Notre Epoque jugée d'après les Salons de 1914
La mode est aux centenaires, la curiosité aux restitutions du passé. Pour se figurer ce que fut ce passé, on a recours à l’histoire, aux mémoires, aux lettres intimes, mais aussi aux tableaux, aux statues, aux portraits surtout, comme décelant des nuances de la sensibilité, des aspects de la mode ou des prétentions de l’attitude que la parole n’a pu enregistrer. Il n’est guère de ces évocations qui ne s’accompagnent, aujourd’hui, d’images du temps, tirées des tableaux alors en vogue, ou des estampes qui couraient de main en main, quelquefois sous le manteau. Même les œuvres d’imagination sont mises à profit, car savoir ce dont rêvaient les naïfs, les songe-creux et les poètes, il y a un siècle, et sous quelles formes ils se représentaient la gloire, le bonheur ou l’amour, c’est encore pénétrer dans leur intimité et mieux connaître les mouvemens de leur cœur. L’habitude une fois prise, il est peu probable qu’on y renonce. Si, dans un siècle, on recherche ce qu’était la France, en 1914, comment elle sentait et ce qu’elle pensait, il est certain qu’on ira consulter son art. Que dira-t-il, alors, pour nous et contre nous ? Quelle image donnera-t-il de notre vie, quel témoignage sur nos mœurs, différent ou semblable, après l’histoire, le théâtre et la collection des journaux ? Si l’on se demande : « Quel était l’idéal des Français au XXe siècle ? Qu’admiraient-ils et qu’aimaient-ils à figurer autour d’eux ? Qu’espéraient-ils de la vie ? Qu’était la Parisienne en 1914 ? » et on se le demandera, sans doute, — ou l’humanité aurait bien changé ! — qu’est-ce que nos œuvres d’art pourront répondre ? Nous l’imaginerons aisément si nous parcourons les Salons de l’avenue d’Antin et des Champs-Elysées. Ils ont du charme : ils en auront plus encore si nous les repoussons dans le lointain où sont les choses disparues ; si nous considérons les tableaux, peints d’hier et à peine secs, comme de vieux témoins à consulter, des documens à lire. Leur témoignage sera le bienvenu, car il est tout spontané, nul des artistes réunis, ici, n’ayant songé à plaider pour ses contemporains. Parfois il sera un peu surprenant. Mais, même s’il nous surprend, il nous instruira en nous montrant l’empreinte que notre temps laisse de lui-même, à son insu, à la matière précieuse qui la garde le mieux.
« Il n’y a aucun doute qu’au commencement du XXe siècle, le trait caractéristique des Français fût la paix, le calme et les joies silencieuses du foyer, de la vie de famille. C’est ce qu’ils représentaient sans cesse dans leurs tableaux. S’ils ont figuré les événemens de la vie publique ou de la guerre, ces œuvres ne sont point parvenues jusqu’à nous et nous n’en trouvons pas trace dans le répertoire des grands artistes. Il est probable qu’il n’y en eut guère ou qu’on y attachait peu d’importance. De même, il semble que le machinisme fût infiniment moins répandu que quelques documens tendraient à le faire croire, — ou bien qu’il était circonscrit dans certaines régions du globe, les États-Unis d’Amérique, par exemple. En France, le train habituel de la vie, à en juger par les témoignages des meilleurs maîtres, était d’une grande simplicité, et d’un pittoresque aujourd’hui disparu. Que nous sommes loin de ces mœurs antiques ! Dans les tableaux de genre du temps, le moyen de locomotion le plus usité est la gondole, la construction la plus répandue la pergola, l’arbre le plus souvent rencontré, le cyprès. La vie s’écoulait, grave et sereine, dans les parcs aux lourds ombrages, autour de bassins somptueux, dans une oisiveté élégante… »
Voilà ce qu’on pourra fort bien écrire, un jour, si les artistes qui exposent cette année, avenue d’Antin, parviennent, — comme nous ne saurions, sans leur faire injure, en douter, — à la postérité la plus reculée. Car telle est, en effet, l’impression que donnent leurs toiles. Rien n’y a pénétré, de nos agitations, de nos drames, de nos foules, de nos travaux. Coin paisible, dit M. Gilsoul, l’Heureux instant, dit M. Lévy-Strauss, en montrant une mère avec son enfant, sur le tapis, au moment du goûter, l’Étudev dit M. Larrue en courbant deux enfans sur leurs livres, Soir d’espérance, dit M. Bouvet, le Grand-Père, dit M. Avelot, Calme, Méditation, Calme, dit M. Maurice Chabas, et partout des Intérieurs, des coins de chambre ou de boudoir, où l’on travaille, où l’on lit, où l’on rêve, des coins de jardins où l’on suit la fuite paisible des heures, des intérieurs d’église, surtout, où l’on prie. On pourrait croire à une immense conspiration en faveur des églises menacées, car ce sont, d’ordinaire, les plus humbles que nos meilleurs peintres ont célébrées. M. Meslé, M. Georges Griveau, M. Pierre Boyer, M. Le Sidaner, M. Le Gout-Gérard, M. David Nillet, Hochard, M. Lépine, M. Lefranc, M. Larrue, Mlle Doucet, avenue d’Antin, et, aux Champs-Elysées, M. Sabatté, M. Eugène Bossu, M. Blancard, M. Marius Roy, M. Glaize, M. Jean Geoffroy M. Lorimer, et bien d’autres.
Ce ne sont pas là des églises rencontrées, par hasard, dans un paysage : ce sont des portraits d’églises. Leurs traits et leurs rides sont étudiés comme ceux d’une aïeule. La femme qui introduit son obole dans le tronc de la vieille église chez M. Sabatté, pour la conservation des églises de France (Champs-Elysées, salle 43), est tout un symbole. L’excellente et fine impression intitulée l’Eglise voilée par M. Georges Griveau en est un autre de la même pensée. L’Église sous la pluie, de M. Meslé, est le type de ces humbles demeures du Bon Dieu, oubliées, dans le village moderne, que rien ne sauve de la destruction parce qu’elles ne sont pas des « monumens historiques. » Il ne semble pas cependant, au témoignage des peintres, qu’elles soient inutiles, car jamais ils n’ont exprimé, autant qu’aujourd’hui, le besoin qu’ont les âmes de se réfugier dans la croyance.
Les seules manifestations de la vie publique contemporaine sont des manifestations de piété. De rudes marins s’en vont sur la plage mouillée, au bord de quelque « rivière » de Bretagne, nu-tête et de minces cierges au poing, et c’est le Vœu de M. Boyer. Un frère ignorantin lève son bâton de chef de fanfare sur les têtes rougeaudes de jeunes tambours défilant dans la rue, et c’est l’Orchestre d’Enfans d’Hochard ; des figures étonnées de bambines se pressent et se serrent autour d’une statue de la Vierge sous la cornette protectrice des religieuses, et c’est le Mois de Marie, de M. Frédéric ; des formes blanches aux longs voiles tombans se blottissent au pied de lourds piliers sous l’équivoque lumière des vitraux, et c’est la Confrérie de Notre-Dame de M. Belladen ; des Bretons et des Bretonnes aux coiffes palpitantes se reposent à terre, par groupes, autour d’une vieille église basse, pareille à un navire ensablé, et c’est le Repos des pèlerins au Pardon de Sainte-Anne-la-Palud de M. Le Gout-Gérard. Les gestes du Benedicite inspirent, aux Champs-Elysées, M. d’Argoat et M. Désiré Lucas, la prière des nonnes prosternées devant l’autel de Notre-Dame de la Mer inspire M. Lorimer. La Fontaine miraculeuse, en Bretagne, a donné le thème d’un excellent tableau à M. Henri Guinier, et l’œuvre la plus accomplie du Salon est le groupe de deux femmes à l’église (salle 26), que M. Maxence a intitulé Oraisons.
