Nouveau Larousse illustré/1898/A

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M. AJEN DE L’ISLE et M.
Librairie Larousse (I : A-Belp. 1-2).
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A
n. m. Première lettre et première voyelle de notre alphabet et des alphabet des langues à écriture phonétique, sauf l’éthiopien : Un a. Des a.

L’A nous vient de l’alphabet des Romains et se retrouve au même rang dans l’aleph des Hébreux et dans l’alpha des Grecs. Dans sa forme même, il est emprunté à l’alphabet phénicien, qui l’a pris aux hiérogrammes égyptiens. Les peuples sémitiques, comme les Hébreux et les Arabes, ont conservé à cette lettre le caractère d’aspiration qu’elle possédait en phénicien ; mais les Grecs lui ont imposé, avec la forme que garde encore notre A majuscule, la valeur vocalique ; cette valeur, les Juifs l’ont gardé à leur aleph, lorsqu’ils se sont servis de leurs caractères pour écrire les langues étrangères. Sans entrer dans le détail des transformations de l’A à travers les siècles, ni surtout des déformations produites par exemple par les difficultés de l’écriture (dans les inscriptions lapidaires), ou par les ligatures et la rapidité de la main (écriture cursive), nous donnons ci-après un tableau raccourci des principales formes de cette lettre, qui permettra d’en suivre l’évolution.

dérivation et formes de l’A grec
hiératique
égyptien.
phénicien
archaïque.
grec
cadméen.
grec
éolo-dorien.
dérivation et formes de l’A des écritures latines
étrusque. latin. latin. latin.
l’A dans la première période du moyen âge
cursive
antique.
capitale
(Ve siècle).
onciale
(Ve siècle).
cursive
(VIe siècle).
l’A dans la première période du moyen âge (suite)
onciale
(VIIIe siècle).
semi-onciale
(VIIIe siècle).
curcive
(VIIIe siècle).
minuscule
(VIIIe siècle).
l’A dans la première période du moyen âge (suite)
curcive
(IXe siècle).
curcive
(Xe siècle).
onciale, curcive
(XIe siècle).
minuscule
(XIe siècle).
diverses formes de l’A dans les écritures gothiques
majuscule et minuscule
(XIIe siècle).
majuscule et minuscule
(XIIIe siècle).
diverses formes de l’A dans les écritures gothiques (suite)
majuscule, minuscule, cursive
(XIVe siècle).
majuscule et minuscule
(XVe siècle).

Notons encore les formes de la cursive dans les écritures connues sous le nom de : mérovingienne, lombarde, wisigothique, irlandaise, anglo-saxonne. On peut se rendre compte que l’a cursif, et l’a minuscule qui en vient, ne sont que des déformations de l’A majuscule.

L’A dans les écritures dites nationales
mérovingienne. lombarde. wisigothique. irlandaise. anglo-saxonne.

Quant à nos caractères d’imprimerie, on sait qu’ils reproduisent par la gravure l’écriture de calligraphes habiles :

c’est ainsi que l’a grec (α) est celui de Lascaris, et que les Aldes ont emprunté pour leurs italiques l’a cursif de Pétrarque. En parlant de la forme donnée à la lettre A, on ne peut se dispenser de mentionner les signes dont elle est parfois accompagnée et qui en modifient le plus souvent la valeur phonétique : les accents usités en français, italien, espagnol, etc. ; l’a tilde portugais, l’a infléchi allemand, l’a suédois surmonté d’un o, l’a cédille ou nasal polonais. En outre, dans les manuscrits du moyen âge et jusque dans les impressions de la première époque, on rencontre un e cédille pour représenter l’a accompagné d’un e. Il faudrait enfin rappeler la forme qu’affecte cette lettre dans les écritures tachygraphiques (notes tironiennes, tachygraphie italienne des Xe et XIe siècles) et sténographiques.

L’A peut être envisagé sous deux aspects différents : comme son, et comme signe graphique.

