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Notre Programme (Revue du droit public)

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NOTRE PROGRAMME


La Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger a un programme qui est tout entier renfermé dans le titre qu’elle prend, mais qu’il importe cependant de développer. Disons donc ce que nous voulons faire, ce que nous entreprenons.

Nous voulons condenser dans une revue, d’ordre avant tout scientifique, mais qui ne repoussera pas cependant l’actualité quand elle rentrera dans son cadre, tout ce qui se rapporte au droit public et à la science politique, et cela seulement.

Les revues, les journaux, les répertoires et recueils d’arrêts en matière de droit privé abondent dans tous les pays, en France comme à l’étranger, et cela se comprend ils constituent des instruments de travail indispensables pour ceux qui, par leur profession, sont voués à l’application même du droit. Cela est si vrai que, même parmi les revues d’ordre très général qui, par leur programme, sembleraient comprendre à la fois le droit public et le droit privé, la plupart donnent une préférence marquée, une place prépondérante aux travaux d’ordre doctrinal ou jurisprudentiel relatifs au droit privé. Ai-je besoin, en outre, de rappeler ici l’importance tout à fait exceptionnelle prise dans ces derniers temps par les travaux de doctrine que suscitent les arrêts de la Cour de cassation et de nos Cours d’appel ? Les recueils d’arrêts ont cessé d’être de sèches reproductions des décisions de justice. Et, sous le modeste titre de notes, ils renferment les plus riches développements doctrinaux, les dissertations les plus complètes, les plus substantielles, les plus originales que la science du droit privé ait jamais produits chez nous.

Il n’en va pas tout à fait de même du droit public. De date beaucoup plus récente, le nombre des revues et des recueils qui lui sont consacrés, au moins en France, est loin d’atteindre celui des publications similaires dans l’ordre du droit privé. Et cependant son importance grandit tous les jours il fait naître des Écoles spéciales, il suscite une réorganisation sur de nouvelles bases de l’enseignement de nos Facultés de droit ; les problèmes qu’il soulève sont discutés tous les jours dans les Parlements, dans les journaux. Il nous a semblé que l’heure était propice pour créer un organe où ces problèmes pourraient être l’objet à la fois de travaux théoriques et de travaux pratiques d’ordre doctrinal de la part de tous ceux qui, par profession ou par goût (le nombre de ces derniers augmente tous les jours), sont amenés à s’en préoccuper. Et c’est parce que nous voulons attirer à la fois ces deux sortes de travaux que nous avons donné à la revue ce double titre de Revue du droit public et de la science politique. En effet, pour traiter les questions de droit constitutionnel, de droit administratif, même de droit international, il faut être jurisconsulte. Il faut avoir fait du droit une étude approfondie. Il est à souhaiter que l’idée de droit, que les formes du droit, que les procédés du droit pénètrent tous les jours davantage les matières constitutionnelles, constitutionnelles, administratives, internationales. Ce n’est qu’à cette condition qu’une institution acquiert une force de résistance qui lui permet de braver et d’affronter les tempêtes. Là où le droit n’existe pas, là où la forte ossature qu’il constitue ne peut pas se former, il n’y a que des institutions flottantes et sans consistance. Il faut que l’État, que l’individu, que les groupes, dans leurs rapports respectifs, aient leurs prérogatives, leurs attributions, on dirait ailleurs leurs « droits subjectifs », nettement constitués et définis. Et pour obtenir ce résultat, il n’y a pas deux moyens. Il faut que dans’la constitution, dans l’administration, dans les rapports internationaux, le droit s’introduise. Et il ne s’y introduira qu’avec les jurisconsultes.

Mais il n’en est pas de même de la science politique, et la science politique me paraît un complément indispensable des études de droit public. Le droit nous dit ce qui est, comment est organisé l’État, quelle est sa structure, quelles sont les fonctions qu’il remplit et comment il les remplit. La science politique nous apprendra comment il faut que soit organisé l’État, quelles sont les fonctions qu’il est désirable de lui voir remplir, quelles sont les tâches qu’il doit répudier dans une société déterminée.

Elle nous dira quelquefois peut-être les lois de l’organisation de l’État, les lois d’après lesquelles, étant données certaines conditions de milieu social, économique, religieux, politique, doivent se trouver forcément organisées la structure et les fonctions de l’État.

