que les animaux de même espèce vivant dans les plaines basses ; c’est ce qu’on a appelé l'hyperglobulie des altitudes. Peu après, les cliniciens notaient que la cyanose congénitale (malformation de l’appareil circulatoire ayant pour résultat une oxygénation incomplète du sang) s’accompagne d’une hyperglobulie compensatrice. J’ai eu l’occasion d’examiner un des premiers cas étudiés, avec M. P. Marie, à l'Hôtel-Dieu, et j’y ai trouvé 9 millions de globules et 0,61 de fer pour mille (au lieu de 6 millions de globules et 0,45 de fer) (Société médicale des Hôpitaux, décembre 1904.) J’ai recherché expérimentalement (avec M. E. Auscher) si, d’une façon générale, un obstacle aux échanges gazeux entre le sang et le poumon amènerait une hyperglobulie, afin de voir s’il s’agissait bien là d’un phénomène compensateur. Du premier coup, chez le chien, nous avons obtenu une augmentation notable du nombre des globules et du fer du sang, en diminuant le champ de l’hématose ; pour cela, nous empêchions le jeu d’un poumon en faisant communiquer la cavité pleurale avec l’atmosphère. En 20 jours, le nombre des globules est passé de 5.124.000 à 6.480.000 par une augmentation progressive ; en même temps, le fer du sang passait de 0,35 à 0,45. Les caractères histologiques du sang témoignaient d’un mouvement actif de néoformation. Au même moment, MM. Jolyet et Sellier publiaient un travail sur la même question ; par des procédés différents, ils aboutissaient à la même conclusion ; nous abandonnâmes nos recherches.

Fausse hyperglobulie dans les ascensions en ballon.

Mais, en 1901, Gaule annonça que l’hyperglobulie des altitudes se produisait en une heure ou deux lorsqu’on s’élève en ballon. La rapidité du phénomène me parut difficile à concilier avec ce que je savais de l’hématopoïèse.

Quelques mois après, l'Aeronautic Club de France ayant mis un ballon à ma disposition, je combinai diverses observations de contrôle ; empêché de partir, le jour de l’ascension (20 novembre), par mon service universitaire, j’en confiai la réalisation à MM. Calugareanu et Victor Henri. Ces Messieurs observèrent, sur trois chiens, que le sang, obtenu par ponction capillaire de l’oreille, présentait, à terre (température 12°), 7.600.000 à 7.900.000 globules ; à 3000 mètres (température 0°) 8.900.000 à 9.800.000 globules. C’était le phénomène de Gaule ; un chien dératé le présentait au même degré que les autres. Mais du sang prélevé dans une grosse artère (fémorale) me fut rapporté au laboratoire ; je constatai dans ce sang, comme proportion de fer, 0,56 pour l’échantillon recueilli à terre, 0,33 pour l’échantillon recueilli à 3000 mètres. Donc pas d’augmentation de l’hémoglobine dans le sang central, sinon même diminution (Société de Biologie, 1901, p. 1038).

En 1904, je pus, grâce à une subvention du Conseil municipal de Paris, organiser deux nouvelles ascensions scientifiques et prendre part à l’une d’elles. Je constatai alors nettement, sur le chien et sur le cobaye, une diminution de l’hémoglobine dans le sang central. L’hyperglobulie instantanée de Gaule n’était donc qu’apparente ; il s’agit d’un changement de répartition des globules dans l’arbre circulatoire et non d’un enrichissement réel en globules. Les recherches de MM. André Mayer, Victor Henri et Jolly, organisées en connexion avec celles-là, aboutirent à la même conclusion. En présentant à la Société de Biologie le rapport d’ensemble, j’annonçais qu’un tiers de la subvention restait disponible, et j’ajoutais : « Comme nous arrivons à une conclusion tout à fait négative sur la question de multiplication des globules au cours des ascensions, je pense que c’est un devoir de mettre le crédit restant à la disposition des physiologistes qui tiendraient pour l’hypothèse opposée ». Au moment où j’écris ceci (novembre 1908), la somme est toujours aux mains du trésorier de la Société de Biologie, et notre opinion semble avoir définitivement prévalu. Entre temps, j’avais rendu très vraisemblable que l’augmentation des globules dans le sang périphérique au cours des ascensions est provoquée par le froid, et non par l’altitude. En effet, avec A. Mayer, nous avons vu sur le cobaye que le nombre des globules dans le sang obtenu par piqûre de l’oreille augmente notablement si, en hiver, on transporte simplement les animaux du laboratoire chauffé à un balcon en plein air.


Appendice : Cœur et vaisseaux.

Influence du chloral sur les battements rythmiques dans le cœur du chien excisé.

  • Note de la Société de Biologie (avec Mme Gatin-Gruzewska), le 7 février 1903.

Depuis que Locke a montré que la solution minérale de Sydney-Binger, additionnée d’oxygène et d’un peu de sucre, suffit à entretenir les battements rythmiques dans un cœur de lapin séparé du corps, l’expérience a souvent été répétée dans des conditions diverses et sur des animaux différents. Mais je fus frappé de ce fait que le chien, le sujet le plus usuel des physiologistes, ne figurait pas dans cette littérature. Quelques essais me démontrèrent que le cœur du chien est normalement rebelle à cette expérience ; au bout de très peu de minutes, et même après un seul battement si le chien a été tué sans avoir reçu aucun narcotique, le cœur présente des trémulations fibrillaires, cette forme de contraction désordonnée (delirium cordis), qui est bien connue depuis les recherches de Kronecker ; il ne tarde pas à s’arrêter définitivement. On sait que ce phénomène est essentiellement nerveux, et Gley a montré, sur l’animal entier, que le chloral à haute dose s’oppose à sa production. Je pensai alors qu’avec le cœur du chien chloralisé l’expérience de Locke pourrait être réalisée ; j’ai fait dans ce sens, avec Mme Gatin-Gruzewska, une série d’expériences qui ont facilement et régulièrement réussi. Si l’on a injecté une dose de chloral un peu inférieure à la dose mortelle (0 gr. 5 par kilogramme), le cœur prélevé sur l’animal profondément endormi bat sur l’appareil pendant une ou deux heures consécutives. On peut même aller jusqu’à la dose mortelle (0 gr. 7) et prendre le cœur de l’animal au moment où il vient de mourir. Ce cœur ressuscite quand on irrigue ses vaisseaux du même liquide qui fait mourir le cœur normal ; cette expérience constitue une démonstration de cours facile et bien visible. Le cœur du chien, après la publication de notre travail, a remplacé le cœur du lapin pour l’expérience de Locke aux démonstrations de physiologie à la Faculté de Médecine.

Phénomènes vaso-moteurs étudiés par le manomètre au cours d’une ascension en ballon.

  • Note de la Société de Biologie, 23 juillet 1904.

Un manomètre, spécialement établi pour les conditions aéronautiques, donnait à chaque instant la pression dans le bout périphérique et dans le bout central de la carotide d’un chien ; je pouvais lire ainsi continuellement l’état de la pression sanguine générale et le tonus vaso-moteur de la tête. Après quelque temps d’examen au ras du sol, nous avons atteint, en quarante minutes, l’altitude de 2700 mètres sans que se fût manifesté aucun changement ; à cette hauteur, se produisit une courte réaction de vaso-constriction céphalique, bientôt suivie, à l’altitude de 3.200 mètres, d’une vaso-dilatation marquée et durable.

Ce phénomène, qui ne paraît, après diverses expériences consécutives, imputable à aucune autre condition qu’à l’ascension elle-même, correspond avec les sensations subjectives de légère congestion cérébrale observées par les aéronautes.









  • Chapitre IV: Etudes sur la nutrition
  • Ration d'entretien
  • 1890
    • (14). Rôle de la ration azotée dans l'alimentation (Revue critique), Médecine moderne, 1er mai.
  • 1893
    • (26). Étude quantitative sur le régime alimentaire des Abyssins, Société de Biologie, 4 mars.
  • 1894
    • (27). Note sur le régime alimentaire des Malais, Société de Biologie, 3 février;
    • (29). Deux expériences sur la ration azotée minima chez l'homme, avec M. Ch. Marette, Société de Biologie, 17 mars;
    • (33). Recherches sur la ration d'aliments albuminoïdes nécessaire à l'homme, Archives de Physiologie, 1er juillet.
  • 1895
    • (40). Article : « Aliments » du Dictionnaire de Physiologie, avec M. Charles Richet.
  • 1897
    • (65). Détermination quantitative de la ration alimentaire de l'homme, leçon du cours d'anthropologie biologique, Revue mensuelle de l'École d'Anthropologie de Paris, décembre.
  • 1902
    • (83). Repos et travail: rectification â la bibliographie de M. Lefèvre, Société de Biologie, 1er mars;
    • Thèse de M. Jean Larguier des Bancels, De l'influence de la température extérieure sur l'alimentation, Recherches expérimentales sur le pigeon, Faculté des Sciences de Paris, décembre.
  • 1908
    • (131). Sur les limites de l'isodynamie; à propos du coefficient isodyname des albuminoïdes, 1er Congrès international d'hygiène alimentaire, Paris, 2 octobre.

Le chiffre de 118 grammes par jour, fixé en 1860 par Max Joseph von Pettenkofer et Voit, avait pendant trente ans été considéré comme le besoin minimum d'albuminoïdes dans la ration alimentaire de l'homme, lorsque diverses expériences, faites en Allemagne notamment par Hirschfeld et par le Japonais Kumagawa, réalisèrent l'équilibre d'azote avec une quantité sensiblement plus petite. En même temps, Max Rubner montrait, sur le chien, que la destruction d'albumine corporelle pendant le jeûne n'est pas la mesure de la désintégration nécessaire, et qu'en assurant tous les besoins caloriques avec des aliments ternaires, on peut réduire considérablement cette désintégration. Après avoir été le premier, je crois, à insister en France sur cette évolution de la théorie alimentaire (14), je refis, à titre de contrôle, des expériences où j'obtins l'équilibre du bilan nutritif avec une quantité d'albuminoïdes égale à la moitié du chiffre de Voit (29). Ces expériences ont été réalisées, avec la collaboration de M. Marette, sur nous-mêmes. Le régime comprenait chaque jour une partie fixe, 170 grammes de riz et un litre de lait; le sujet avait à sa disposition du pain, du beurre et du sucre ; il en prenait à son appétit, mais la quantité prise était soigneusement déterminée. C'est-à-dire que nous laissions à l'instinct le soin de fixer la quantité nécessaire. Dans les expériences auxquelles j'ai fait allusion plus haut, l'équilibre azoté ne s'obtenait, disait-on, avec la ration réduite d'albuminoïdes, qu'à la condition de forcer jusqu'à l'excès les aliments ternaires. Je désirais savoir comment se comporterait un sujet habitué à une assez grande quantité d'albumine, quand il aurait à sa disposition une alimentation relativement pauvre en albumine. L'azote était dosé chaque jour dans les excreta. Le sujet I, âgé de vingt-six ans, pesait 65.800 grammes. L'expérience dura dix jours consécutifs. Poids le dixième jour : 65.300 grammes. Albumine ingérée, moyenne par jour, 57 grammes; azote éliminé, moyenne par jour, urine: 7 gr. 4; fèces : 1 gr. 75; total : 9 gr. 15, soit (avec le même facteur conventionnel 6,25 qui sert pour le calcul des albuminoïdes dans les aliments), 57 gr. 30. Valeur de la ration journalière moyenne, en calories, 2728. Résultat : équilibre d'azote presque exact ; permanence du poids total presque exacte ; néanmoins léger déficit. Sujet II, trente ans; 73 kilogrammes. Expérience durant huit jours ; albumine ingérée, moyenne journalière, 57 gr. 1; poids invariable; azote éliminé, urine : 7 gr. 17; fèces : 1 gr. 11, soit par jour, en albumine, 52 grammes. Valeur journalière moyenne de la ration en calories, 2653. Résultat : équilibre nutritif général, léger excédent d'azote. Pendant l'expérience, nous n'avons ressenti aucun trouble subjectif; nous avons vaqué comme d'habitude à nos occupations, sans éprouver de faiblesse ; l'alimentation a donc été suffisante à tous les points de vue auxquels on pouvait la juger. La valeur calorifique totale est la même qu'avec les régimes plus riches en albumine. On peut faire des réserves sur le sujet numéro 1, penser que le quasi-équilibre réalisé pendant dix jours ne permet pas de conclure à une longue durée. Mais pour le sujet numéro 2, le bilan se solde avec un excédent suffisant pour couvrir toutes les erreurs possibles, et il n'y a aucune raison de supposer que la balance puisse se renverser. Néanmoins, l'expérience est courte, pour une loi de nutrition; les expériences de ce genre sont fatalement courtes, car il est difficile de supporter longtemps, non le régime en lui-même, mais l'assujettissement minutieux que comporte toute observation du bilan nutritif. Aussi, on en contestait la portée générale, en disant que l'observation de régimes naturels librement choisis ne donnait jamais, pour un homme normalement musclé, un chiffre d'albumine inférieur à 100 grammes par jour. Je répondis à cette objection de la façon suivante: Les observations de régimes naturels n'ont jusqu'ici porté que sur des Européens; les chiffres de Voit et Pettenkofer peuvent être conservés pour représenter la moyenne du régime normal européen. Mais de quel droit conclure d'une habitude à un besoin? Les peuples se nourrissent de ce qu'ils ont; or, l'aliment végétal qui fait la base de la nourriture européenne, le blé, est, par lui-même, déjà relativement riche en azote albuminoïde, même sans aucune adjonction d'aliment animal. Il y a de grandes régions du globe où l'aliment correspondant est plus pauvre en azote. Comparons, par exemple, au blé, la durrha (Sorghum vulgare), qui est la céréale d'une grande partie de l'Afrique et d'une partie de l'Asie, ou le riz, qui est la céréale de l'Asie méridionale et orientale. Pour cent parties de ces trois céréales, on trouve comme albumine, en chiffres ronds : blé, 12; durrha, 8; riz, 6. Si nous calculons la quantité d'albumine correspondant à une valeur calorifique de 3000 calories (chiffre de la consommation du sujet de Voit et Pettenkofer), on trouve avec la durrha, 60 grammes; avec le riz, 52 grammes seulement d'albumine. C'est évidemment chez les peuples qui ont à se nourrir avec des substances pauvres en albumine qu'il faut voir — s'ils s'en contentent — s'ils ajoutent toujours des aliments plus azotés, — ou s'ils engloutissent des kilogrammes de nourriture pour trouver quand même ces 120 grammes, au moins ces 100 grammes d'albumine posés comme une nécessité absolue. Il ne faut pas oublier que ce sont les Japonais qui ont élevé les premiers doutes contre cette nécessité. Il y avait intérêt à reprendre avec précision, hors d'Europe, des observations de régimes opératoires. A ce moment, je trouvai dans le voyage de la Sémiramis l'occasion de faire de telles observations; Mme Jules Lebaudy voulut bien faire installer une cabine de son yacht en laboratoire propre à l'analyse des rations, et je pus, sur place, faire les déterminations suivantes.

  • Régime des Abyssins (26).

Mes observations ont été faites dans l'hiver de 1892-1893 dans la colonie italienne de l'Erythrée (capitale: Massouah), où j'ai séjourné deux mois. Les Abyssins se nourrissent presque exclusivement de durrha. La farine de ce grain sert à faire des galettes (engera) analogues à celles que faisaient et font encore en quelques régions les paysans d'Europe, avec nos propres céréales. Il y a une partie notable de la population qui ne consomme, avec ces galettes, que des condiments sans valeur alimentaire notable. Ceux qui vivent dans une aisance suffisante pour s'accorder une nourriture tout à fait conforme à leurs goûts y ajoutent une petite quantité d'aliments plus azotés, du lait, des graines de légumineuses, de la viande de loin en loin. (La réputation de grands mangeurs de viande faite aux Abyssins reposait sur des récits de voyageurs ayant assisté à des festins exceptionnels.) Le régime que j'ai considéré comme typique, et comparable aux observations européennes, est celui des soldats indigènes (ascari), vivant chacun dans sa maison, avec sa famille, dans une aisance sans luxe, et menant une vie active sans travail servile.

L'examen détaillé du régime de plusieurs d'entre eux, avec analyses directes des substances consommées, contrôlé par l'examen du régime d'autres catégories sociales, m'a amené à résumer ainsi la ration type:

  • Engera: Albumine: 38 gr. Calories: 1660.
  • Additions: Albumine: 12 gr. Calories: 380.
  • Total: Albumine : 50 gr. Calories : 2040.

L'étude physique de la race éthiopienne que je poursuivais en même temps, m'a donné, pour les sujets correspondants, un poids moyen de 52 kilogrammes.

  • Régime des Malais (27).

Mes observations ont été faites en 1893, dans la péninsule de Malacca, où j'ai séjourné six mois, et notamment à Singapour; elles ont porté sur des Malais proprement dits et sur des Javanais. Le fond de la nourriture est le riz, décortiqué et cuit à l'eau (avec beaucoup moins d'eau que dans la cuisine européenne); on y ajoute toujours, non seulement une sauce, à peu près nécessaire pour permettre la déglutition des grains de riz, mais une petite portion d'un aliment animal; dans la règle, du poisson sec. Les sujets que je considère comme typiques et comparables à ceux du paragraphe précédent sont, pour des raisons du même ordre, des indigènes domestiques d'Européens. Leur ration (hommes adultes) s'établit de la façon suivante:

  • Riz: Albumine: 31 gr. 5; Calories: 1752.
  • Additions: Albumine: 28 gr. 5; Calories: 320.
  • Total: Albumine : 60 gr. Calories: 2072.

Cinq hommes adultes, ceux mêmes sur lesquels ont porté les observations, m'ont présenté comme poids moyen 52 kilogrammes. J'ai résumé (33) mes expériences et mes observations avec celles d'autres auteurs, dans le tableau synoptique suivant (qui a souvent été reproduit). J'ai mis en tête le sujet de Voit et Pettenkofer, pris avec raison comme type européen et, à tort, comme expression de la loi du régime humain.

  • Poids du sujet en kilog.
  • Consommation journalière
  • Calories
  • Albumine
  • Albumine pour 1 kilogramme
  • Ouvrier de Voit et Pettenkofer: 70; 3054; 118; 1,69;
  • Hirschfeld: 73; 3318; 39; 0,60;
  • Kumagawa: 48; 2470; 54; 1,12;
  • Sujet II de Lapicque et Marette: 73; 3027; 57; 0,78;
  • Japonais (Tsuboï et Murato): 46; 2579; 52; 1,19;
  • Abyssins (Lapicque): 52; 2040; 50; 0,96;
  • Malais: 52; 2072; 60; 1,15.