Sans doute, si l’on passe, ainsi, du Salon de l’avenue d’Antin à celui des Champs-Elysées, on change un peu d’atmosphère. On se retrouve, çà et là, dans l’atmosphère du siècle passé et même de l’ancien Palais de l’Industrie. Car c’est le Salon de l’Ecole, dernier réduit des retardataires. On a un peu oublié d’ouvrir les fenêtres. On y trouve donc encore de grandes inutilités comme Après l’Émeute de M. Manceaux, ou le Travail, un chantier de construction, par M. Henri Martin. Et M. Scott a voulu nous dire, après Veretschaguine, ce que sont les horreurs d’une guerre dans les Balkans, avec ses tableaux sur le Transport des soldats turcs tués à Kirk-Kilissé et le Service religieux sur les tombes des soldats bulgares. Mais ce n’est point là qu’on s’arrête. L’œuvre la plus saisissante des Champs-Elysées, l’Enterrement de sept heures chez les Petites Sœurs des Pauvres à Saint-Omer, par M. Joets (salle 16), est une impression de recueillement religieux et d’intimité. C’est aussi l’impression dominante des Dames de l’ouvroir de M. Jonas (salle 17), et d’un grand tableau, intitulé Un vieux, par M. Grün (salle 4). Ce robuste vieillard, encastré dans une stalle de chœur, les mains nouées entre ses genoux, solidement posé, le front penché, comme pour écouter quelque office, semble, lui aussi, plaider pour la vieille église où il a trouvé un abri.
« Quel était donc l’idéal des hommes du XXe siècle à son début ? Il est certain que la pauvreté, la chasteté et l’obéissance y tenaient une grande place, car il y eut, à cette époque, un vif renouveau de ferveur franciscaine. La littérature biographique, critique et légendaire sur saint François d’Assise était abondante dans tous les pays et dans toutes les confessions. Les artistes parisiens prirent, en foule, le chemin de l’Ombrie et il ne se passa guère de Salon où l’on ne vit quelque œuvre de longue haleine inspirée du poverello d’Assise. C’est ainsi que l’Art, au XXe siècle, se mettait au service des hautes idées morales. Nous sommes loin de ces époques où un Burnand, un Maurice Denis consacraient des années à s’imprégner de la pensée franciscaine pour édifier leurs contemporains… »
Voilà qui se soutiendra fort bien dans les Sorbonnes à venir. Les documens ne manqueront point, authentiques, et pourvu qu’on les présente seuls, comme on fait d’ordinaire, ils paraîtront décisifs. Il y a toute une salle, en effet, avenue d’Antin, la salle VIII bis, dans le pourtour de la coupole, consacrée à saint François d’Assise, où M. Burnand, en trente-trois dessins rehaussés de couleurs, interprète les Fioretti. De son côté, M. Maurice Denis a rempli les vitrines de la salle X, avec les illustrations de la vie de saint François, gravures en couleurs. M. Bernard Harrison nous montre un Automne à Assise d’une atmosphère fine et lumineuse, comme une prière du saint lui-même, et l’on se souvient des grandes toiles où, ces dernières années, M. Lucien Simon et tant d’autres ont célébré la ville où il semble que Jésus soit revenu vivre. Aux Champs-Elysées, enfin, salle 2, M. Bouchor nous mène dans la Plaine d’Assise et sur la Place Saint-Rufin. Les peintres adoptent Assise comme, en d’autres temps, ils adoptèrent Barbizon, Pont-Aven ou la Grenouillère. M. Raffaëlli n’est pas encore à Assise, mais, déjà, le voici arrivé à Venise, — bien loin des fortifs et des « biffins » qui réjouirent sa jeunesse, et nul ne peut répondre qu’il n’ira pas, lui aussi, à la Portioncule, retremper, aux sources de sainteté, son Art qui fut toujours, à sa manière, un art profond et fervent. Les temps sont bien passés, que rappelle M. Georges Lafenestre au début de son livre sur Saint François d’Assise, inspirateur de l’Art italien, où le président de Brosses écrivait : « Près de Spoleto est la ville d’Assise, mais je me gardai bien d’y aller, craignant les stigmates comme tous les diables !… » On y va fort bien aujourd’hui, non seulement pour les fresques, mais pour les cloîtres et les souvenirs du saint lui-même et pour y renouer la tradition des Giotto, des Sassetta, des Simone di Martini et des Ghirlandajo.
Mais, à les bien regarder, ces peintres ne les renouent pas du tout. Il y a un abîme entre les anciens imagiers de la légende franciscaine et les nôtres. Chez les Anciens, beaucoup de surnaturel et fort peu de nature ; chez les contemporains, beaucoup de nature et point de surnaturel. Dans toutes les fresques de Giotto, de Sassetta, ou de leur école, on ne trouve pas un paysage, hors la figuration de quelque arbre conventionnel dans la Prédication aux oiseaux, ou d’une rocaille artificielle dans les Stigmates. Le fond le plus digne de ce nom est celui que nous voyons à Chantilly, dans les Fiançailles de saint François avec la Pauvreté : la route montant droit, de la Portioncule jusqu’à Assise, entre les carrés de culture disposés il y a sept cents ans comme ils le sont encore aujourd’hui et, au bout, les montagnes du Subasio. À part cela, rien ne nous donne la sensation de la nature : c’est l’arbre, c’est le rocher idéographique ou, si l’on veut, hiéroglyphique mis là pour indiquer le lieu de la scène. Chez M. Maurice Denis comme chez M. Burnand, le paysage enveloppe, imprègne, pénètre les figures, les transfigure, et l’action est réduite à rien. Il y a un abîme entre les deux sentimens. Ce qui touchait les Primitifs, c’était les faits miraculeux, les dérogations aux lois naturelles, le coup de théâtre divin qui dérange l’ordre établi et la monotonie des jours : le saint qui passe dans le feu sans se brûler, les diables qui s’envolent des cheminées de la ville d’Arezzo, la basilique qui dégringole et le moine qui, de son épaule, la soutient, les traits de feu qui partent d’un ange crucifié et viennent percer le saint aux quatre membres. Ce qui touche nos contemporains, c’est la splendeur ou la douceur des phénomènes naturels, la bénédiction du printemps dans la plaine d’Assise, l’hymne au soleil que semblent répéter tous les sommets de l’Ombrie, la communion intime du saint avec ses sœurs l’alouette à capuchon, son frère l’agneau, l’eau des sources, l’abeille des ruches, les fleurs du jardin de sainte Claire, son extase devant « la beauté des champs, le charme des vignobles et tout ce qui était plaisant aux yeux, » selon le dire de son disciple Thomas de Celano.