Quoi qu’il en soit et c’est là que je veux en venir, il ne semble pas que, pour faire de la science politique, il soit nécessaire d’être un jurisconsulte. On a été jusqu’à dire qu’il valait mieux ne pas l’être. C’est là sans aucun doute un paradoxe qui ne tient pas compte des qualités multiples qui font le véritable jurisconsulte et auquel les faits donnent partout le démenti le plus éclatant ; mais il est bien certain que la philosophie, les connaissances historiques, la vie publique, les hautes fonctions de l’État préparent aussi à cette science si difficile et cependant si négligée, à cette science dont on disait récemment dans une revue estimée qu’elle est « une de celles que nous négligeons le plus en France et dont on constate à chaque instant l’ignorance des principes chez tous, conservateurs ou libéraux, savants ou lettrés, politiciens ou citoyens paisibles[1] ».

Tel est le programme de la revue nouvelle. C’est l’État considéré dans sa structure et dans ses fonctions qu’elle compte étudier, c’est des rapports généraux que l’État entretient avec l’individu qu’elle veut s’occuper. Droit constitutionnel, droit administratif, droit international, organisation judiciaire, questions pénitentiaires, droits et libertés de l’individu vis-à-vis de l’État, législation financière, droit public colonial (government of dependencies) etc., aucune des parties de ce vaste domaine ne lui restera étrangère.

Mais elle exclut tout ce qui est droit privé proprement dit, tout ce qui touche au droit civil, au droit commercial, tout ce qui touche aussi à la procédure, même au droit criminel, sous la réserve des questions d’organisation judiciaire, des questions pénitentiaires et des droits et libertés de l’individu vis-à-vis de l’État. Est-ce à dire que nous n’insérerons jamais aucun travail dans cet ordre d’idées ? Telle n’est pas notre pensée. Il y a dans le droit privé certains principes qui constituent au premier chef des règles du droit public dans le sens large du mot. Le principe de la liberté et du respect des contrats, le principe de la propriété privée, par exemple, sont au premier rang parmi ces règles essentielles qui servent de base à l’organisation des sociétés modernes. Il est bien évident que nous ne pourrons pas consacrer à la mise en œuvre et à l’application de ces principes, le même genre de développement qu’une revue de droit privé. Mais sur ces principes considérés en eux-mêmes, nous nous reprocherions de ne pas accueillir les travaux inspirés par la philosophie du droit, par la sociologie, l’économie politique.

Et de même nous ne serons pas une revue d’économie politique proprement dite ; mais nous ne voulons pas cependant exclure tout ce qui rentre dans le vaste domaine de cette science encyclopédique. Sans doute, il y a bien des parties de l’économie politique qui nous resteront complètement étrangères. Nous ne voulons rien ajouter, par exemple, à la théorie de la valeur, ou à celle des débouchés ! Mais l’économie politique touche à tout, elle n’est d’ailleurs, à beaucoup de points de vue, qu’une branche de la science politique. C’est dire que nous nous réservons sur bien des points de faire cause commune avec elle.

Ce programme si vaste, il nous reste à indiquer comment nous comptons le remplir.

Sur les différents points que je viens de développer, la revue comportera plusieurs séries de travaux. Il y aura d’abord ce qu’on est convenu d’appeler les articles de fonds ou de doctrine. Ce sera la matière substantielle de la revue. Les articles seront de plusieurs ordres et il serait difficile de les classer par avance. Disons toutefois que nous voudrions faire une certaine place à l’analyse critique des projets ou propositions de lois, présentés en France ou à l’étranger, et rentrant dans l’ordre des matières dont s’occupera la Revue. Fait par des jurisconsultes, au seul point de vue de la science, cet examen pourrait rendre des services sur lesquels il est inutile d’insister.

