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Notre avenir à tous - Rapport Brundtland/Avant-propos

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Rapport Brundtland Introduction




Commission mondiale sur l’environnement et le développement

Avant-propos de la présidente




« Un programme global de changement », c’est ce qu'on a demandé à la Commission mondiale sur l’environnement et le développement d’établir. L’Assemblée générale des Nations unies lui a demandé instamment :

  • de proposer des stratégies à long terme en matière d’environnement pour assurer un développement durable d’ici à l’an 2000 et au-delà ;
  • de recommander des méthodes pour faire en sorte que l’intérêt porté à l'environnement se traduise par une coopération plus étroite entre les pays en développement et entre des pays ayant atteint différents niveaux de développement économique et social et débouche sur la réalisation d’objectifs communs s’appuyant mutuellement et tenant compte des relations réciproques entre la population, les ressources, l'environnement et le développement ;
  • d’envisager des moyens permettant à la communauté internationale de faire plus efficacement face aux problèmes de l'environnement, et
  • de contribuer à définir les identités de vues sur les problèmes à long terme de l’environnement et les efforts qu’il conviendrait de déployer pour résoudre les problèmes que soulèvent la protection et l’amélioration de l'environnement, l’adoption d’un programme d’action à long terme pour les prochaines décennies et des objectifs auxquels la communauté mondiale devrait tendre.

Lorsque le Secrétaire général des Nations unies m'a demandé en décembre 1983 de créer et de présider une commission spéciale et indépendante chargée d’examiner ce problème crucial pour la communauté mondiale, j’avais nettement conscience que ce n’était ni une tâche ni une obligation mineures et que, en raison de mes attributions quotidiennes de chef de parti, cette tâche et cette obligation me semblaient purement et simplement impossibles à assumer. De plus, la demande de l’Assemblée générale me semblait irréaliste et beaucoup trop ambitieuse. Elle apportait aussi nettement la preuve d’un sentiment de frustration et d’impuissance très répandu dans la communauté internationale qui doutait de notre propre capacité d’aborder les problèmes fondamentaux du monde et d’y trouver des solutions efficaces.

C’est là d'une réalité incontestable, qu’il n’est pas facile d’éluder. Puisque nous n’avons pas encore les réponses aux préoccupations vitales et graves, il n’y a d’autre solution que continuer à les rechercher.

Je pensais à tout cela quand le Secrétaire général m’a donné un argument impossible à réfuter de façon convaincante. Il m’a dit qu’aucun autre responsable politique n’était devenu premier ministre après avoir mené un combat politique pendant plusieurs années, sur les plans national et international, en tant que ministre de l’environnement, ajoutant que l’on pouvait donc espérer que l’environnement ne serait pas condamné à demeurer une question accessoire sur les prises de décisions politiques au niveau central.

En fin de compte, j’ai décidé de relever le défi que posait l’avenir et la sauvegarde des intérêts des générations futures. Il n’était en effet que trop évident qu’il nous fallait un mandat pour opérer un changement.

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Nous vivons à une époque de l’histoire des nations où nous avons plus que jamais besoin d’engager une action et de prendre des responsabilités politiques coordonnées. Les Nations unies et son Secrétaire général ont une énorme tâche à accomplir. Pour permettre, avec ce sens des responsabilités, que les buts de l’humanité soient atteints et ses aspirations réalisées, il faudra pouvoir compter sur le soutien actif de nous tous.

Mes réflexions et mes conclusions se fondaient aussi sur d’autres aspects importants de mon expérience politique, à savoir les travaux de la Commission Brandt sur les questions Nord-Sud et ceux de la Commission Palme sur les questions de sécurité et de désarmement, Commissions auxquelles j’ai participé.

On m’a demandé de contribuer à la formulation d’un troisième appel impérieux à une action politique : ainsi, après Un programme de survie et Common Crisis de Brandt et après Common Security de Palme viendrait Notre avenir à tous. C’est ce que j’ai dit quand le vice-président Mansour Khalid et moi-même avons mis en route les travaux qu’appelait la tâche ambitieuse qui nous avait été assignée par l’Organisation des Nations unies. Le présent rapport, présenté à l’Assemblée générale des Nations unies en 1987, en est le résultat.

