Nous tous/L’Odéon

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Nous tousG. Charpentier et Cie, éd. (p. 23-25).
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XII

L’ODÉON


Ils ont déjà rempli des sacs
Et des caisses et des cassettes :
Chez eux l’argent forme des lacs.
L’Odéon palpe des recettes.

N’est-ce pas un casus belli
Pour la défiante Allemagne ?
Avec Severo Torelli
Ce théâtre fait Charlemagne.

C’est aux plus riches mines d’or
Que désormais on l’assimile.
Plein jusque dans le corridor,
Il touche cinq mille et six mille.


Où sont les airs d’accordéon
Plus vieillis que le roi de Garbe
Dont on insultait l’Odéon ?
Le caissier en rit dans sa barbe.

La Rounat, qui s’est dévoilé,
Signant avec la chance un pacte,
Marche dans son rêve étoilé,
Comme Ruy Blas, au troisième acte.

L’actif, le turbulent Porel,
Tandis qu’en ce bonheur il entre,
Sent un embonpoint corporel
Qui veut amplifier son ventre.

Et Lui, Lui qui ne permet pas
Que celui qui s’abonna parte,
Il marche, pensif, à grands pas,
Semblable au jeune Bonaparte.

Ayant loué sur ses autels
Celle vers qui mon cœur se hausse,
Il a maintenant des hôtels
Et diverses fermes en Beauce.


C’est un Nabuchodonosor,
Et possédant ce dont nous rîmes,
Désormais l’auteur du Trésor
Est riche en trésors comme en rimes.

Ô Crésus ! il ferait beau voir
Qu’à présent tu l’humiliasses !
De son brillant paletot noir
Les banknotes tombent par liasses ;

Il fait ruisseler des louis
Parmi la tremblante cohue
Des Parisiens éblouis ;
Et lorsqu’il passe dans la rue,

Si quelque svelte Brunehild
Ou quelque lascive Poppée
Murmure : N’est-ce pas Rothschild ?
On lui répond : Non, c’est Coppée.


7 décembre 1883.