Prononciation de l’A en français. Dans certains mots, la place de l’A fut longtemps occupée par l’O : généralement, sous François Ier, on écrivait et on prononçait encore pouvoit, vouloit, etc. Postérieurement, on continua d’écrire anglois, françois, etc., mais on prononça comme aujourd’hui, sauf lorsque la rime exigeait l’ancienne consonance. C’est du temps de Voltaire seulement, et en grande partie grâce à lui, que la conformité s’établit peu à peu entre l’orthographe et la prononciation.

Théoriquement, le son A, que l’on appelait autrefois la voix a, peut avoir un grand nombre de nuances. Mais, dans notre langue, il n’en a que deux qui soient nettement distinctes : a est fermé ou ouvert. A ouvert est long dans fable, et bref dans patte. A est fermé et long dans pâte. Mais, dans plus d’un cas, la prononciation est incertaine.

Le son A, ouvert ou fermé, est ordinairement figuré en français par la lettre a. Mais il peut l’être par un e (couenne, moelle, femme), par un ê (poêle) et même par un i dans la combinaison oi qui se prononce oua (oiseau).

La lettre A, combinée avec une autre voyelle, peut exprimer des sons différents. V. chacune des voyelles.

— Considéré comme signe graphique, l’A prend différentes formes, soit dans l’écriture, soit dans l’impression ; on distingue l’A majuscule et l’a minuscule. Il subit en outre de nombreuses modifications, suivant que le caractère est de l’anglaise, de la ronde, de la bâtarde, de la coulée, ou du romain, de l’italique, de la normande, de l’égyptienne, etc.

écritures modernes
anglaise. ronde. bâtarde.

— A s’écrit de trois manières : 1e sans accent ; 2e avec l’accent grave ; 3e avec l’accent circonflexe.

Il s’écrit ordinairement sans accent : Tabac, Galba.

Il est surmonté de l’accent grave, signe purement spécifique, dans les mots çà, , deçà, holà, voilà, déjà, etc.

Il est surmonté de l’accent circonflexe pour indiquer soit la suppression d’une voyelle, comme dans âge, bâilier, qu’on écrivait autrefois aage, baailler, soit même celle d’une consonne, comme dans âne, âme, qui s’écrivaient autrefois asne (de asinus), anme (de anima).

Loc. prov. : Depuis a jusqu’à z, pour Du commencement à la fin : Savoir tout, depuis a jusqu’à z.

Ne savoir ni a ni b, Se dit d’une personne qui ne sait pas même lire, et, par extension, qui ignore les premiers éléments d’une science, d’un art, etc. : Le nombre de gens qui ne savent ni a ni b diminue tous les jours. On dit aussi, dans le même sens : N’y entendre ni a ni b, N’y rien comprendre.

Prouver par a plus b, Prouver avec une rigueur mathématique.

Marqué à l’a, Qui est de bonne qualité (par allusion à la marque de la monnaie frappée à Paris).

Panse d’a, Partie arrondie du petit a dans l’écriture. On dit figurém. : Faire une panse d’a, pour Faire une petite partie d’un travail. N’écrire, ne faire une panse d’a, pour Ne rien faire du tout. Ne savoir panse d’a, pour Ne savoir rien.

— De l’A employé comme signe abréviatif. Alg. A et les premières lettres de l’alphabet désignent ordinairement des quantités connues, comme les dernières lettres X, Y, Z, désignent des quantités inconnues.

— Arp. Les A répétés sont employés par les ingénieurs dans les nivellements de terrain, et indiquent une coupe, une démolition ou un nivellement projetés, selon qu’ils sont barrés à droite ou à gauche de la pointe.

— Astr. A ou a sert à désigner la principale étoile d’une constellation.

— Géom. A indique l’une des parties d’une figure qui sert à quelque démonstration : l’angle A d’un triangle.

— Grav. Sur les anciennes gravures, a. p. d. r. signifient avec privilège du roi.