Dans l'étude des rations alimentaires, la quantité d'albumine et la valeur énergétique totale se présentent ensemble et ne peuvent pas être séparées, puisque l'équilibre d'azote n'est possible que si les besoins énergétiques sont couverts. Mais pour l'exposition, je vais examiner successivement les deux points de vue.


  • Besoin d'albumine.

Dans la dernière colonne du tableau ci-dessus, on voit qu'il peut suffire de moins d'un gramme par kilogramme; mais les chiffres de cet ordre se rapportent à des conditions expérimentales, à des observations de courte durée; il convient d'attacher une importance plus grande aux observations ethniques, comme les trois dernières du tableau; ces observations, en effet, quand elles ont été bien choisies, chez les peuples primitifs où les règles diététiques sont remarquablement uniformes et stables, représentent des millions d'expériences durables, et le fait qu'un peuple en vit prouve sans conteste qu'un tel régime suffit à tous les besoins. On voit alors, dans le cas systématiquement choisi des ressources naturelles pauvres en albumine, la ration se fixer aux environs de 1 gramme par kilogramme. Cette règle donnée par moi en 1894, pour le minimum d'albumine, a remplacé, en France, les règles de Voit et Pettenkofer, et c'est elle qu'on retrouve actuellement dans tous les traités d'hygiène et les manuels de physiologie, explicitement rapportée à mon nom.

En posant cette règle pratique, je faisais, au point de vue théorique, toute réserve sur sa signification; j'estimais que le besoin réel devait être beaucoup plus bas, et j'ajoutais cette phrase qui a été souvent reproduite: « En réalité, nous ne connaissons du besoin d'albumine pas plus la grandeur que la cause. » Cette réserve s'est trouvée justifiée lorsque, dans ces dernières années, on en est venu à distinguer les diverses albuminoïdes par les proportions des diverses peptides qui en sont les matériaux constitutifs. On doit maintenant concevoir le besoin minimum d'albumine comme différant beaucoup suivant la nature des albumines fournies. Ainsi je m'explique le fait suivant que j'avais constaté, il y a quinze ans, que j'avais vérifié en étendant les constatations, et qui restait pour moi paradoxal. Le riz se montre insuffisant comme matière alimentaire; tous les peuples dont il est la céréale, Hindous, Malais, Indochinois, Chinois et Japonais, y ajoutent quelque peu de nourriture animale considérée par eux comme indispensable. Or, le riz, consommé seul, à la dose où il couvrirait les besoins énergétiques, donnerait une quantité d'albuminoïdes qui se montre suffisante dans les régimes expérimentaux. La contradiction s'explique par ce fait qu'il s'agit, dans un cas, d'albumine végétale, dans l'autre, au moins pour une partie, d'albumine animale, chimiquement plus voisine de nos tissus et plus apte à la rénovation de ceux-ci.


  • Besoin énergétique; influence des races et des climats.

Reprenant dans le tableau ci-dessus les calories de la ration, et calculant les calories ingérées, soit par unité de poids, soit par unité de surface, on obtient les chiffres suivants, auxquels j'ajoute la ration donnée par Rubner (Allemand):

  • Poids du sujet en kilogrammes
  • Calories
  • Par kilogramme
  • Par mètre carré
  • Ouvrier de Voit et Pettenkofer: 70; 43,6; 1470;
  • Hirschfeld: 73; 45,4; 1560;
  • Sujet de Lapicque et Marette: 73; 41,4; 1420;
  • Rubner: 67; 46,2; 1520;
  • Kumagawa: 48; 51,6; 1505;
  • Japonais de Tsuboï et Murato: 46; 56; 1490;
  • Abyssins: 32; 39,2; 1160;
  • Malais: 52; 39,8; 1220.

Les calories rapportées à l'unité de poids donnent, en chiffres ronds, pour la moyenne des Européens, 44; pour les Japonais, 54; pour les Abyssins et les Malais, sensiblement le même chiffre, 39 à 40. S'agit-il d'une différence ethnique? Mais si nous calculons la surface (simplement au moyen de la formule approximative bien connue, qui donne pour l'homme en fonction du poids P, la surface S = 12,3*P(2/2), le nombre des calories par mètre carré devient, pour les Européens, 1492; pour les Japonais, 1498, c'est-à-dire l'égalité (fortuitement presque exacte). Ce sont deux races de taille différente, vivant sous la même latitude : la nourriture fixée par l'instinct apporte, avec des matériaux différents, la même quantité d'énergie à surface égale. Pour les Abyssins et pour les Malais, deux races bien distinctes entre elles (les Malais étant proches parents des Japonais), on obtient dans les mêmes conditions une quantité de chaleur sensiblement plus faible, égale aux 4/5 de la précédente, ce qui s'explique par le fait qu'ils vivent dans des pays plus chauds. (Parmi les chiffres des Européens, le plus faible est celui de mon expérience; celle-ci a été faite au mois d'août.) Conclusions : Au point de vue des consommations alimentaires, les différences de races dans l'espèce humaine n'influent que comme différences de grandeur corporelle; seules, les données géométriques et physiques conditionnant la perte de chaleur règlent ces consommations. Cette constatation, que je trouvais en étudiant la question de l'albumine, se rattache d'une façon heureuse aux recherches sur les animaux faites spécialement dans cette direction par d'autres auteurs. Elle contribua à établir que le point de vue énergétique est quantitativement le plus important dans la théorie de l'alimentation.

Je défendis ce point de vue à un moment où il était encore très contesté, dans l'article « Aliments » du Dictionnaire de Physiologie, article fait en collaboration avec M. Charles Richet (40) et dans le cours public que je faisais à l'Ecole d'Anthropologie (85). J'y pris parti pour la théorie des substitutions isodynames de Max Rubner, théorie étroitement liée à cette conception énergétique, et devenue aujourd'hui classique ; pour les mêmes raisons théoriques, et aussi en vertu des constatations faites dans mes expériences, j'admis l'utilisation isodyname des petites quantités d'alcool, fait péremptoirement démontré plus tard par Atwater et Benedikt; je repoussai complètement l'idée d'aliments d'épargne et j'expliquai, par un mécanisme nerveux, l'illusion subjective qui avait donné lieu à cette idée (1). En 1902, quelques physiologistes des plus éminents étaient encore rebelles à l'idée qu'un pardessus ou du charbon de calorifère peut remplacer un bifteck (2). M. Jean Larguier des Bancels, dans un travail exécuté sous ma direction, ajouta au faisceau des preuves antérieures un fait qui me parait particulièrement démonstratif. Des pigeons furent soumis à des températures variées par périodes de plusieurs jours consécutifs; ils conservèrent un poids sensiblement constant; leur consommation alimentaire étant notée avec précision, il fut constaté qu'entre 8 degrés et 27 degrés la quantité de nourriture absorbée est fonction (à peu près linéaire) de l'écart de température entre l'animal et le milieu; la nourriture offerte aux pigeons et prise par eux suivant leurs besoins était du blé. Voici les chiffres d'une expérience:

  • Température en degrés:
  • Consommation journalière:
  • Blé en grammes:
  • Calories:
  • Périodes:
  • Janvier: 9-19; 12-29;
  • 9,5; 21,38; 74,23; 12,9; 20,48; 71,11;
  • Février: 29-4; 4-11; 11-21;
  • 8,8; 23,08; 80,13; 25,6; 16,28; 56,52;
  • Mars: 21-4; 4-15;
  • 27,1; 15,86; 55,00; 8,8; 22,57; 78,36.

Si l'on considère les variations à partir de la température ordinaire, 13-18 degrés, on voit que pour les températures plus basses, la consommation monte (comme tout le monde l'admettait) et que pour toute température plus élevée, la consommation baisse; avec un animal de la taille du pigeon, la relation est frappante: les moindres variations de température sont fidèlement suivies par l'alimentation. Il y a donc, à cette température ordinaire, de la chaleur qui est produite pour de la chaleur et non comme résidu d'un fonctionnement organique indépendant de ce résultat.

  • (1) Cet exposé a été souvent cité et mis à contribution par les auteurs qui, ensuite, ont traité en France de l'alimentation et de la nutrition. Voir notamment Eugène Lambling: "Les échanges nutritifs", un fascicule de l'encyclopédie chimique, 1897, et "Notions générales sur la nutrition à l'état normal", dans le "Traité de Pathologie générale" de Bouchard, t. III, 1899.
  • (2) Une grande partie de la discussion s'est faite oralement, notamment aux séances de la Société de Biologie, et c'est seulement de loin en loin qu'un des thèmes prenait la forme écrite.
  • Sur la théorie générale de l'alimentation.

Toutefois, il est bien certain que la somme d'énergie disponible dans les aliments n'est pas l'unique point de vue à considérer. Il y a lieu de faire des réserves que j'ai notées expressément dès 1894 (32) et j'y suis revenu à diverses reprises pour les préciser de plus en plus. La ration alimentaire chez un homéotherme doit répondre à deux ordres de besoin: 1) elle doit fournir la quantité d'énergie potentielle correspondant aux dépenses de force vive, chaleur et travail mécanique; 2) elle doit fournir des substances chimiques déterminées, dont l'organisme en général ou tel organe particulier fait une certaine consommation, sans qu'il puisse remplacer l'une de ces substances par aucune autre, ni la fabriquer lui-même aux dépens d'autres. Le premier ordre de besoin s'exprime par un chiffre de calories. Le deuxième ordre de besoins devrait, pour être exprimé d'une façon adéquate, être représenté par un tableau où serait porté, en regard de chaque nom d'une liste de substances, un certain poids. Cette liste est loin d'être établie même qualitativement. On en a examiné spécialement le numéro le plus important, l'albumine; pour les autres numéros, on a fort peu de renseignements précis. L'étude en serait à la fois fort intéressante et fort compliquée; elle constituerait la part la plus grande de la théorie de l'alimentation chez les animaux à sang froid. Chez un animal à sang chaud, cette étude, tout aussi intéressante théoriquement, n'a aucun intérêt pratique avec les substances qui sont en fait les aliments; tous les besoins sont couverts quand le besoin thermique est couvert. Même pour l'albumine, dans le régime humain au moins, nous avons vu qu'il est difficile de constituer exprès un régime insuffisant; l'examen de ce que nous savons des aliments minéraux m'a amené à la même conclusion, et on peut la généraliser. C'est que les aliments, dans la nature, ne sont jamais les simples mélanges de principes immédiats, albumine, graisses, hydrates de carbone, auxquels nous les ramenons abstraitement; les aliments des animaux sont toujours des êtres ou parties d'êtres vivants, au moins des sécrétions d'êtres vivants; provenant de la vie, ils comprennent, par le fait même, l'ensemble des matières nécessaires à la vie, une dans les deux règnes. Le quantum n'a besoin d'être déterminé que pour le besoin maximum, qui est ici l'énergie. Reste la question suivante, sur laquelle s'est concentrée la discussion: la valeur énergétique d'un aliment pour un homéotherme est-elle représentée exactement par la chaleur de combustion (jusqu'au même état final) de cet aliment? La réponse affirmative est l'isodynamie pure. Mais, comme toute théorie, l'isodynamie a ses limites; j'ai cherché à préciser schématiquement cette notion de la façon suivante.


  • Marge de la thermogenèse.

Soit un homéotherme au repos, ayant une température propre de 40 degrés, vivant dans un milieu à 15°. Ses besoins alimentaires sont, d'abord, ceux d'un poecilotherme porté à 40 degrés par la température ambiante; un ensemble de fonctions physiologiques primordiales (circulation, respiration, etc.) consomment pour leur accomplissement certaines substances en certaine quantité; l'énergie disponible par la consommation de ces substances se retrouve à peu près intégralement sous forme de chaleur dans l'organisme, le travail mécanique de ces fonctions physiologiques s'épuisant presque totalement en frottements internes. Soit q(phi) la quantité de chaleur ainsi produite dans l'organisme par unité de temps. En même temps, la quantité de chaleur soustraite à l'organisme dépend de l'excès e de la température du corps sur celle du milieu ; soit Q(e) cette quantité. Chez les animaux en général, le mécanisme nerveux qui crée l'homéothermie n'étant pas constitué, la chaleur cédée par l'organisme au milieu, en régime stable et au repos, ne peut être que q(phi), et la température du corps s'établit par rapport à la température ambiante, de telle sorte que Q(e) égale précisément q(phi), (q(phi) étant lui-même fonction de la température, de la même façon que les réactions chimiques). Chez l'homéotherme la température du corps étant constante, q(phi) est constant, mais e, et par conséquent Q(e), varient avec la température ambiante. Donc en général Q(e), et q(phi), ne seront pas égaux; dans le cas considéré (cas le plus ordinaire), Q(e) > q(phi); nous avons vu en effet qu'une élévation de la température ambiante diminue la chaleur produite et dégagée; il y a donc, outre q(phi), de la chaleur supplémentaire, produite pour maintenir la température du corps, de la thermogenèse pure; soit q(theta) ce complément positif à q(phi): on a Q(e) = q(phi) + q(theta). (La température extérieure s'élevant, Q(e) tend vers q(phi), q(theta) vers 0, et, pour une température suffisante, q(theta) sera négatif, ce qui a un sens physiologique clair; c'est l'entrée en jeu des mécanismes de réfrigération, sueur, polypnée); q(theta) constitue ce que j'ai appelé la marge de la thermogenèse.


Toute la question de savoir si les divers combustibles alimentaires se substituent les uns aux autres exactement suivant leur valeur calorique (substitutions isodynames), ou bien suivant la proportion qu'ils peuvent fournir de tel combustible particulièrement exigé (substitutions isoglycosiques, par exemple) revient à déterminer si les quantités de chaleur dégagées par la transformation rentrent ou non dans la marge de la thermogenèse. On peut bien dire qu'en général l'isodynamie s'applique; ses limites varient avec la température du milieu, et, probablement, avec la taille de l'animal; le calcul montre que, chez l'homme, la limite est dépassée dans le cas d'un fort repas de viande (131). 11 faut faire intervenir aussi la marge de la thermogenèse dans l'étude de la ration de travail; le supplément de ration nécessité par la production d'un même travail mécanique extérieur à l'organisme, diffère suivant la répartition de ce travail dans le temps (40, 83).

M. Lefèvre (du Havre) est arrivé d'une façon parallèle et indépendante à formuler autrement la même notion. En 1906, dans une belle expérience dont j'ai utilisé les résultats, il a donné (sur l'homme) la seule détermination expérimentale que je connaisse de la marge de la thermogenèse. En 1902, quand il a commencé à s'occuper théoriquement de la question, j'ai eu l'occasion de faire remarquer que, dès 1894, j'avais explicitement tenu compte de la distinction que nous avons l'un et l'autre précisée plus tard, entre la chaleur totale dégagée, et la chaleur dégagée en même temps par le travail intérieur qui ne peut s'arrêter (83).


  • Sur l'explication physiologique de l'usage du sel.
  • 1896
    • (51). Documents ethnographiques sur l'alimentation minérale, L'Anthropologie, numéro de mars;
    • (52). Sur l'explication physiologique de l'usage du sel comme condiment, Société de Biologie, 30 mai.
  • 1908
    • (162). Sur l'explication physiologique de l'usage du sel; discussion contre Bunge de certains documents ethnographiques, Société de Biologie, 6 juin.

L'usage du sel, c'est-à-dire du chlorure de sodium ajouté aux aliments, est répandu dans le monde entier; non que tous les peuples aient cet usage, mais partout les voyageurs sont frappés comme par une exception lorsqu'ils rencontrent des populations méprisant ce condiment. Les physiologistes ont par suite été amenés à considérer le sel comme nécessaire; mais nous n'avons pas d'explication physiologique de ce besoin. Une théorie très séduisante a été proposée par M. Bunge.

L'alimentation végétale est la condition du besoin du sel (chlorure de sodium), car on observe régulièrement la concomitance des deux faits. Un grand nombre d'animaux herbivores soit domestiques, soit sauvages, recherchent avidement le sel; on n'a jamais rien observé de pareil pour aucun carnivore. Parmi les hommes, les populations agricoles, c'est-à-dire celles dont la nourriture est surtout empruntée aux végétaux, consomment du sel. Lorsque les conditions géographiques font que ce minéral est rare dans une région habitée par des agriculteurs, ceux-ci considèrent le sel comme extrêmement précieux et le recherchent avec une avidité frappante. Au contraire, les peuples chasseurs et pasteurs ne consomment pas de sel, même quand ils vivent dans le voisinage de la mer, des sources salées ou d'efflorescences salines. Or, si l'on compare la composition minérale d'un régime carnivore, d'une part, et d'un régime végétal de l'autre, on voit que la différence caractéristique porte, non pas sur l'absence de sels de sodium dans le régime végétal, mais sur un grand excès de sels de potassium dans ce régime. Bunge admet, en vertu d'un raisonnement précis, que le passage de ces sels de potasse à travers l'organisme tend à dépouiller celui-ci de son chlorure de sodium. C'est à couvrir cette perte qu'est destinée l'ingestion volontaire du sel marin.

Dans cette théorie il y a deux points distincts:

  • 1) Le régime végétal est la cause du besoin de sel, ou du moins coexiste toujours avec l'appétit pour ce condiment. Ce point parait acquis. Pour ce qui regarde l'homme en particulier, l'enquête ethnographique à laquelle s'est livré Bunge est très démonstrative; et les faits nouveaux la confirment. C'est ainsi que j'ai pu, dans le voyage de la Sémiramis, noter celui-ci, dans une région sur laquelle Bunge avouait manquer de renseignements, l'Insulinde. A Florès, les indigènes essentiellement agricoles ont, malgré l'état peu avancé de leur industrie en général, constitué une méthode assez perfectionnée pour l'extraction du sel marin. Pendant la saison sèche de chaque année, les villages envoient au bord de la mer un petit groupe de femmes qui vient y camper sous les palétuviers pour se livrer à la préparation du sel. La boue noire que les racines des palétuviers maintiennent au niveau des hautes marées, se sature de sel au point que sa surface est blanchie par les efflorescences. Cette boue saline sert à préparer par lixiviation une solution à peu près saturée qui est ensuite dans une bassine porté à l'ébullition jusqu'à ce que le sel commence à cristalliser à chaud; la bouillie cristalline est alors versée sur un filtre grossier de feuilles de latanier tressées; les cristaux sont retenus, les eaux-mères s'écoulent à travers le filtre, et, s'évaporant encore à l'air libre, déposent une sorte de stalactite à la pointe du filtre. Le sel ainsi obtenu est tout à fait blanc, et parait du chlorure de sodium aussi pur que notre meilleur sel de cuisine.
  • 2) Le second point serait l'explication physiologique du premier; le besoin de sel est causé par l'ingestion excessive de sels de potassium; il répond à un déficit en chlorure de potassium;

je pensai trouver un contrôle de cette théorie dans le fait suivant. Les explorateurs de la région du Congo nous ont fait connaître que les indigènes remplacent le sel marin par un sel extrait des cendres de certaines plantes. Cette contrée est dépourvue des gisements naturels de sel, et, en fait jusqu'à une époque récente, était privée de communications avec la mer; les nègres qui l'habitent sont agriculteurs; il est intéressant de constater qu'ils se sont ingéniés à se procurer malgré tout un sel de cuisine. Mais ce sel est-il du chlorure de sodium, ou tout au moins un mélange de sels où le métal dominant soit le sodium? Les végétaux sont généralement riches en potassium, mais il y a quelques exceptions. Si les nègres africains avaient su trouver de ces plantes exceptionnelles pour les incinérer et en tirer un sel sodique, la théorie de Bunge se trouvait confirmée d'une façon éclatante. Je m'efforçai d'obtenir des renseignements sur ce point; j'en cherchai inutilement en Abyssinie, quand j'y passai en 1892; enfin, en 1895, mon ami le Docteur Herr, à qui j'avais, lors de son départ, signalé la question, me rapporta d'une exploration sur la Sangha un échantillon de sel de cendres.