Saint François d’Assise est, au plus haut point, un saint champêtre et si les paysagistes avaient un patron, c’est lui, assurément, qu’ils peindraient sur leur bannière. Ses disciples, aussi : sylvestres homines, dit la Légende. Or notre époque est précisément l’époque bénie du Paysage. Le phénomène s’explique donc tout seul. Ce sont des paysages avec leurs hôtes habituels qu’ont figurés M. Burnand et M. Maurice Denis, ou bien des rues de villages, ou encore des cloîtres recourbant l’arc de leurs arceaux sur les traits effilés des cyprès. Saint François bénissant Assise est un malade arrêté sur la route ; saint François apprivoisant des tourterelles ou prêchant aux bêtes au pied d’un chêne immense ou d’un olivier, sur le bord d’un chemin, est un charmeur d’oiseaux. C’est un simple paysage que Frère Junipère coupant le pied à un porc pour le donner à un malade, et quand Frère Égide travaille à la vendange, il nous rappelle les héros ordinaires de M. Lhermitte.
Même quand l’artiste moderne choisit, dans la vie de saint François, un trait miraculeux comme son prédécesseur, l’abîme subsiste. M. Burnand nous montre le Loup de Gubbio, mais ce n’est plus la bête féroce transformée en un hôte mansuet, qui tend la patte au magistrat de la ville, chez Sassetta, tandis que le notaire prend acte de ses bonnes dispositions. C’est une vulgaire scène de genre : des enfans et des femmes groupés autour d’un gros chien-loup qui lèche une assiette avec philosophie, — quelque chose comme une Fable de La Fontaine, illustrée par Gustave Doré. M. Burnand se souvient bien des stigmates, mais il ne nous les montre pas : il nous montre saint François descendant du mont de l’Alverne, avec Frère Léon, « après la scène des stigmates… »
Par là, on voit que nous n’avons pas tellement changé depuis le président de Brosses ! Ce qui a le plus changé, en nous, c’est le sentiment de la Nature. Ce qui est nouveau, c’est le goût des minutes recueillies et le ragoût des vertus inexplicables. Nous aimons venir, de temps en temps, puiser à ces grands réservoirs de silence que sont les cités désuètes de l’Ombrie et à nous distraire du spectacle de l’ « arrivisme » contemporain par celui de ce petit frère qui déploya toute l’énergie dont un homme est capable, une énergie napoléonienne, à n’ « arriver » à rien, — qu’au Ciel. Ainsi, la Portioncule, les Carçeri, les grottes témoins des miracles de la Pauvreté et de l’Humilité ont du charme pour les âmes contemporaines. Mais on va les voir dans le même esprit qu’on irait voir un aviateur boucler la boucle ou l’extase d’un fakir : une curiosité pour un exercice d’acrobatie morale et sans aucune intention de l’imiter. On a retrouvé la place où Bernard de Quintavalle et Pierre dei Cattani se sont dépouillés de tout et ont laissé leurs richesses en un petit tas. Mais on ne voit pas que les visiteurs y aient laissé leurs automobiles. Et les « heureux de ce monde » qui viennent cueillir les roses sans épines de Sainte-Marie-des-Anges, ou interroger Giotto dans l’église haute d’Assise, ressemblent fort à ceux de Rome que Frère Junipère, voici déjà sept siècles, laissa se morfondre à l’attendre, tandis qu’il était à califourchon sur une balançoire, au lieu de les bénir…
Qui sont ici, les « heureux de ce monde ? » Assurément les personnages de La Touche, occupés à quelque fête dans les parcs, sur l’eau, à table, au concert, ou a de beaux voyages, — et, en effet, ils sont tristes. Ce sont des gens de Verlaine :
- Ils n’ont pas l’air de croire à leur bonheur,
et le charmant artiste, qui les créa, n’y croyait pas non plus. C’était un frère de Watteau, mélancolique dispensateur de joies élégantes et conteur désabusé de galantes aventures. On a bien fait de rassembler, avenue d’Antin, une dernière fois, en deux salles pleines, les salles I et XXIII, une cinquantaine de ses œuvres. La mort prématurée du Maître y met sa vraie signature. On les regardera avec d’autres yeux désormais et on les verra mieux. Ce qui fait le prix de toutes ces rencontres : rencontres d’âmes, d’yeux, d’ailes, d’eaux, de chants et de feuilles, de rayons et de reflets et d’ombres, c’est qu’elles sont éphémères. Le carrosse rouge s’en va cahin-caha, sous la pluie de feuilles mortes et disparaît ; le gué se passe et les nymphes restent seules ; l’eau qui drape les vasques s’effiloche et se perd ; la fusée retombe dans l’eau noire ; la coupe de Champagne s’abaisse vide, et l’Amour, que les mains des péronnelles se lassent de cribler de roses, ne trouvera plus, de longtemps, un pinceau qui le raille avec tant d’esprit. La mise en cadre de ces fantaisistes compositions leur prête l’apparence du transitoire. Presque toujours l’objet principal, au lieu de se trouver vers le centre, apparaît seulement dans le champ de la vision, ou va en sortir : c’est très sensible dans la Fête de nuit, par exemple. Nul n’a groupé de façon plus imprévue, ni n’a fait ses groupes plus mobiles. On dirait, sans cesse, qu’ils vont se disjoindre pour se reformer plus loin : c’est le prodige de la vie. Avec cela, une palette de grand coloriste. L’œuvre de La Touche est celle qui inspira le moins de théories : c’est qu’elle n’en a pas besoin. Elle se comprend tout de suite, se goûte au premier essai, exalte et réjouit en nous le sens de la matière colorée. S’il est vrai que la grandeur d’un art se mesure au degré de résistance qu’elle provoque dans la foule, et aux efforts qu’il faut pour la comprendre, l’art de La Touche ne vaut guère. Mais on pourrait en dire autant de celui de Mantegna, du Titien, de Léonard de Vinci, de Raphaël, de Rubens ou de vingt autres des plus grands, qui furent compris et acclamés par tout le monde, tout de suite. Le critère n’est donc pas sûr et il n’est pas prouvé qu’une œuvre ne soft, dans l’avenir, admirable qu’autant qu’elle a commencé par longuement horripiler les contemporains. Admirons donc, sans crainte, celle de La Touche, et saluons, en le quittant, ce royaume de la Fantaisie où il découvrait, chaque année, une province nouvelle, — et où il ne nous conduira plus.
Qui se partagera ce royaume ? On voit, aux Champs-Elysées, trois œuvres qui semblent nées sur ses frontières : La Grenouille ou la Coiffure interrompue, de M. Domergue, les Divertissemens dans un parc, de M. Paul-Albert Laurens, et la Treille, de M. Raoul du Gardier. On en voit trois autres qui n’en sont pas trop éloignées, non plus : La merveilleuse promenade, de M. Henri Montassier, Carnaval, de M. Webster, et la Fête de nuit, de M. Clovis Cazes. Mais ces œuvres, malgré leurs qualités, servent surtout de contre-épreuves et nous montrent à quel point était supérieur, en naturel, en fantaisie, en richesse décorative, le Maître que nous avons perdu.
