Notions de Logique, 1884/Partie 2
SECONDE PARTIE
APPLICATION DES RÈGLES PRÉCÉDENTES.
La raison est le plus excellent apanage de l’homme. Qui voudrait avoir l’éclat du soleil, la force du lion, l’agilité de l’aigle, à condition d’être sans intelligence ?
Quelle est l’affliction des parents qui s’aperçoivent que leur enfant restera imbécile ? Ils sont inconsolables, surtout s’il s’agit d’une folie mêlée de méchanceté, ne laissant d’autre ressource que d’enfermer pour toujours cette malheureuse créature.
Le mauvais usage de la raison est une véritable folie, et il rend souvent les hommes cruels et furieux. Ainsi, deux jeunes gens, après avoir été longtemps amis, commencent à se disputer ; ils se fâchent, se provoquent en duel, et quelques jours après, ils vont se battre de sang-froid, se blessent et se tuent. Voilà une cruauté pire que celle des tigres et des lions qui ne déchirent jamais les animaux de leur espèce.
Or, c’est une fausse idée du courage et de l’honneur qui séduit les duellistes, leur fait porter un faux jugement et trouble leur raison.
L’Écriture sainte dit que le nombre des fous est infini, c’est-à-dire le nombre de ceux qui jugent à tort et à travers et qui déraisonnent. Ils pourraient être sages s’ils voulaient faire attention à leurs idées, à leurs jugements et aux tristes conséquences des faux raisonnements qu’ils forment.
Juger, comme nous l’avons dit ailleurs, c’est unir deux idées, ou les séparer, comme ne se convenant pas. Pour bien juger, il faut apercevoir la ressemblance ou la différence de deux objets ; il faut donc en avoir des idées claires et distinctes, pour ne pas joindre ce qui doit être séparé, ou séparer ce qui doit être uni.
Expliquons ceci par des exemples qui ont rapport à la morale, où nos mauvais raisonnements sont plus fréquents et plus dangereux.
1o L’homme trouve en soi l’appétit du bonheur et l’aversion du malheur ; ces idées le frappent vivement et constamment. Chacun désire sans cesse arriver au bonheur et fuir le malheur.
En suivant cet appétit ou cette aversion, nous pourrions nous rendre vraiment heureux, si nous connaissions clairement et distinctement la nature des choses ; mais nos passions dépravent nos idées avec nos goûts, et font que nous cherchons souvent notre bonheur dans un objet qui doit causer notre perte, et nous fuyons avec horreur celui qui nous rendrait véritablement heureux.
Plusieurs attachent l’idée du bonheur au plaisir qui naît, dans les sens, de l’impression de certains objets extérieurs, savoir : à ce qui flatte le goût, la vue, l’ouïe, etc. Ils se croiraient heureux s’ils avaient toujours une bonne et abondante nourriture, s’ils jouissaient constamment du spectacle d’un agréable paysage, etc.
D’autres attachent l’idée du bonheur à la parure du corps, d’autres au repos et à l’inaction ; ils ne veulent rien faire, rien apprendre, rien penser, se contentant de mener une vie oiseuse et inoccupée ; en un mot, il y a presque autant de jugements sur le bonheur, considéré en particulier, qu’il y a de personnes différentes. Nous pouvons réformer les jugements précédents au moyen de syllogismes réguliers, où la fausseté évidente de la conséquence fera paraître celle des prémisses.
Nous proposerons aux amateurs de la bonne chère le syllogisme suivant :
Ceux qui trouvent toujours une saine et abondante nourriture, sont heureux ;
Or, les oies, les poulets et les porcs que l’on engraisse, trouvent toujours une saine et abondante nourriture,
Donc les oies, les poulets et les porcs que l’on engraisse, sont heureux.
Qui oserait soutenir cette conséquence, et proposer un tel bonheur au cœur de l’homme ?
Le syllogisme étant formellement en règle, il faut qu’une des prémisses soit fausse ; ce n’est pas la mineure puisqu’elle énonce un fait, c’est donc la majeure.
Ajoutez que si le bonheur consistait dans le plaisir des sens, plusieurs bêtes seraient plus heureuses que l’homme, parce qu’elles ont des organes mieux disposés que les nôtres, la vue plus perçante, l’odorat plus fin, etc.
À ceux qui mettent leur bonheur dans la parure du corps, opposons encore un syllogisme :
Les créatures les mieux parées sont les plus heureuses ;
Or, les fleurs sont les créatures les mieux parées ;
Donc les fleurs sont les plus heureuses des créatures.