Pour préparer ce sel, les nègres prennent systématiquement certaines espèces de plantes aquatiques, notamment une aroïdée flottante, "Pistia Stratiotes", qui serait même cultivée dans ce but. Ces plantes sont récoltées, séchées, incinérées; les cendres sont placées dans un panier conique formant filtre, épuisées par de l'eau; la solution est concentrée par ébullition dans un vase de terre où on la laisse cristalliser par refroidissement.

Ce sel de cendres est essentiellement potassique, à telle enseigne que, placé dans la flamme d'un bec Bunsen, il donne une coloration violette (or, 1 p. de NaCl mélangé à 20 p. de KCl donne déjà une flamme nettement jaune). J'indiquai cette constatation comme inconciliable avec la théorie de Bunge (51 et 52). Bunge, en soulevant d'ailleurs des doutes discrets sur la valeur de mon analyse, répondit qu'il s'agissait là d'une aberration de l'instinct, sans signification physiologique. Je lui envoyai un échantillon de mon sel; il vérifia que ce sel contenait 200 de potassium pour 1 de sodium. Bientôt Léon Fredericq confirmait, en l'étendant, le fait signalé par moi, et déclarait se rallier entièrement à mon opinion, et quelques années plus tard, Abderhalden donnait une nouvelle observation du même genre.


Cette année même, M. Bunge a repris la discussion. Il s'agit de savoir, dit-il, si l'usage de ces sels potassiques constitue « la règle pour les tribus nègres de l'Afrique ou si ce n'est pas plutôt l'exception ». Il a donc cherché à se procurer ce qu'il appelle des succédanés du sel de cuisine provenant de diverses régions de l'Afrique, de façon à dresser une espèce de statistique comparative des sels potassiques et des sels sodiques. Cinq échantillons lui ont été adressés par deux voyageurs; tous les cinq se sont révélés à l'analyse plus riches en sodium qu'en potassium; j'ai fait remarquer ceci (162). Tous les sels potassiques ont été recueillis dans une région continue qui commence à quelque distance au sud du lac Tchad et se prolonge vers le Sud-Est jusqu'à 3000 kilomètres de là; c'est tout le bassin du Congo, plus des annexes. Tous les sels sodiques de Bunge ont été recueillis dans d'autres régions, et la plupart d'entre eux sont des sels de sebkha, une forme naturelle bien connue du vrai sel de cuisine. Les documents invoqués par Bunge ne diminuent donc en rien la signification de la coutume congolaise. Dans toute une étendue six fois grande comme la France, pour 20 ou 25 millions d'êtres humains, l'usage des sels de cendres à base de potasse était la règle; dans cette étendue, on n'a encore signalé aucune exception. Le fait que j'ai opposé à la théorie de Bunge est donc plus que jamais valable. Quant à l'explication à mettre à la place de celle-là, j'ai noté que d'autres condiments, les piments, par exemple, sont également très recherchés par les peuples agricoles; la nourriture par les céréales étant généralement fade, c'est comme excitant sensoriel que le sel serait employé. Il semble donc que Salluste ait, à propos d'un cas particulier, embrassé la question tout entière, lorsqu'il écrivait: "Numidae plerumque lacte et carne ferina vescebantur, et neque salem neque alia irritamenta gulae quaerebant".


  • Sur l'intensité des combustions vitales aux diverses altitudes et sa mesure.
  • 1901
    • (82). Observation sur une communication de M. Hénocque intitulée: "Etude de l'activité de la réduction de l'oxyhémoglobine dans les ascensions en ballon, Société de Biologie, 23 novembre.
  • 1904
    • (100). Observation sur la communication de M. X intitulée: "Expériences faites au MontBlanc en 1903 sur l'activité des combustions organiques aux hautes altitudes, Société de Biologie, 16 août;
    • (100 bis). Critiques générales sur la mesure de l'activité des échanges par la méthode de Hénocque, Société de Biologie, 12 novembre.

L'intensité des combustions vitales chez les homéothermes, étudiée du côté des apports alimentaires, m'était apparue comme réglée avec précision par la déperdition thermique et fort peu dépendante de toute autre condition. Aussi, quand M. Hénocque, en 1901, apporta à la Société de Biologie une série d'expériences, exécutées soit dans la montagne, soit en ballon, et démontrant que les combustions de l'homme augmentent avec l'altitude, jusqu'à doubler pour une altitude de 3 à 4000 mètres, j'émis des doutes sur la signification des résultats, et notamment sur la valeur de la technique; quelque temps auparavant, j'avais essayé cette technique pour mes recherches personnelles et j'avais été amené à la rejeter complètement. En 1904, M. X, après des observations faites au Mont-Blanc avec la méthode de Hénocque, vint affirmer sans réserve que les combustions organiques diminuent à mesure que l'altitude augmente. Je fis remarquer la contradiction entre ce résultat et le précédent, tandis qu'il parait certain que l'altitude n'a aucune influence par elle-même; je réitérai que la méthode de Hénocque, si elle est d'une facilité d'emploi séduisante, donne des résultats quelconques. Environ six mois plus tard, M. X. vint apporter d'autres expériences faites par la même méthode. Je publiai alors « afin de réaliser pour l'avenir une économie de temps » une critique systématique de cette méthode. La méthode de Hénocque, systématisation malheureuse d'une amusante expérience de Vierordt, consistait à arrêter par une ligature élastique la circulation dans un doigt (le pouce), à observer, avec un petit spectroscope à vision directe, la lunule de l'ongle coloré en rose par le sang sous-jacent et à noter combien de temps après la ligature les deux bandes du spectre de l'oxyhémoglobine disparaissent. Les défauts sont:

  • 1) Manque de précision dans les lectures;
  • 2) Ignorance de la quantité d'oxyhémoglobine à réduire (la proportion dans le sang n'a qu'un rapport vague avec la question);
  • 3) Détermination sur une portion du corps formée d'os, de tendons, de tissu conjonctif, et conclusion pour l'ensemble de l'organisme, où le foie et les muscles jouent le rôle principal;
  • 4) Température variable du pouce, qui peut ainsi présenter, dans un milieu froid, une diminution de ses échanges pendant que les échanges de l'ensemble de l'organisme augmentent;
  • 5) A posteriori, contradictions flagrantes entre les résultats publiés par divers observateurs.

Depuis ce moment, on n'a plus entendu parler à la Société de Biologie de la méthode de Hénocque.


  • Appendice: Elimination de l'azote
  • Dosage de l'azote urinaire.
  • 1888
    • (4). Notes sur un nouvel uréomètre, Société de Biologie, 18 février 1894.
    • (35). Sur le procédé de Kjeldahl-Henninger pour le dosage de l'azote, Société chimique, 23 novembre.

J'ai imaginé, pour le dosage de l'azote urinaire par l'hypobromite, un dispositif permettant d'ajouter le réactif ad libitum pendant toute la durée de la réaction; l'ensemble du dispositif, établi en vue des dosages d'urée dans un laboratoire clinique, vise à réaliser la plus grande simplicité de manoeuvre, lorsqu'on a un grand nombre d'opérations consécutives à exécuter (4). Ce même dispositif s'est montré apte au dosage de l'azote total, si après avoir transformé l'azote en ammoniaque par l'acide sulfurique (Kjeldahl), on veut, comme l'avait proposé Henninger, faire réagir l'hypobromite sur la solution neutralisée et mesurer l'azote mis en liberté (35).


  • Sur l'élimination de l'azote.
  • 1891
    • (18). Note sur l'action des alcalins, Société de Biologie, 31 octobre.

L'action des alcalins sur les échanges azotés venait d'être étudiée dans une importante série de recherches en Allemagne; on avait établi notamment ceci: sur des hommes en bonne santé, avec régime d'entretien bien réglé et élimination d'azote constante, l'ingestion d'alcalins (citrate de soude) ne change pas la moyenne, mais provoque dans l'élimination journalière de grandes irrégularités. Je suis arrivé au résultat précisément inverse, en expérimentant la même substance, aux mêmes doses, sur un arthritique dont le régime, non réglé, comportait en général un excès de viande. En l'absence du médicament, l'urée journalière (très irrégulière naturellement en régime libre), oscillait de 29 à 48 grammes, moyenne 38 grammes. Sous l'influence du médicament, le régime restant libre, et les conditions d'alimentation d'ailleurs identiques, oscillait de moins d'un gramme autour de 33 grammes. Le sujet accusait, pendant les périodes d'alcalinité, une sensation marquée de bien-être. J'avais antérieurement (23) indiqué théoriquement la différence à établir pour l'action d'un médicament comme les alcalins, suivant qu'on l'administre à un sujet normal, ou à un sujet présentant une déviation des phénomènes nutritifs. Le fait signalé ici me parait une illustration assez curieuse de cette différence.


  • Sur la toxicité urinaire.
  • 1894
    • (34). Recherches sur les variations physiologiques de la toxicité urinaire, avec Ch. Marette, Société de Biologie, 21 juillet.
    • Thèse de Ch. Marette, même titre. Faculté de médecine de Paris, même date.
  • 1900
    • (77). Observations sur la détermination de la toxicité urinaire, Société de Biologie, 9 juin.

Après que M. Houchard eut démontré l'existence de la toxicité urinaire, on avait fait de nombreuses recherches sur les variations pathologiques de cette toxicité; on n'avait à peu près pas examiné l'influence des conditions physiologiques diverses. J'ai entrepris cette étude avec M. Ch. Marette. Nos recherches ont porté sur trois hommes en bonne santé, âgés de vingt-six à trente-deux ans. Toutes les urines émises étaient recueillies, pendant plusieurs jours consécutifs, par périodes de vingt-quatre heures. Dans ces urines de vingt-quatre heures, nous avons dosé l'acidité, l'urée, l'azote total, les cendres, les acides sulfoconjugués, et la matière colorante (celle-ci simplement par la colorimétrie). L'essai de la toxicité était fait sur une portion aliquote de l'urine des vingt-quatre heures (1/4 ou 2/5, suivant le poids du sujet) ramenée au volume fixe de 100 centimètres cubes, par évaporation sous pression réduite, à basse température. L'urine concentrée et neutralisée était injectée dans la veine de l'oreille d'un lapin à la vitesse de 2 centimètre cubes par minute. L'injection était poussée jusqu'au moment où l'animal mourait; on calculait d'après le volume nécessaire pour amener la mort d'un animal d'un certain poids, le poids qui aurait pu être tué par la totalité des urines des vingt-quatre heures; ce chiffre de kilogrammes représente le degré de toxicité. Nous avons observé chez les sujets les variations des fermentations intestinales, en prenant comme mesure de celles-ci la quantité d'acides sulfoconjugués de l'urine; nous avons fait varier l'alimentation; nous avons enfin soumis les sujets à un travail musculaire plus ou moins intense. Voici les faits principaux qui ressortent de nos expériences. Il n'y a de rapport constant entre aucun des éléments de l'urine que nous avons dosé et la toxicité urinaire. En particulier, la quantité de matière colorante, d'une part, et les pouvoirs myotique et toxique, de l'autre, ne présentent pas de rapport constant, et peuvent même varier en sens inverse. Le pouvoir myotique de l'urine est détruit par l'ébullition; il résiste au chauffage à 80 degrés. Quand les acides sulfoconjugués présentent un excès notable sur la normale, la toxicité est augmentée. Les variations du régime alimentaire entre les limites habituelles n'ont pas d'action sensible.


Un régime composé exclusivement de lait et de riz diminue les fermentations intestinales et fait baisser la toxicité urinaire, Le régime lacté exclusif, comprenant une quantité de lait suffisante pour l'appétit d'une personne active, soit 3 à 4 litres par jour, augmente notablement la toxicité urinaire; cette toxicité présente un maximum le troisième jour. Les acides sulfoconjugués sont diminués; la quantité de matière colorante est diminuée; les urines deviennent fluorescentes. Les sujets perdent de leur poids. L'exercice musculaire, plus ou moins intense, mais n'entraînant pas un sentiment de fatigue prononcé, n'a pas d'action sur la toxicité urinaire. Le tableau des phénomènes toxiques chez l'animal soumis à l'injection est resté sensiblement le même dans les divers cas, c'est-à-dire que la toxicité urinaire a varié quantitativement, mais non qualitativement.

Le fait général qui résulte de cette étude, c'est que les diverses conditions étudiées n'ont d'influence que lorsqu'elles sortent des limites physiologiques; alors, elles augmentent la toxicité. L'accroissement de toxicité par le régime lacté exclusif était tout à fait paradoxal; les médecins du monde entier, en effet, prescrivaient le lait pour diminuer la toxicité urinaire, sans qu'aucun, d'ailleurs, eût jamais vérifié le phénomène. La toxicité ayant été plus que doublée dans nos expériences, nous avons pu être très affirmatifs et maintenir notre fait contre toutes les objections. Quelques années plus tard, en 1903, Widal et Javal démontraient que l'action bienfaisante du régime lacté tient à une cause tout autre que la prétendue diminution de toxicité.



  • Chapitre V: Recherches sur l'excitabilité musculaire et nerveuse

Excitation par des passages courts de courant constant

  • 1903. Expériences sur la loi d'excitation électrique chez quelques invertébrés. Société de Biologie, 9 mai, Académie des Sciences, 11 mai. L’Expression nouvelle de la loi d’excitation électrique. Société de Biologie, 13 juin, Académie des Sciences, 15 juin. Recherches sur la loi d’excitation électrique, Journal de Physiologie et de Pathologie générale, septembre et novembre (toutes les publications ci-dessus avec Marcelle Lapicque).
  • 1904. Pouvoir d’excitation du régime permanent du courant électrique sur le nerf moteur. Congrès international de Physiologie de Bruxelles.
  • 1905. Sur l’excitation des nerfs par les ondes électriques très brèves. Société de Biologie, 18 février. Académie des Sciences, 20 février.
  • 1907. Première approximation d’une loi nouvelle basée sur une conception physique du phénomène. Société de Biologie, 18 avril.
  • 1908. Expérience montrant qu’il n’y a pas une durée limite pour l’excitation. Journal de Physiologie et de Pathologie générale, juillet.

Je suis obligé, en tête de ce premier paragraphe, de faire brièvement un historique remontant assez loin ; cet historique servira d’ailleurs pour l’ensemble du chapitre. La loi classique de l’excitation (loi de Du Bois-Reymond) fait dépendre l’action du courant uniquement de sa période variable. On l’exprime généralement en bref par la formule suivante : « L’excitation est fonction de la dérivée de l’intensité du courant par rapport au temps. » Cette loi est basée sur les deux faits fondamentaux que voici, constatés sur le gastroenémien de la grenouille (excité par le sciatique) : 1) en fermant brusquement sur le nerf (au moyen d’électrodes impolarisables) un circuit comprenant une force électromotrice constante, on a une réponse élémentaire (secousse) du muscle au moment de la fermeture ; repos pendant tout le temps que ce courant passe ; puis une nouvelle secousse quand on rompt brusquement le circuit ; 2) si on fait passer dans le nerf un courant croissant lentement à partir de 0, on n’obtient pas de réponse, quelle que soit la valeur finalement atteinte par l’intensité. Mais d’autre part, Adolf Fick (1863) sur le muscle adducteur des valves de l’anodonte, constatait que la durée de passage du courant constant entrait en ligne de compte pour l’excitation. Theodor Wilhelm Engelmann (1870) faisait la même constatation sur l’uretère. Pour obtenir, par exemple, sur ces tissus la même réponse que par un courant donné passant pendant une demi-seconde, il faut un courant plus faible si le courant passe pendant une seconde, plus fort s’il ne passe que pendant un quart de seconde. On considéra, malgré Fick et Engelmann, ces faits comme répondant à une excitabilité différente de celle étudiée par Du Bois-Reymond, et on leur attribua peu d’importance. En 1901, M. Georges Weiss réalise un dispositif permettant d’obtenir des passages de courant d’une durée nettement réglée, de l’ordre du millième de seconde et au-dessous (rhéolome balistique : une balle tirée à une vitesse de l’ordre de 200 mètres à la seconde coupe deux fils séparés par une distance mesurée ; le circuit d’excitation passe par le second ; le premier fait court-circuit par rapport au nerf ; le courant traverse le nerf pendant la durée qui sépare les deux sections). Sur le nerf de la grenouille, à mesure que la durée du passage diminue, entre 30 à 3 dix-millièmes de seconde, il faut augmenter l’intensité du courant pour obtenir toujours une même réponse. M. Weiss a établi une formule empirique exprimant cette relation. J’objectai qu’il pouvait y avoir dans ces expériences, conformément à la doctrine classique, deux excitations, l’une de fermeture, l’autre d’ouverture ; ce serait alors la réaction de ces excitations l’une sur l’autre, réaction variable suivant leur intervalle, qui expliquerait ses résultats, et non l’action réelle du régime permanent du courant. M . Weiss me répondit en expérimentant avec des ondes dédoublées. Soit, au lieu d’un passage de courant de durée 3, deux passages de durée 1 séparés par un intervalle de durée 1. On a ainsi, dans un même espace de temps, au lieu de 2 variations de courant, 4 variations ; l’expérience montre qu’il faut augmenter et non diminuer le courant pour obtenir toujours un même effet. La conception de Du Bois-Reymond était donc définitivement écartée.

