Nous tous/À Jeun
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LXXXII
À JEUN
Tandis qu’avec ses éclairs bleus,
Hier, au bal de l’Élysée,
La féerie au vol fabuleux
Était partout réalisée ;
Tandis que des flots ralliés
De Sémiramis et d’Omphales
Montaient les vastes escaliers,
Traînant leurs robes triomphales ;
Tandis que des habits divers
Se mêlaient, ainsi que les claques,
À des uniformes, couverts
De rubans moirés et de plaques ;
Je vis un jeune homme à l’œil bleu,
Triste, d’une pâleur extrême ;
Et même, il semblait avoir peu
Dîné, comme un simple bohème.
Moi, saisi d’un trouble secret,
Je le plaignais. Monsieur, lui dis-je,
Vous faiblissez. On vous croirait
Terrassé par quelque prodige.
Lui cependant, très abattu,
Mais révolté, comme un esclave,
Regardait un ange, vêtu
De rose, oh ! d’un rose suave !
Ayant faim sans doute à pleurer,
Dans une fringale extatique,
Il semblait vouloir dévorer
Cette personne poétique.
Monsieur, repris-je à mi-voix, si
Votre vigueur est presque morte,
Un riche buffet, près d’ici,
Offre tout ce qui réconforte.
Certain vin, de Chypre venu,
Vous y rendra l’âme éclaircie. —
Souper ? murmura l’inconnu,
Ma foi ! non, je vous remercie.
Les buffets seraient superflus,
Malgré leur luxe grandiose.
J’ai faim, mais je n’y pense plus :
Je regarde la dame en rose !