Nous tous/Le Mot

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Nous tousG. Charpentier et Cie, éd. (p. 179-181).


LXVI

LE MOT


Mer… — Je m’arrête, ô flot amer !
Il ne faut pas que l’on se targue
D’allonger ton nom, vaste mer,
Ainsi que l’a fait monsieur Margue.

Cette boutade, on la connaît.
Hélas ! plus d’un Français l’imite,
Ignorant que quand la borne est
Franchie, il n’est plus de limite.

Les romanciers font des romans
Et les dramaturges, des drames
Où, bien mieux que les nécromants,
Ils lisent dans les cœurs des femmes.


Sans cesse, (ou la Chronique ment,)
Les députés en leur enceinte
Causent, et réciproquement
S’abreuvent de fiel et d’absinthe.

D’autres, ô ciel, pour allier
Tout ce que ton lapis tolère,
Confondent l’art du joaillier
Avec le style épistolaire.

Tous ces buveurs de riquiqui,
Afin d’agrémenter leurs proses,
Abusent parfois du mot qui… —
Mais respirons l’odeur des roses !

Or tout à coup dans le tableau
Apparaît, devant leur front sombre,
Effrayant comme à Waterloo,
Un soldat, un fantôme, une ombre.

Les cheveux dans un coup de vent,
Le grand général de la garde
Se plante, menaçant, devant
Ses copistes, et les regarde ;


Et laissant des mots outrageants
Tomber de sa bouche funèbre :
Çà, dit-il, tas d’honnêtes gens,
Qu’on me rende le mot célèbre !

Nos puristes, craignant le heurt,
Avec des airs de bon apôtre
Disent : Ah ! oui, La garde meurt… —
Non, leur répond Cambronne, l’autre !


15 février 1884.