Le seul peintre qui, dans ces deux Salons, nous donne un bel exemple de peinture décorative, claire, aérée, plaisante à l’œil, c’est M. Maurice Denis. Et pas plus que La Touche, il ne s’inquiète de figurer la vie contemporaine. En retrouvant, un jour, cette suite de panneaux sur Nausicaa (salle X), par M. Maurice Denis et cette grande figure d’Hercule au jardin des Hespérides (salle VI), par M. Desvallières, rien de plus naturel qu’on dise : « Il semble que les Parisiens de 1914 aient eu un goût très vif de l’Antiquité. Les fables de la Mythologie leur étaient familières. On devait s’entretenir couramment, dans les réunions mondaines, de la fille d’Alcinoüs, du rescapé de l’île d’Ogygie et de sa rencontre avec les Phéaciennes. Car ce sont, là, les sujets que les peintres à la mode choisissaient pour attirer l’attention du public… » Si quelqu’un hasarde que, peut-être, ces sujets ont été choisis non point parce qu’ils intéressaient les contemporains de M. Maurice Denis, mais parce qu’ils mettaient en valeur la beauté du nu sous le plein soleil et parmi les reflets des eaux, il ne sera point écouté. Car les solutions simples ne plaisent point à la critique. On lui répondra qu’il n’y a pas de beau, ni de laid dans la Nature, qu’il n’y a que des tempéramens d’artiste, qu’un grand peintre exprime nécessairement les angoisses et les rêves de sa génération et qu’une génération qui se passionna pour l’œuvre de M. Maurice Denis ne pouvait manquer de s’intéresser prodigieusement à l’histoire de Nausicaa.
A la vérité, l’aventure de ces peintres est singulière. Voici une trentaine d’années que la critique, presque tout entière, proteste contre le choix des sujets de l’antiquité classique dans les concours pour le prix de Rome. A chaque nouvelle épreuve, devant les thèmes proposés, le même cri s’élève : « Pourquoi toujours du nu, toujours de l’académie, toujours de l’antique ? Ce sont, là, des sujets absurdes 1 Quelle ferveur des jeunes gens du XXe siècle peuvent-ils mettre à figurer ces histoires, quelle sincérité ? Pourquoi y aurait-il des sujets nobles et des formes belles, en soi, et le nu serait-il matière d’art plus que le « complet » d’un chauffeur : cette routine est intolérable ! » Voilà qui est entendu. Or voici M. Maurice Denis et M. Desvallières, qui figurent parmi les novateurs, que rien n’oblige à rien, qui sont libres de choisir leurs sujets parmi les plus modernes et les plus « sincères » et les plus « angoissans, » pour l’humanité en marche : ils peuvent, si le cœur leur en dit, représenter, en un panneau de vingt mètres, une frise de dynamos ou M. Jaurès présidant une commission d’enquête… Que font-ils ? Ils font Nausicaa et ses compagnes « lavant et purifiant leurs vêtemens de toute souillure et les étendant en ordre sur les rochers du rivage que la mer a baîgnés » ou « déposant leurs voiles et faisant voler un léger ballon dans les airs, » ou Ulysse se réveillant au cri qu’elles poussent quand leur ballon tombe dans le fleuve, et apparaissant « dépouillé de ses vêtemens » et « souillé du limon des mers… » Or, il faut bien le dire : cette histoire, — en tant que péripétie, — ne nous intéresse que médiocrement, et il n’est guère de choses auxquelles nous pensions moins souvent qu’à l’aventure de Nausicaa. Mais quelle admirable péripétie de formes, de gestes, de couleurs ! Quel rythme indéfiniment nouveau, quel accord avec notre sensibilité esthétique ! Comme on comprend bien que, laissant à leurs théories les pédans du « futurisme, » ou de l’« Art social, » les artistes retournent au « nu » et au « drapé, » non parce qu’ils sont antiques, mais parce qu’ils sont éternels. Ainsi ont fait M. Auburtin dans son panneau Comme arrive le Printemps, M. Armand Point dans son Effort humain, M. Desvallières dans son Hercule au jardin des Hespérides, et M. Guillonnet (aux Champs-Elysées, salle 7) dans son Berger des Géorgiques
Ne cherchons pas d’autres causes à la supériorité de notre statuaire dans les tombeaux. Nos grands hommes de places publiques sont le plus souvent des cauchemars de laideur et de vulgarité. Si les « gisans » de nos monumens funéraires ont parfois encore quelque grandeur et quelque style, depuis le Cavaignac de Rude jusqu’à l’Alexandre Dumas fils de M. de Saint-Marceaux, c’est que l’artiste n’est plus tenu au « complet ajusté » par le tailleur, mais qu’il dispose librement les plis du vestis talaris. Ainsi, les morts, en statuaire, nous attristent-ils moins que les vivans. Cette année, précisément, le tombeau a inspiré plus d’un artiste. M. de Monard a coulé, en bronze, un monument anonyme et glorieux Aux Aviateurs morts pour la patrie. M. de Charmoy a imaginé ce que doit être, selon lui, le Tombeau du poète. M. Mercié a sculpté l’effigie funéraire du Prince de Joinville, le prince navigateur, artiste et soldat, qui aima tant son métier et put le pratiquer si peu. M. Morel et M. Malet exposent des tombeaux. Enfin, M. Bartholomé a taillé, dans la pierre, une Femme appuyée sur une stèle, courbée par la douleur, semble-t-il, et pleurant sur une tombe. Ce dernier morceau est ce qu’on peut attendre du grand artiste auquel nous devons les émotions les plus profondes de la statuaire contemporaine.
Ces manifestations d’un même sentiment sont très diverses, semble-t-il, et l’on ne saurait imaginer plus forte antithèse que celle ménagée par le hasard, avenue d’Antin, entre le Poète de M. de Charmoy, menu, émacié, plié dans une robe quasi monacale, rentré dans le « repos que la vie a troublé, » après s’être égaré, un instant, dans notre vie combative, — et l’Aviateur de M. de Monard, type moderne de l’homme d’action, dompteur d’élémens, frappé en plein vol, comme un oiseau de proie, image encore redoutable de la force, musculeux, le bras raidi dans une contraction suprême et un dernier effort. M. de Monard, en le figurant ainsi, a poussé à son extrême le caractère de la combativité moderne, comme M. de Charmoy, dans son Poète, à leur extrême, les signes de la « mort contemplative » et du renoncement.
