Nouveaux contes moraux et nouvelles historiques/Le Malencontreux

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LE MALENCONTREUX,
ou MÉMOIRES D’UN ÉMIGRÉ,
Pour servir à l’Histoire de la Révolution[1].



Recevons tous ceux qui nous offrent du service et du travail. (Histoire de Charlemagne, par M. Gaillard. Tome I.)


Mes aventures ne sont pas extraordinaires, mon caractère n’est point romanesque, mon esprit est fort commun, et je n’ai point éprouvé de grands revers : je ne me suis jamais caché dans des cavernes, je n’ai été ni violemment persécuté, ni poursuivi, ni obligé de me déguiser en vieillard, ni sauvé par l’adresse et l’amour d’une héroïne ; il ne m’est arrivé que de petits événemens très-simples et très-communs ; j’ai perdu tous mes biens, je suis errant et proscrit, voilà tout ; mais je suis vrai, je conte naïvement, je parle de moi sans emphase et sans vanité ; je ne hais personne, je n’ai ni fiel, ni ressentiment ; j’ai pensé qu’avec ce caractère, j’écrirois d’une manière tout-à-fait neuve : ce qui m’engage à publier mes Mémoires, espérant que l’originalité des sentimens pourra compenser l’insipidité des aventures.

Je naquis en Bretagne, le 25 janvier 1765. Mon père, le baron de Kerkalis, n’avoit qu’un goût, celui de l’agriculture, et qu’une occupation, celle de défricher des terrains incultes. La providence l’avoit sagement placé dans un pays rempli de landes ; il acheta des champs immenses de bruyères, les cultiva avec succès, s’enrichit honorablement, et me laissa une fortune considérable. Il mourut quelques mois après la révolution. Je n’étois pas ambitieux ; mais, par respect pour la mémoire de mon père, je me crus obligé d’imiter l’exemple qu’il m’avoit donné, et j’achetai aussi des terres pour les défricher. Je n’avois pas les connoissances et les talens de mon père ; cependant, le ciel bénit mes travaux, et je commençois à en recueillir les fruits, lorsque la mort d’un oncle que j’avois à Bordeaux me força de me rendre dans cette ville, afin d’y recueillir sa succession. Mais en arrivant, j’appris que la nation s’étoit emparée des biens de mon oncle, sous prétexte d’une conjuration qu’il avoit, dit-on, formée peu de temps avant sa mort, et dont on avoit trouvé les preuves dans ses papiers. J’objectai vainement que mon oncle n’étoit mort qu’à la suite d’une paralysie qui lui avoit ôté toutes ses facultés intellectuelles pendant les trois dernières années de sa vie ; on me répéta qu’il étoit certain que mon oncle avoit eu des intelligences criminelles avec MM. Pitt et Cobourg, et ce fut ainsi que je perdis ce riche héritage. Malgré ce malheur, je ne trouvai pas cette course infructueuse, parce que ce voyage (le premier que j’eusse fait de ma vie) me fit connoître les landes de Bordeaux ; je m’étonnai beaucoup que mon oncle ne nous en eût jamais parlé dans ses lettres, et je me promis de faire un mémoire bien détaillé sur le défrichement de ces vastes déserts. En attendant, je retournai dans ma province ; une infortune très-imprévue m’y attendoit. On venoit de confisquer toutes mes terres, parce qu’on avoit pris mon voyage pour une émigration ; on me soutint à moi-même que j’étois émigré, on me menaça de l’échafaud, et je fus obligé de prendre la fuite. Dans cette situation, mon projet des landes de Bordeaux me revint à l’esprit, et, sans hésiter, je repris la route de la Gascogne. Arrivé dans ce beau pays, mon premier soin fut d’aller visiter les landes ; je m’enfonçai dans ces terres abandonnées ; j’en contemplois avec plaisir l’immense étendue, en songeant qu’il m’étoit peut-être réservé de vivifier ce triste désert. Au lieu des bruyères et des broussailles qui m’environnoient de toutes parts, je me représentois des champs fertiles, des cultures variées : mon imagination plaçoit de distance en distance des hameaux et des villages ; je croyois voir ma colonie naissante prospérer autour de moi, travailler avec ardeur, m’enrichir en me bénissant. Ces promenades et ces rêveries avoient tant de charmes pour moi, que souvent je m’égarai dans ces lieux inhabités, et plus d’une fois surpris par la nuit, je me vis contraint d’y attendre le jour. Enfin, je me décidai à faire quelques petits essais particuliers, avant de présenter au gouvernement mon projet de défrichement. Un matin, muni d’un sac rempli de pommes de terre, je me rendis dans un endroit des landes, où j’avois déposé une bêche et une pioche ; mais à peine avois-je commencé mon travail, que je fus tout-à-coup assailli par cinq ou six hommes qui me prirent au collet, et m’entraînèrent, en m’appelant scélérat et contre-révolutionnaire. J’eus beau protester de mon innocence, ils ne m’écoutèrent pas, et me conduisirent devant un tribunal où je fus interrogé fort durement, et traité comme un vil accapareur ; car on m’accusa d’avoir enfoui de l’or monnoyé, et une prodigieuse quantité de comestibles, avec la double intention, disoit-on, de faire baisser les assignats et d’affamer le peuple. Je répondis avec la sincérité qui me caractérise ; ma justification parut ridicule, elle excita plusieurs fois le rire des auditeurs : cependant on fut frappé de ma simplicité, on jugea que je n’étois qu’un imbécile ; on se contenta de me bannir de la France, en m’assurant que je devois me trouver infiniment heureux d’en être quitte à si bon marché. Quelques amis, touchés de mon infortune, me donnèrent généreusement des lettres-de-change tirées sur un banquier de Bâle, et je m’acheminai tristement vers la Suisse. Je ne restai à Bâle que le temps nécessaire pour toucher une centaine de louis que me valurent mes lettres-de-change. Je mis cet argent dans une ceinture cachée sous mes habits, et je me rendis à pied dans les petits Cantons. J’y fus reçu avec hospitalité ; je me fixai dans le canton de Schwitz, où je passai deux mois dans une chaumière. J’allois tous les matins sur les montagnes ; là, je cueillois des plantes, j’examinois la nature du terrain, je méditois et je pensois souvent, avec amertume, aux bruyères de Bretagne et aux landes de Bordeaux. Un jour, qu’assis sur un rocher, j’étois plongé dans une profonde rêverie, j’en fus tiré fort douloureusement par une commotion si violente, que je crus d’abord avoir l’épaule droite cassée ; je me retournai, et je vis plusieurs paysans qui me lançoient des pierres : je me levai précipitamment, et, sans demander d’explication, je me mis à courir de toutes mes forces, la frayeur me donnoit des ailes : je perdis bientôt de vue les assaillans ; j’entrai dans un bois, et, lorsque mon émotion fut calmée, je réfléchis à cette aventure, sans pouvoir concevoir comment, à la vie que je menois dans ce pays, j’avois