— Mus. Comme note de musique, A servit à désigner, et il désigne quelques fois encore, pour les théoriciens, la note la, sixième note de la gamme majeure en ut (et la première de la gamme mineure en la). A désigne le la du diapason français de 870 vibrations, || Écrit sur une partition, il indique l’alto et certaines cordes des instruments grattés ou pincés. || En Allemagne, A désigne la note la, ou le ton de la.

— Numism. Sur les monnaies de France, A désigne l’atelier monétaire de Paris.

— Philos. Dans la philosophie scolastique, la lettre A indiquait une proposition générale affirmative. (La formule A = A est l’expression de l’identité absolue.) || Dans la philosophie allemande, A s’emploie pour désigner l’absolu.

— Typogr. En typographie, A sert à indiquer la première feuille d’un volume, ou le premier renvoi aux notes.

A privatif. Préfixe qu’à l’imitation des Grecs nous employons dans la composition de certains mots français pour marquer absence : Acaule, sans tige ; aphone sans voix. Devant un mot commençant par une voyelle ou un h, il se change en an. V. an.

— Préfixe tiré de la préposition latine ad, signifiant à, vers, pour, etc. : abord (vers le bord).

a (sans accent). 3e personne sing. du présent de l’indicatif du verbe avoir. V. ce mot.

à prép. (du lat. ad. — S’écrit toujours avec un accent grave pour le distinguer de a lettre et de a verbe). L’usage primitif de cette préposition est de marquer un rapport à un terme, la relation d’un objet à un autre : elle exprime le plus souvent ce que les Latins rendaient par leur datif, ou par leur accusatif avec ad.

à, en se combinant avec les articles simples le, les, forme les articles contractés au, aux : Les grands hommes du dix-septième siècle allaient au cabaret. (Chamfort.)

La moitié des humains vit aux dépens de l’autre.
Destouches.

La préposition À peut avoir pour antécédent un verbe à n’importe quel temps : Penser à, Destiné à ; un adjectif : Utile à, Fidèle à ; un substantif : Manquement à l’honneur, Fidélité au devoir ; un adverbe : Conformément à. Parallèlement à ; ou une préposition : Jusqu’à, La maison d’à côté. Elle peut régir un substantif, précédé ou non de l’article : Conforme à la loi, Poudre à canon ; un pronom : Pensez à nous ; un adjectif, précédé ou non de l’article : Saigner à blanc, Tirer au clair ; un verbe à l’infinitif : Facile à faire ; un adverbe : à bientôt. La préposition À peut être séparée du verbe qu’elle régit parle complément de ce verbe exprimé par un pronom, accompagnés ou non d’un adverbe, d’une négation : J’aime à me promener, bonne à tout faire, C’est à ne pas y croire. L’ancienne langue admettait même un substantif comme complément entre à et le verbe, et nous avons gardé quelques traces de cette syntaxe : Geler à pierre fendre. Partir à son corps défendant. Enfin, À peut régir une phrase tout entière : Manger à bouche que veux-tu.

à s’emploie très souvent sans antécédent, pour former des locutions adverbiales : à contrecœur, au fur et à mesure, à l’infini, etc. Souvent, aussi, l’antécédent est sous-entendu, et c’est ordinairement un verbe : au secours ! (venez au secours) ; à votre santé ! (je bois à votre santé). Il n’est pas nécessaire qu’il y ait exclamation : aux grands hommes la patrie reconnaissante (sous-entendu : a dédié cet édifice). Dans le langage familier, le régime de la préposition à peut être sous-entendu ; c’est ce qui arrive dans quelques termes de jeu : Nous sommes point à (point à point).

Fonctions de à. La principale destination de la préposition à est de marquer un rapport de direction vers un lieu, de tendance vers un but, un terme ou un objet quelconque : Aller à Paris. L’homme aspire à commander, à être le premier pour tout et toujours. (Lamenn.)

Aucun chemin de fleurs ne conduit à la gloire.
(La Fontaine.) 

à s’emploie surtout devant le complément indirect des verbes transitifs pour marquer le terme de l’action exprimée par le verbe : L’adulateur prête aux grands les vertus qui leur manquent. (Mass.)