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Ce que nous avons peut-être de plus urgent à faire aujourd'’hui est de persuader les nations de la nécessité du retour au multilatéralisme. Le problème de la reconstruction après la seconde guerre mondiale a été le vrai moteur de notre système de la création de notre système économique international de l’après-guerre. Le souci de découvrir des voies de développement durable devrait être la motivation — impérieuse s’il en est — d’un renforcement de la recherche de solutions multilatérales et d’une refonte du système économique international de coopération. Ce problème et ce souci transcendent la souveraineté nationale, les stratégies de profit économique appliquées dans des limites étroites et chacune des diverses disciplines de la science.

Après une décennie et demie de stagnation, voire de dégradation de la coopération mondiale, je pense que le temps est venu de nourrir de plus grands espoirs, de poursuivre ensemble des objectifs communs et d’accroître notre détermination politique pour préparer notre avenir commun.

Les années 1960 ont été une époque d'optimisme et de progrès, lorsqu’on fondait davantage d’espoirs dans un monde nouveau et meilleur et dans des idées internationales tournées vers le progrès. Les colonies dotées de ressources naturelles devenaient des nations. Il semblait véritablement exister des idées de coopération et de partage. Paradoxalement, il s’est créé dans les années 70 progressivement un climat de réaction et d’isolement tandis qu’en même temps une série de conférences des Nations unies apportaient l’espoir d’une plus large coopération sur les grands problèmes. En 1972, la Conférence des Nations unies sur l'environnement humain a réuni les pays industrialisés et les pays en développement pour définir les « droits » de l’humanité à un environnement sain et productif. Toute une série de réunions du même type a suivi sur les droits des personnes à une alimentation suffisante, à un logement décent, à l’eau potable, à l’accès aux moyens de choisir la dimension de leur famille.

L'actuelle décennie a été marquée par une régression de l'intérêt porté aux problèmes urgents mais complexes qui sont reliés à notre survie même : réchauffement de la Terre, menace contre la couche d'ozone de la planète, la désertification des terres agricoles. Nous avons réagi en exigeant de plus amples informations et en confiant ces problèmes à des organismes mal équipés pour les résoudre. La dégradation de l'environnement, considérée d'abord et avant tout, comme le problème des pays riches et comme un effet secondaire de notre richesse industrielle, est devenue une question de survie pour les pays en voie de développement.

Tout ceci fait partie de la spirale descendante du déclin écologique et politique dans laquelle sont prisonnières les nations les plus pauvres. Malgré des encouragements officiels surgissant de tous côtés, aucune tendance actuellement identifiable, aucun programme ni aucune politique n'autorise l'espoir de combler le gouffre croissant qui sépare les pays pauvre et les pays riches. Grâce à notre « développement », nous avons accumulé des armes capables de modifier le chemin tracé de notre évolution et de transmettre à nos descendants une planète que nos ancêtres ne reconnaîtraient plus.

En 1982, lors de la définition initiale du mandat de notre Commission, certaines personnes souhaitèrent que cette enquête soit limitée aux « problèmes de l'environnement ». Ce qui aurait été une grave erreur. L'environnement ne peut être séparé des actions, des ambitions et des besoins de la personne humaine. Toute tentative de le faire en l'isolant des problèmes de l'humanité a donné au mot même d'« environnement » une connotation de naïveté dans certains cercles politiques. Des gens ont diminué la portée du mot « développement » en le confiant à ce que « les nations pauvres devraient faire pour devenir plus riches », de telle sorte que bien des personnes dans les hautes sphères internationales l'ont automatiquement écarté pour le reléguer dans les mains des spécialistes impliqués dans ce qu'on appelle « l'aide au développement ».

Mais, attention, l'environnement est le lieu où chacun de nous vit et le développement est ce que nous essayons de faire pour améliorer notre sort à l'intérieur de ce même lieu. Les deux sont inséparables. En outre, les questions de développement devraient être considérées comme cruciales par ces mêmes chefs politiques dont les pays ont atteint un plateau qui devient un objectif obligé pour les autres. Bien des voies suivies par les pays industrialisés ne sont pas durables. Les décisions prises par eux dans ce domaine, du fait de leur puissance économique et politique, auront de profondes répercussions sur la capacité de tous les peuples à participer au progrès humain des générations à venir.