L’ excitation produite par les ondes brèves doit être identifiée à l’excitation de fermeture.

Pourtant, il est incontestable que le muscle reste en repos pendant le passage du courant. Après les expériences de Weiss et les premières vérifications que j’en fis, les physiologistes tendaient à croire que la relation entre la durée et l’intensité « ne s’applique qu’aux excitations de durée très courte, la loi de Du Bois-Reymond expliquant au contraire assez bien les excitations de longue durée » (Hoorweg, 1903), Léon Fredericq, en 1904, était du même avis. Weiss lui-même disait : « Mes expériences ne me permettent pas de me prononcer sur ce qui se produit lorsque la durée de l’onde électrique dépasse la période latente. » Me refusant à admettre deux lois différentes pour ces deux cas, j’ai fait remarquer que la simple formule empirique de Weiss montrait l’intensité nécessaire comme tendant vers une constante quand la durée s’accroît indéfiniment. Puis j’ai réalisé des expériences destinées à montrer directement que l’excitation par les ondes très brèves est entièrement équivalente à l'excitation de fermeture des passages de courant prolongé.

1) L’excitation produite par une onde très brève naît dans les mêmes conditions que l’excitation de fermeture classique à l’électrode négative, quelle que soit la forme de l’onde.

J’ai employé pour déterminer le pôle excitant, le procédé unipolaire double d'Auguste Chauveau, le dispositif étant le suivant : sur une grenouille, les nerfs lombaires sont séparés de la moelle à leur origine, puis tout le corps de l’animal. Jusqu’à la naissance des cuisses, ayant été enlevé, on place les nerfs droits sur une électrode, les nerfs gauches sur une autre ; le circuit est ainsi fermé entre les nerfs droits et gauches par un large pont de substance musculaire qui forme pour chaque nerf, à cette extrémité, une électrode diffuse ; au contraire, les électrodes (impolarisables) sont terminées par un petit morceau de terre poreuse imbibée de solution physiologique, taillé de façon à présenter au contact avec le nerf un biseau relativement aigu. On a ainsi pour chaque nerf une électrode efficiente, tandis que le pont musculaire donne une électrode diffuse (indifférente). Avec ce dispositif, on peut observer, en fermant successivement pendant une ou deux secondes, sur le circuit d’excitation des courants d’intensités croissantes, que la première secousse apparaît du côté du nerf reposant sur la cathode, à la fermeture : ensuite, on a secousse à la fermeture de ce côté, secousse à l’ouverture du côté opposé, et que les phénomènes restent ainsi nettement tranchés dans un intervalle assez considérable d’intensités diverses (par exemple, en appelant 1 l’intensité provoquant la première secousse jusqu’à l’intensité 3 ou 4) finalement l’on a secousse dans les deux membres et à la fermeture, et à l’ouverture.

J’ai constaté qu’une onde de forme rectangulaire, obtenue par un rhéotome très rapide imité de celui de Weiss (balle de pistolet coupant successivement un court-circuit, puis le circuit principal), excite le nerf exclusivement à la cathode, quelle que soit la durée de cette onde entre un demi-millième et quatre millièmes de secondes. On sait que la même loi polaire existe pour l’onde d’ouverture d’un appareil d’induction. Pour des ondes présentant les formes ci-dessus, la conception ancienne de l’excitation peut s’accommoder de cette localisation, la fermeture étant toujours plus efficace que l’ouverture. A fortiori, la décharge du condensateur, qui se présente comme une apparition brusque du courant, suivie d’une décroissance logarithmique plus ou moins lente, doit suivre la loi de la fermeture. Mais on peut obtenir une onde de forme inverse, à croissance graduelle et à rupture brusque. Il suffit de placer dans le circuit du rhéotome balistique, entre le court-circuit et le point du circuit principal que coupe la balle, soit une self-induction, soit une capacité en dérivation. J’ai vérifié, parle galvanomètre balistique, que j’avais bien réalisé pour les conditions de l’excitation, une onde de la forme cherchée. Une telle onde, dans la conception ancienne, devrait être excitante d’une façon tout à fait prédominante par sa rupture. J’ai constaté que l’excitation qu’elle produit naît comme pour les ondes précédentes au pôle négatif.

2) Dans une onde très brève, la rupture du courant, c’est-à-dire la variation brusque, pour l’intensité, de la valeur maximale à 0, ne joue aucun rôle dans le phénomène de l’excitation.

Le gastrocnémien d’une grenouille ou d’un crapaud est attelé à un myographe : le nerf repose sur deux électrodes impolarisables. On fait passer dans ce nerf, au moyen d’un rhéotome balistique, un courant toujours de même intensité durant des temps qui seront successivement de 1, 2, 3, 4, 5 , etc. ; l’unité de temps étant inférieure au millième de seconde. Pour une intensité convenablement choisie, on observe que la réponse, nulle pour le temps le plus court, apparaît pour une certaine durée, augmente pour les durées suivantes, et atteint un maximum. Ce maximum étant atteint, à 5 millièmes de seconde par exemple, on dispose les fils de telle sorte que le court-circuit seul soit coupé par la balle, et que le courant, établi exactement dans les mêmes conditions que précédemment, dure indéfiniment. On observe alors une secousse qui est absolument la même que pour l’onde durant 5 millièmes de seconde. On peut donc dire que dans cette onde l’ouverture du courant ne jouait aucun rôle, puisque la suppression de cette variation d’intensité n’a modifié en rien le phénomène.

Relation expérimentale entre la durée et l’intensité liminaire.

J’appelle intensité liminaire l’intensité avec laquelle on atteint juste le seuil de l’excitation pour la durée considérée. La relation entre l’intensité liminaire i et la durée du passage t a été exprimée par M. G . Weiss dans la formule i = a/t + b (a et b, constantes). Cette formule est la simple interpolation de résultats d’expériences obtenus sur la grenouille verte avec des durées de passages comprises entre 3 et 30 dix-millièmes de seconde. Les expériences de Weiss étaient très bonnes, comme je l’ai vérifié : la formule traduit ces expériences avec une concordance presque exacte. Mais le champ expérimental était trop limité ; des écarts systématiques apparaissent lorsqu’on envisage des durées plus longues, ce qui est facile sur la grenouille même ; d’autre part, si on étudie des tissus à excitation plus lente, on retrouve, pour un certain ordre de durée (des centièmes ou même des dixièmes de seconde), un portion de loi conforme à la formule de Weiss ; mais on peut alors aborder pratiquement des durées assez courtes pour observer aussi de ce côté des écarts systématiques. Si la loi d’excitation, prise sur un petit arc, paraît se confondre avec une hyperbole équilatère, de part et d’autre de cet arc, on voit, en combinant les expériences ci-dessus, la courbe expérimentale s’écarter de l’hyperbole, restant au-dessous d’elle pour les temps plus courts, passant au-dessus pour les temps plus longs. Je me suis aperçu du premier de ces écarts aussitôt que j’ai étudié des tissus plus lents que le gastrocnémien de la grenouille. Pour étudier ces tissus (je préciserai plus loin la question de vitesse propre des tissus), j ’ai été en 1903 faire une série de recherches à la Station biologique d’Arcachon ; j’ai examiné divers muscles d’invertébrés. Ceux qui m’ont donné les résultats les plus intéressants sont : 1) le muscle adducteur de la pince du crabe (Carcinus mœnas) 2) le manteau de l’Aplysie (Aplysia punctata).

Voici un exemple pour chacun de ces objets :

  • 10 avril. Pince de Carcinus mœnas
  • Durée 0*0305 0*0205 0*0104 0*0061
  • Intensité 2,85 3,85 5,5 7,5 La formule de Weiss peut s’écrire, c’est même la forme que lui a donnée

son auteur, it = a + bt, elle est alors linéaire ; si on porte les expériences en graphique sous cette forme, les écarts sont très faciles à saisir. L’expérience prise comme exemple donne le graphique ci-contre.

  • 21 avril. Aplysia punctata, lambeau longitudinal du manteau.
  • Durée. 2*07 1*37 0*80 0*54 0*223 0*157 0*048
  • Intensité. 1,87 1,05 2,25 2,5 2,6 2,8 3,6

Le graphique ci-dessous montre nettement l’écart dont je parle. Les muscles longitudinaux du pied de l’escargot {Helix pomatia) m’ont donné aussi une loi expérimentale de même allure.

Ce résultat n’a pas été contesté. D’autre part, sur la grenouille, si on observe les intensités liminaires pour des durées croissantes, on arrive bientôt à une valeur constante ; la formule de Weiss rend compte, semble-t-il d’abord, de cette constance. En effet, si dans la formule i = a/t + b, on fait croître t indéfiniment, on voit que a/t tend vers 0, et i vers b. Mais cette extrapolation peut être confrontée avec l’expérience : la formule de Weiss montre alors une erreur systématique. Soit une valeur trouvée pour b dans une série d’expériences faites avec des durées comprises entre 3 et 30.10^(-4) secondes ; on fait de la même manière (rupture du court-circuit par la balle sur l’interrupteur balistique) une fermeture de courant indéfini (le second fil était placé hors du trajet de la balle et rompu ensuite à la main), et l’on cherche la force électromotrice qui donne le seuil de ces conditions : on trouve toujours une valeur nettement supérieure à b. Le résultat a été admis aussi, mais M. Cluzel en a donné une interprétation particulière. Il n’y aurait de disponible pour l’excitation qu’un temps limité à partir du début du passage du courant ; j’ai discuté cette hypothèse et j’ai fini par en démontrer l’inexactitude par l’expérience suivante. Avec le sciatique de la grenouille, l’intensité liminaire du courant constant à fermeture brusque ne varie plus quand le passage s’accroît au delà de 3 millièmes de seconde ; c’est cette durée que M. Cluzet, d’après ses chiffres comme d’après les miens, considère comme la limite du temps disponible pour l’excitation. En disposant dans le circuit une grande capacité, de façon à faire croître, puis décroître assez lentement le courant, j’ai constaté que la partie utile de l’excitation peut occuper 20 millièmes de seconde et davantage.

Excitation par décharges de condensateurs

  • 1903. La loi d’excitation électrique et les décharges de condensateurs (avec Marcelle Lapicque), Société de Biologie, 4 avril.
  • 1904. Oscillogrammes de diverses ondes électriques appliquées à l’excitation

musculaire, Journal de Physiologie et de Pathologie générale, septembre.

  • 1905. Sur la forme de la loi d’excitation électrique exprimée par la quantité (Réponse à M. Hoorveg). Société de Biologie, 8 avril. Sur la loi d’excitation électrique en fonction de la durée utile des décharges de condensateurs (avec Marcelle Lapicque). Société de Biologie, juillet.
  • 1907. Les théories récentes de l’excitation électrique et les décharges des condensateurs. Société de Biologie, 20 avril. Sur l’excitation par décharges de condensateur, détermination directe de la durée et de la quantité utiles. Société de Biologie, 27 avril. Sur les décharges de condensateurs (à propos de la note de M. Cluzet). Importance de la vérification des formules par la comparaison avec le courant constant. Société de Biologie, 4 mai. Réponse à la note de M. Cluzet intitulée : Sur l’excitation par décharges de condensateurs. Société de Biologie, 23 mai. Nouvelle réponse à M. Cluzet. Société de Biologie, 8 juin.

Relation entre la capacité et le voltage liminaire.

M. Hoorweg avait donné la formule empirique suivante : V = a/c + b*R (V, voltage de charge liminaire ; C, capacité ; R, résistance ; a et b, constantes). Si on exprime la quantité d’électricité en fonction de la capacité et qu’on prenne R constant, ce qui est pratiquement le cas de toutes les séries de déterminations, on a V*C = a + b*R*C, soit une droite. Cette relation n’est qu’approchée, comme la formule de Weiss pour les ondes rectangulaires ; elle est pratiquement exacte quand R*C a une valeur suffisante, mais pour C un peu petit, c’est-à-dire pour des durées de décharge très brèves, la courbe des quantités en fonction de la capacité s’infléchit au-dessous de la droite. Cette inflexion ne peut être attribuée à aucune cause expérimentale contingente ; elle tient à la nature même du phénomène.

Nous avons été les premiers à signaler cet écart entre l’expérience et la formule de Hoorweg ; ce fait a été confirmé par Cluzet, puis par L. Hermann.

Forme de la décharge du condensateur et de diverses ondes électriques dans les conditions de l’excitation.

On raisonne en physiologie sur les décharges du condensateur dans l’hypothèse que l’effet de la self-induction du circuit est négligeable. On se sert alors, pour exprimer l’intensité i du courant de décharge en fonction du temps t de la formule i = (V/R)*exp(-t/R*C). En 1903, dans le laboratoire d’enseignement physique de la Sorbonne, voisin du laboratoire de physiologie, M. Rothé employait un oscillographe d'André Blondel pour les recherches qui ont fait l’objet de sa thèse de doctorat. Grâce à la bienveillance de M. Edmond Bouty et à l’obligeance de M. Rothé, j’ai pu facilement avec cet appareil tout installé et tout réglé, enregistrer et contrôler de la façon la plus directe les formes des ondes de décharge du condensateur, traversant des muscles dans les conditions ordinaires de l’excitation. Sur la photographie reproduite ici (courbe de l’intensité en fonction du temps ; C = 10^(-6), R = 5.10^(3), V = 8 volts ; un centimètre d’abscisse, comme il est facile de le voir, vaut environ un centième de seconde), la forme de la décharge, nullement oscillante, répond à la formule théorique ci-dessus. Vers la fin de la décharge, la courbe présente bien quelques petites ondulations, mais aucune de ces ondulations ne passe au-dessous du 0, Nous nous sommes assurés qu’il s’agit là d’un accident dû à la vibration du mercure servant à la fermeture du circuit. Il est facile, par l’imagination, de rétablir la courbe régulière à travers ces accidents, qui reviennent à des interruptions.

J’ai profité de l’occasion pour vérifier diverses ondes dans les conditions de l’excitation et en obtenir une image directe. La figure 2 montre (même échelle sensiblement que la figure précédente) la polarisation des électrodes de platine (fil de 0,5 mm) enfoncées dans un muscle. FEM, 4 volts. Pour les ondes d’induction données par l’appareil de Du Bois-Reymond, l’oscillogramme est éminemment suggestif, assez différent d’ailleurs de la courbe classique établie théoriquement. M . Weiss en avait déjà publié des oscillogrammes ressemblant à ceux-ci. Dans les figures de Weiss comme dans les miennes, j'ai trouvé l’occasion d’une remarque nouvelle qui doit être prise en considération dans certaines expériences de physiologie : la courbe, de l'onde de fermeture n'est pas, en général, revenue au 0 quand se produit l'ouverture. Ce fait, déjà visible sur la figure 3, devient très apparent sur les oscillogrammes où l’onde est plus élevée (figure 4). Cela veut dire que le courant n’a pas encore atteint son intensité définitive dans la bobine primaire au moment où il est interrompu. Or, mon interrupteur était réglé à 50 vibrations doubles par seconde, ce qui n’est pas une rapidité excessive ; on fait souvent faire les interruptions d’un courant inducteur par un diapason à 100 V. D. La courbe dans le circuit primaire est encore très ascendante quand elle est rompue. La grandeur de l’onde de rupture dépendant de l’intensité acquise par le courant au moment de la rupture, il en résulte que si l'on fait varier le rythme des interruptions dans des conditions analogues, on ne change pas seulement le nombre des ondes dans l’unité de temps, mais encore leur grandeur. Si on met dans le circuit un muscle avec électrodes polarisables (fils de platine comme ci-dessus), on obtient sous une forme assez curieuse la décharge de la polarisation de ces électrodes après l'onde d’ouverture : la courbe remonte au-dessus du 0 et montre une onde semblable à l'onde de fermeture {figure 5). Les conditions sont celles d’un très grand nombre d’expériences ; c’est donc à tort que, dans ces cas, on croit avoir affaire à une onde simple lorsque, par un artifice quelconque, on a supprimé l'onde de fermeture. J’ai examiné en outre, au point de vue de l’interrupteur, un exemplaire du petit chariot de Ranvier si couramment usité ; les interruptions sont faites par une lame vibrante lestée, d’un type très répandu dans les bobines de Ruhmkorff et autres.

L’oscillogramme reproduit ci-contre (figure 6) montre fréquemment un petit accident à la fermeture (sans doute, rebondissement au moment du contact).

Durée et quantité utiles.

L’onde de décharge d’un condensateur revient asymptotiquement à 0. Au bout de combien de temps peut-on considérer la décharge comme pratiquement terminée au point de vue de son action physiologique?

J’avais commencé des recherches sur ce point, lorsque j’appris que M. Cluzet étudiait la même question ; je le laissai publier son travail (Thèse de la Faculté des Sciences de Paris, 1905), mais aussitôt je fis des réserves sur la valeur de sa démonstration. J’étais d’accord avec lui sur ce point que la durée utile est fonction de la capacité ; mais M. Cluzet croyait pouvoir déduire cette fonction de la loi de Weiss considérée comme exacte. J’avais montré que cette loi n’est qu’approchée et mes premiers résultats sur la durée utile des décharges de condensateurs m’avaient fait retrouver là une différence systématique. Le dispositif expérimental de Cluzet ne lui permettait pas en effet d’étudier le phénomène pour des ondes un peu rapides ; il n’avait pu opérer avec sécurité qu’à partir de deux millièmes et demi de seconde ; l’objet physiologique étant le gastrocnémien de la grenouille verte (excité par le nerf), on est presque à la limite des durées qui peuvent entrer en ligne de compte ; c’est-à-dire que pour le courant constant qui passe pendant deux millièmes et demi et pour le courant de durée infinie, il faut des intensités peu différentes ; et de même, le condensateur dont la décharge utile dure un temps aussi long n’a besoin d’être chargé qu’à un potentiel légèrement plus élevé que celui sous lequel s’établissent les courants précédents. On peut donc avoir à faire à un phénomène sans rapport avec la décroissance logarithmique de l'onde. Justement l’année suivante, L. Hermann exprimait l’opinion que la partie utile des décharges de condensateurs est limitée à une durée fixe, indépendante de la capacité ; et ses calculs lui faisaient trouver pour cette durée une valeur généralement comprise entre deux et trois millièmes de seconde. La question était donc à reprendre ; c’est ce que je fis en 1907.