— A s’emploie aussi avec des verbes qui semblent désigner un rapport tout opposé à celui de tendance, de direction vers un but, et qui expriment, au contraire, extraction, séparation, éloignement : Arracher une dent à quelqu’un. Le soustraire au danger.

— La préposition A est encore susceptible de beaucoup d’autres emplois. Voici les principaux ; A marquant la distance, l’intervalle : De Paris à Londres, il y a quatre-vingt-quinze lieues. A marquant la relation qui existe entre les personnes ou les choses : De vous à moi. Un est à deux comme deux est à quatre. Du tout au tout.

A marquant le lieu, l’endroit, la situation, etc. : La vie est un combat dont la palme est aux cieux. (C. Délavione.)

À marquant le temps, l’époque, etc. : Se lever à six heures. Les écureuils jouent au sortir de l’hiver : À marquant, une circonstance, un événement, etc. : À ma mort, il héritera, au premier coup de canon, la ville capitula. Partir au premier signal.

À marquant un espace de temps, une durée : Payer au mois. Louer à l’année. Travailler à la journée. À marquant appartenance, possession : Avoir une maison à soi. Rendez à César ce qui est à César. Quelquefois il forme avec son complément un pléonasme qui marque encore plus énergiquement l’idée d’appartenance : C’est mon opinion, à moi.)

À marquant l’espèce, la qualité, etc. : Canne à sucre. Vache à lait. Pays à pâturages. Homme à systèmes. A marquant la forme, la structure : Clou à crochet. Instrument à cordes. Montre à répétition. À marquant la destination, l’usage : Terre à blé. Marché à la volaille. Moulin à farine. Cuillère à pot. À marquant la possibilité, la convenance, etc. : Tabac à fumer. Chambre à coucher.

À indiquant ce qui sert spécialement, ce qui est nécessaire à l’emploi d’une machine, d’un instrument : Arme à feu. Bateau à vapeur. Moulin à vent. à indiquant la manière d’agir, la manière d’être, etc. : Rire à gorge déployée. S’habiller à la mode. À marquant l'instrument dont on se sert pour faire quelque chose : Pécher à la ligne. Jouer à la balle. Se battre à l’épée. Dessiner à la plume.

À marquant la mesure, le poids, la quantité : Vendre à la livre. Acheter à la douzaine.

À marquant le prix, la valeur : Diner à trois francs par tête, emprunter à gros intérêts.

À marquant la disposition morale, l’intention : Prendre une affaire à cœur. Faire une chose à regret. À marquant la cause : Se ruiner au jeu. à marquant l’effet, le résultat : Dresser à mort Courir à perdre haleine. Danser à ravir.

À marquant succession, gradation, etc. : Goutte à goutte Un A un. lîrin à brin. Feuille à feuille. À marquant correspondance exacte, proximité, jonction : 6 « itre quelqu’un pas A jias. Corps à corps. A marquant conformité, convenance : à sa fantaisie à votre avis. Boire à sa soif.

À marquant ce qui fournit une induction, une conjecture, etc. : À l’Œuvre on connaît l’artisan. A marquant une sorte de rivalité, de concurrence : Ils a de Charlemagne.

dansaient à qui mieux mieux. Tirons à qui fera, à qui jouera le premier.

À, suivi d’un infinitif, équivaut très souvent au participe présent du même verbe précédé de en : On risque à trop parler ce qu’on gagne à se taire. (C. DELA VIGNE.)

A, placé entre un substantif et un infinitif, sert fréquemment à indiquer ce qu’il est nécessaire ou convenable do faire : C’est un ouvrage à recommencer. Un homme qui disserte est un homme à noyer. Neufchâteau.

(Ainsi employé, A désigne aussi ce qui peut être la su ih^ d’un événement, la conséquence d’un fait, etc. : C’est une entreprise à vous faire honneur. C’est un conte à dormir debout.) A, placé après un verbe et devant un infinitif, peut s’expliquer par un mot sous-entendu et signifie de quoi : Il n’y a pas à manger. J’ai à vous entretenir.