On ne peut nier la seconde proposition de ce syllogisme ; car Jésus-Christ a dit lui-même en saint Luc, chap. xii : Considérez les lis… Salomon même en toute sa gloire n’était pas vêtu comme l’un d’eux. On doit donc (puisque la conséquence est rigoureuse), ou rejeter la première proposition comme absolument fausse, ou convenir qu’une fleur, qui paraît quelque chose aujourd’hui, et demain sera jetée au four ou foulée aux pieds, est plus heureuse que l’homme.
Si le bonheur consistait dans le repos et dans l’inaction, les pierres qui sont cachées au sein de la terre se trouveraient dans une meilleure condition que les créatures intelligentes.
On voit l’extravagance et la folie d’envier le bonheur d’une fleur ou d’une pierre, tandis que Dieu nous a destinés à partager celui des anges.
L’homme trouve en soi le désir de la grandeur et de l’excellence, mais les passions et la corruption de notre nature viennent obscurcir l’idée de la vraie grandeur. Par un jugement vicieux, nous l’attachons à des objets qui ne lui conviennent pas ; les uns placent la grandeur dans les richesses et regardent les riches comme fort élevés au-dessus des pauvres ; les autres la voient dans la possession d’un vaste palais, d’un nombreux domestique, d’un emploi honorable, pensant que toutes ces choses les rendent plus estimables aux yeux des hommes.
Mais l’estime et le respect qu’on nous témoigne restent hors de nous et n’ajoutent rien à notre valeur personnelle ; ils nous laissent aussi misérables que nous l’étions auparavant et peut-être davantage.
Le raisonnement nous sert à rectifier l’idée de la grandeur.
Pour conclusion, n’affirmons jamais qu’un attribut convient à un sujet sans avoir une idée claire et distincte de l’un et de l’autre.
Par exemple, l’Écriture sainte et la saine raison nous disent que Dieu est bon : rien de si vrai, que cette proposition, mais plusieurs l’entendent et l’appliquent mal.
On dit souvent : Dieu est bon, c’est un bon Père qui ne regarde pas de si près ; et l’on en conclut qu’il ne fait pas attention à nos fautes journalières, qu’il ne nous oblige à rien de pénible, qu’il ne saurait nous menacer de l’enfer, et autres absurdités blasphématoires.
Ces faux raisonnements proviennent de ce qu’on n’examine pas la signification réelle du mot bon, dont on se sert ordinairement pour désigner un homme qui ne se mêle pas beaucoup des affaires des autres.
La bonté de Dieu est sa souveraine perfection et sa sainteté même ; opposée à tout péché, elle veut essentiellement nous conduire à tout ce qui est vertueux et parfait. Saint Paul écrivait aux Romains : Ignorez-vous que la bénignité de Dieu nous invite à faire pénitence ? Il disait : Ignorez-vous, pour faire comprendre que les Romains devaient savoir que la bonté de Dieu nous invite, non pas à vivre négligemment et sans crainte pour nos fautes passées, mais à satisfaire premièrement à sa justice, avec la ferme espérance d’obtenir miséricorde.
Autre exemple :
Les philosophes modernes répètent continuellement que nous devons nous aimer les uns les autres, que les catholiques doivent s’unir aux protestants et aux autres sectaires pour ne former qu’une agrégation et qu’une Église.
Nous devons nous aimer les uns les autres, rien de plus vrai ; mais ce que signifie le mot aimer, c’est ce qu’on n’examine pas.
L’Écriture sainte nous explique le devoir de la charité envers le prochain, comme une suite de la charité envers Dieu. Nous devons aimer notre prochain, parce qu’il est l’image de Dieu, parce que Dieu veut que nous l’aimions, et comme il veut que nous l’aimions, c’est-à-dire en lui désirant et lui procurant tout le bien spirituel et éternel que Dieu lui-même lui désire. Cela est bien éloigné de la lâche tolérance pour toutes les croyances et pour tous les vices, que les philosophes voudraient déduire de la loi d’amour envers le prochain.
En disant qu’il faut entendre les termes d’une proposition vraie, on ne prétend pas qu’il soit nécessaire de pénétrer jusqu’au fond des choses qu’ils expriment. Ainsi, nous savons que Dieu est tout-puissant ; mais qui pourrait comprendre la valeur absolue de cette expression ? Il nous suffit d’entendre et de croire ce que l’Ange a dit à la sainte Vierge, que rien n’est impossible à Dieu. Vouloir borner la toute-puissance de Dieu à nos faibles lumières, serait vouloir enfermer l’Océan dans une coquille de noix. Quelques hérétiques nient le miracle de la transsubstantiation, parce qu’ils ne comprennent pas comment le corps de Jésus-Christ se trouve tout ensemble au ciel et sur chacun des autels de nos églises. Leur raisonnement équivaut à celui-ci :
Tout ce qui nous paraît impossible est incroyable ;
Or, il nous paraît impossible que le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit en même temps au ciel et sur l’autel ;
Donc cela est incroyable.