Dispositif. — Soient (figure 7) aa’, bb’ les deux fils du rhéotome balistique, coupés par la balle dans le sens indiqué par la flèche ; en P, la force électromotrice ; en R, une résistance de l’ordre de 10^(4) ; aa’ fait court-circuit ; le circuit d’excitation passe par bb’, par le galvanomètre G, va aux électrodes en E ; la résistance considérable constituée par le nerf, résistance additionnelle, en tout environ 200.000 ohms, est shuntée par une résistance R’ de l’ordre de 10^(4) ; en e et en g peuvent, d’ailleurs, être fermés des courts-circuits mettant E et G hors de cause. Le pôle de la pile relié à R est relié aussi, par une communication de résistance négligeable, à l’une des armatures du condensateur G. L’extrémité du circuit d’excitation, après E et R’, peut être mise en communication directe soit en p avec le second pôle de la pile, soit en c avec la seconde armature du condensateur. La communication étant établie avec p, le dispositif est exactement celui de Weiss. La communication étant établie en c, on pourra faire passer une portion de décharge du condensateur exactement dans les mêmes conditions de direction, de circuit, de fermeture et d’ouverture que l'onde rectangulaire précédente. On ferme g et e, on place les fils aa’ et bb’ ; le condensateur se charge au potentiel P sans ébranler le galvanomètre ni exciter le nerf : on ouvre g et e, on coupe aa’ ; le condensateur se décharge par le circuit R’GR ; et la décharge est interrompue net par la rupture de bb’. Le nerf est excité en dérivation ; la résistance de E étant grande par rapport à R, il faut des intensités assez fortes ; on peut faire au galvanomètre balistique directement la lecture des quantités qui ont passé par le circuit total ; d’autre part, la résistance qui entre en ligne de compte pour la durée de la décharge du condensateur pouvant ainsi n’être que de quelques dizaines de mille ohms, on obtient des durées assez courtes sans être obligé de recourir à des capacités minimes. Pour une capacité donnée, je cherche d’abord le voltage liminaire, en coupant seulement le premier circuit par une balle ; le second circuit restant intact, la décharge passe tout entière. Ensuite je coupe les deux fils par une même balle, d’abord à une distance relativement grande, puis je diminue la distance jusqu’à ce que la secousse minimale disparaisse.

Expérience. — L’expérience est nette ; pour un centimètre de l’appareil (un vingt-sept millième de seconde) en plus ou en moins, si on est bien au seuil comme voltage, l’effet physiologique d’une décharge liminaire reste intact ou disparaît.

  • Exemple : C = 2.10 ; R = 70.000 (environ) ; V = 0,185.
  • Centimètres 40 30 20 24 28 26 24 25
  • Réponse + + 0 0 + + 0 +

La durée utile, c’est la plus petite durée efficace ; ici, c’est 20 centimètres ; on voit que c’est une notion précise (au moins pour les capacités pas trop grandes). Elle est fonction de la capacité employée. Voici l’ensemble des déterminations faites sur la même préparation que ci-dessus ; l’excitabilité est restée remarquablement constante, ce qui a permis de faire une série assez complète :

  • CAPACITÉ VOLTAGE DISTANCE minimum DURÉE utile
  • 100.10^(-8) 0,106 49 cent. 1,81.10-3
  • 10 0,123 42 cent. 1,54
  • 5 0,140 36 cent. 1,35
  • 2 0,185 25 cent. 0,93
  • 1 0,255 17 cent. 0,63

Le rapport des quantités d’électricité correspondant à la décharge totale et à la partie utile a été mesuré par les élongations d’un galvanomètre balistique.

  • CAPACITÉ DÉCHARGE totale QUANTITÉ utile PROPORTION utile
  • 100 > 300 9,7 < 0,03
  • 10 37 8,7 0,23
  • 5 22 7,3 0,32
  • 2 12 6,4 0,44
  • 1 8 4,3 0,54

Si l’on calcule, par la simple formule de décroissance logarithmique, les quantités utiles en fonction de la décharge totale, de la capacité, de la résistance et de la durée observées, on arrive à des valeurs différentes. On trouve

  • pour 10 : 7,4
  • pour 5 : 7,1
  • pour 2 : 5,8
  • pour 1 ; 5,1

C’est-à-dire qu’il y a un retard à l’établissement du courant (self et capacité du circuit). Je n’ai jamais pu rendre ce retard négligeable. Pour quatre des durées utiles constatées, j’ai déterminé la force électromotrice constante produisant le même effet physiologique que la portion de décharge correspondante. J ’ai trouvé :

  • t 1,81 1,54 0,93 0,63
  • V 0,1045 0,107 0,130 0.1 Pour chaque valeur de t, les quantités calculées au moyen de ce tableau, V*t/R, apparaissent sensiblement égales aux valeurs déduites du tableau A par la formule VoC*(1 - exp (-t/C*R)). Cette égalité n’est qu’illusoire. En effet : dans un grand nombre d’expériences, j’ai déterminé au galvanomètre balistique les quantités dépensées respectivement par l’onde rectangulaire et par la portion liminaire de décharge durant le même temps et produisant le même effet physiologique. J’ai toujours observé, pour les excitations brèves, que l’onde du condensateur excite avec une quantité d’électricité moindre que l’onde rectangulaire de même durée ; les quantités sont à peu près égales pour les excitations plus durables.

Paramètre chronologique dans l'excitabilité

  • 1903. Sur la contractilité et l’excitabilité de divers muscles. Société de Biologie, 7 mars. Variation de la loi d’excitation électrique pour les divers muscles de la grenouille suivant la rapidité de contraction. Société de Biologie, 4 avril. Excitabilité et contractilité de divers muscles ; réponse à Mlle Józefa Joteyko. Société de Biologie, juillet. Recherches sur la loi d’excitation électrique. Journal de Physiologie et de Pathologie générale, septembre et novembre.
  • 1904. Durée du processus d’excitation pour différents muscles. Société de Biologie, 18 mars ; Académie des Sciences, 20 mars. Sur la grandeur des temps à considérer pour les phénomènes d’excitation ; comparaison de la grenouille à quelques invertébrés marins. Bulletin de la station biologique d’Arcachon.
  • 1906. Observations sur une communication de M. Zanietowski relative aux lois d’excitation. Société de Biologie, 27 janvier.

(Toutes les recherches ci-dessus en commun avec Marcelle Lapicque.)

Excitabilité et contractilité.

J’avais abordé les recherches sur l’excitation de la façon suivante. Je voulais comparer au point de vue de la contractilité un certain nombre de muscles squelettiques chez un même animal et chez divers animaux voisins (grenouilles et crapauds, par exemple), et chercher s’il n’y a pas une relation, comme il semble, entre la forme de contractilité et la fonction du muscle. Je retrouvai tout de suite un fait déjà vu, quoique généralement négligé ; chaque muscle a une courbe de secousse caractéristique ; la contraction élémentaire s’accomplit en une durée très variable d’un muscle à l’autre ; le triceps crural est plus rapide, le droit antérieur de l’abdomen notablement plus lent que le gastrocnémien (chez R. esculenta). Mais, en outre, la hauteur de la secousse maximale, produite par l’onde d’ouverture d’une bobine d’induction, est (toute proportion gardée quant à la longueur des fibres contractiles), inversement proportionnelle à la durée ; je reconnus que cette hauteur de la secousse ne mesure pas le degré de contractilité du muscle ; comparée au raccourcissement dans le tétanos, la secousse d’un muscle rapide (gastrocnémien de R. esculenta) atteint un raccourcissement presque égal, tandis qu’un muscle lent (droit antérieur de l’abdomen) en atteint à peine le cinquième. Si l’on excite le muscle au moyen des chocs d’induction produits par trois fermetures et ouvertures de courant se succédant à un centième de seconde, on obtient une courbe qui a encore la forme d’une secousse simple. Si on compare sa hauteur à celle de la secousse donnée par une seule excitation maximale, on remarque qu’elle est à peine augmentée pour le muscle rapide et plus que triplée pour le muscle lent. J’ai été ainsi conduit à me demander ce que signifie la secousse dite maximale, si elle représente, quant à sa hauteur du moins, une conséquence directe des propriétés physiologiques des muscles, ou bien si cette hauteur n’est pas l’effet d’une relation entre ces propriétés et la forme de l’excitation. Quand on rapproche, en effet, les deux bobines d’un chariot d’induction pour faire croître l’excitation, on fait croître seulement l’intensité d’une onde extrêmement brève (choc d’ouverture). En excitant les muscles lents par l'onde de fermeture qui est plus étalée, j’ai vérifié le fait constaté par Grützner et ses élèves, que le gastrocnémien de crapaud donne une secousse maximale plus haute que par le choc d’ouverture, plus intense. L’influence de la durée de l’excitation est ici évidente. D’ailleurs, un sait depuis longtemps qu’un muscle lisse se contracte par le passage d’un courant de pile même faible, tandis qu’il reste insensible à un choc d’induction très violent. Il faut donc, avant d’étudier la contractilité, étudier l'excitabilité, et se servir d’une excitation adéquate à chaque muscle ; la bobine de Bois-Reymond a été, d’une façon purement empirique, accordée pour l’excitabilité du muscle type, le gastrocnémien de la grenouille verte. C’est alors que Je suis passé à l’étude de l’excitation par les condensateurs et par les passages de courant constant.

Expression empirique de la vitesse d’excitabilité.

Pour les condensateurs, la formule de Hoorweg qui donne la relation entre la capacité C et la résistance R employées, et, d’autre part, le voltage V nécessaire, peut s’écrire V*C = a + b*R*C (a et b, constantes). Elle est seulement approchée, comme je l’ai montré. Pour les passages de courant constant, Weiss est arrivé d’une façon indépendante à la formule V*t/R = a + b*t (t, durée du passage, les autres lettres comme ci-dessus) ; cette formule est, je l’ai également montré, approchée comme la précédente, avec un écart du même sens. R*C est homologue à un temps ; les deux formules reviennent donc à une seule, exprimant en fonction de la durée de l’excitation la quantité d’électricité nécessaire ; leur degré d’approximation ne permet pas de discuter utilement sur elles, comme je l'ai encore montré, le temps réel de l’excitation par la décharge de condensateur. On peut donc, en première approximation, raisonner dans l’un et l’autre cas avec cette formule linéaire, facile à calculer et à représenter graphiquement.

Dans certains cas, pour les durées courtes sur les tissus lents, l’écart entre l’expérience et la formule devient important ; on a une courbe nettement concave vers l’axe des durées ; en opérant avec la formule linéaire sur deux points de cette courbe, on aurait une sécante inclinée plus ou moins fortement sur la partie sensiblement rectiligne présentée par l’expérience sur les durées plus longues. Je me suis servi d’une formule empirique, que je ne défendrais pas au point de vue mathématique, ni pour sa signification physique, mais qui m’a suffi numériquement ; au lieu de Q = a + b*t, j’écris Q = alpha + beta*t — gamma*V (alpha, beta, gamma, trois constantes) ; et pour la commodité du calcul, je fais la résistance, maintenue constante, égale à 1.

Raisonnant sur la forme la plus simple et la plus directement expérimentale, i*t = a + b*t, on trouve facilement que l’énergie dépensée passe par un minimum pour t = a/b, a est une quantité, b une intensité ; le rapport a/b est donc bien un temps. Ce rapport des paramètres de la formule empirique constitue un important paramètre physiologique, que j’ai le premier fait ressortir en 1903 et sur lequel j’ai insisté à diverses reprises.

Valeurs numériques expérimentales.

Exprimé en centièmes de microfarad (R = 25.000) cette durée caractéristique présente pour trois muscles de la grenouille verte à 16 degrés les valeurs suivantes (moyennes d’expériences peu divergentes) :

  • Triceps crural: 4
  • Gastrocnémien: 6
  • Droit de l’abdomen: 11

Ces durées classent les muscles dans le même ordre que leurs durées de contraction. En étendant mes recherches aux invertébrés, j’ai trouvé, comme je le prévoyais, avec une gamme de durées de contraction plus étendue, une gamme de durées d’excitation plus étendue. Exprimé en millièmes de seconde, le rapport a/b présente les valeurs suivantes pour les muscles suivants (les invertébrés marins à une température plus basse que les autres sujets, ce qui exagère sensiblement l’écart sans changer l’ordre) :

  • Gastrocnémien de Rana esculenta 0,3
  • — de R. fusca 0,7
  • — de Bufo vulgaris 0,9
  • Droit de l’abdomen, R. esculenta 1,3
  • Muscles longitudinaux du pied. Helix pomatia 4,8
  • Muscle ventriculaire, Testudo græca 8,2
  • Muscle adducteur de la pince, Carcinus moenas 30
  • Muscles longitudinaux du manteau, Aplysia punctata 80

L'ordre de ces durées est l’ordre des durées de contraction. La durée caractéristique la plus courte est à la plus longue environ comme 1 est à 300.

On avait beaucoup cherché la caractéristique de l’excitation, mais la question était mal posée, tant qu’on croyait à l’action exclusive de la période variable du courant. M. A . Waller était arrivé à une notion très proche de la vérité, en établissant une relation entre la durée de la décharge de condensateur dépensant le minimum d’énergie et une certaine inertie du tissu à exciter ; il prenait comme image la relation entre le roulis d’un navire et le rythme de la houle. En réalité, l’énergie n’entre pas en ligne de compte dans l’excitation physiologique, et sur les tissus lents, il arrive que le minimum d’énergie n’existe pas, en raison de l’inflexion de la courbe que j’ai signalée. M. Cluzet, après moi, dans sa thèse de la Faculté des sciences de Paris (1903), a développé théoriquement la signification physique des paramètres de la formule empirique de Hoorweg-Weiss ; considérant cette formule comme exacte, et non comme approchée, il en a tiré des déductions que j’ai expérimentalement démontrées inexactes. J’ai aussi réfuté l’opinion de M. Zanietowski (de Prague) qui interprétait comme une résistance spécifique le paramètre d’excitation propre à un nerf ou muscle donné.

Application.

Les valeurs ci-dessus s’entendent pour l’excitation liminaire ; s’il s’agit d’obtenir une contraction plus forte, j’ai vu qu’on trouverait des durées plus longues, peut-être dix fois plus longues s’il s’agit de la secousse maximale. Les appareils d’induction usités en physiologie donnent une onde d’ouverture dont la durée est voisine de 1 millième de seconde. On voit donc que cette excitation est trop brève, sauf pour le gastrocnémien de grenouille. Ainsi se trouve justifiée l’hypothèse dont j’étais parti, à savoir que cette excitation est mal adaptée à l’excitabilité des muscles lents. Sur les invertébrés, j’en ai obtenu des exemples assez frappants. Sur une pince de crabe, l’excitation maximale par un choc d’induction donne une courbe figurée dans la ligne inférieure du tracé ci-dessous ; cette courbe est admise classiquement comme la forme normale de la contraction élémentaire pour la pince du crabe ou de l’écrevisse. Si on emploie un courant d’intensité beaucoup plus faible, mais durant plusieurs centièmes de seconde, on obtient une contraction notablement plus haute et redescendant plus vite (ligne supérieure) ; on retrouve ici exactement la secousse du gastrocnémien de grenouille, mais beaucoup plus étalée sur l’axe des abscisses (la vitesse de la surface enregistrante, égale pour les deux courbes figurées, est d’environ 42 millimètres à la seconde).

Homochronisme du nerf et du muscle. Curarisation.

  • 1906. Comparaison de l'excitabilité du muscle à celle de son nerf moteur. Variation d’excitabilité du muscle dans la curarisation. Ces deux communications en commun avec Marcelle Lapicque. Société de Biologie, 26 mai et 9 juin.

En général, les recherches que j’ai exposées jusqu’ici ont été effectuées par l’excitation des muscles dits directs, c’est-à-dire les électrodes en contact avec le muscle lui-même. Ces recherches cadraient complètement avec les recherches des auteurs faites par excitation indirecte (électrodes sur le nerf moteur) et moi-même j’avais, dans certains cas fait indifféremment porter l’excitation sur le nerf ou sur le muscle. Pourtant, tous les traités de physiologie distinguent, au point de vue de l’excitabilité, le nerf et le muscle (comme s’il n’y avait qu’une espèce de nerf et qu’une espèce de muscle). Il était même admis d’une façon formelle, encore que vague, que le muscle est un organe lent, le nerf, un organe rapide. En effet, dans l’excitation dite directe, il est possible et même probable que l’action du courant, diffusant dans la masse du muscle, porte non sur les éléments musculaires, mais sur les arborisations nerveuses qui s’y répandent. Pour éviter cette ambiguïté, on employait deux procédés : 1) section préalable du nerf moteur qu’on laisse dégénérer jusqu’à ses extrémités ; 2) empoisonnement par le curare, qui d’après la théorie classique opère la section physiologique entre le nerf et le muscle par l’abolition fonctionnelle de la plaque motrice. Dans ces deux cas, on trouve le muscle plus lent à l’excitation (ce qu’on pouvait voir sans la définition que j’ai donnée de la vitesse d’excitation, car la différence est souvent très considérable). J’ai repris la question avec toute la précision que me permettaient mes recherches précédentes. Pour cela, il était nécessaire d’éviter avec soin les variations de température, qui ont une grande influence (j’y reviendrai un peu plus loin) et de maintenir les nerfs et les muscles assez longtemps en état d’intégrité. Je suis parvenu, avec divers dispositifs sans intérêt général, à ce que l’excitabilité reste constante pendant une et même plusieurs heures. Voici les résultats de mes examens :

1) Excitation indirecte. — La longueur du segment de nerf interposé aux électrodes, la forme plus ou moins aiguë de l’électrode active, modifient l’intensité du courant nécessaire ; le rapport des constantes a et b ne varie pas.

2) Excitation directe. — Ce rapport reste le même que dans l’excitation indirecte. Cette constance du rapport est remarquable, car il faut des intensités (ou des voltages) beaucoup plus considérables dans le second cas (à cause de la moindre densité du courant dans un organe beaucoup moins étroit).