Nombreux sont les problèmes de survie qui sont liés à un développement inégal, au paupérisme et à la croissance démographique. Ils provoquent des pressions sans précédent sur les terres, les eaux, les forêts et autres ressources naturelles de notre planète et plus particulièrement dans les pays en voie de développement. La spirale descendante du paupérisme et de la dégradation environnementale est un gaspillage de notre potentiel et de nos ressources, en particulier les ressources humaines. Les relations existant entre le paupérisme, l'inégalité et la dégradation de l'environnement sont au centre de notre analyse et de nos recommandations. Aujourd'hui, ce dont nous avons besoin, c'est une nouvelle ère de croissance économique, une croissance vigoureuse et, en même temps, socialement et environnementalement durable.

Étant donné l'étendue de notre tâche et la nécessité d'une large perspective, j'ai été très consciente de l'importance de rassembler une équipe hautement qualifiée dans les domaines de la politique et de la science afin que cette Commission soit véritablement autonome, ceci étant indispensable à la réussite du projet. Ensemble, nous allions parcourir la planète pour formuler une approche intégrée et interdisciplinaire de nos problèmes globaux et de notre avenir à tous. Nous avions besoin d'une participation majoritaire de membres venant de pays en voie de développement pour qu'ils reflètent les réalités mondiales. Nous avions besoin de personnes ayant une grande expérience, venant de tous les horizons politiques, non seulement de disciplines relevant autant de l'environnement et du développement que de la politique, mais aussi de toutes les sphères où se prennent les décisions vitales qui influencent le progrès social et économique, tant à l'échelle nationale qu'internationale.

C'est pourquoi nous venons tous de milieux différents : ministres des affaires étrangères, hauts fonctionnaires des finances et de la planification, responsables dans les domaines de l'agriculture, de la science et de la technologie. Un bon nombre de commissaires sont ministres ou économistes dans leurs pays respectifs et sont fortement impliqués dans les affaires de leur pays. Cependant, en tant que commissaires, nous n'avons pas siégé en fonction de nos responsabilités nationales mais en tant qu'individus. Et, au fur et à mesure de l'avance de nos travaux, le nationalisme et les divisions artificielles entre pays « industrialisés » et « en voie de développement », entre l'Est et l'Ouest, disparurent peu à peu. À la place naquit une sourde inquiétude envers la planète et les dangers écologiques et économiques que les gens, les institutions et les gouvernements affrontent aujourd'hui.

Pendant toute la durée de notre Commission, ont éclaté des tragédies comme les famines en Afrique, la fuite de gaz pesticides à Bhopal, en Inde, et la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, en Russie, lesquelles témoignent en somme des prédictions futuristes pessimistes, devenues autant de lieux communs au milieu des années 1980. Mais, lors des audiences publiques que nous avons tenues sur les cinq continents, nous avons également entendu parler des gens victimes d'autres calamités chroniques et généralisées : les dettes nationales, la stagnation de l'aide et des investissements dans les pays en voie de développement, la chute des prix et des revenus. Nous en sommes sortis convaincus de la nécessité de changements majeurs, tant dans nos attitudes que dans l'organisation de nos sociétés.

Les problèmes de population – pressions démographiques, droits de la personne – et les relations existant entre ces problèmes et le paupérisme, l'environnement et le développement se sont avérés des questions les plus difficiles qu'il nous a fallu affronter. Les différences de perspective semblaient impossibles à résoudre et nécessitèrent beaucoup de réflexion et de bonne volonté pour arriver à surmonter les divisions culturelles, religieuses et régionales.

Un autre problème a été le domaine des relations économiques internationales. Ici, et dans d'autres parties importantes de notre analyse et de nos recommandations, nous avons réussi à obtenir un consensus.

Il est essentiel de souligner que nous sommes devenus des gens plus avertis et que nous avons appris à franchir les barrières culturelles et historiques. Nous avons vécu des moments d'inquiétude et de crise, des moments de gratitude et de soulagement, des moments de succès dans la formulation d'une perspective et d'une analyse communes. Le résultat est nettement plus global, plus réaliste, plus progressiste que tout ce que chacun de nous aurait obtenu tout seul. Nous avions siégé sur la Commission avec des points de vue et des perspectives différents, des valeurs et des croyances différentes, des expériences et des visions vraiment bien différentes. Après avoir travaillé, voyagé, écouté et discuté ensemble pendant trois ans, le rapport que nous présentons est unanime.