pu me faire des ennemis si acharnés et si dangereux. Je passai une partie de la journée dans les bois, et sur le soir, je retournai à la chaumière. Je trouvai mon hôte fort agité : comme je commençois à comprendre son langage, il me fit entendre que mes promenades mon goût pour les plantes, mon séjour sur les montagnes, m’avoient rendu suspect aux habitants de la contrée, et qu’enfin, suivant l’opinion commune, j’étois un sorcier, ou du moins un espion. J’admirai la diversité des opinions des hommes ; il me parut bizarre d’être chassé de ce canton comme sorcier, lorsqu’en France, par un jugement solennel, on m’avoit déclaré imbécile. Je me soumis à la nécessité : je quittai ma retraite, dans l’intention de me rendre à Zug. Après avoir fait environ deux lieues, je me trouvai sur les bords du lac Lauwerz ; je le côtoyai, en admirant la beauté des points de vue que présentoit l’autre rive ; au bout d’une heure de marche, je m’arrêtai devant une chapelle élevée en l’honneur de Guillaume Tell. J’en examinois les peintures à fresque qui décorent l’extérieur des murailles, lorsqu’un grand homme, d’une fort belle figure, et vêtu d’une longue robe brune, passa près de moi : cet habillement, semblable à celui d’un moine, me frappa ; l’inconnu, m’examinant à son tour, vit que j’étois étranger, et me parla en français. Comme il n’avoit aucun accent, je le reconnus aussitôt pour un compatriote ; je lui sautai au cou ; il m’accueillit avec une extrême cordialité ; et, après un demi-quart-d’heure de conversation : « Voyez-vous, me dit-il, au-delà du lac, cette jolie petite île, située en face de cette chapelle ? Eh bien ! c’est mon asyle ; ces ruines, ces débris d’un vieux château, sont les restes de l’habitation du tyran dont Guillaume Tell délivra son pays : j’ai bâti mon hermitage au milieu de ces décombres ; je suis retiré, depuis dix ans, dans cette solitude ; si vous voulez la partager, et si vous aimez la retraite et la paix, suivez-moi[2] ». J’obéis avec reconnoissance et plaisir ; l’hermite, s’approchant de la rive, délia un petit bateau qui étoit attaché à un saule ; il me fit entrer dans la barque, et saisissant la rame, il se mit à naviguer, et nous abordâmes au bout de quelques minutes. L’hermite, seul habitant de l’île, me fit voir toutes ses possessions, que nous parcourûmes en un quart-d’heure ; il y avoit dans cette île trois tours ruinées, un hermitage couvert de chaume, contenant deux charmantes petites pièces, un petit jardin fort mal en ordre, un pré d’une assez jolie grandeur, six peupliers, cinq ormeaux, trois sapins, deux chênes, deux noisetiers, plusieurs buissons ; et en animaux, une vache, quatre poules et un chien. Je me chargeai de cultiver le jardin, et en moins de six semaines, j’en doublai le produit. Je menois là une vie très-heureuse ; je m’attachois chaque jour davantage à l’hermite, j’en étois aimé ; je ne sortois point de l’île, je travaillois beaucoup, et j’éprouvois qu’en dépit du sort on peut être heureux, lorsqu’il reste un cœur sensible, une bonne conscience, et un petit morceau de terre à cultiver. Un jour, l’hermite étant un peu malade, je fus obligé d’aller, à sa place, au village prochain, chercher notre provision de pain et d’eau ; mais parlant fort mal le jargon du pays, on connut aisément que j’étois Français, et je reçus un très-mauvais accueil : j’imaginois qu’on me prenoit encore pour un sorcier ; mais je compris bientôt qu’on avoit des idées beaucoup plus funestes ; car on disoit confusément autour de moi que j’étois, suivant toutes les apparences, un des assassins des Suisses. En se livrant à ces sinistres conjectures, ces villageois répétoient, à chaque minute, ces deux mots, 10 août ; mots terribles dont je ne compris pas le sens alors. Je conservai une assez bonne contenance ; je feignis de ne rien entendre : j’expédiai promptement mes affaires, et j’eus le bonheur d’échapper sain et sauf, de ce périlleux message. J’instruisis l’hermite de cet événement, et il m’expliqua que ces paysans soupçonnoient tous les Français nouvellement émigrés, d’avoir combattu à Paris, le 10 août, journée sanglante où tant de Suisses perdirent la vie ! D’après cette explication, je craignis d’exposer le repos du bon hermite en restant avec lui, et, malgré ses regrets et les miens, je m’arrachai de cette douce solitude, et je me rendis à Zug. Voulant ménager précieusement mes cent louis, pensant d’ailleurs que l’état le plus obscur étoit au fond le plus heureux, et devenoit de jour en jour le plus sûr, je me fis jardinier, et j’entrai au service d’un seigneur Suisse qui habitoit une jolie maison de campagne à un demi-quart de lieue de la ville. Son jardin potager étoit spacieux et en bon état ; cependant, je fus très-surpris de n’y trouver que des pommes de terre, cinq ou six espèces de gros pois et des légumes ; mais de n’y voir, ni oseille, ni cardes, ni melons, ni artichauts, quoique le terrain m’en parût excellent. Je connus bientôt que tous les jardins de Zug et des environs n’offroient pas plus de variété et d’industrie ; cette découverte m’enchanta, car je pouvois raisonnablement me flatter de rendre célèbre le jardin qui m’étoit confié, de procurer de nouvelles jouissances aux habitans du canton, et de devenir le législateur de tous leurs jardiniers. Désormais, me disois-je, ma tranquillité ne sera plus troublée ; je suis bien sûr que non-seulement on ne me chassera pas de ce pays, mais qu’avant un an, on m’y regardera comme un bienfaiteur, et que j’y jouirai de tous les avantages que peut procurer à un étranger la reconnoissance publique. Rempli de ces douces idées, je préparai mes nouveaux travaux, avec autant de soin que d’activité. Dans ces entrefaites, mon maître partit pour un assez long voyage, et il ne revint qu’au bout de sept mois. J’employai utilement le temps de son absence, travaillant presque jour et nuit, mais avec mystère ; car je me faisois un extrême plaisir de lui causer une grande surprise. Tous mes essais ayant parfaitement réussi, j’avois dans mon jardin des artichauts, des melons, et beaucoup d’autres légumes qu’on n’avoit jamais vu croître à Zug. Environ trois heures avant l’arrivée de mon maître, je montrai solennellement mon jardin à plusieurs habitans et jardiniers que j’avois invités, et qui parurent étrangement surpris, en voyant mes couches et mes nouvelles plates-bandes. Ils me quittèrent assez brusquement, et m’envoyèrent une foule d’autres paysans qui vinrent examiner mes travaux. Cette curiosité étoit pour moi l’hommage le plus flatteur, et j’en jouissois vivement. Mon maître arriva : je le conduisis sur-le-champ dans le potager ; mais, au lieu de la joie et de la satisfaction dont j’attendois le témoignage, il me regarda avec des veux étincelans de colère, en me demandant d’un ton furieux, qui m’avoit ordonné de faire toutes ces extravagances qui ne serviroient, ajouta-t-il, qu’à faire piller son jardin ? En achevant ces paroles, il me tourna le dos, et me laissa pétrifié. Cependant ce discours me parut si absurde, qu’après un moment de réflexion, j’imaginai que mon maître étoit ivre ; je l’avois vu plus d’une fois dans cet état, et je ne doutai point qu’il n’y fût encore. Hélas ! il n’avoit parlé que trop sensément ! En effet, chaque paysan de ce canton, considérant toute nouveauté comme une innovation dangereuse, se l’interdit avec scrupule, et ne souffre pas qu’aucun autre l’introduise. Mon jardin, entouré d’une simple haie, fut entièrement bouleversé pendant la nuit, et l’on détruisit en une heure les travaux de sept mois !