Si l’on veut saisir un autre contraste, celui entre le doux évangélisme ombrien et la catholique Espagne, on n’a qu’à passer des images de M. Maurice Denis au Cardinal de M. Zuloaga, précisément exposé dans la salle voisine (salle XI). L’un est tourné vers le Ciel, l’autre est tourné vers l’Enfer. Saint François d’Assise vit et chante et danse presque dans un air léger, lumineux, aux ombres transparentes. Le terrible cardinal de M. Zuloaga est pesamment attaché au sol, sollicité par les puissances d’En-Bas, dans un pays sans atmosphère, massif, sans lumière, sans joie, où flotte comme une odeur de soufre, guetté par le regard équivoque d’un caudataire que la pourpre, et non le salut des âmes, hypnotise. M. Zuloaga est le peintre du cauchemar. Et c’est un bon peintre. Dans sa vision, comme il arrive quand on fait un rêve pénible et obscur, il n’y a pas de plans. Tout se présente avec la même densité, le même poids, la même intensité. La montagne et la ville voisines sont entrées dans la pièce où est assis le Cardinal et installées entre son fauteuil et sa table. Les roses du tapis sont aussi vivantes que celles du vase ou, si l’on veut, aussi mortes. Les rochers et les cyprès font partie du mobilier comme le bréviaire. Le tout a l’air tissé et brodé dans une même étoffe, somptueuse et lourde. Et c’est un parti pris fort extraordinaire. Mais si l’on accepte ce parti pris, il faut convenir que voilà une puissante peinture, cohérente, harmonieuse, fort peu moderne d’ailleurs, et je plains les archéologues chargés, dans quelque cinq ou six cents ans, d’identifier ce tableau.
Ils noteront sans peine, toutefois, qu’au XXe siècle, la France fut le berceau d’une nouvelle école espagnole, car les exemples ne manqueront pas. Après M. Sorolla y Bastida, après M. Rusinol qui continue d’exposer d’éclatantes Cours bleues ou des Jardins d’Aranjuez, après M. Zuloaga, voici M. Vazquez qui s’impose à l’attention par son tableau, L’Offrande des membres des confréries en Estremadure espagnole (Champs-Elysées, salle 37) et M. Benedito Vivès, qui peint un excellent portrait de chasseresse, avec un chien admirable, dans les tons de Velasquez, salle 2.
On pourra aussi dater de notre époque un renouveau d’orientalisme dans notre Art. Nos peintres ont décidément passé la Méditerranée. Ils l’avaient déjà passée avec Delacroix, avec Decamps, avec Fromentin, avec Marilhat, plus récemment avec Guillaumet. Mais, aujourd’hui, c’est une foule. Toute cette foule ne revient pas avec des trésors. Il faut tirer, de là, pour les admirer plus à loisir, les envois de M. Dinet, Baigneuses surprises, la Quesba, les Guetteurs, avenue d’Antin, et, aux Champs-Elysées, l’éblouissant Été, Sahel algérien, de M. Henri Dabadie, l’Alger vu du port de M. Léon Cauvy, dans la manière de Brangwyn, et les deux tableaux de M. Gourdault, Fête arabe à Gafsa et Le Fondouck aux colonnes, d’un haut ragoût de couleurs.
L’Orient n’inspire pas à nos peintres seulement des Orientales, des scènes de fantasia ou de farniente : il commence à leur inspirer des essais de psychologie : de la défroque clinquante, leur observation a pénétré jusqu’à l’âme de ces peuples. Il se passe en peinture à peu près ce qui s’est passé en littérature, où l’observation lucide et précise d’un Louis Bertrand a succédé aux brillantes et superficielles pochades des romantiques. La couleur est restée ; mais il y a autre chose. Voici M. Dinet, par exemple, qui tente de nous initier aux mouvemens de l’âme musulmane, en faisant pour Mahomet ce que M. Maurice Denis et M. Burnand ont fait pour saint François d’Assise : une suite de trente-cinq miniatures pour illustrer la vie du Prophète (avenue d’Antin, salles du rez-de-chaussée). Seulement, il n’a pas représenté le Prophète lui-même, ni rien de surnaturel, et il a pris la peine de nous expliquer pourquoi : « Musulman sincère, dit-il, l’artiste s’est refusé à enfreindre les véritables principes de l’Islam qui, s’ils admettent la reproduction de la figure humaine, contrairement à une opinion généralement répandue, interdisent non seulement l’image de la Divinité, comme un blasphème conduisant facilement à une idolâtrie plus ou moins déguisée, mais aussi celle des Prophètes, comme un sacrilège les diminuant inévitablement. » M. Burnand, sans rien nous dire, s’est pareillement gardé de figurer quoi que ce soit de surnaturel. M. Maurice Denis en a montré si peu que ce n’est guère la peine d’en parler. Et sans aucune théorie préconçue, sans mot d’ordre, tous nos artistes font pour le Christianisme ce que fait M. Dinet pour l’Islam : ils nous montrent les gestes des croyans, les cérémonies du culte, le reflet de la paix, de l’espérance sur leurs visages extasiés, mais ils ont abandonné la figuration de la Divinité et de ses messages à la terre.
À cette question : « Quel était le type de la Parisienne en 1914 ? » si on la pose dans cent ans, la réponse ne sera pas très aisée. Car M. Boldini nous en donne une, qui n’est pas celle de M. Aman-Jean, laquelle diffère assez des témoignages de M. Jacques Blanche, ou de M. Besnard, et M. Baschet survient à point encore, pour tout embrouiller. Supposons qu’il ne subsiste, dans les collections, par la malice des événemens, que le document fourni par M. Boldini : Portrait de Mlle R… et Portrait de Mlle L… salle XVIII. Voilà une image bien caractéristique d’un temps et d’un pays, pensera-t-on : nous tenons, là, sans aucun doute, le type de la Française au début du XXe siècle. C’est fort bien, mais si, au lieu du document fourni par M. Boldini, c’est celui qu’ont rédigé M. Baschet, ou M. Besnard, ou M. Chabas qui survit aux incendies, aux nettoyages, aux oublis, et qui tombe entre les mains de l’historien, voici un arrêt tout différent que rendra l’histoire, avec non moins d’assurance et une somme égale de « crédibilité, » puisque le document sera « du temps » et signé d’un de ceux qu’on considérait alors, à tort ou à raison, comme des « maîtres. » Nous jugeons tous les jours du Passé par une semblable méthode, c’est-à-dire en tenant pour l’expression de la vérité un document dont le grand mérite est de n’avoir pas servi à faire des papillotes.
Supposons, au contraire, que tous les portraits réunis ici, échappent à la destruction et soient consultés par les psychologues futurs, — s’il y a encore, dans cent ans, des psychologues, — qu’arrivera-t-il ? Qu’ils seront bien embarrassés… pensez-vous. Peut-être, mais ils le seront moins que nous. Un contemporain regardant des figures contemporaines, ce sont les dissemblances qui les frappent ; celui qui vient plus tard, ce sont les ressemblances. L’homme d’une génération nouvelle qui se trouve brusquement en face d’une génération disparue, c’est le voyageur qui débarque dans un pays lointain et inconnu. Il découvre, tout de suite, à toutes les figures qu’il rencontre, un trait commun, un air de famille, une manière de se tenir ou de se mouvoir qui le frappe par sa nouveauté et son universalité. Ce visiteur, que nous imaginons, qui n’est pas né encore, mais qui viendra devant nos portraits, aura, sans doute, cette impression d’uniformité, que nous y cherchons, en vain, aujourd’hui. Même ignorant, même illettré, il y verra quelque chose d’insolite, de caractérisé, que nous n’y voyons pas.