Je tiens à remercier chaleureusement les commissaires pour leur dévouement, leur intuition et leur engagement personnel dans notre tâche commune. Nous avons formé une équipe absolument extraordinaire. Une chaude amitié, une franche communication, la rencontre de nos esprits et le partage des connaissances nous ont permis de travailler avec optimisme, ce qui s'est révélé d'un grand apport à chacun de nous et, je crois, à notre rapport et à notre message. Nous voulons partager avec d'autres notre façon de travailler et tout ce que nous avons vécu ensemble. Quelque chose que bien d'autres personnes auront également à vivre pour obtenir un développement global qui soit durable.

La Commission a été à l'écoute de gens venant de tous les milieux. C'est à eux – à tous les citoyens du monde – que la Commission s'adresse maintenant. Ce faisant, nous nous adressons directement à tous ainsi qu'aux institutions mises en place par les peuples du monde entier.

La Commission s'adresse aussi aux gouvernements, directement ou par l'entremise de leurs divers ministères et organismes. L'ensemble de ces gouvernements, regroupés au sein de l'Assemblée générale des Nations unies, est le premier destinataire de ce rapport.

La Commission s'adresse également à l'entreprise privée, depuis l'individu travaillant à son compte jusqu'à la grande multinationale dont la puissance économique est plus grande que celle de bien des pays et qui a le pouvoir de susciter des changements et des améliorations à long terme.

Mais, avant tout, notre message s'adresse aux gens dont le bien-être est l'ultime but de toutes les politiques de l'environnement et du développement. La Commission s'adresse en particulier aux jeunes. Les enseignants du monde entier auront un rôle crucial à jouer pour porter notre message à leur connaissance.

Si nous n'arrivons pas à faire passer notre message aux parents et aux dirigeants d'aujourd'hui, nous risquons fort de miner le droit fondamental de nos enfants à vivre dans un environnement enrichissant et vivifiant. Si nous ne sommes pas capables de traduire nos mots en un langage qui puisse toucher le cœur et l'esprit des jeunes comme des vieux, nous ne pourrons entreprendre les vastes changements sociaux qui sont nécessaires pour modifier le cours actuel du développement global de l'humanité.

La Commission a terminé sa tâche. Nous suggérons instamment un effort d'ensemble et de nouvelles normes de comportement à tous les niveaux et dans l'intérêt de tous. Ces changements dans les attitudes, les valeurs sociales et les aspirations sur lesquels notre rapport insiste avec vigueur, vont désormais dépendre de campagnes d'éducation intensives, de débats publics et de la participation de tous et chacun.

Dans ce but, nous en appelons aux groupes de citoyens, aux organismes non-gouvernementaux, aux institutions d'enseignement et à la communauté scientifique. Dans le passé, ils ont tous joué un rôle indispensable dans l'éducation du public et dans les changements de politique. Ils joueront maintenant un rôle toujours aussi crucial en guidant le monde sur une voie de développement qui soit durable, en posant les fondations de notre avenir à tous.

Le processus qui a permis de produire ce rapport unanime prouve qu'il est possible de réunir nos forces, d'identifier nos objectifs communs et de nous entendre sur une action d'ensemble. Chaque commissaire aurait choisi des mots différents s'il avait rédigé tout seul ce rapport. Cependant, nous avons réussi à tous nous entendre sur les analyses, les remèdes généraux et les recommandations pour en arriver à un développement durable.

En dernière analyse, il en est résulté un approfondissement de notre compréhension mutuelle et cet esprit de responsabilité globale dont notre époque a tellement besoin.

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Dans le monde entier, des milliers de personnes auront participé aux travaux de la Commission par des voies intellectuelles ou financières et en partageant leur expérience avec nous par la formulation de leurs besoins et de leurs réclamations. Je suis très reconnaissante à tous ceux et à toutes celles qui nous ont aidés dans notre tâche. On trouvera une liste partielle de leurs noms en appendice à ce rapport. Toute ma gratitude va au vice-président Mansour Khalid, à tous les autres membres de la Commission, à Jim MacNeill, son secrétaire général, et au personnel du secrétariat qui a fait plus que son devoir pour nous aider. Leur ardeur et leur dévouement n'ont connu aucune limite. Je désire aussi remercier les présidents et les membres du Comité préparatoire intergouvernemental intersessions qui ont étroitement coopéré avec la Commission à laquelle ils ont apporté inspiration et support. Je remercie également le Dr Mostafa Tolba, directeur du Programme des Nations unies sur l'environnement, pour l'appui et l'intérêt dont il a fait preuve sans défaillance.

Gro Harlem Brundtland

Oslo, le 20 mars 1987