… Lorsqu’au point du jour, je vis les traces de ce dégât, mes plates-bandes labourées, mes couches détruites, mes cloches brisées, mes melons enlevés, l’étonnement et la douleur me rendirent immobile : je connoissois depuis long-temps le chagrin, la tristesse et les regrets ; mais, dans ce moment, j’éprouvois une peine plus accablante encore, et qui m’étoit nouvelle : pour la première fois, je me sentois découragé, et le découragement est le désespoir des caractères doux et paisibles. J’étois entré dans le jardin, avec un arrosoir que je tenois toujours, mais d’une main défaillante ; de sorte que l’eau s’épanchoit sans que je m’en aperçusse, et en même temps mes pleurs couloient avec amertume !… Enfin, sortant de cet abattement stupide, je jetai loin de moi l’inutile arrosoir, et je sortis précipitamment du jardin et de la maison. J’errai au hasard, sans projet, et sans remarquer où j’étois. Cependant, en marchant, je me calmai peu à peu, lorsqu’en revenant sur mes pas, sans m’en apercevoir, je me trouvai, au bout de trois quarts-d’heure, sur les bords du lac ; et levant les yeux, j’aperçus, à vingt pas de moi, la haie d’aubépine fleurie de mon jardin ! Cette vue me fit tressaillir, et renouvela ma peine ; je me retournai brusquement : dans cet instant, deux bateliers passèrent, je les suivis ; ils consentirent à me recevoir dans leur bateau, et me conduisirent à Arth, où je passai la nuit. Le lendemain matin, me rappelant que j’avois conservé une lettre de recommandation pour Lauzanne, je me rendis dans cette ville. J’y trouvai une multitude d’émigrés ; je m’applaudissois du bonheur de rencontrer tant de compatriotes : mais on m’apprit qu’ils étoient divisés en soixante-douze ou soixante-treize partis qui tous se détestoient mutuellement. J’imaginai que chaque faction donnoit apparemment une préférence exclusive à une sorte de gouvernement ; et comme je n’en connoissois que trois ou quatre formes, j’admirois à quel point, en si peu d’années, les idées morales, politiques et législatives s’étoient étendues ; mais je connus bientôt que ces soixante-treize partis se piquoient peu de réfléchir et de raisonner, et que la cause de leur division ne venoit que de la différence qui se trouvoit dans les époques de leur émigration ; chacun blâmant ceux qui s’étoient expatriés avant, ou surtout après lui. Pour moi, qui ne haïssois personne, je fus mal accueilli de tous, et je pris le parti de me renfermer dans ma chambre, et de n’en plus sortir, que pour aller me promener tout seul. Je lus dans les papiers publics, que la France manquoit absolument de blé, et par conséquent de pain ; les détails de la famine que souffroient mes malheureux compatriotes, me touchèrent sensiblement ; je me rappelai que j’avois entendu dire jadis à feu mon oncle, à son retour d’un voyage en Espagne, que l’on vendoit dans les marchés de Madrid une espèce de gland que l’on faisoit cuire comme des châtaignes, et dont le peuple se nourrissoit[3] : il me parut que cet aliment si simple pouvoit, dans un temps de disette, suppléer au pain. En conséquence, je composai sur cet objet un mémoire très-détaillé ; cet ouvrage fait, je me décidai à l’envoyer par la poste au président de la Convention nationale. Comme la poste ne partoit que le lendemain, je fermai mon paquet, j’y mis l’adresse, je le posai sur ma table, et j’allai me promener, en laissant à mon hôte, suivant ma coutume, la clef de ma chambre. Je sortis à huit heures, et je ne rentrai qu’à midi ; je montai dans ma chambre, et je fus très-étonné d’y trouver trois hommes inconnus qui s’y promenoient gravement, de long en large. L’un d’eux, après m’avoir demandé mon nom, me présenta un papier, et sortit aussitôt avec ses compagnons. Je déployai le papier, et j’y lus un ordre positif du gouvernement de quitter Lauzanne sous deux heures. Confondu d’une telle disgrace, j’en cherchois en vain la cause, lorsque je fus tiré de ma rêverie par mon hôtesse qui entra brusquement dans ma chambre. Cette femme détestoit tous les émigrés, non qu’elle eût aucune opinion politique, mais parce qu’elle n’estimoit les voyageurs qu’en proportion de la dépense qu’ils étoient en état de faire. L’économie des fugitifs lui inspiroit le plus profond mépris pour la cause dont ils étoient les victimes ; mais, afin de justifier ce sentiment, elle ne manquoit jamais de soupçonner les émigrés tout-à-fait ruinés, d’un fond de jacobinisme. Allons, allons, monsieur, me dit-elle, la mèche est découverte, il faut partir. Comment, madame, répondis-je, que voulez-vous dire ? — Il n’y a pire eau que l’eau qui dort. C’est ce que je dis à mon mari, quand il voulut absolument vous recevoir. J’ai de bons yeux, dieu merci, et je ne serai jamais la dupe des jacobins déguisés… — Vous me prenez pour un jacobin ? — Écoutez donc, il est inutile de nier la chose, quand on est en commerce de lettres avec le président de la Convention ; c’est assez clair. À ces mots, jetant les yeux sur ma table, et n’y voyant plus le paquet que j’y avois laissé : Quoi donc ! m’écriai-je, on a pris mon mémoire ? Oui, monsieur, répondit l’hôtesse d’un ton solennel, et toutes vos trames sont découvertes. Ainsi, je ne vous conseille pas de lanterner davantage ; car, si vous n’êtes pas parti dans une heure, vous serez arrête, et Dieu sait ce qui en arrivera. Dame, quand on veut mettre tout un pays sens-dessus-dessous, on mérite bien d’en être chassé. Vous pouviez même vous attendre à pis que cela. Tous ces complots-là finiront par faire renvoyer tous les émigrés. Si j’étois à la place du gouvernement, dans le temps où nous sommes, je ne recevrois plus que les Anglais. Ah ! les Anglais, c’est-là une nation… Encore une fois, monsieur, faites vos paquets, vous n’avez plus de temps à perdre.