La majeure est absolument fausse, car ce qui paraît impossible à notre faible intelligence n’est nullement incroyable. Dieu peut faire absolument plus que nous ne pouvons comprendre, et il y a même dans la nature mille choses que nous n’entendons pas et dont il faut cependant admettre la réalité, ainsi l’union de l’âme et du corps, l’action de la pesanteur, celle de l’électricité, etc. ; et si nous ne comprenons pas les merveilles qui sont en nous et autour de nous, comment voudrions-nous pénétrer la toute-puissance et les perfections de Dieu ?
Il y a deux manières d’acquérir la certitude d’une proposition. La première est la connaissance que nous en prenons par nous-mêmes, quand notre raison recherche et trouve la vérité. L’autre, c’est la voie de l’autorité ; lorsque des personnes dignes d’être crues nous assurent qu’une chose est ainsi, cela s’appelle foi.
L’autorité est de deux sortes : elle vient de Dieu ou des hommes ; il y a aussi deux sortes de foi : la foi divine et la foi humaine.
La foi divine n’est sujette à aucune erreur, parce que Dieu ne peut ni se tromper ni nous tromper.
La raison même nous persuade qu’il y a des choses que nous devons croire logiquement, quoique nous ne soyons pas capables de les comprendre, ce qui est principalement vrai à l’égard de la foi divine.
C’est pourquoi, lorsque nous captivons notre entendement pour obéir à Jésus-Christ, comme saint Paul nous l’ordonne, nous ne le faisons pas néanmoins aveuglément et déraisonnablement. Au contraire, c’est une action très raisonnable que de se captiver de la sorte sous l’autorité de Dieu, lorsque nous avons des motifs de crédibilité suffisants et des preuves évidentes que Dieu a parlé.
Mais, dans les fausses religions, on croit aveuglément et déraisonnablement, parce qu’on n’a pas de justes motifs de crédibilité. On croit, par exemple, ce que Luther et Calvin ont enseigné, sans avoir la moindre certitude que leur doctrine est celle de Jésus-Christ. Dans ces religions, on n’a qu’une foi humaine, ou plutôt on suit témérairement l’opinion de personnages fort peu dignes de foi.
D’elle-même, la foi humaine est sujette à l’erreur, parce que tout homme peut tromper ou être trompé.
Cependant certaines choses connues par la seule foi humaine peuvent être tenues pour indubitables. Par exemple, nous ne pouvons douter qu’il y ait des antipodes, quoique nous ne les ayons jamais vus ; de même, il faudrait avoir perdu le bon sens pour douter de l’existence de César, Pompée, Cicéron, Virgile, etc.
Quelquefois l’assertion de dix ou vingt auteurs ne suffit pas pour donner la certitude d’un fait historique ; s’ils se sont copiés les uns les autres, on peut trouver, en examinant bien, qu’ils se sont tous trompés. Le premier a suivi un bruit populaire, le second a répété le premier, etc.
Quelquefois le témoignage d’un seul homme suffit pour fonder la foi humaine, si ce témoin unique a des qualités telles, qu’il serait contre la raison de ne pas croire ce qu’il affirme.
Par exemple, quand saint Pierre, ayant été miraculeusement délivré de la prison du roi Hérode, alla à une maison de Jérusalem où plusieurs fidèles étaient assemblés, et leur raconta ce que le Seigneur avait fait pour lui, aucun d’eux, assurément, ne put être assez téméraire pour douter de la véracité du prince des apôtres.
Lorsque des personnes très respectables nous racontent des faits extraordinaires et même des miracles, nous pécherions contre la saine raison en refusant d’y croire ; à plus forte raison si les supérieurs ecclésiastiques les ont examinés et approuvés.
Vous n’êtes pas raisonnable, si vous croyez tout ce que l’on vous dit ; mais vous ne l’êtes pas davantage, si vous ne voulez croire que ce que vous avez vu ou examiné vous-même. Dans l’un et l’autre cas, vous suivez un faux principe.
Tous nos raisonnements reposent sur un principe général d’où la conclusion est tirée. Si le principe est faux, la conclusion est nécessairement fausse ; si le principe est vrai, la conséquence l’est aussi, à condition qu’elle soit légitime, c’est-à-dire contenue dans les prémisses.