De fait, tous ces portraits se ressemblent en un point : ils sont inoccupés, las, les bras pendans ou languissamment repliés, les mains sont entr’ouvertes et ne tiennent rien, les cous sont nus et longs, les bras sont nus, les grandes lignes du vêtement sont croulantes et tombantes, les coiffures simples ; il n’y a pas de bijoux ou très peu. Les plis accompagnent et soulignent la chute des bras, tendent vers le sol. Aucun geste ne se projette, ni ne se profile. La toilette tient peu de place. L’altitude, ou ce qu’on nommait autrefois « la pose, » est réduite à rien. On pourra tirer de là, le diagnostic d’une extrême modestie ou, peut-être, d’un orgueil extrême. Ce sont des portraits d’intellectuelles, dédaigneuses des faciles triomphes du décor et de la mise en scène : le raffinement de la simplicité.
Je parle des portraits de jeunes femmes. Il est bien remarquable, en effet, que les portraits âgés n’ont point la même nonchalance, ni celui de Lady Vantage, par M. Laszlo (salle XX), ni celui de Mme Henri Germain, par M. Jacques Blanche (salle VIII). Ce dernier sera certainement consulté, dans l’avenir, comme un des plus beaux que notre temps aura laissés. L’harmonie des noirs, des jaunes, des violets couleur de pensée, des rouges, est admirable. On le consultera encore pour autre chose : pour illustrer ce que l’on trouvera dans les gazettes et peut-être dans les Mémoires sur les salons de notre temps. C’est un singulier hasard que de tant de femmes célèbres par leur esprit et par l’esprit des autres, c’est-à-dire par leurs salons, notre temps ne laisse à l’avenir aucun portrait vraiment révélateur. On en a deux de la princesse Mathilde, mais l’un semble plutôt une harmonie en rouge et un effet d’éclairage sous la lampe qu’une étude physionomique ; l’autre, fort ressemblant, la montre appliquée à une aquarelle et non à la grande affaire de son salon : la conversation. M. Jacques Blanche, le premier, nous apporte le témoignage d’un grand artiste sur une de ces femmes représentatives de la société française sous la troisième République, précisément au moment où elle préside aux rites de la sociabilité. En visite, en chapeau et gantée, installée, attentive, surveillant les paroles et les mines, tenant son éventail comme le sceptre de la conversation, dominant le choc des idées, le hasard des rencontres et les simulations des caractères, elle semble, comme au spectacle, jouir extraordinairement du tournoi où s’évertuent les causeurs de son temps. Elle suit les feintes de la courtoisie, les coups droits du bon sens, les voltiges du paradoxe, d’un œil amusé, perspicace, impartial.
C’est la chose du monde la plus rare qu’une conversation entre gens qui ont quelque chose à dire, et la plus française. Quand cette conversation devient générale et tourne en discussion, elle devient tout à fait précieuse. Le fond des caractères s’y découvre mieux que dans les actes et le fond des esprits plus vite que dans les livres. Le philosophe est tenu de sortir de son nuage et de fournir, tout de suite, les trois ou quatre conclusions dissimulées, d’ordinaire, dans le labyrinthe de son système. L’érudit déverrouille son trésor et en tire la seule anecdote peut-être digne d’être retenue qu’il y ait dans toute sa bibliothèque. Le politique fait grâce des développemens de son idée et vient aux faits. Tout spécialiste sort de sa spécialité comme d’une coquille et se joue en plein air. Et les mines qu’on ne voit pas dans les livres, révèlent ce que les livres ne disent pas, parce que l’auteur lui-même ne le leur a pas dit. Mais c’est la chose, aussi, la plus impossible à reproduire une fois qu’elle est passée. On ne saurait pas plus en donner une idée, en en montrant les élémens épars que d’une flamme en montrant des fagots ou des bûches. Et de toutes les discussions brillantes qui flambèrent et crépitèrent dans un des principaux salons de la troisième République, il ne restera, sans doute, à la postérité que le portrait de celle qui les écoutait.
On s’inquiétera vraisemblablement beaucoup moins de savoir à quoi ressemblaient les hommes de la troisième République. Ils ne sont pas en passe de faire des choses si grandes qu’on puisse raisonnablement espérer que nos petits-neveux éprouvent à leur égard une pressante curiosité. Il est entendu que nous sommes à une époque d’individualisme, mais jamais il n’y eut moins d’ « individualités. » Pourtant, il se peut qu’on regarde, un jour, leurs portraits, pour voir quelles figures avaient des gens qui vivaient à l’aise dans les liens d’une législation et d’une constitution surannées et dont le cerveau contenait encore tant de superstitions économiques et sociales… Voici, avenue d’Antin, les portraits de M. Albert Métin, ministre du Travail, par M. Le Riche, de M. Jean Dupuy, ancien ministre, par M. Laszlo, et de M. Charles Seignobos, par M. Kœnig, qui y aideront. Et, aux Champs-Élysées, les portraits de M. Mascuraad, par M. Louis Roger, de M. Maurice Sarraut, par M. Carrera, de MM. Pujalet et Charles Legrand, par M. Etcheverry, corroboreront leur témoignage.
Le portrait de M. Albert Métin (salle XIX) est excellent de naturel et d’aisance. Le peintre a donné à son modèle un air de satisfaction peu commune. On sent, à le voir, que tout va pour le mieux dans le monde du travail et de la prévoyance sociale : apparemment, dans le temps où fut peint ce portrait, l’ouvrier ne voyait rien au-dessus de son sort, la vie était facile et à bon marché, l’alcoolisme, un souvenir comme la Peste, l’Assistance obligatoire une source de bénédictions, les retraites ouvrières accueillies avec des larmes de reconnaissance : les lois sociales de la République avaient mis fin à tous les maux. Non loin de là (salle IX), le Portrait de M. Maurice Barrès rêvant, un livre à la main, devant Tolède, donnera une haute idée des loisirs de nos députés. Mais ce tableau que M. Zuloaga intitule Portrait de M. Barrès, n’a rien de M. Barrès et pas grand’chose d’un portrait. C’est un beau paysage, une Tolède ravinée, calcinée, âpre, tragique, comme il convient quand on est la patrie du Greco, mais embarrassée par un premier plan noir, qui est tout à fait conventionnel, et une longue figure d’homme, qui est tout à fait mauvaise. M. Zuloaga prouve, une fois de plus, qu’un excellent peintre, puissant coloriste et original metteur en scène, peut manquer des qualités requises pour faire un bon portrait.