En disant ces paroles, l’hôtesse me tourna le dos, et sortit.

Je vis clairement que cette femme, pour se débarrasser de moi, m’avoit dénoncé, et que dans un temps de défiance, mon mémoire adressé au président de la Convention nationale, avoit donné quelque poids à l’accusation de jacobinisme. Pour moi, qui chérissois ma patrie, quoique je ne fusse d’aucun parti, je regrettai beaucoup mon mémoire bien remis au net, et recopié avec soin de ma plus belle écriture ; j’en rassemblai les brouillons, je fis mon porte-manteau, et me soumettant, sans réclamation et sans plainte, à l’injustice que j’éprouvois, je me hâtai de quitter Lauzanne. J’abandonnai, sans regret, la Suisse où l’on m’avoit successivement accusé d’être un espion, un assassin, un sorcier et un conjuré ; je passai en Allemagne, et je me rendis à Hambourg. Arrivé dans cette ville hospitalière, je me mis à refaire mon mémoire ; j’écrivis au citoyen L***, consul de France, pour le prier d’envoyer ce paquet à Paris. Le citoyen L*** ne me fit aucune réponse ; je lui récrivis, je fus plusieurs fois chez lui, mais sa porte me fut toujours fermée, et j’appris qu’il ne vouloit, ni me voir, ni me répondre, parce qu’il me croyoit un ardent royaliste. Alors, je pris le parti de faire imprimer mon mémoire, j’eus soin de placer mon nom à la tête de ce petit ouvrage ; on en tira quatre cents exemplaires, j’en fis partir deux cents pour Paris, j’envoyai le reste en Bretagne.