Nous voudrions inaugurer aussi l’usage d’analyses critiques étendues et détaillées sur les ouvrages rentrant dans notre cadre. Il nous semble qu’à propos d’un livre on peut toujours écrire un article intéressant, aussi substantiel, aussi utile qu’un article de fonds proprement dit. Il faut bien le reconnaître, les occupations multiples de la vie laissent à peine le temps de lire un livre de longue haleine. Or, si on ne lit pas le livre, on peut lire tout au moins l’analyse critique du livre, et bien des personnes en sont réduites là. C’est même là la grande utilité des revues, elles extraient des publications diverses, rentrant dans leur cadre, ce qu’il y a de meilleur, le suc pour ainsi dire, et le servent à leurs lecteurs. Tout le monde connaît le merveilleux parti qu’ont tiré du simple compte rendu ou de la froide analyse certains critiques littéraires. Il ne nous déplaisait pas de voir s’établir dans la revue qui se fonde l’usage de ces articles à propos de livres où tout ce qu’il y a d’intéressant est noté, ce qu’il y a de critiquable critiqué.

Mais ce n’est pas à cette œuvre purement doctrinale que se bornera la revue. Elle est une revue de droit public et de science politique. Elle voudrait être en même temps quelque peu une revue politique, une revue d’actualité, s’adressant par conséquent au public lettré de tous les pays. A cet effet, il y aura dans chaque numéro de la revue, pour les pays qui comptent et dont nous avons intérêt à suivre le développement, une chronique politique et parlementaire où seront résumés les principaux faits de cet ordre qu’il est intéressant de connaître. Élections, interpellations et débats législatifs importants, crises ministérielles, enquêtes parlementaires, conflits entre les Chambres, lois et projets de lois touchant au droit public, rapports des Églises et de l’État, luttes des partis, relations internationales, tout ce qui, en un mot, dans la vie politique et parlementaire de tous les jours, passionne ou intéresse le public de plus en plus nombreux qui suit les affaires de l’État parce qu’elles sont en même temps les affaires de chacun, tout cela sera raconté aux lecteurs de la revue. Nous entreprenons là, nous ne nous le dissimulons pas, une œuvre difficile. Et en effet, il ne faut pas d’abord que dans ces chroniques la passion et l’esprit de parti viennent se glisser. Cela dénaturerait une œuvre qui veut avant tout rester scientifique. Mais l’impartialité, la modération, la réserve et la discrétion sont déjà des qualités difficiles à obtenir dans les œuvres doctrinales. Combien plus la difficulté sera grande dans une tâche comme celle-ci, alors qu’il s’agira de faits tout récents, de luttes qui souvent ne seront pas terminées, alors que les passions seront encore toutes chaudes du feu de la bataille ! Et, nouvelle difficulté, ces récits nous les voudrions faits sur les lieux mêmes, par des écrivains du pays, mêlés eux-mêmes quelquefois à ces événements.

Ici, nous prions le lecteur de considérer avec attention le but que nous poursuivons. Nous voulons avoir la physionomie bien vivante des faits qui seront racontés. Nous voulons en outre que, s’agissant d’un pays étranger, ce soit l’âme même de ce pays, sa façon d’apprécier les choses, sa tournure d’esprit qui se reflètent dans ces chroniques. Nous sommes habitués, en France tout au moins, à tout envisager sous ce que j’appellerai l’angle visuel français. De là de profondes erreurs d’appréciation, de là des malentendus et un aveuglement qui nous ont été souvent et avec raison reprochés. Il faut bien nous dire que, quelque grande que soit la France, et nous la voudrions tous plus grande encore, elle n’est pas la seule nation qui contribue au progrès général de l’humanité. Et si d’autres que nous vivent et prospèrent dans le concert des peuples, il faut bien reconnaître qu’ils ont quelque droit à être connus dans leur originalité propre, dans les marques distinctives de leur caractère national. Il faut cesser de nous étonner et de considérer comme des anomalies ce qui ne ressemble pas de tous points à notre conception nationale et à nos habitudes. C’est pour cela que nous avons voulu ces chroniques faites par des hommes du pays. Il en résultera sans doute une bigarrure qui étonnera au premier abord. Mais nous voulons croire que le lecteur sera bientôt intéressé par ces récits qui le transporteront dans un milieu politique et intellectuel autre que celui où il vit d’ordinaire, et qu’il nous saura gré d’une tentative pareille, en songeant aux difficultés de sa réalisation et aux avantages qui pourraient en résulter pour tous.