Ce sont ces qualités, ou du moins quelques-unes d’elles, qui ont mis M. Bonnat, depuis si longtemps, à part des autres peintres de ce temps et qui éclatent encore dans le Portrait du marquis de Ségur, aux Champs-Elysées (salle 3). On ne pourra faire l’histoire de la troisième République, ni de la pensée à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, sans consulter M. Bonnat. C’est lui qui a le plus fortement exprimé le caractère de l’homme moderne, tout cerveau, tout travail, peu ou point pittoresque de costume, de pose, d’habitudes, sans rien d’apprêté, ni d’ostentatoire : un front lumineux dans une redingote noire. D’autres ont creusé plus profondément les traits individuels ou, avec plus de finesse, poursuivi l’expression fugitive. D’autres ont donné une vie plus palpitante aux chairs et aux regards. Son œuvre, à lui, quand on la rassemblera, en des « rétrospectives, » comme on fait celles d’Ingres ou de David, expliquera, mieux que nulle autre, en quoi nos contemporains illustres auront différé des enthousiastes de la Révolution, des doctrinaires de 1830, des imprévoyans du second Empire. Pour les historiens de l’avenir, obligés de se reporter aux images, les hommes représentatifs de notre temps seront les « hommes de Bonnat. »
Ce sont des caractères fort différens qu’on trouve dans les meilleurs portraits d’hommes exposés aux Champs-Elysées, c’est-à-dire : le Portrait du sculpteur Jean Baffier, par M. Joron, M. F. de Mély, par M. Patricot, l’Amiral Germinet, par M. Jonas, M. Santos-Dumont, par M. Flameng, William Forôes, Esq., par M. Harris Brown, l’Éleveur normand, par M. Vogel, et M. Shepard, par M. Hall, ces trois derniers en habit de chasse et le fouet à la main et dans les meilleurs portraits d’hommes exposés avenue d’Antin, c’est-à-dire avec ceux déjà cités, le Colonel d’Osnobichine, par M. Boutet de Monvel, et le Comte Szecsen, ambassadeur d’Autriche, par M. Tadé Styka. Ils se rattachent tous à des souvenirs de maîtres anciens et leurs physionomies mêmes n’ont pas le cachet exclusif de modernité qu’ont les physionomies de M. Bonnat.
Que dira-t-on maintenant de notre Art décoratif ? Et, d’abord, en parlera-t-on dans cent ans et les élèves studieux de nos écoles apprendront-ils, dans des manuels, les caractéristiques du style 1914 ? C’est une opinion assez répandue, dans l’esthétique contemporaine, que toute époque a un style et que, si elle ne s’en aperçoit pas, c’est qu’il n’est donné qu’à la postérité d’en distinguer les traits. Mais cette opinion ne repose sur rien. Car toutes les lois, en France notamment, qu’un style puissant et durable s’est créé, tout le monde s’en est aperçu, et les expressions « nouvelle manière de bâtir, » ou « goût nouveau, » qu’on employait alors, le prouvent surabondamment. On s’est aperçu du style Renaissance, on s’est aperçu du style Louis XIV, on s’est aperçu du Rococo, on s’est aperçu de l’Empire, dès qu’ils existèrent. Si nous n’apercevons pas le style troisième République, c’est peut-être parce qu’il n’existe pas.
C’est pourquoi il faut louer M. Lalique, après avoir paré la femme moderne, de s’occuper maintenant à parer la maison moderne. Et il faut le louer, encore, de chercher cette parure non dans les formes des choses, mais dans leur matière et leur couleur. La matière qu’il a choisie, c’est le verre, moulé et coloré, gravé quelquefois, et employé en grandes surfaces là où l’on employait auparavant la pierre ou le bois. C’est ainsi qu’on peut voir, avenue d’Antin, salle XII, tout un pavillon voûté, construit par ses soins, dont les pilastres ou montans sont faits de verre, couleur de miel, avec une décoration d’anémones figurées en relief et une fontaine centrale également de verre. La couleur répandue par tout cela est calme et fine : on baigne dans une transparence lumineuse. Sans doute, un tel décor ne convient pas à toutes les demeures, ni dans toutes les circonstances, mais il est à la fois charmant et nouveau. M. Lalique ouvre une voie où devraient s’engager résolument nos décorateurs. Les revêtemens de céramiques et les parois de verre, voilà ce qui peut marquer en gaieté, en intimité, en lumière, non pas une révolution totale, mais du moins un progrès dans l’art décoratif au XXe siècle.
A côté, précisément, dans la salle X, se trouvent, cette année, les vitrines où M. Delaherche expose ses Grès au grand feu et ses Porcelaines, M. Lenoble ses Céramiques de grand feu, M. Moreau-Nélaton, ses Grès cérames, et dans la salle voisine (salle XI) M. Dammouse a mis ses Pâtes de verre. Cet ensemble admirable, qui groupe les meilleurs exemples d’art décoratif qu’on puisse montrer à notre époque, doit être longuement étudié. On ne saurait rien trouver, hors de France, qui lui soit comparable. Nous passons peut-être trop souvent indifférens devant ces choses pour courir à des tableaux ou à des statues d’une matière moins précieuse. Il n’est pas impossible qu’un jour, en fouillant dans les collections et en y retrouvant l’œuvre des potiers nos contemporains, on écrive : « Il semble qu’au XXe siècle, et dès la seconde moitié du XIXe, on ait retrouvé, en France, la plupart des secrets des céramistes de l’Extrême-Orient pour colorer les terres et les cuire de façon à produire des effets éblouissans ou nuancés à l’infini. À cette époque, l’art du potier atteignit un tel degré de perfection que certaines pièces paraissent des produits de la Nature même, avec le profond éclat et la densité des pierres précieuses. Mais, chose curieuse, sur aucune on ne trouve la marque de Sèvres. Il faut croire qu’à cette époque la célèbre manufacture avait cessé d’exister… »
Datera-t-on de l’année 1914 un renouveau de la Peinture ? Assurément non. Et, d’ailleurs, dans les deux Salons de printemps, nul n’en affiche la prétention. Çà et là, seulement, quelques expériences. Chaque année, il y a un peintre qui entreprend de donner tort à Reynolds en peignant un tableau où les grandes surfaces sont bleues. C’est une tentative toujours malheureuse, toujours renouvelée : quelque chose comme le mouvement perpétuel ou la pierre philosophale des peintres. Car cette ambiance bleue qui, paraît-il, calme les fous furieux, enrage les gens qui ne le sont pas. Tout ce que peut obtenir le peintre, c’est qu’ils demeurent tranquilles. L’admiration, c’est trop leur demander. Pourtant, cette année, le problème a été résolu avec assez de bonheur. Avenue d’Antin (salle XX), Mme Florence Upton, en peignant une femme qui écrit Dans la Chambre bleue, est parvenue, à force de jeux de lumière, à créer une atmosphère agréable, — et aux Champs-Elysées (salle 9), M. Flameng, dans son Portrait de Mme Omer-Decugis, a peint une robe bleue avec une telle virtuosité qu’on oublie qu’elle est bleue, et la couleur chante et module comme si elle ne l’était pas.
Un autre artiste, qui rompt avec les habitudes coloristes de notre temps, M. Corabœuf, ne va pas inventer une peinture nouvelle, mais la sienne est si démodée qu’elle surprend comme un manifeste anarchiste. Sa Dame aux perles (Champs-Elysées, salle 34) prouve que les préceptes de l’Exposition Ingres n’ont pas été perdus pour tout le monde et que l’intraitable maître, subitement ressuscité par les soins de M. Lapauze, a fait, au moins, un élève. Si l’on admet le point de départ, à savoir que le dessin est tout dans un tableau, on admirera l’énergie, l’obstination de M. Corabœuf à tendre là où il est arrivé. C’est un phénomène de réaction ou de rétrogradation assez fortement caractérisé pour nous inquiéter sur les attributions qu’on en fera dans l’avenir. Retrouvée dans quelques centaines d’années, à quelle date la Dame aux perles sera-t-elle reportée par les critiques ? Et n’ira-t-on pas chercher son auteur parmi quelque élève inconnu de l’atelier d’Ingres, qu’Amaury-Duval et Delaborde auront omis de citer ?