Voici un exemple (les temps sont exprimés en centimètres de l’interrupteur balistique, 1 cm = 4.10 seconde) :

  • Rana esculata : Gastrocnémien. Température, 14 degrés :
  • Durée du passage Voltage nécessaire
  • Nerf droit Nerf gauche Muscle droit
  • 10 0,55 1,15 28
  • 20 0,40 0,80 21
  • 40 - - 15
  • 45 - 0,60 -
  • 50 0,30 - -
  • infini - 0,50 -
  • Constantes calculées sur ces chiffres
  • a 3,3 7 17,3
  • b 0,23 0,45 10,7
  • Rapport 14,3 15,5 15,2 On a donc affaire à une seule et même excitabilité dans l’excitation directe ou indirecte. Est-ce l’excitabilité nerveuse ? Voici ce que montre le curare. Si on donne la dose juste nécessaire pour supprimer l’excitabilité indirecte, on trouve régulièrement que le rapport

a/b est sensiblement doublé. Mais avec des doses croissantes, on voit que ce rapport va indéfiniment en augmentant, jusqu’à soixante fois sa valeur primitive. Si au cours d’une intoxication par une dose élevée on observe parallèlement la marche de l’excitabilité du muscle et la disparition de l’excitabilité indirecte, on voit celle-ci se produire au moment où le rapport a sensiblement doublé. La section physiologique entre le muscle et le nerf moteur se présente donc non pas comme l’effet essentiel de l’intoxication, après laquelle on observerait l’excitabilité propre du muscle avec une valeur fixe, mais comme un phénomène accessoire qui se produit à un moment où l’effet du poison est encore relativement faible. On avait indiqué que la strychnine à très forte dose, produit de son côté une curarisation, c’est à-dire supprime l’excitabilité indirecte, tandis que l’excitabilité directe persiste. Sur mes conseils, Marcelle Lapicque a étudié l’action de la strychnine. Elle a observé sur l’excitabilité définie par ses deux paramètres (excitation indirecte), que pour les doses faibles et moyennes, a diminue, b augmente ; a/b descend à la moitié de sa valeur. Pour les doses fortes et très fortes, a diminue d’abord, puis augmente jusqu’à l’inexcitabilité totale, le rapport demeurant, aussi longtemps qu’on peut le déterminer, aux environs de la moitié de sa valeur primitive. (Société de Biologie, 8 juin 1907.) Au congrès international de physiologie d’Heidelberg (août 1907), à propos d’une communication de M. Langley sur un tout autre phénomène, j’ai été amené à énoncer la conception suivante : la vitesse d’excitabilité d’un muscle et celle de son nerf moteur sont égales ; les poisons curarisants détruisent cet accord, le curare en ralentissant le muscle, la strychnine en accélérant le nerf. La section physiologique résulte de cet hétérochronisme quand le rapport des vitesses est devenu égal à 2 ou 1/2. Quant au muscle dont le nerf a dégénéré, il a dégénéré également ; histologiquement, on sait qu’il a rétrogradé vers un stade embryonnaire ; fonctionnellement, il a subi une involution de même sens. Influence de la température

  • 1904. Variation systématique de la loi d’excitation avec la température. Congrès international de physiologie de Bruxelles, septembre.
  • 1907. Influence d’une variation locale de température sur l’excitabilité du nerf moteur (avec Marcelle Lapicque). Société de Biologie, 12 janvier.

Dès nos premières recherches, nous avions constaté qu’un abaissement de température, qui ralentit la courbe de contraction du muscle augmente le rapport a/b de la formule d’excitation, l’élévation de température a l’effet contraire, accélérant à la fois la contractilité et l’excitabilité. L’excitabilité définie au sens ancien du mot, simplement par l’intensité nécessaire pour une durée toujours la même, apparaît comme augmentée par le froid. (Excitabilité directe.) C’est ce que l’on avait déjà constaté, en faisant remarquer le caractère paradoxal de ce phénomène au point de vue physico-chimique.

  • Exemple :
  • VOLTAGE NÉCESSAIRE
  • Capacité 16 10 6
  • 8 0,8 0,6 0,5
  • 6 0,82 0,65 0,58
  • 3 1,0 0,9 0,8
  • 1 1,75 1,6 1,55

En présentant une expérience de ce genre au Congrès de Bruxelles, j’indiquais théoriquement qu’on pouvait concevoir diverses explications physiques des paramètres résolvant le paradoxe (une excitabilité élémentaire augmentant avec la température, un décrément augmentant aussi avec la température, comme tous les phénomènes physico-chimiques). En 1896, Gotch et MacDonald avaient publié une série d’expériences remarquables sur la variation d’excitabilité nerveuse (mesurée par la hauteur de la contraction des muscles) sous l’influence d’un changement de température au point excité ; ils avaient observé que l’excitabilité augmente pour les chocs d’induction, diminue pour les courants galvaniques, avec l’élévation de la température. Gotch, dans un exposé daté de 1900, concluait ainsi : « Ces faits ne peuvent s’accorder qu’avec l’interprétation suivante, suggérée d’ailleurs par diverses observations : les courants induits de rupture excitent par la production de changements qui ne sont pas de la même espèce que ceux produits par les courants galvaniques plus prolongés ; le nerf échauffé étant dans un état de plus grande mobilité moléculaire est mieux excité par l’énergie qui lui est appliquée sous une forme rapide. »

J’ai repris les expériences de Gotch et MacDonald avec les décharges d’une série graduée de capacités.

  • Voici une expérience :
  • VOLTAGE CORRESPONDANT AU SEUIL DE l’EXCITATION
  • Capacité 12 27 13 25
  • 1.10 2,35 1,95 2,45 2,05
  • 2 1,38 1,15 1,45 1,25
  • 5 0,73 0,70 0,82 0,80
  • 10 0,55 0,00 0,00 0,05
  • 50 0,30 0,45 0,35 0,42

Après une interruption de vingt minutes :

  • Capacité 29 9
  • 1.10 1,85 2,75
  • 2,5 1,08 1,25
  • 5 0,80 0,82
  • 25 0,50 0,42

Si l’on considère, pour une température déterminée, la plus petite et la plus grande capacité, on retrouve, sous forme de mesure de l’excitabilité (inverse de l’intensité nécessaire), le phénomène de Gotch et MacDonald. Mais à chaque température la série des intensités nécessaires se présente comme une fonction continue de la capacité ; et l’excitabilité reste sensiblement invariable pour la capacité 5 ; c’est-à-dire que les lois d’excitation propres aux diverses températures se croisent au voisinage de ce point. Mises sous leur forme algébrique, ces lois montrent, avec l’élévation de la température, une diminution de a et une augmentation de b.

Première approximation d'une expression rationnelle de l'excitabilité

  • 1907. Première approximation d’une loi nouvelle de l’excitation électrique basée sur une conception physique du phénomène, Société de Biologie, 13 avril. Sur la nature du phénomène par lequel l’électricité excite les nerfs, Journal de physiologie et de pathologie générale, juillet. Recherches quantitatives sur l’excitation électrique des nerfs traitée comme une polarisation. Ibidem. Réponse à M. Weiss, Société de Biologie, 6 juillet.

Voulant pousser plus loin l’étude physique du phénomène de l’excitation, j’ai dû abandonner la formule empirique Hoorweg-Weiss. En 1899, à propos de l’inefficacité physiologique des courants alternatifs à grande fréquence, Walther Nernst avait émis l’hypothèse que l’excitation dépend d’une polarisation électrolytique produite par le courant quand il rencontre dans l’organisme une membrane hémiperméable. L’étude mathématique lui avait donné, entre la fréquence et l’intensité nécessaires pour produire dans une telle polarisation électrique une perturbation fixe, une relation simple assez bien vérifiée par les expériences physiologiques.

L’analyse mathématique du phénomène est d’un niveau assez élevé ; pour appliquer la séduisante hypothèse de Nernst aux simples passages du courant constant, j’ai essayé le modèle approximatif qui a rendu, en fait, depuis Hermann von Helmholtz, tant de services dans l’étude des polarisations ; c’est à savoir le condensateur.

Soit un condensateur, de capacité donnée K, ayant l’une de ses armatures au potentiel 0 ; l’autre armature est en communication à travers une résistance R avec une source de potentiel de niveau V ; les deux armatures sont reliées entre elles par une communication de résistance p.

Nous posons que le seuil de l’excitation est atteint quand le condensateur est chargé à un potentiel v.

J’ai, de la façon la plus expresse et dès ma première communication, donné ce schéma simple comme une première approximation ; j’ai, au même moment, noté qu’il ne rendait pas quantitativement compte de mes expériences ; j’ai ajouté, par la comparaison directe avec des expériences purement physiques sur des membranes hémiperméables, que c’était le schéma qui ne rendait pas compte de la polarisation des membranes, et non la polarisation qui ne pouvait s’accorder avec les faits et l’excitation physiologique. Néanmoins, ce schéma m’a été utile, et je crois, même aujourd’hui où je suis arrivé à une connaissance bien plus exacte des phénomènes, qu’il présente un certain nombre d’avantages pour l’intelligence de l’excitation physiologique.

On voit qu’au moment de la fermeture du circuit, le condensateur se charge, puis le courant continue à passer, avec une intensité qui n’a presque pas changé si p est petit par rapport à R ; mais la charge du condensateur reste invariable, jusqu’à la rupture du circuit. Si le potentiel nécessaire n’a pas été atteint dès les premiers moments de la fermeture, il ne le sera jamais. L’assimilation est intuitive avec le premier fait fondamental de l’excitation. Cherchons la valeur qu’il faut donner à V pour qu’au temps t après la fermeture du circuit, le condensateur soit chargé au potentiel v. Il vient :

  • V= v*[(R + rho)/rho]*[1/(1 - exp(-t*(R + rho)/(R*rho*K)))]

Transportant ce modèle à l’excitation électrique du nerf, R est la résistance du circuit d’excitation, segment de nerf compris ; K et rho dépendent de la membrane en contact avec l’électrode active. R est expérimentalement connu et constant ; K, rho, v sont constants par hypothèse. Nous pouvons donc poser :

  • V*[(R + rho)/rho] = alpha ; (R + rho)/(R*rho*K) = beta.

En substituant, nous obtenons :

  • V = (alpha)/[1 - exp(-beta*t)]

Cette formule rend compte, en gros, de la plupart des faits connus sur l’excitation ; je n’en retiendrai ici qu’une définition de l’excitabilité.

Quand la durée est très grande, V diffère très peu de la valeur constante alpha, et se confond pratiquement avec elle ; c’est ce que j’ai appelé le seuil fondamental. V tend plus ou moins rapidement vers alpha, suivant la valeur du coefficient beta. Si l’on fait beta = 2000, V ne différera de alpha que de un ou deux centièmes dès que la durée atteint seulement deux ou trois millièmes de seconde. Cela représente le cas du gastrocnémien de la grenouille ; sur un tel objet, Du Bois-Reymond est amené à croire que le seuil ne varie pas avec la durée du passage. Si l’on fait beta = 1, il faudra que la durée du passage atteigne plusieurs secondes pour que V se rapproche ainsi du seuil fondamental. C’est le cas des muscles très lents. Fick et Engelmann constatent facilement, sur de tels objets, que l’intensité nécessaire est fonction de la durée du passage.

L'excitabilité (l’inverse de V) est caractérisée par deux paramètres indépendants l’un de l’autre : une hauteur de seuil, un coefficient chronologique.

Je considère cette définition comme très importante pour la physiologie. Elle rend compte bien plus clairement de mes recherches antérieures (quoique la formule n’y soit pas numériquement applicable d’une façon exacte) ; elle m’a suggéré des recherches nouvelles. Excitabilité pour les courants progressifs

  • 1908. Orthorhéonome à volant. Excitabilité des nerfs différents pour des ondes lentes ou rapides, Société de Biologie, janvier. Excitation par double condensateur, Société de Biologie, 29 février. Excitation par double condensateur, influence de la température et de la vitesse propre du nerf (avec Marcelle Lapicque), Société de Biologie, 4 avril.

Le deuxième fait fondamental de l’excitation, (du Bois-Reymond), c’est que le nerf est inexcitable pour un courant électrique qui s’établit lentement. Si l’établissement est assez rapide, mais pas instantané, on constate une excitabilité relative, c’est-à-dire que pour provoquer un même effet physiologique, il faut atteindre une intensité beaucoup plus considérable que dans le cas d’une fermeture brusque. Von Kries, puis Grützner ont étudié quantitativement des faits de ce genre ; il n’en est pas sorti de conclusion nette, faute seulement d’une définition suffisante de l’excitabilité. En interprétant les travaux de ces auteurs, je suis arrivé à concevoir que l’inexcitabilité relative aux courants progressifs est fonction du coefficient chronologique défini par l’excitabilité aux courants constants de durée variable. J’ai refait des expériences systématiques par deux dispositifs différents.

Orthorhéonome.

Le principe de l’appareil est bien connu : une pointe de zinc se déplace à vitesse constante le long d’une gouttière remplie d’une solution de sulfate de zinc et parcourue par un courant électrique. Pour avoir des vitesses très différentes et bien réglées, j’ai fait construire un modèle spécial à volant, qui entraîne le point mobile quand il a atteint la vitesse voulue. J’ai disposé les bornes amenant le courant à la gouttière de telle sorte que la variation du courant monte linéairement, puis redescende aussitôt suivant la même pente (onde isocèle). Comme le faisait prévoir mon interprétation des travaux antérieurs, la comparaison de la grenouille au crapaud (gastrocnémien excité par le sciatique, sur électrodes impolarisables) montre que chez les deux animaux un courant commençant graduellement est moins efficace qu’un courant commençant brusquement, mais cette diminution d’efficacité est moindre chez le crapaud que chez la grenouille (Rana esculenta). Exemple. — Voici les voltages liminaires observés pour diverses ondes, sur une grenouille et sur un crapaud ; cet exemple particulier est typique :

  • COURANT INDÉFINI GRENOUILLE CRAPAUD
  • Fermeture brusque 0,05 0,08
  • ONDES ISOCÈLES
  • Durée de la montée
  • 0,02 0,125 0,130
  • 0,03 0,150 0,150
  • 0,04 0,180 0,165

Double condensateur.

Le schéma du dispositif est représenté par la figure ci-contre ; en C est la capacité qu’on charge, puis décharge par une clef de Morse, sur une résistance (sans self) R’ + R ; une capacité C’ est placée en dérivation entre R' et R ; le circuit d’excitation est placé en dérivation de a en b ; il présente une résistance très grande relativement à R et n’intervient que pour une part insignifiante dans le circuit de décharge. On peut calculer l’intensité du courant dans la portion a b pour des valeurs quelconques de C, C’, R et R’ ; on obtient une expression très compliquée. Si l’on prend C’ = C, et R’ comme un multiple de R, soit R’ = m*R, on trouve, en appelant i l’intensité à l’instant t après la fermeture du circuit de décharge, et V le potentiel de charge de la capacité C (e base des logarithmes naturels) :

  • i = [V/(R*sqrt(m^2 + 4))]*(exp(s_1*t) - exp(s_2*t)

avec

  • s_1 = [-(2 + m) + sqrt(m^2 + 4)]/(2*m*R*C)
  • s_2 = [-(2 + m) - sqrt(m^2 + 4)]/(2*m*R*C)

Une combinaison convenable pour l’expérience consiste à placer la seconde capacité aux trois quarts de la résistance, c’est-à-dire à prendre R’ = 3*R. Dans ce cas, en remplaçant dans la formule ci-dessus m par sa valeur 3, et effectuant, on obtient :

  • i = [V/(3,55*R)]*[exp(-0,242*t/(R*C)) - exp(-1,415*t/(R*C))] La courbe représentant cette formule est figurée en trait plein sur la

figure ci-dessous. Sur la même figure et à la même échelle est représentée à titre de comparaison, en trait interrompu, la courbe de l’intensité

  • i' = [V/(4*R)]*[exp(-0,25*t/(R*C))]

de la décharge ordinaire (c’est-à-dire de la même capacité C chargée au même potentiel et déchargé sur la résistance R + R’, la capacité C’ étant supprimée). L’unité d’abscisse est R*C ; si R est invariable dans une série d’expériences, les temps seront proportionnels à C. On voit sur la figure que la période ascendante est sensiblement égale à (3/2)*R*C ; pour fixer les idées, soit R = 20.000 ohms ; avec un centième de microfarad, la durée de cette période sera égale à trois dix-millièmes de seconde ; avec un microfarad, à trois centièmes de seconde. L’excitation par double condensateur (dans la série de grandeurs définie ci-dessus) appliquée au gastrocnémien de la grenouille, donne un résultat entièrement nouveau. En passant des petites capacités aux grandes, le voltage liminaire décroît, passe par un minimum puis recommence à croître. Si on applique cette forme d’excitation à des muscles (ou nerfs) ayant des vitesses différentes, ou si on opère sur un même muscle à des températures différentes, on voit la courbe figurant le voltage liminaire en fonction de la capacité subir des modifications systématiques. Avec un muscle lent ou une température basse, le minimum tombe sur des capacités relativement grandes ; le voltage liminaire atteint une valeur relativement élevée pour les petites capacités et remonte relativement peu pour les grandes capacités. Avec un muscle vif, ou une température élevée, on observe tout le contraire. C’est donc que les phénomènes traduits par les deux portions de la courbe sont fonction d’une même propriété du tissu observé. Cette propriété est celle qui conditionne le coefficient chronologique de l’excitabilité en général. Expérience de l’excitation élective.

Si on prélève deux préparations nervo-musculaires sur deux animaux différents par leur rapidité, il est assez facile d’obtenir deux courbes qui se croisent, la préparation la plus rapide exigeant un voltage plus faible que l’autre pour les petites capacités, la préparation la plus lente exigeant au contraire moins de voltage pour les grandes capacités. En plaçant simultanément sur les mêmes électrodes les nerfs de ces deux préparations, on peut donc obtenir à volonté, simplement par le choix de la capacité, la mise en activité d’une préparation à l’exclusion de l’autre, toutes deux recevant en même temps la même excitation. C’est une expérience que j’ai réalisée avec une patte de grenouille et une patte de crapaud. Obtenue avec des ondes électriques qui ne diffèrent que par la durée, et dont la forme est de même allure que la variation négative du nerf, cette excitation élective peut être d’un intérêt assez précis pour l’intelligence du fonctionnement nerveux.

Plan d'une théorie physique du fonctionnement des centres nerveux

  • (Note à la Société de Biologie, 28 décembre 1907.)

1) Dans les recherches ci-dessus, j’ai établi les faits suivants : L’excitabilité d’un nerf moteur est définie par deux paramètres (le processus d’excitation étant de la forme d’une polarisation) : un niveau du seuil, mesuré, dans une condition expérimentale donnée, par l’intensité du courant électrique qui, fermé brusquement et durant indéfiniment, provoque la secousse minimale ; un coefficient chronologique, suivant lequel l’intensité du courant excitant doit être plus ou moins rapidement augmentée à mesure que la durée du passage diminue. Dans un seul et même organisme, le coefficient chronologique de l’excitation varie considérablement d’un élément anatomique à un autre. Pour des courants s’établissant lentement, l’inexcitabilité d’un élément donné est d’autant plus grande que son coefficient chronologique est plus grand. 2) Les travaux de divers auteurs me donnent les faits suivants, dont quelques-uns sont classiques. L’onde de négativité fonctionnelle (variation négative du nerf) présente une phase de croissance, un maximum et une descente. Sa vitesse de translation et, par suite, la vitesse de variation du potentiel subi par un point du nerf, est fonction du même coefficient chronologique qui intervient dans l’excitabilité.