C’est en nous plaçant à un point de vue analogue que nous avons fait une très large place, même pour la partie doctrinale de la revue, aux auteurs et publicistes étrangers. Ici encore nous voudrions faire œuvre nouvelle. Nous voudrions faire connaître en France les auteurs et publicistes étrangers qui, sur le droit public et la science politique, se sont acquis un renom trop souvent limité aux frontières nationales. Et ce n’est pas seulement aux lecteurs français que nous voudrions procurer le plaisir de faire la connaissance très intime d’écrivains dont tant et de si remarquables ne sont connus, en dehors du pays dans lequel ils écrivent, que d’un petit nombre d’initiés. C’est au public lettré très étendu qui lit les publications de langue française que nous nous adressons, et ce public-là, il est un peu partout, et dispersé aux quatre coins du monde. On parle beaucoup de législation comparée depuis un certain nombre d’années, et la France a pris ici une initiative qui lui fait le plus grand honneur. La Société française de législation comparée, dont les publications et les travaux pénètrent dans les coins les plus reculés du monde civilisé, a inauguré des travaux qui n’ont été imités ni égalés dans aucun autre pays. Nous voudrions, c’est peut-être là une bien grande ambition, compléter son œuvre et devenir son auxiliaire, sur un point limité de son vaste domaine. Elle publie des textes se référant à l’ensemble de la législation. Nous voudrions devenir son auxiliaire dans la sphère du droit public. Nous voudrions provoquer des études originales de droit public qui seraient avant tout, sinon exclusivement, l’œuvre d’auteurs, de publicistes du pays même dont ils décriraient ou étudieraient les institutions. On a dit bien souvent qu’il est fort difficile pour un étranger de bien étudier et de bien comprendre les institutions d’un autre pays que le sien. Sans doute, il y a à toute règle des exceptions, et il ne serait pas difficile de citer des auteurs français ou anglais qui ont écrit sur les États-Unis des livres qui font autorité, des Français ou des Allemands qui ont exposé et compris les institutions anglaises au moins aussi bien et quelquefois mieux que les Anglais eux-mêmes. J’ai, pour ma part, entendu un Anglais, très bon juge en pareille matière, rendre cet hommage à un de nos publicistes politiques les plus connus pour les institutions de son pays. Mais ce sont là des cas exceptionnels et ce serait un paradoxe insoutenable que de vouloir les ériger en règle et en principe. La règle, c’est que les institutions politiques, judiciaires, administratives d’un pays ne sont bien comprises et ne peuvent être bien exposées que par un auteur de ce pays, vivant au milieu d’elles, en voyant tous les jours le fonctionnement, y participant peut-être. Et c’est pourquoi nous ferons une large, une très large place à la science étrangère. Le seul cosmopolitisme qui soit admissible, le seul qui soit acceptable, c’est le cosmopolitisme scientifique.

Ai-je besoin d’ajouter que la revue qui paraît aujourd’hui est une revue essentiellement moderne ? Son titre et les développements qui précèdent le disent assez. Nous laissons à d’autres organes, et ils ne manquent ni en France ni à l’étranger, le soin de découvrir l’esprit des institutions du passé et d’en décrire le fonctionnement. Sans doute, il y a dans ces investigations autre chose, il ne faut pas l’oublier, qu’un intérêt de pure curiosité historique. Le présent ne peut être bien connu, dans ses tendances comme dans son esprit, que lorsqu’on connaît bien ce qui l’a précédé. A ce point de vue, l’histoire des mœurs, des institutions et des idées est une auxiliaire précieuse même de la politique moderne, scientifiquement entendue. Nous serions heureux que nos collaborateurs lui fissent une large place dans leurs travaux. Ce que nous entendons dire en annonçant que la revue sera essentiellement moderne, c’est que l’histoire ne saurait être pour elle un but, mais un moyen.