Les deux tentatives les plus hardies dans les tableaux de figures, cette année, sont le Retour de chasse de M. Dufresnes, avenue d’Antin (salle VI) et Eros et Psyché de Mlle Hélène Dufau, (salle 1), aux Champs-Elysées. Mais toute leur nouveauté réside dans la transposition en peinture des procédés coloristes de la décoration du tapis oriental ou de la tapisserie. C’est beaucoup de talent dépensé pour ne pas atteindre le but d’un tableau.
Les paysagistes, non plus, ne nous révèlent rien de très nouveau. Quelques-uns se contentent de déployer une grande puissance dans l’interprétation d’un effet fugitif, comme M. Hughes Stanton avec sa Route dans les dîmes à Equihen (Champs-Elysées, salle 8). Je doute qu’on ait jamais aussi bien rendu l’éclairage d’un paysage pendant la légère éclipse du soleil, derrière des nuages, par un jour chaud. D’autres cherchent à pénétrer plus avant dans le mystère des crépuscules ou des nuits. M. Henri Duhem est parmi les premiers et ses vues de l’Ile de Clarens doivent être comptées parmi les meilleures de ses évocations crépusculaires, M. René Billotte est parmi les seconds avec son Lever de lune. Jamais, d’ailleurs, les chevaliers de la Lune ne furent si nombreux dans les Salons. Et à tous les « levers de lune » ou « nuits lunaires » habituels, il faut ajouter, cette année, deux tableaux de figures, Domrémy, de M. Picard, et Pêcheuses de Lune, de M. Chabas, où l’ « astre des nuits » figure comme le principal personnage.
Cette année, d’autres effets semblent avoir tenté aussi une foule d’artistes : les effets de neige. Aux Champs-Elysées, le Vallon sous la neige à Salvagny, de M. Louis Jourdan, rend très bien les colorations roses du soleil d’hiver, à certaines heures, le Soleil d’Hiver, de M. Gorter, et l’Hiver à Saint-Cloud, de M. Frequenez, sont aussi des contributions précieuses à l’étude de la neige. Ce sont là des trouvailles d’effets, mais ce ne sont point des trouvailles de métier. Le seul paysagiste qui, aujourd’hui, nous paraisse nouveau, tant par ses sujets que par ses procédés d’exécution, c’est M. Joseph Communal. Son tableau de haute montagne, La Meije et le lac Léris (Dauphiné) (salle 12) entièrement peint au couteau à palette, est ce qu’on peut voir de plus puissant, de plus neuf et de plus sûr.
Datera-t-on de 1914, du moins, un renouveau en sculpture ? Non, mais peut-être un retour à un certain archaïsme, je veux dire une grande simplicité de silhouette et une extrême sobriété de détails sont choses naturelles. Elles n’auraient jamais dû être abandonnées. La plupart des défauts de la statuaire viennent de ce qu’on la confond avec la peinture, c’est-à-dire qu’on veut tirer d’elle, en la torturant, des effets que la peinture, tout naturellement, exprime. Ici, l’archaïsme est donc un retour non à l’ignorance, mais à la connaissance profonde et sûre des virtualités de la matière. C’est pourquoi l’œuvre de M. Emile Bourdelle s’impose à l’attention : son Buste de Mme A. Simu, qu’il expose, cette année, a cette simplicité un peu archaïque, mais tout à fait noble qui convient au marbre. Un pareil souci se voit dans l’admirable Chancelier Rollin, de M. Bouchard, et dans la figure L’Ile de Sein, granit, de M. Quillivic. C’est l’archaïsme, aussi, de nos vieux tailleurs de pierre, qui donne son caractère à la statue Le Souvenir, par M. Eugène Bourgoin, et au Torse, jeune fille (granit) par Mlle Hilda Hart.
Le bois étant une matière encore plus difficile à travailler que le marbre ou la pierre, beaucoup moins homogène, semée d’obstacles, nœuds ou contre-fils, il est naturel que le modelé y soit plus sommaire et par plus larges plans. Or la sculpture sur bois paraît se développer dans les derniers Salons. Le poirier, le chêne, l’amarante, sont fouillés par des gouges audacieuses. C’est à M. Cornu que revient l’honneur d’avoir ressuscité cet art ancien, après M. Carabin, dont les figurines décoratives sont depuis longtemps célèbres. M. Cornu expose des Portraits d’enfans très bien traités et M. Carabin une Bigoudenne tricotant excellente de pose et de facture. Pareillement, M. Binder, originaire de Brienz, village où le travail du bois est en grand honneur, montre trois figures : Crépuscule, Bucolique et Petite Frileuse. Aux Champs-Elysées, on voit une Supplication, grande statue chêne, de M. Léon Morice et le buste en bois du Docteur Roux, par M. Bloch. Multa renascentur…
Il semble que, parmi ces choses qui renaissent d’un long oubli, il faille aussi compter la sculpture des jardins. Chaque année, nous voyons paraître de nouveaux projets de fontaines, des termes ou des statues destinées à présider aux essors des plantes. Cette année, on voit, aux Champs-Elysées, la grande Fontaine des dames d’Antan, de M. Alaphilippe, la spirituelle Vasque polaire, ours blancs et pingouins, de M. Perrault- Harry, les Enfans à la Fontaine, pierre et bronze, de M. Bertrand-Bontée, le Premier miroir, fontaine de M. Delpech, la Nymphe surprise, avec accompagnement de tortues, de grenouilles et de dauphins, par M. Boisseau, la Fontaine à l’enfant, de Mlle Janet Scudder, celle encore de M. Sartorio, et, dans le même objet de décoration, la Statue de pierre pour un parc, de M. Fernand David, et l’Enfant courant après son ombre, de M. Pavot, spirituelle et fine idée, qui ne se peut bien comprendre qu’exprimée en plein air, en plein soleil. Voilà une tendance d’art à encourager. Il faut souhaiter que les amateurs de jardins deviennent des amateurs de sculpture. Nos artistes ont trop travaillé pour la ville. Les places publiques regorgent de grands hommes. Il est temps de réagir. La décentralisation la plus pressante est la décentralisation des statues. Non que je souhaite voir ces mêmes grands hommes sous les charmilles, au carrefour des plates-bandes, reflétés par les miroirs d’eau. Ce sont d’autres gestes et d’autres Dieux qu’on doit rencontrer au détour d’une allée. « Il faut de l’enfance répandue partout, » disait Louis XIV. Les progrès qu’on a faits dans l’âme mystérieuse des bêtes, permettent, aujourd’hui, d’ajouter aux enfans nombre d’animaux divertissans et gracieux. Et les Dieux d’autrefois peuvent aussi revenir. Comment l’avenir jugera-t-il notre époque ? Nous ne le savons guère, mais ce sera un étonnement de voir le séjour et les choses des jardins tant vantés par notre littérature, au XXe siècle, et de ne retrouver aucune trace d’œuvres d’art faites pour les embellir.
ROBERT DE LA SIZERANNE