3) Le système nerveux est essentiellement discontinu (réseau de neurones) et hétérogène, (les divers neurones présentent des propriétés différentes). Les contacts entre neurones sont multiples ; le pôle émissif d’un neurone arrivant dans un centre nerveux est en relation avec les pôles réceptifs de plusieurs neurones. Les contacts sont établis en permanence par des surfaces définies. (Conceptions résultant des faits classiques et s’affermissant peu à peu à travers les discussions.)

4) La fonction primordiale des centres nerveux est de laisser passer ou non l’influx nerveux dans une ou plusieurs des directions anatomiquement constituées. (Définition acceptable, il me semble, pour tous les physiologistes, à condition d’y ajouter d’autres fonctions que j’ai le droit de considérer comme secondaires.)

5) Le contact du pôle émissif d’un neurone agit sur un autre neurone comme le contact de la cathode sur le nerf en expérience. L’onde de négativité fonctionnelle peut être traitée comme le courant expérimental. (Hypothèse.)

De ces données résulte déductivement qu’une onde de négativité fonctionnelle (influx nerveux) faible, arrivant par un neurone au contact de plusieurs autres, passera seulement dans le ou les neurones chronologiquement accordés avec le premier (réflexe localisé) et passera dans les autres si elle est plus intense (irradiation des réflexes). Cette donnée schématique s’accorde avec la plupart des faits connus du fonctionnement du système nerveux. Sur la théorie physico-chimique de l'excitation électrique

  • 1908. Sur la théorie de l’excitation électrique, Académie des Sciences, 18 mai. Sur la théorie de l’excitation électrique, un mémoire de 16 pages, Journal de physiologie et de pathologie générale, juillet.

M. Walther Nernst a repris, cette année même, la théorie de l’excitation électrique des nerfs ramenée à une polarisation de membrane ; il a étudié mathématiquement le changement de concentration à la membrane comme résultant des effets opposés du courant et de la diffusion ; puis, faisant l’hypothèse simple que c’est le changement de concentration à la membrane même qui est la cause de l’excitation, il applique la formule à un passage court de courant constant, et en déduit pour la loi d’excitation (voltage nécessaire V en fonction de la durée du passage t) : V = K/(sqrt(t)) (K = constante). Il vérifie cette formule par les expériences de divers auteurs, en première ligne par les miennes.

Je ne puis admettre cette formule de M. Nernst. Les écarts avec les expériences sont parfois considérables, toujours systématiques, et les arguments par lesquels M. Nernst veut expliquer ces écarts ne me paraissent pas fondés. J’ai proposé une hypothèse nouvelle, qui, je crois, présente une certaine importance.

Ce qui compte pour l’excitation, ce n'est pas la valeur du changement de concentration à la membrane, mais la différence dans la valeur de la perturbation considérée en deux points séparés suivant l’axe du nerf par un intervalle déterminé Delta.

Cette hypothèse purement mathématique, permet de faire cadrer d’une façon extrêmement exacte les expériences physiologiques et la théorie physico-chimique de la polarisation. Elle peut prendre un sens concret ; en effet, elle ramène le paramètre de vitesse dont je me suis longuement occupé à une finesse de structure. Le Delta calculé dans les divers cas examinés varie de 1 à 10 millièmes de millimètre, valeur plausible et d'un ordre accessible à l'histologie. Elle donne, pour la première fois, une explication de l’inefficacité relative des courants progressifs, du second fait fondamental de l’excitation, fait qui n’avait pu entrer jusqu’ici dans aucune théorie de l’excitation.

J’ai envoyé, il y a peu de temps, mon mémoire à M. Nernst et je n’ai pas encore reçu sa réponse ; je ne veux donc pas insister ici sur des points en discussion. Quoi qu’il advienne de ma théorie, je puis prendre acte que ce sont mes expériences qui forment pour M. Nernst et pour ses collaborateurs la base indiscutée d’où l’on part. « Les expériences de Lapicque sont indubitablement conduites avec une extraordinaire précision. » (Walther Nernst, Académie des Sciences de Berlin, 9 janvier 1908, p. 13). M. Eucken, qui, sur l’invitation de M. Nernst, a essayé de traiter mathématiquement le cas du condensateur, répète qu’il tient compte avant tout de mes expériences qui sont « manifestement des meilleures sur le sujet ». (Académie des Sciences de Berlin, 14 mai 1908, p. 536). J’ose espérer que si mes expériences sont bonnes, mon raisonnement n’est pas dénué de valeur.


  • Appendice

Sur divers points de physiologie du système nerveux

Sur le temps de réaction suivant les races ou les conditions sociales.

  • Académie des Sciences, 17 juin 1901.

En 1894, aux îles Andaman, j’ai pris, avec le chronographe électrique de d’Arsonval, les temps de réaction simple (contact d’une main, réponse de l’autre) sur des indigènes (sauvages), sur des Hindous (forçats) et sur des Anglais (fonctionnaires). Voici, par individus et par catégories les moyennes obtenues :

  • Andamanais
  • Hommes Femmes Hindous Européens
  • 0*22 0*18 0,24 0*14
  • 0,15 0,22 0,19 0,15
  • 0,20 0,20 0,21 0,16
  • 0,14 0,18 0,23 0,15
  • 0,20 0,18 0,20 0,15
  • 0,27 0,22 0,25 0,14
  • 0,17 0,18 0,22 0,14
  • 0,19 0,20 - 0,14
  • 0,19 0,18 - 0,17
  • Moyenne. 0,19 0,19 0,22 0,15

C’est-à-dire que les Négritos mettent à répondre, en moyenne, 3/100 de seconde de plus que les Européens, et les Hindous, encore de plus. Il est difficile de comprendre, au point de vue anthropologique, comment les Négritos peuvent se placer entre les Hindous et les Européens. La moyenne de 0,15 trouvée sur les Européens concorde avec les valeurs généralement observées dans les très nombreuses expériences qui ont été faites en Europe ; mais tous les chiffres d’Européens se rapportent à des sujets des classes cultivées. J’ai voulu voir ce qu’est le temps de réaction dans d’autres classes sociales, et de retour à Paris, en 1895, j’ai fait les expériences suivantes.

3 ouvrières parisiennes donnèrent les valeurs :

  • 0,18, 0,16, 0,18.
  • Moyenne, 0,17.

3 étudiants, examinés comme expérience de contrôle, donnèrent :

  • 0,13, 0,16, 0,13, 0,16, 0,15.
  • Soit encore la moyenne de 0,15.

Enfin je crus trouver un bon matériel d’études pour déterminer le temps de réaction du peuple de Paris, en allant faire des expériences dans les chauffoirs installés par la municipalité ; la clientèle de ces établissements se composait en effet pour la plus grande part d’ouvriers sans travail. 12 sujets, choisis comme exempts des causes d’erreurs suivantes : maladie, inanition, fatigue, alcoolisme, et tous ouvriers en chômage, donnèrent les moyennes suivantes :

  • 0,23, 0,21, 0,20, 0,18, 0,18, 0,13, 0,19, 0,13, 0,18, 0,18, 0,13.
  • Soit comme moyenne générale, 0,18.

Ainsi, il y aurait un écart de 3/100 entre la classe cultivée et les travailleurs manuels ; le peuple de Paris serait à ce point de vue très voisin des Négritos ; et plusieurs Parisiens observés dans les chauffoirs donnent un chiffre du même ordre que les convicts hindous de l’hôpital de Port-Blair. Sous l’empire de cette conception a priori, que la rapidité de réaction devait traduire la supériorité de l’organisation nerveuse (conception conforme, je pense, aux idées courantes), ces résultats me parurent inintelligibles, et j’abandonnai ces recherches. Quelques années plus tard, à la suite d’études toutes différentes sur l’évolution quantitative du système nerveux, je suis arrivé à me rendre compte clairement que le temps de réaction ne peut pas être conditionné par un facteur proprement anthropologique, tel que le développement plus ou moins considérable de l’encéphale. Le perfectionnement de l’organe permet des processus de plus en plus complexes, qui exigent des temps de plus en plus longs pour s’accomplir ; mais il n’y a aucune raison pour que le temps des processus simples (tel que la réaction simple ou la réaction avec choix) en soit modifié. Un animal quelconque, une grenouille, si l’on veut, réagira aussi vite, peut-être plus vite qu’un homme, par exemple, à un bruit signalant une proie ou un ennemi. Ce qui fait varier le temps de réaction, c’est l’état fonctionnel, dynamique, du système nerveux, état variable, comme on sait, suivant l’ensemble des conditions biologiques. La question, telle que je me l’étais posée, à savoir l’influence de la race sur le temps de réaction, est donc illusoire. Si l’expérience donne pour des groupes ethniques divers des valeurs particulières, c’est que les individus de chacun de ces groupes sont soumis à des conditions plus ou moins semblables. L’expérience du compas de Weber et la localisation tactile. Question de vocabulaire physiologique (avec Victor Henri).

  • Société de Biologie, 5 avril 1902.

Les expressions usitées en Psycho-physiologie, sens de l’espace, ou sens du lieu de la peau, sont amphibologiques, comme les expressions équivalentes en allemand, Raumsinn et Ortsinn. Il y aurait tout avantage, imitant les zoologistes qui donnent réglementairement à une espèce le nom le plus ancien, à recourir à l’expression du créateur de la notion. Ernst Weber, pour la finesse dans la perception de l’écartement des pointes du compas, disait gradus distinctionis. Ce qui se traduirait fort bien par degré de distinction.

Centres échelonnés pour la coordination de la marche chez les Crustacés décapodes.

  • Société de Biologie, 30 novembre 1907.

Par des observations nouvelles des effets de la section d’un ou des deux connectifs œsophagiens, j’ai reconnu que chez divers Crustacés décapodes, il existe deux espèces de coordination des mouvements de marche, ayant des centres anatomiquement distincts. Dans les ganglions sous-œsophagiens se trouve le centre pour la marche en avant, c’est-à-dire pour la marche banale. Dans les ganglions sus-œsophagiens, se trouve le centre pour la marche spéciale au petit groupe considéré, marche transversale chez les Brachyures, marche rétrograde chez les Macroures. Ainsi, la coordination la plus récemment acquise dans l’évolution fonctionnelle est localisée dans les ganglions les plus antérieurs (ou supérieurs) ; ce fait est conforme à ce que nous savons de la hiérarchie des centres chez les Vertébrés.

  • Varia


  • Toxicologie et pharmacodynamie
  • Toxicité du cyanure d'éthyle.
  • Note à la Société de Biologie, 30 mars 1889.

Le raisonnement conduit à admettre que le cyanure d'éthyle doit être toxique. Cette toxicité pourtant avait été niée. Ayant eu l'occasion d'avoir du cyanure d'éthyle pur, préparé par M. Louis Bouveault, j'ai fait des expériences sur des lapins auxquels j'ai injecté, dans une veine de l'oreille, cette substance en solution aqueuse au vingtième. J'ai constaté que, dans ces conditions, le cyanure d'éthyle est mortel à la dose minima de 5 centigrammes par kilogramme. Les caractères de l'empoisonnement sont, d'une manière générale, ceux de l'empoisonnement par les cyanures. Les expérimentateurs qui ont cru à l'innocuité de cette substance avaient probablement été induits en erreur par la particularité suivante: le cyanure d'éthyle n'agit qu'au bout d'un temps assez long ; après l'injection intraveineuse d'une dose triple de la dose mortelle, j'ai vu s'écouler deux heures avant l'apparition des premiers phénomènes toxiques.


  • Action physiologique de l'acide sélénieux.

L'acide sélénieux, en solution aqueuse neutralisée par la soude, arrête diverses fermentations à la dose de 0 grammes (anhydride) pour 100 grammes de bouillon de culture; aux doses moindres, il est réduit, et l'on voit apparaître le sélénium sous forme d'un précipité rouge. Injecté dans les vaisseaux du chien, il est mortel à la dose de 3 milligrammes par kilogramme de poids corporel. Il produit dans tous les viscères une congestion intense allant jusqu'à l'ecchymose; les poumons deviennent le siège d'une sécrétion considérable qui s'écoule par la trachée, sous forme d'un liquide limpide, légèrement teinté d'hémoglobine, et spontanément coagulable. La pression sanguine, du moment de l'injection au moment de la mort, présente une baisse régulière et continue.


  • Pharmacodynamie des combinaisons de l'iode.
  • 1889
    • (19). Comment l'iodure de potassium agit sur le cœur, avec Germain Sée, Académie de Médecine, 8 octobre;
  • 1892
    • (20). Sur l'action physiologique des combinaisons de l'iode, Société de Biologie, 6 février;
    • (21). Action de l'iodure de strontium sur la circulation, avec A. Malbec, Société de Biologie, 4 juin;
    • (22). Activité comparée des iodures alcalins et alcalino-terreux, Société de Biologie, 11 juin.

Prié par Germain Sée, dont j'étais le préparateur, d'étudier par les procédés physiologiques l'action de l'iodure de potassium sur l'organisme, je m'attachai spécialement aux phénomènes circulatoires, susceptibles d'une étude précise, tandis que ce qu'on appelle assez vaguement l'action trophique des iodures, plus importante, sans doute, pour la thérapeutique, échappait et échappe encore, je crois, aux investigations de laboratoire. J'enregistrais la pression dans le bout central et le bout périphérique d'une artère pendant une ou deux heures consécutives. Je ne tardai pas à remarquer que, lorsqu'on injecte dans les veines de l'animal de l'iodure de potassium, on observe successivement et nettement distincts l'un de l'autre, l'effet du potassium et l'effet de l'iode. Aujourd'hui, avec la notion de la dissociation des électrolytes, cette distinction ne présente rien de paradoxal. Il y a vingt ans, surtout dans le monde médical, on concevait un sel comme une entité, et l'on se récria. Je démontrai que dans tous les iodures, il y a lieu de distinguer : 1) une phase de l'alcali, 2) une phase de l'iode. La phase de l'alcali diffère naturellement suivant le métal de l'iodure considéré; on a avec l'iodure de potassium, rapidement après l'injection, une notable élévation de pression, analogue à celle que donne du chlorure de potassium dans des conditions comparables; avec l'iodure de sodium, aucune élévation de pression, simplement quelques irrégularités du coeur; avec du strontium, des oscillations de pression et de rythme durant quelques minutes; avec l'iodure de calcium, les mêmes irrégularités plus accusées. Puis la circulation reprend son allure antérieure, mais la pression baisse lentement, tombant au bout d'une heure à la moitié environ de sa valeur normale; ce dernier phénomène se retrouve avec tous les iodures et toutes les combinaisons de l'iode. J'ai déterminé pour les iodures suivants la dose (en gramme par kilogramme d'animal) qui fait tomber la pression aux deux tiers de sa valeur primitive.


  • Sels
  • Dose de sel en grammes
  • Dose d'iode en grammes
  • Iodure de sodium: 0,31; 0,26;
  • Iodure de strontium: 0,32; 0,24;
  • Iodure de calcium: 0,24; 0,19;
  • Iodure de potassium: 0,25; 0,18;


J'ai ensuite comparé aux iodures ordinaires l'iode dissous dans les iodures, et divers iodates. En prenant des sels de soude, où l'action du métal est sensiblement nulle, on obtient dans tous les cas le même phénomène caractéristique, mais avec des doses et des délais différents.


  • Corps
  • Dose du corps en grammes
  • Iode correspondant en grammes
  • Temps écoulé jusqu'à la chute
  • Iodure: 0,30; 0,24; 45 à 60 minutes;
  • Iode: 0,10; 0,10; 5 à 12 minutes;
  • Iodate: 0,10; 0,06; 5 à 6 minutes;

Si l'on réfléchit que l'iode dans le milieu minéral du sang doit, comme dans une solution de carbonate, former des iodures et des iodates, on voit que l'échelle d'activité est celle cerne de la facilité plus ou moins grande avec laquelle de l'iode peut être mis en liberté. Dans le mécanisme du phénomène, la plus forte part revient au coeur, qui est accéléré et affaibli; j'ai vérifié que l'innervation extrinsèque du coeur n'est pas touchée; l'innervation vaso-motrice n'est pas non plus paralysée. L'action de l'iode sur l'appareil circulatoire est essentiellement périphérique; on l'obtient sur un animal auquel on a coupé la moelle cervicale au-dessous du bulbe et les pneumogastriques. Dans ce qui précède, j'ai cherché une action toxique comme réactif de l'activité de diverses combinaisons de l'iode. Mais si on étudie l'action des faibles doses d'iodure de sodium, sur un chien à bulbe détruit (chez lequel par conséquent la régulation vasomotrice ne peut venir masquer les phénomènes cardiaques), on observe que la force du coeur augmente; c'est probablement cette action qui est obtenue aux doses thérapeutiques dans la médication cardiaque.


  • Action physiologique du strophantus.
  • 1887
    • (2). Recherches sur l'action physiologique de l'inée ou Strophantus hispidus, avec E. Gley, Société de Biologie, 2 juillet;
    • (3). Sur le mode d'action de l'inée, avec Gley, Société de Biologie, 5 novembre.

En étudiant le poison qui garnissait la pointe de quelques flèches venues de l'Afrique centrale par Zanzibar, je reconnus à ses effets physiologiques, Pinde, ou poison du Strophantus. Cette subtance avait fait l'objet de quelques recherches, quinze ans auparavant, puis était retombée dans l'oubli malgré l'intérêt qu'elle présente; elle était d'ailleurs introuvable à Paris. J'en ai fait une étude sommaire avec M. Gley. C'est un poison musculaire, paralysant totalement la fibre contractile; il agit sur le coeur, comme sur les autres muscles, et aux petites doses, il excite à la fois le coeur et les fibres contractiles des vaisseaux, de manière à donner une très forte élévation de pression ; à forte dose, il a aussi une action irritante, puis paralysante, sur le système nerveux central. Ce petit travail a été le premier d'une nouvelle et importante série de recherches sur le Strophantus, dont le principe actif fut isolé l'année suivante.


  • Action physiologique de la caféine.
  • 1889
    • (10). Action de la caféine sur le système nervo-musculaire, avec Parisot, Société de Biologie, 7 décembre;
    • Thèse de Parisot: Etude physiologique de l'action de la caféine, Faculté de Médecine, mars 1890.
  • 1890
    • (12). Action de la caféine sur les fonctions motrices et respiratoires à l'état normal et à l'état d'inanition, avec G. Sée, Académie de Médecine, 11 mars.
    • (18). Sur l'action de la caféine comparée à celle de la kola. Société de Biologie, 1O mai;
    • Thèse de Le Coniat: Sur le principe actif de la noix de kola, Faculté de Médecine de Paris, 1900.