Il reste à nous expliquer sur un des objets de la revue auquel son caractère cosmopolite prête une importance et un intérêt tout à fait exceptionnels. Nous sommes une revue de droit public et nous ne répudions aucune partie de son vaste domaine. C’est dire que le droit international rentre dans notre cadre. A vrai dire, il semble que ce soit surtout le droit international qui comporte au plus haut point cette coopération d’auteurs et de publicistes de tous les pays. N’est-il pas le droit le plus uniforme, ne devrait-il pas provoquer les travaux les plus concordants et les plus semblables sur tous les points du globe ? Malheureusement, ce droit met trop souvent aux prises, puisque les sujets en sont les États eux-mêmes, les intérêts les plus difficiles à mettre d’accord. Les intérêts des particuliers ou des groupes ne font naître, défendus ou attaqués, en dehors des intéressés, que des approbations ou des protestations en quelque sorte abstraites. Ici ce sont des susceptibilités nationales, les plus pointilleuses de toutes, que soulèvent souvent les discussions d’ordre en apparence théorique. Nous tenons à déclarer que les travaux de droit international auxquels la revue ouvrira ses colonnes ne seront accueillis, d’où qu’ils émanent, que s’ils sont conformes à l’impartialité scientifique la plus stricte. C’est aux journaux politiques et aux gouvernements qu’il appartient d’entamer des polémiques ou des négociations où le point de vue national doit être le phare sur lequel on a les yeux constamment fixés. Tel ne saurait être le rôle d’une revue qui ne vise qu’à la vérité et à l’impartialité scientifique. Elle est et entend rester un organe, une tribune ouverts à tous, sans parti pris, et d’où sera bannie toute discussion quelque peu irritante. On ne remarque pas assez, d’ailleurs, qu’à cette condition seulement, on peut espérer avoir quelque crédit et se faire écouter. C’est là, nous le reconnaissons, un terrain difficile : nous essayerons cependant de nous y tenir solidement.

Tel est le plan général de la revue que nous fondons. Elle n’est pas la première qui s’occupera de ces questions en France ni surtout à l’étranger. Mais elle croit présenter dans son organisation un caractère nouveau. Dans l’esprit de ses fondateurs, elle ne sera pas une revue d’ordre exclusivement technique s’adressant à un public restreint et spécialement, professionnellement voué à l’étude des questions qu’elle abordera. Elle voudrait être lue aussi du grand public, s’adresser à ceux, de plus en plus nombreux, que préoccupent et qu’attirent les problèmes de la science politique. C’est pour cela qu’elle n’a pas voulu se renfermer dans une spécialisation trop étroite. C’est pour cela aussi, c’est pour mieux marquer encore son caractère d’organe s’adressant à tous, qu’elle a voulu faire une très large place à la vie parlementaire et politique en France et à l’étranger. Œuvre avant tout d’hommes de science, elle voudrait faire entendre sa voix sur les grandes questions qui s’agitent dans tous les pays civilisés à l’heure actuelle, à côté de celle des journaux politiques et des partis. Non pas qu’elle entende laisser de côté ou même négliger les questions qui, pour avoir moins d’actualité, pour ne point passionner l’opinion du moment, n’en ont pas moins souvent une extrême importance, une importance même plus grande que celle sur lesquelles se livrent les batailles de plume ou de parole les plus acharnées. Ceci est bien loin de notre pensée, et nous ne ferions vraiment pas œuvre scientifique en agissant ainsi. Mais nous croyons qu’à l’époque actuelle, en présence de l’importance toujours grandissante que prennent les questions de droit public et de science politique, il ne faut pas les laisser discuter seulement par les Parlements et les partis. La science, qui n’a jamais été mieux armée qu’à présent, doit, elle aussi, fournir sa note dans ce concert où les partis ont jusqu’à présent accaparé tous les rôles. Il ne faut pas qu’elle se désintéresse des préoccupations du temps présent, il faut qu’elle ait une action moins effacée, plus militante s’il le faut. Sans être infaillible, et, à raison de ses procédés d’étude et de discussion, à raison aussi de l’absence d’intérêt immédiat dans le résultat des luttes politiques, elle risque moins de se tromper que les partis, les Parlements et l’opinion publique. En tout cas, elle a le droit de dire ce qu’elle croit être la vérité, et elle méconnaîtrait sa mission, elle manquerait à ce que la société peut légitimement exiger d’elle, si elle ne faisait pas profiter le pays des trésors d’érudition, de savoir et de critique qu’elle renferme dans son sein.

F. Larnaude,
Professeur de droit public général
à la Faculté de droit de Paris.


  1. V. Revue générale du droit, de la législation et de la jurisprudence en France et à l’étranger, 1898, p. 465 (compte rendu par M. de Kérallain du livre de M. Charles Bémont, Chartes des libertés anglaises).