Les passions des grands personnages forment, dans leurs destinées, des incidens extraordinaires qu’on est convenu d’appeler fatalité. Les événemens de ma vie ont trop peu d’importance pour qu’il me soit permis d’employer une expression si relevée ; d’ailleurs, les passions n’ont jamais agité mon ame, mais il y a dans mon caractère, je ne sais quelle maladresse qui a constamment eu pour moi, tous les inconvéniens de l’imprudence et de la témérité. Je suis le moins étourdi, le moins entreprenant des hommes, et personne, cependant, n’a fait plus de bévues. Je ne fais rien légèrement, mais l’à-propos manque toujours à ce que je fais, et c’est-là, je crois, ce qui produit le guignon. Peut-être qu’un peu plus d’usage du monde auroit pu diminuer cette gaucherie naturelle ; néanmoins, ce défaut tient tellement à ma distraction et à la tournure de mon esprit, que je ne pense pas que rien eût pu le corriger entièrement. Vers ce temps, j’appris avec un grand plaisir, qu’un de mes parens, que je croyois mort, vivoit tranquillement à Paris, retiré dans un faubourg, avec sa femme et ses enfans. Je lui écrivis, mais sous un nom allemand, afin de ne point le compromettre si l’on ouvroit la lettre, car je mis cette lettre à la poste. En même-temps, voulant avoir une attention pour son fils aîné dont j’étois le parrain, j’envoyai à cet enfant un jeu d’onchets, parce que ces jeux, en Allemagne, sont tout-à-fait différens de ceux qu’on vend en France. Je ne reçus point de réponse ; mais quatre ou cinq mois après, le citoyen Dal***, nouvellement arrivé de Paris, me fit dire un matin de passer chez lui. J’y fus aussitôt. Je le trouvai seul dans sa chambre, et il commença par me dire qu’il avoit à me parler de la part de mon cousin : cette annonce me causa beaucoup de joie, mais quelle fut ma surprise quand le citoyen Dal***, reprenant la parole : « Le citoyen C***, me dit-il, vous prie instamment de ne pas vous aviser de lui écrire davantage, l’extravagance de votre lettre a pensé lui coûter la vie. — Comment donc ? — Oui, monsieur, d’après cette lettre lue à la poste, et envoyée au Comité de sûreté générale, on a soupçonné votre parent d’un complot contre la République ; on a pensé qu’il faisoit venir un amas d’armes des pays étrangers, et qu’il machinoit quelqu’intrigue, pour s’emparer des canons. En conséquence, on a saisi tous ses papiers, et lui-même a été privé de sa liberté pendant trois mois ». Ce récit me pétrifia ; je me rappelai, qu’en effet, j’avois parlé dans ma lettre, d’armes, de piques et de canons, mais en plaisanterie, pour désigner les petites pièces du jeu d’onchets qui représentoient, en miniature, ces différentes choses. Bon Dieu ! m’écriai-je, comment a-t-on pu interpréter ainsi le plus innocent badinage ?… Mais mon cousin pouvoit si facilement se justifier, en montrant le jeu d’onchets… — Mais tout au contraire, ces pièces-là dont vous parlez, ont été saisies, déposées au tribunal, et produites contre lui. Les juges et les assistans saisis d’horreur et d’indignation, n’ont vu, d’abord, dans ces petits simulacres, que des symboles de destruction et de contre-révolution ; enfin, votre cousin s’en est tiré, mais à force d’argent, et après avoir subi une captivité de trois mois au fond d’un cachot.

Je ne répondis rien à ce discours ; j’étois plongé dans la plus profonde consternation. Après un moment de silence, le citoyen Dal*** prenant un air sévère : « Ceci, dit-il, doit vous faire admirer la surveillance qui, dans la république, déjoue si constamment, tous les complots des royalistes. Le génie de la liberté a des yeux de lynx, et l’énergie du gouvernement triomphera toujours des efforts et de la haine impuissante de ses ennemis.

Le citoyen Dal*** prononça cette dernière phrase d’un ton si emphatique, et je trouvai cette espèce de leçon si déplacée, que, me sentant ému, je pris le parti de me retirer sur-le-champ, sans répliquer un seul mot.

Cette aventure me fit faire de sérieuses réflexions sur le danger des attentions et des plaisanteries dans un temps de révolution, et je me promis bien d’être plus circonspect à l’avenir.

J’avois fait plusieurs connoissances à Hambourg, et comme je commençois à manquer tout-à-fait d’argent, je me trouvai très-heureux d’accepter une place qui me fut offerte chez un négociant retiré du commerce, et qui passait presque toute l’année à la campagne. Il me chargea de surveiller ses fermiers et ses jardiniers, et, en même-temps, de donner quelques soins à l’éducation de son fils unique, âgé de seize ans, c’est-à-dire, de lui enseigner le français, et de coucher dans sa chambre. J’entrai dans cette maison, sur la fin du mois de juin. M. Blaker (c’est le nom du négociant) étoit un homme de quarante-huit ans, qui, après avoir sacrifié tous ses beaux jours au soin pénible d’amasser de l’argent, se dédommageoit, par une oisiveté complète, de la fatigue de ses longs travaux, et ne songeoit plus qu’à dépenser gaîment un revenu considérable. Sa femme, âgée de trente ans, étoit enceinte et prête d’accoucher. Le jeune homme, héritier de la famille, relevoit d’une grande maladie, et je fus très-frappé de sa mélancolie et de son invincible taciturnité. Je trouvai cette maison infiniment agréable ; on y recevoit beaucoup de monde, on y faisoit très-bonne chère ; je passois une grande partie du jour dans les jardins et dans les prés, je faisois divers essais d’agriculture, et je menois une vie douce et paisible, très-conforme à mon goût. Une seule chose me faisoit de la peine ; c’est que la santé du jeune Frédéric Blaker, loin de se fortifier, sembloit s’affoiblir tous les jours.

Ce fut à-peu-près à cette époque qu’un patriote français que j’avois beaucoup connu jadis, passa par Hambourg ; je lui avois prêté autrefois deux mille écus qu’il n’avoit pu me rendre : ayant fait fortune depuis, il se souvint de cette dette, et voulut l’acquitter. Il refusa de me voir, parce que j’étois émigré, mais il m’envoya mes deux mille écus. Outre le plaisir de recevoir une somme si considérable dans ma position, je vis, avec plaisir, que les nouvelles lois établies en France, n’avoient pas perverti tous les républicains, et que malgré la barbarie et l’immoralité de tant de décrets, la probité n’étoit pas éteinte dans tous les cœurs.

J’étois, depuis trois semaines, chez M. Blairer, lorsque sa femme accoucha fort heureusement d’une fille. Environ huit jours après cet événement, le jeune Frédéric, plus languissant que jamais, passa la journée entière dans sa chambre, ne parut point à souper, et se coucha deux heures plutôt que de coutume.