Dans le syllogisme simple, qui est aussi le plus clair, on pose d’abord, par manière de principe, une proposition générale qu’on appelle majeure.
1o Mais il faut observer que plusieurs propositions, énoncées comme générales, ne le sont cependant pas et admettent des exceptions. Par exemple, on dit ordinairement :
Toutes les femmes aiment à parler.
Tous les jeunes gens sont inconstants.
Tous les vieillards vantent le temps passé.
Ces propositions, et mille autres semblables, souffrent des exceptions, et on ne saurait les poser pour majeure d’un syllogisme sans s’exposer à tirer une fausse conclusion.
Les propositions suivantes sont encore moins générales :
Les Français sont bons soldats.
Les Hollandais sont bons matelots.
Les Flamands sont bons peintres.
Ici, il n’y a pas seulement exception sur la généralité, mais restriction sur le sens ; car on ne saurait parler de tous les Français, les Hollandais, les Flamands, mais simplement de ceux qui exercent la profession de soldats, de matelots ou de peintres.
2o Il faut encore observer que plusieurs propositions sont universelles ou générales dans leur signification, bien qu’on n’y rencontre pas le mot tout, et qu’au premier abord elles paraissent particulières ou singulières.
Telles sont la plupart des maximes, ou règles de conduite, que l’on trouve dans la sainte Écriture.
Ainsi :
« Un homme sage écoute les conseils qu’on lui donne. »
« La prospérité des insensés les perdra. »
Ces sentences sont générales, comme plusieurs autres que nous donnerons plus loin.
Celui qui veut bien raisonner et se conduire suivant la saine raison, doit se faire une grande provision de ces bons principes et de ces règles générales, d’où il pourra tirer des conséquences utiles pour tous les événements de sa vie.
Voilà pourquoi il faut apprendre la logique avant les autres sciences, parce que la raison est l’instrument nécessaire pour acquérir la science ; mais, d’un autre côté, les sciences servent beaucoup à perfectionner la raison.
Ainsi, il faut connaître la logique pour ne pas se laisser tromper par les historiens ; et, en étudiant l’histoire, on découvre d’excellents principes pour diriger sa conduite. L’histoire raconte de bonnes et de mauvaises actions ; nous y apprenons donc à imiter le bien et à éviter le mal.
La logique donne l’intelligence du catéchisme ou de l’instruction chrétienne ; et, sans la doctrine chrétienne, l’art de raisonner ne nous servirait de rien.
On a besoin d’une logique, au moins naturelle, pour comprendre un sermon, et le sermon nous apprend à bien raisonner sur les devoirs de la vie.
L’instruction religieuse et les sermons rempliront notre esprit des principes et des maximes salutaires, que la révélation et la loi divine nous offrent.
Voici quelques-unes de ces sentences, tirées de l’Écriture sainte, qu’il est bon de graver dans sa mémoire, en se rappelant que ce sont des propositions générales, quoiqu’elles ne le paraissent pas dans la forme.
1o « La sagesse n’entrera point dans une âme perverse ; elle ne demeurera pas dans un corps assujetti au péché. »
2o « Le méchant se dresse à lui-même des embûches pour perdre son âme. »
3o « Une entreprise concertée avec malice retombera sur celui qui l’a faite. »
4o « L’insensé change comme la lune. »
5o « Celui qui élève trop haut sa maison en procure la chute. »
6o « La prospérité des méchants les perdra. »
7o « Un homme impatient agit contre le bon sens. »
8o « Une réputation intacte est préférable à de grands biens. »
9o « Le juste a le courage du lion. »
10o « Le méchant fuit sans que personne le poursuive. »
11o « Que toutes vos démarches tendent à Dieu, et lui-même conduira vos pas. »
12o « Celui qui craint le Seigneur, est heureux. »
13o « Consultez le Seigneur dans tout ce que vous faites, et il règlera toutes vos pensées. »
Il y a dans l’Évangile un grand nombre d’autres maximes et sentences générales, que l’on comprendra mieux en lisant les écrits des docteurs qui les expliquent ou en écoutant leurs discours.
3o Souvent un seul syllogisme ne suffit pas pour prouver une vérité qui n’est pas évidente par elle-même ; alors il faut employer d’autres arguments pour démontrer la majeure ou la mineure du premier syllogisme, soit par exemple :
Toute injustice est défendue par la loi de Dieu ; or l’usure est une injustice ;
Donc l’usure est défendue par la loi de Dieu.
