Notre France/IV/I

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Édition du Centenaire (p. 158-162).

Le point de départ

La République fut proclamée le 4 septembre 1870 et s’établit sans résistance de la part du régime auquel elle succédait. Depuis quelques jours, dans l’attente d’un désastre que chacun redoutait, il était question parmi les membres du Corps législatif impérial de la création d’un Comité de Défense nationale qu’aurait présidé le général Trochu, gouverneur de Paris. En des circonstances si tragiques, la régence de l’impératrice Eugénie ne semblait pas devoir assurer une suffisante sécurité. Lorsque la nouvelle de la capitulation de Sedan et de la captivité de l’empereur parvint à Paris, on tint une séance de nuit au cours de laquelle Jules Favre déposa une proposition de déchéance. Aucune voix ne s’éleva pour défendre la dynastie. Le jour suivant, la passion populaire se manifesta. La foule envahit l’enceinte parlementaire et réclama la présence à l’Hôtel de Ville des députés de Paris. Ceux-ci s’y rendirent. La députation de Paris[1] fut ainsi constituée en « Gouvernement de la Défense nationale ». Le général Trochu fut invité à présider le gouvernement. Étienne Arago fut nommé maire de Paris.

Cette organisation avait un caractère tout provisoire et embryonnaire. L’adhésion quasi unanime des provinces ne pouvait tenir lieu d’une consultation nationale qui s’imposait à bref délai. Dès le 8 septembre les électeurs furent convoqués pour le 16 octobre à l’effet d’élire une assemblée constituante. Mais pour faire les élections il fallait un armistice. Les conditions auxquelles le comte de Bismark acceptait de l’accorder n’étaient pas de celles qu’on pût discuter. Sitôt connus les résultats des entrevues entre ce dernier et le nouveau ministre des Affaires étrangères, Jules Favre, le gouvernement résolut d’ajourner les élections. Appuyé par la population parisienne[2] il se rejeta vers la guerre à outrance.

Tandis qu’Ad. Thiers parcourait l’Europe pour demander aux puissances neutres d’intervenir en faveur d’une paix raisonnable, Gambetta, évadé en ballon de la capitale maintenant investie, organisait à Tours, avec l’aide de M. M. de Freycinet, des armées nouvelles. Pendant de longs mois, la France disputa pied à pied son territoire aux Allemands. Lorsque enfin la défaite se trouva définitive et que l’armistice eût été signé, une Assemblée nationale se réunit à Bordeaux. Elle confia le pouvoir exécutif à Ad. Thiers qui avait eu l’honneur d’être élu vingt-huit fois tant la faveur populaire s’attachait à son nom, à la suite de la mission remplie par lui près des cours européennes et malgré que cette mission eût échoué.

L’Assemblée eut le double et pénible devoir de ratifier le traité de Francfort et d’appuyer le gouvernement dans la répression de l’insurrection communiste de mars 1871[3]. De Bordeaux les pouvoirs publics se transportèrent à Versailles. Le 31 août 1871 un scrutin de 480 voix contre 93 conféra pour trois ans à Ad. Thiers le titre de président de la République Française. Dans la pensée de nombre de députés acquis à la pause monarchique, il s’agissait d’un régime d’attente ne préjugeant point de l’avenir. Ce n’en était pas moins la ratification de l’initiative populaire prise le 4 septembre 1870 et comme une sorte de consécration du principe républicain.

On commença, dès lors, d’employer l’expression : troisième république — de même qu’on désignait le règne de Napoléon iii sous le nom de : second empire. Mais il convient d’observer qu’il ne s’agissait point, comme ces mots le donneraient à penser, d’institutions ayant antérieurement existé et qui auraient été simplement rétablies. La première et la seconde république n’avaient eu l’une et l’autre qu’une durée éphémère et ne pouvaient fournir à la troisième que des traditions violentes ou utopiqucs d’une utilisation inopportune. Les circonstances étaient nouvelles ; les procédés le furent également. Un an après la création de la République, ses législateurs n’étaient point encore occupés à lui préparer un statut. Quant ils s’attelèrent à cette besogne, ce fut tardivement et comme sans entrain. Les textes constitutionnels organisant les différents rouages du gouvernement ne furent votés que le 25 février 1875[4]. À la différence des nombreuses constitutions qui l’avaient précédée, celle-ci n’est accompagnée d’aucun préambule théorique, d’aucune déclaration de principes. C’est plutôt une constitution « d’affaires ». Personne ne semblait croire qu’elle pût durer. Or, en 1914, elle avait déjà dépassé de vingt et un ans la plus durable de ses devancières.

Tel est le « point de départ ». La République proclamée en 1870 est, en 1871, dotée d’un président et reçoit en 1875 son organisation complète.

  1. Elle comprenait : MM. Emmanuel Arago, Crémieux, Jules Favre, Jules Ferry, Gambetta, Garnier-Pagès, Glais-Bizoin, Pelletan, Ernest Picard, Jules Simon et H. Rochefort. Tous appartenaient à l’opposition républicaine,
  2. Il est assez piquant de constater que le gouvernement demanda la consécration de ses pouvoirs à un plébiscite, mode de consultation que ses membres combattaient sous l’empire, mais auquel les circonstances les amenaient à recourir ; 500.000 votes favorables contre 60.000 consolidèrent leur situation.
  3. Cette insurrection ensanglanta Paris, déjà si éprouvé par un long siège. Le palais des Tuileries et d’autres monuments furent détruits. Le caractère internationaliste du mouvement a été mis en relief, notamment dans une circulaire diplomatique de Jules Favre, attirant sur ce point l’attention de nos représentants à l’étranger.
  4. Par une majorité de 181 voix sur un total de 689. On voit, en rapprochant ce scrutin de celui du 31 août, ce qui reste de la légende d’après laquelle la République « n’aurait été votée qu’à une voix de majorité ».