Il étoit endormi quand je me mis au lit ; cependant, il me parut fort agité, il parloit tout haut, et son visage etoit extrêmement rouge. Nous avions, dans la chambre, une lampe de nuit. Je me réveillai sur les trois heures après minuit, et jetant les yeux sur le lit de Frédéric, je fus très-surpris de ne le point voir ; je l’appelai, personne ne répondit. Je me levai, je pris une lumière, et je visitai tout l’appartement sans trouver Frédéric. Très-inquiet, je rentrai dans ma chambre, afin de réfléchir à cette aventure. Au bout d’un moment, j’entendis, de loin, marcher doucement : je soupçonnai alors un mystère d’intrigue dans cette fuite de Frédéric ; j’éteignis la lumière, je me recouchai promptement, et je feignis de dormir. Frédéric rentra. Il s’assit d’abord dans un fauteuil, je l’entendis soupirer, ensuite il se remit dans son lit. À sept heures je me levai, et sans réveiller Frédéric, je m’habillai à la hâte, et je sortis doucement de la chambre. M. Blaker, absent depuis deux jours, étoit à Hambourg, mais j’allai trouver sa femme qui me reçut sur-le-champ. Je lui contai ce qui étoit arrivé. Après m’avoir écouté fort attentivement, elle me pria de ne point parler de ce fait à M. Blaker, parce qu’elle craignoit sa sévérité pour son fils. Madame Blaker ajouta qu’elle soupçonnoit une intrigue entre Frédéric et la ménagère, nommée mademoiselle Muller, jeune fille de vingt-cinq ou vingt-six ans, très-fraîche, assez jolie, et fort impertinente. Depuis long-temps, poursuivit madame Blairer, je suspecte beaucoup les mœurs de la Muller ; je suis persuadée qu’elle a séduit mon fils : cette intrigue, à l’âge de Frédéric, est, à tous égards, une horreur de la part de cette créature, mais il s’agit de démasquer cette fille que mon mari protège beaucoup : ainsi, conduisons-nous prudemment. Mon mari sera ici ce soir, mais il ne reviendra habiter mon appartement, que dans cinq ou six jours. D’ici là, Frédéric retournera sûrement à son rendez-vous ; dans ce cas, venez aussitôt m’avertir à quelque heure que ce puisse être : je me charge du reste.

Je promis à madame Blaker de faire exactement tout ce qu’elle me prescrivoit. Son mari revint l’après-midi, et je ne lui parlai de rien. Frédéric, plus accablé que jamais, voulut encore garder sa chambre, et se mit au lit à sept heures, M. Blaker que peu de choses pouvoient distraire du projet de donner un bon souper, et qui avoit amené beaucoup de monde, ne s’occupa nullement de son fils. Je me retirai de bonne heure ; je rencontrai la ménagère qui sortoit de la chambre de Frédéric, ce qui, joint à mille petites choses que je me rappelois, acheva de me persuader que les soupçons de madame Blaker n’étoient que trop fondés. Je me couchai : l’inquiétude me tint long-temps éveillé, car j’entendois Frédéric se plaindre, s’agiter, et jeter à bas ses oreillers et ses couvertures ; enfin, sur les deux heures du matin, j’allois m’endormir, lorsque j’entendis tout-à-coup Frédéric s’élancer avec impétuosité hors de son lit, et, sans s’habiller, traverser la chambre, ou plutôt, la franchir en deux sauts, ouvrir les portes avec fracas, et s’éloigner rapidement. Je restai stupéfait, ne pouvant concevoir une telle véhémence de passion, surtout dans un jeune homme de seize ans, qui paroissoit naturellement si froid et si flegmatique. Je me levai, je m’habillai en deux minutes, et suivant les ordres de madame Blaker, je me rendis à son appartement. Tout le monde, dans la maison, étoit couché depuis deux heures ; mais comme madame Blaker n’étoit qu’au dixième jour de sa couche, elle étoit encore veillée par une garde : je grattai doucement à la porte, la garde vint, et d’après l’ordre de sa maîtresse, elle m’introduisit. Lorsque j’eus instruit madame Blaker : « Il n’en faut point douter ! s’écria-t-elle, mon fils est sûrement chez cette indigne créature !… ». En disant ces paroles, madame Blaker me prie d’attendre un moment ; elle tire le rideau de son lit, s’habille précipitamment, se jette à bas de son lit, et me saisissant par le bras : Allons, allons, dit-elle. Bon Dieu ! madame, repris-je, ne craignez-vous point de nuire à votre santé ? Non, non, interrompit-elle, venez. En parlant ainsi, elle m’entraînoit. Je pris une bougie, et nous sortîmes. Après avoir traversé, sans bruit, un corridor, nous montons un petit escalier dérobé, au haut duquel nous tournons à droite, et, à six pas de-là, nous nous trouvons à la porte de mademoiselle Muller. Alors madame Blaker, qui s’étoit munie d’un passe-partout, met la clef dans la serrure, elle ouvre doucement la porte, nous entrons, et nous voilà dans la chambre de la ménagère ; nous jetons les yeux sur son lit sans rideaux, et nous apercevons deux têtes parfaitement endormies… Nous avançons… mais qu’on se figure, s’il est possible, l’excès de mon embarras et de mon étonnement, en découvrant dans l’amant de la ménagère, au lieu du jeune Frédéric, M. Blaker lui-même !… Infâme ! s’écria madame Blaker. À ce cri perçant, son mari se réveilla en sursaut, et, sans doute, sa surprise dut encore surpasser la mienne, en me voyant soutenir, d’une main, sa femme éperdue, et de l’autre, tenir une bougie allumée, afin d’éclairer cette scène… M. Blaker ne sentit dans cet instant qu’une rage inexprimable contre moi ; sa fureur lui fit oublier le français qu’il ne parloit pas, à la vérité, très-couramment ; il m’apostropha en allemand : je ne compris point ce qu’il disoit, mais je pouvois juger de l’énergie de ses reproches par le son de sa voix et par l’expression de son regard. Je n’imaginai rien de mieux, pour me tirer de ce mauvais pas, que d’éteindre la lampe de veille qui brûloit sur la table de nuit, ainsi que la bougie que je tenois. Nous nous trouvâmes tout-à-coup dans une obscurité profonde. Je lâchai le bras de madame Blaker, et regagnant la porte à tâtons, je m’esquivai, et j’entrai dans le corridor. J’étois si troublé, qu’il me fut impossible de retrouver le petit escalier ; je traversai tout ce long corridor au bout duquel étoit le grand escalier que je descendis ; j’entrois dans un vaste vestibule, quand j’entendis marcher à côté de moi : Qui va là ! m’écriai-je. Pour toute réponse, on me saisit par le milieu du corps, et l’on me terrasse ; je me débats, je reçois plusieurs coups, je me défends, je crie de toutes mes forces : je sens que mon adversaire est presque nu ; il crioit aussi d’une voix horriblement enrouée : je ne savois que penser. Enfin, au fort du combat, j’entends de tous côtés ouvrir des portes, on accourt : plusieurs personnes, à demi-vêtues et tenant des lumières, s’avancent vers nous, et je reconnois dans mon rude adversaire, le jeune Frédéric qui, haletant et accablé de fatigue, venoit de s’évanouir… Dans ce moment, M. Blaker, en robe de chambre, se fait jour à travers un groupe de curieux, et me lançant un regard foudroyant : « Ô ciel ! s’écria-t-il d’une voix de tonnerre, le misérable assassine mon fils !… ». En prononçant ces mots, il vouloit se jeter sur moi ; on le retint. Je me relevai, et j’entrepris inutilement d’expliquer cette aventure ; tout le monde parloit à-la-fois, on ne m’écouta point. Alors je pris dans mes bras le jeune Frédéric, privé de sa connoissance, en disant : Songeons donc à secourir ce jeune homme qui s’est échappé de son appartement, parce qu’il a vraisemblablement une fièvre chaude. On entendit pourtant ces dernières paroles, et quelques gens raisonnables, se joignant à moi, m’aidèrent à transporter Frédéric dans sa chambre.