Au cours d'une période de service militaire, j'avais vu essayer et j'avais essayé moi-même l'influence de la noix de kola sur la résistance à la fatigue. Rentré dans la vie civile, je cherchai à m'expliquer les effets remarquables de ce produit; je ne trouvai pas dans la littérature des éclaircissements suffisants sur l'action physiologique de la caféine, principe immédiat commun à toutes les plantes (thé, café, maté, guarana) qui, dans une région ou dans une autre, sont recherchées pour leur action semblable à celle de la kola. Je repris l'étude de cette substance avec la collaboration de mon ami Parisot. Nous avons commencé par le point suivant, resté indécis après les rivaux de nos devanciers : la caféine porte-t-elle son action principale sur le muscle ou sur le système nerveux moteur? Tout d'abord nous avons vérifié, en accord avec Vulpian et Schmiedeberg et contrairement à d'autres auteurs, qu'on a des résultats différents suivant qu'on opère sur la grenouille rousse (Rana fusca) ou sur la grenouille verte (Rana esculenta). La première présente une intoxication essentiellement musculaire (rigidité d'origine périphérique), et la seconde une intoxication essentiellement nerveuse (convulsions). Mais il y a aussi dans ce deuxième cas une modification de la contraction musculaire (rebondissement), qui avait été rapportée à une action de la caféine sur la fibre musculaire ; en étudiant ce rebondissement, nous avons vu qu'il provient en réalité d'une réaction des centres nerveux ; si on coupe la sciatique entre le point excité et la moelle, le rebondissement disparaît totalement. Chez la grenouille verte, l'action de la caféine porte donc exclusivement sur les centres nerveux. Le point a été vérifié au moyen d'une étude précise de l'excitabilité directe et réflexe, par Mme Lapicque, Société de Biologie, 23 juin 1906. Nous avons examiné divers reptiles, des oiseaux, des mammifères; nous avons trouvé partout l'action nerveuse prédominante, sinon exclusive. Le cas de la grenouille rousse est donc un cas exceptionnel. Chez l'homme, l'action nerveuse n'est pas douteuse; la rigidité musculaire qui apparaît parfois doit être rapportée, non à une intoxication périphérique, mais à une action réflexe comme celle que nous avons démontrée chez la grenouille verte. La caféine est un excitant des centres moteurs. Mais elle a une autre action que nous avons mise en évidence : elle empêche l'essoufflement, ce rythme accéléré et inefficace où tombe le mécanisme respiratoire quand on l'appelle à une suractivité anormale; par une modification, probablement, de l'excitabilité bulbaire, la caféine, au moment d'un effort musculaire en dehors des habitudes, permet à la ventilation pulmonaire de s'accroître considérablement sans troubles; elle place un homme non entraîné dans les conditions de l'entraînement (Voir les graphiques ci-contre). Germain Sée s'est servi de ces constatations pour la thérapeutique (thèse de Parisot). L'alcool, même à doses modérées, détruit l'effet utile de la caféine. En comparant la kola à la caféine, je trouvai les mêmes effets à dose égale de caféine; c'est-à-dire que la caféine est le seul principe actif de la kola. J'eus à soutenir sur ce point une discussion très vive. Mon opinion a été justifiée par les travaux de M. Mosso et par tous les travaux effectués sur la question entre 1890 et 1900 (thèse de Le Coniat).


  • Pathologie
  • I. J'ai, avec MM. Charrin et Gley, constaté que dans le sang artériel des lapins infectés par la maladie pyocyanique, il y a une diminution de l'oxygène par rapport à la proportion d'hémoglobine (16).
  • II. Avec M. Gley, j'ai suivi une épidémie spontanée de tétanie dans un lot de grenouilles de laboratoire ; nous avons isolé du sang un bacille aérobie, mais nous n'avons pas poursuivi cette étude (25).
  • III. On avait avancé que la toxine diphtérique est plus active si on l'injecte par la veine porte que si on l'injecte par une veine d'utimembre. A l'inverse de ce qu'il fait pour de nombreux poisons. le foie renforcerait donc l'action de cette toxine ; c'était un fait intéressant pour la pathologie générale. Mais en reprenant les expériences avec soin, et suivant la méthode comparative (injections dans la veine porte, soit de la toxine, soit d'un liquide indifférent), j'ai démontré que le foie n'avait aucune action sur les effets de la toxine (49 et 49 bis).


  • Botanique
  • Explication darwinienne des mouvements de la sensitive.
  • Société de Biologie, 28 mai 1904.

On donnait les mouvements par lesquels la sensitive réagit quand on la touche. En quoi cette sensibilité peut-elle être utile pour la plante? Je n'ai trouvé dans la science aucune réponse à cette question : je ne sais même pas si quelqu'un se l'est posée, et pourtant il me parait difficile d'admettre qu'un mécanisme si spécial et si délicat ait pu s'établir et se conserver sans qu'il soit par quelque côté une adaptation. J'ai eu l'occasion d'observer dans l'Inde la sensitive chez elle. En un grand nombre de points de la région montagneuse, au bord des bois, sous les taillis pas trop épais, le long des routes peu fréquentées, la terre est couverte d'une nappe de verdure fraiche et compacte comme un gazon dru, piquée de petites fleurs roses. L'attention du moins observateur des hommes est attirée sur ce tapis d'herbe par le fait suivant : la piste de tout passant, piéton ou cavalier, s'accuse immédiatement derrière lui, par une traînée large de plus d'un mètre dont l'aspect tranche fortement sur la surface environnante ; on dirait que non pas un homme, mais une troupe d'hommes sur plusieurs files a piétiné la végétation ; le passage d'une compagnie en colonne laisse dans nos prés une trace analogue. Il suffit de se baisser et de constater que cette végétation est composée d'une petite mimosée pour reconnaître qu'on a affaire à une sensitive et s'expliquer le phénomène. Mais l'aspect même que présente, dans ses conditions naturelles, ce phénomène bien connu, suggère une réflexion qui peut ne point apparaître dans les études approfondies faites au laboratoire sur des sensitives en pots. En cherchant une comparaison pour traduire le phénomène vu de la hauteur d'un cavalier, je n'ai pu trouver rien de mieux que l'herbe foulée aux pieds et flétrie. Regardé de près, ce phénomène apparaît comme une éclipse de la plante. Des attouchements ménagés, des pincements même énergiques d'une foliole ou d'un pétiole ne le reproduisent pas; s'il n'y a pas eu ébranlement généralisé, on observe le phénomène classique de reploiement. des folioles et d'abaissement du pétiole dans la feuille touchée et dans les feuilles voisines suivant une propagation pas très rapide et plus ou moins étendue suivant l'intensité de l'excitation. Mais si l'on arrache une feuille ou un petit rameau, presque instantanément, en une fraction de seconde, on voit, dans la plus grande partie de l'étendue du champ visuel (je parle d'un homme accroupi et regardant la terre) la verdure disparaître ; au lieu de la nappe fraîche qu'on avait sous les yeux, on ne voit plus que le sol, des cailloux, des feuilles mortes et des brindilles qui paraissent nues et comme sèches. Chaque pied de sensitive, en effet, se compose d'un certain nombre de branches rampantes, irradiées autour de la racine et donnant naissance aux rameaux dressés qui portent les feuilles. Un pied s'étend sur un diamètre de 1 mètre. L'ébranlement mécanique produit par l'arrachement d'une partie de la plante se transmet instantanément à l'ensemble ; la chute de la feuille et le reploiement des folioles sont dans ces conditions aussi rapides et aussi complètes que possible. La figure montre le changement d'aspect provoqué en arrachant à mes pieds une poignée d'herbe. Voici l'idée qui s'est alors d'elle-même présentée à moi. La forme d'excitation dont je viens de me servir est exactement celle que produirait un herbivore, un cerf ou une vache, venant brouter le tapis de sensitives ; la plante touchée prend un aspect flétri et sec qui fait contraste avec la belle verdure des pieds voisins. Il y a de grandes chances, évidemment, pour que l'herbivore, faisant un pas, quitte cette plante peu appétissante pour attaquer la voisine. Chaque pied est ainsi entamé, mais non détruit, et l'individu qui ne présenterait pas ou qui présenterait à un degré moindre la motilité, serait dans un état d'infériorité dans la concurrence vitale par rapport à ses voisins. La sensibilité au contact chez la sensitive peut ainsi être ramenée a une adaptation darwinienne. J'ai recueilli, dans la Péninsule Malaise et dans les montagnes du sud de l'Inde, des tiges de bambous présentant une longueur d'entrenoeud de près de 2 mètres. Ces spécimens, assez rares, sont recherchés par les sauvages pour en faire des sarbacanes; j'en ai offert une petite collection au Muséum en appelant l'attention des botanistes sur l'intérêt qu'ils peuvent présenter (99). J'ai rapporté du plateau des Nilthirris une petite collection de plantes européennes, cultivées ou naturalisées. M. Gaston Bonnier, qui m'avait signalé l'intérêt des acclimatations de ce genre, a étudié lui-même ce matériel et y a trouvé de nouveaux faits concernant l'adaptation des plantes au climat (Revue de Botanique, 1905).


  • Géographie physique

J'ai remis entre les mains de M. Charles Vélain des notes et des photographies démontrant que la passe de Palghat, trait fondamental de l'oragénie du Deccan, est, non pas, comme on le disait, un phénomène d'érosion, mais une voûte effondrée. M. Vélain a adopté mes conclusions et les a exposées à son cours.


  • Notes critiques
  • Sur la fécondité des croisements entre races humaines distantes.
  • Note à la Société d'Anthropologie, 4 juillet 1907.

Dans les derniers travaux exposés chapitre I, je fais une grande place dans le peuplement du monde à des races formées par le croisement de souches ethniques très différentes. Beaucoup d'ethnologues se refusent à admettre l'eugénétie entre ces souches. A propos d'une communication sur les métis Australo-Européens et leur rapide disparition, j'ai discuté théoriquement les documents de ce genre , et j'ai essayé de montrer que les causes sociales y jouent un rôle prépondérant, qu'on ne saurait par suite en déduire des lois zoologiques. A la suite de cette discussion, il a été nommé par la Société d'anthropologie une commission permanente pour l'étude des croisements ethniques, chargée de rassembler des notes individuelles et familiales sur le plus grand nombre de métis possible.

  • Observations diverses.

(79). J'ai protesté contre une habitude qui semblait s'établir de vouloir interpréter tous les échanges interstitiels par les lois de l'osmose, et ramener toute la physiologie de la nutrition à la cryoscopie. Sans doute, la tension osmotique intervient nécessairement, comme toutes les lois physiques; mais ce n'est pas elle seule qui règle les échanges, on n'a pas le droit, en parlant d'une de ces lois, de déduire le phénomène, ni même le sens du phénomène, qui peut être inversé par l'intervention d'une ou plusieurs autres lois. M. Giard, dans une séance subséquente, a invoqué mon observation contre une interprétation des faits de parthénogenèse osmotique.

(149). M. X croyait avoir observé un « paradoxe de dialyse ». Je lui montrai par une expérience simple que ce paradoxe se ramenait à un fait de gravitation.

(80). Un naturaliste américain, M. W, expliquait, devant la Société de Biologie, l'inclinaison du coeur de gauche à droite par la nécessité d'assurer d'abord la circulation dans le côté solaire du corps, le côté droit, parce que tout animal s'oriente de préférence face à l'Est. Je fis remarquer à M. W qu'il pouvait trouver une contre-épreuve remarquable de sa théorie en examinant la faune australienne, faune bien autonome, et qui a le soleil du côté gauche quand elle fait face à l'Est ; le tout est de savoir si les Marsupiaux ont le coeur à droite. M. W est parti pour vérifier ce point et n'est pas revenu.

(87). Il est illégitime de calculer un coefficient intestinal en divisant la longueur de l'intestin d'un animal par son poids. Que ce coefficient soit de 33 pour la souris, et de 0,06 pour le cheval, cela prouve seulement qu'on a mal posé sa relation. La longueur de l'intestin doit être comparée à la racine cubique du poids. On trouve alors pour le cheval et pour la souris deux rapports assez voisins.

(133). M. Bohn a indiqué un phénomène qui serait d'une grande portée biologique; c'est à savoir que les animaux des plages qui couvrent et découvrent présenteraient, transportés en aquarium, des mouvements dont le rythme suivrait exactement celui des marées. Je lui ai demandé de vouloir bien indiquer avec quelle précision ces rythmes animaux 1) s'observent, 2) se règlent sur les rythmes cosmiques. Le rythme des marées est en effet complexe, présentant des accélérations et des ralentissements de quatorze en quatorze jours. Les animaux présentent-ils un réglage moyen, ou reproduisent-ils les oscillations du rythme? ou bien, ce qui serait tout à fait suffisant pour offrir, sans merveille, un grand intérêt, suivent-ils un rythme d'une période approximative de douze à treize heures? Après diverses phases d'une discussion assez vive, M. Bohn convint qu'il est impossible d'étudier avec une précision mathématique les oscillations de l'état physiologique chez les animaux littoraux, et que d'ailleurs les conditions ambiantes actuelles ont une influence importante.

(160). L'expression opsonic index doit se traduire en français par indice et non par index opsonique, comme on prenait l'habitude de l'écrire. A partir de mon observation, le mot indice a été régulièrement employé.

(159). Quand on fait une injection de cocaïne dans l'épaisseur des centres nerveux, on produit, non pas seulement une paralysie temporaire due à la cocaïne, mais une lésion mécanique due au liquide lui-même, lésion dont les effets sont permanents.

(164). MM. X et Y croyaient avoir prouvé le passage de l'eau à travers la peau de l'homme en constatant, après un bain, des augmentations de poids de 100 à 300 grammes. Par l'examen de leurs chiffres, je montrai que l'augmentation de poids est produite dès les premiers instants du bain et n'augmente plus. La grandeur des augmentations observées est telle qu'il suffirait d'une couche d'eau de un dixième de millimètre d'épaisseur sur tout le corps pour en rendre compte. Il s'agit donc probablement d'une imbibition épidermique et non d'une absorption réelle à travers la peau.

(156). M. Liebreich a publié, à l'Académie des Sciences, une note où il énonce une théorie particulière sur l'asymétrie du visage. Aucune des figures publiées par lui à l'appui ne montre le caractère sur lequel il insiste.

(169). Les naturalistes et les mécaniciens qui parlent de vol à voile paraissent ignorer la théorie récente de M. Siegmund Exner (de Vienne) sur le vol vibrant. D'ailleurs, le vol plané s'observe dans l'air parfaitement calme.


  • Pédagogie

(107). On ne peut pas, au nom de la physiologie, s'opposer à ce qu'on réforme l'orthographe ; celle-ci est un essai de notation phonétique, plus ou moins heureux, mais toujours en retard, car elle est fixe, et la phonétique, comme toute chose vivante, évolue. Une réforme de l'orthographe est de temps en temps nécessaire, comme un coup de pouce à un appareil enregistreur paresseux.


  • Exercices d'observation (Leçons de choses).
  • Introduction â l'étude des sciences physiques et naturelles.

1 volume, Cornély et Cie, Paris, 1906.


  • Extrait de la préface :


Les observations sont de trois espèces :

  • a) les enfants font eux-mêmes ce qui est nécessaire pour observer ;
  • b) le maitre opère au besoin avec l'aide de quelques enfants, sous les yeux des autres qui regardent ;
  • c) il s'agit d'un fait d'observation courante qu'on rappelle au souvenir des enfants.


Chacune de ces espèces d'observation est signalée, au début du passage, par un des signes conventionnels suivants, dont l'enfant doit comprendre ainsi la signification :

  • Faites.
  • Regardez.
  • Rappelez-vous.


Outre l'exercice des sens et du raisonnement, le choix des sujets d'observation a été calculé en vue d'un autre but : j'ai cherché à poser dans ces jeunes esprits la base des grandes lois de la nature, à donner les directions suivant lesquelles se rangeront les faits plus nombreux de l'enseignement qui doit suivre. Je n'ai pas craint de faire aborder à l'enfant des idées générales, telles que la conservation de l'énergie et l'évolution ; acceptées aujourd'hui sans conteste, elles tiennent trop de place dans la pensée moderne pour qu'on puisse commencer une instruction scientifique en les négligeant.


J'ai présenté ce livre, à la Société d'Anthropologie de Paris, dans les termes suivants :

« Voici à quel titre je puis espérer qu'il intéresse la Société. La Société d'Anthropologie de Paris a toujours considéré comme une partie importante de son rôle de répandre le transformisme, cette conception qui a bouleversé notre connaissance de la nature animée. »

« Le petit livre en question introduit, pour la première fois, je crois, le transformisme d'une façon explicite à l'école primaire. Il n'y a pas un chapitre spécialement consacré à la théorie de l'évolution des êtres vivants; le plan même de l'ouvrage ne le permettait pas, puisque s'intitulant Exercices d'observation, ce manuel s'est imposé de rester sur le terrain du fait direct; mais l'idée transformiste court au long de toutes les leçons qui traitent des êtres vivants; c'est cette idée même qui en fait l'unité; mise particulièrement en relief par des exemples choisis, elle est en outre rapportée à ses auteurs légitimes par une citation, sous forme de lecture, de Jean-Baptiste de Lamarck et de Charles Darwin. »

« Il m'a semblé qu'il n'y avait pas de raison de craindre de communiquer à des enfants de huit à dix ans cette précieuse conquête du XIX° siècle; non seulement le transformisme n'est pas difficile à comprendre, mais en outre lui seul met une clarté logique dans la connaissance des différentes formes de la vie. »


  • Bulletins et Mémoires de la Société d'Anthropologie de Paris, Séance du 20 décembre 1906.


  • Table des matières
  • Publications scientifiques par ordre de date
  • Tableau systématique des recherches principales
  • Avant-propos
  • Chapitre I: Etude anthropologique sur les races noires
  • Chapitre II: Recherches sur l'évolution quantitative du système nerveux
  • Chapitre III: Recherches sur les mutations du fer et les globules rouges
  • Cœur et vaisseaux
  • Chapitre IV: Etudes sur la ration alimentaire
  • Elimination de l'azote
  • Chapitre V: Recherches sur l'excitabilité musculaire et nerveuse
  • Divers points de physiologie du système nerveux
  • Varia