Si l’on a affaire à un usurier, il contestera la mineure, et il faudra la lui prouver, en lui donnant une définition exacte de l’usure, contrat par lequel on retire d’une somme prêtée un profit au-dessus du taux fixé par la loi, dix ou vingt pour cent, au lieu de cinq. Par là, on s’approprie illégitimement le bien d’autrui, on s’enrichit à ses dépens, etc.
4o Il faut encore observer que plusieurs propositions, qui paraissent négatives, sont néanmoins affirmatives dans le sens. Par exemple, ces paroles de Notre-Seigneur : « Celui qui ne porte pas sa croix et ne me suit pas, ne peut être mon disciple. » Cette proposition est affirmative dans le sens. On peut traduire : Pour être mon disciple, il faut porter sa croix et me suivre.
Celui-là est dans l’erreur, qui prend pour vrai ce qui est faux, et pour faux ce qui est vrai.
Ainsi, c’est une erreur de croire utile ce qui n’est pas honnête.
L’erreur, provenant d’une idée adoptée d’avance, s’appelle préjugé : elle est très commune.
Les préjugés ont leur source :
1o Dans les opinions formées dès l’enfance et fortifiées par une mauvaise éducation. L’âge tendre ne peut discerner la vérité de l’erreur ; il adopte sans examen les opinions de ceux qui l’entourent : c’est pourquoi il importe tant de le préserver du contact des personnes qui vivent ou parlent mal, de celles qui lui donneraient de funestes exemples ou ne l’entretiendraient que de misères et de sottises.
2o Dans les mots eux-mêmes, que les enfants apprennent avant d’en connaître la vraie signification. S’ils leur impriment une idée fausse, obscure ou confuse, ces idées se conserveront et ne s’effaceront que très difficilement plus tard. C’est ce qui arrive aux enfants qui entendent parler de bonheur, de grandeur et d’excellence, sans qu’on leur explique en quoi consiste réellement ces choses.
3o Dans les affections ou les inclinations. On forme son opinion d’après un sentiment d’amour ou de haine, de joie ou de tristesse, sans consulter la vérité.
4o Dans les usages du pays où l’on demeure. Les personnes d’une même patrie se ressemblent, parce qu’elles ont adopté les mêmes idées. De là vient qu’une nation méprise l’autre, et réciproquement en est méprisée. Ce mépris est un préjugé.
5o Les préjugés tirent souvent leur origine de l’autorité. Si quelqu’un craint beaucoup la censure d’un supérieur, cette crainte est capable de l’obliger à embrasser sans examen toutes les opinions de son maître. Cela arrive fréquemment aux enfants.
Les préjugés naissent encore de la trop grande confiance qu’on a en ses propres lumières. Plusieurs deviendraient sages s’ils ne croyaient pas l’être.
Outre ces préjugés d’amour-propre, il y a encore d’autres défauts qui nuisent à la recherche de la vérité, tels que :
1o La paresse. On ne veut pas réfléchir, parce que cela paraît trop difficile ; on aime mieux s’égarer que de se donner la peine de chercher son chemin ou de le demander.
2o L’avidité de tout savoir à la fois. On lit toutes sortes de livres, mais on les étudie superficiellement et sans rien approfondir.
3o Le défaut de mémoire, où s’accumulerait le trésor de la science. Un sage exercice augmente la mémoire, mais il faut avoir soin de comprendre ce que l’on apprend.
4o L’amour des plaisirs extérieurs et des divertissements du monde, qui sont une pépinière de folies, la ruine et la destruction de la raison, et de ce plaisir réel, qui consiste dans la connaissance de la vérité.
La logique, ou l’art de bien penser, a cela de particulier, que l’usage en est continuel et demande toujours la même application. Celui qui a appris à peindre ou à chanter, conserve ce talent et l’exerce presque instinctivement ; mais, pour bien raisonner, la facilité acquise par l’habitude ne dispense jamais d’une attention actuelle et d’une réflexion sur les opérations de notre esprit. Si cette attention est un peu onéreuse, n’oublions pas qu’elle est nécessaire, puisque la bonne vie en dépend. Pour bien vivre, il faut bien raisonner.
Au dernier jugement, Dieu ne condamnera pas seulement les pécheurs comme rebelles à sa volonté sainte, mais aussi comme insensés, c’est-à-dire comme ayant préféré l’erreur à la vérité.
Il nous faut donc veiller continuellement sur les opérations de notre esprit, pour nous assurer que c’est la raison, et non la passion et le préjugé, qui les dirige.
« Consultez le Seigneur en tout ce que vous faites, et il réglera lui-même vos pensées. »