Madame Blaker, uniquement occupée de sa colère, n’avoit pas pris la peine de me justifier auprès de son mari, de sorte que ce dernier croyoit toujours que j’avois épié sa conduite, afin de le dénoncer à sa femme.

Madame Blaker, rentrée dans son appartement, n’apprit la seconde scène nocturne que le lendemain matin.

Cependant, aussitôt que Frédéric fut posé sur son lit, M. Blaker me dit de sortir sur-le-champ de la chambre et de sa maison. Non, monsieur, répondis-je froidement, je veux rendre compte au médecin qu’on vient d’envoyer chercher, de l’état de monsieur votre fils, et je veux soigner, dans sa maladie, cet infortuné jeune homme. Ensuite, après vous avoir expliqué ma conduite, qui est parfaitement innocente, je quitterai volontairement cette maison pour n’y rentrer jamais. Mon sang-froid en imposa à monsieur Blaker. Dans cet instant, Frédéric ouvrit les yeux, il parla, mais il étoit en délire. Il voulut se lever, et nous eûmes beaucoup de peine à l’en empêcher. Au bout d’un quart-d’heure, il s’apaisa, et parut s’assoupir. Je saisis ce moment pour emmener M. Blaker dans un cabinet voisin, et là, je lui donnai l’explication qui me justifioit. Il convint que mes intentions n’avoient pas été noires ; mais il me reprocha vivement de ne lui avoir pas parlé, malgré les défenses de madame Blaker, et il répéta avec amertume et colère, que je l’avois brouillé sans retour avec sa femme.

Le médecin vint, et déclara qu’en effet Frédéric avoitune fièvre chaude. Ce jeune homme fut à l’extrémité pendant douze heures ; enfin, une crise heureuse le sauva. Il reprit toute sa connoissance, et conta qu’il ne s’étoit relevé la nuit, la première fois, que parce qu’il avoit éprouvé une espèce de suffocation, qu’il avoit cru dissiper en prenant l’air ; qu’en effet, après s’être promené dans le jardin pendant trois quarts-d’heure, il s’étoit trouvé assez soulagé pour venir se remettre au lit ; mais que le lendemain il n’avoit que très-imparfaitement sa tête. Je ne m’en aperçus pas, parce que je ne le questionnai point, qu’il gardoit le silence, que je l’avois toujours vu très-taciturne, et que d’ailleurs je le supposois vivement préoccupé. Quant à sa seconde promenade nocturne, il ne se la rappeloit point du tout, parce qu’il s’étoit relevé avec le transport au cerveau, et qu’il avoit erré au hasard dansla maison, sans savoir ce qu’il faisoit. Madame Blaker me fit, non sans raison, les scènes les plus violentes et les reproches les plus amers sur la distraction qui m’avoit empêché de m’apercevoir de l’état de son fils : j’aurois pu répondre que son père même n’avoit pas eu plus de pénétration ; mais dans cette occasion, je me condamnois moi-même, et je ne cherchai point à me justifier.

Aussitôt que Frédéric fut hors de tout danger, je fis mes paquets ; et, très-souffrant de quatre nuits passées sans m’être couché, et des suites de mon combat nocturne, je sortis de cette maison avec un œil poché, une bosse au front, une demi-douzaine de contusions, laissant la réputation du plus mauvais instituteur, et brouillé pour jamais avec monsieur et madame Blaker, sans parler de la haine irréconciliable de mademoiselle Muller.

Je retournai tristement à Hambourg ; j’eus deux ou trois accès de fièvre, et je restai plusieurs jours au lit.

Quand je voulus aller dans le monde, je trouvai toutes mes anciennes connoissances refroidies pour moi. La jalouse et vindicative madame Blaker s’étoit séparée, avec éclat, de son mari, et l’un et l’autre consentoient au divorce. On contoit de mille manières cette aventure ; et dans toutes les versions différentes, je jouois le rôle le plus odieux. Tout le monde m’accusoit d’avoir eu le projet de brouiller le mari et la femme : les avis n’étoient partagés que sur le motif de cette noirceur. Les uns prétendoient qu’amoureux de la Muller, je n’avois voulu que me venger de ses rigueurs ; d’autres assuroient qu’en engageant madame Blaker à divorcer, j’avois osé concevoir l’espérance de l’épouser : on ajoutoit que je m’étois battu avec le jeune Frédéric, parce que ce dernier avoit voulu m’empêcher d’aller avertir sa mère de l’infidélité de M. Blaker ; qu’alors, ayant terrassé ce jeune homme, je l’avois laissé, sans connoissance, étendu sur le carreau. Le résultat de tout ceci fut de me donner la réputation de l’homme le plus emporté, le plus violent et le plus tracassier. Les gens malins, qui forment toujours le plus grand nombre, ne manquèrent pas de croire fermement à la vérité de toutes ces imputations ; les bonnes gens, suivant leur coutume, n’y crurent qu’à demi ; mais, dans ce cas comme en tant d’autres, c’étoit encore beaucoup trop. Il faut espérer qu’un jour, quand la morale sera tout-à-fait perfectionnée (et tant d’auteurs, depuis soixante-dix ans, travaillent à ce grand œuvre !), il faut espérer, dis-je, que les bonnes gens substitueront à cette maxime inique et cruelle, qu’il ne faut croire que la moitié du mal qu’on dit, cette maxime plus juste et plus charitable, qu’en général il n’en faut rien croire du tout.

Ne pouvant plus me plaire à Hambourg, je me décidai à passer en Angleterre ; mais je crus prudent de n’y point aller sous mon nom : en conséquence, je pris celui de Desbruyères, qui étoit pour moi un nom de caractère, par la passion que je conservois toujours pour les défrichemens des terrains incultes.

Je trouvai une excellente occasion de passer sûrement et sans frais en Angleterre. Un seigneur autrichien, chargé d’une mission particulière pour Londres, cherchoit un secrétaire qui eût une belle écriture et qui sût le français ; je me proposai sous le nom de M. Desbruyères, je fus accepté et je partis avec lui. Je m’embarquai avec une somme de sept mille cinq cents livres, une place de secrétaire de mille francs, et une lettre de recommandation pour M. Merton, un banquier de Londres.

En songeant à mon sort actuel, j’oubliai tous mes malheurs. En effet, je devois être satisfait de ma situation. Le comte de Steinbock (ce seigneur autrichien dont je viens de parler) étoit le meilleur homme du monde, il n’avoit qu’un défaut, celui de détester toute espèce de nouveauté et d’innovation en tout genre, et par conséquent les opinions nouvelles et la révolution française. Ce seigneur, âgé de cinquante-six ans, raisonnoit peu, et jugeoit impérieusement ; il attachoit un prix infini à l’avantage d’une grande naissance, et son seul argument à cet égard, étoit celui-ci : Quoi qu’on fasse, les nobles seront toujours nobles. Il répétoit souvent cette phrase en fumant, et toujours avec la même satisfaction. Trois ou quatre sentences de ce genre, formoient toute sa conversation ; aussi ne parloit-il qu’en faisant de très-longues pauses, avec un air pensif et réfléchi ; d’ailleurs, il étoit excessivement réservé, discret, et même mystérieux : il avoit une telle crainte de se compromettre, qu’un jour où l’on parloit en sa présence des affaires politiques, il s’écria après un long silence : « Messieurs, j’ose prédire que tout ceci finira de manière ou d’autre ; mais ne me citez pas ».

Notre navigation fut heureuse ; nous arrivâmes à Londres au commencement de septembre. Au bout de trois jours, le comte me dit qu’il iroit passer un mois à Bath, et me chargea d’y aller sur-le-champ, afin de lui faire préparer un logement. Je partis tout seul, à cheval, et je pris la route de Stone-Henge, afin de voir cette fameuse antiquité[4]. On parcourt dans cette route plus de huit lieues de désert : je ne vis pas, sans émotion, ces vastes bruyères ; il me sembloit que je me retrouvois dans mon empire. Comme je savois quelques mots anglois, je fis à mon guide plusieurs questions sur ces bruyères ; il me répondit toujours que c’étoient les plaisirs du roi[5]. J’imaginai que sa Majesté Britannique vouloit défricher tous ces terrains et les couvrir de cultures et de hameaux ; ce qui me paroissoit, en effet, un vrai plaisir de roi. Comme je réfléchissois, en cheminant, sur le bonheur que peut procurer la suprême puissance, une voiture légère passa rapidement près de moi ; j’allois dans ce moment au pas, mais mon cheval prit de l’ardeur et se mit à galopper : j’atteignis la chaise de poste, et modérant mon cheval, je le contraignis à ne point passer cette voiture dont je touchois presque la portière. Je jetai les yeux sur les personnes qui étoient dans la voiture, et je vis une vieille femme-de-chambre et une jeune demoiselle d’une très-belle figure. Elle rougit et pâlit en me regardant, ce qui ne me surprit point, parce que j’avois beaucoup entendu parler de la modestie des dames angloises ; mais voyant augmenter sa pâleur, et qu’elle laissoit tomber sa tête sur l’épaule de sa compagne, je connus qu’elle se trouvoit mal, et je criai au postillon d’arrêter, ce qu’il fit aussitôt. Alors la jeune personne, baissant la glace de mon côté, me surprit étrangement en me présentant, d’une main tremblante, une bourse et sa montre. Quoique sa méprise ne fût pas très-flatteuse pour moi, je ne pus m’empêcher d’en rire ; je l’assurai que je n’étois point un voleur, et mon guide resté en arrière, et qui survint dans cet instant, lui parla et acheva de la tranquilliser. Nous entrâmes en conversation. Cette jeune personne me conta que son domestique étoit tombé malade en chemin ; qu’elle avoit encore sept milles à faire pour se rendre dans le château d’une dame de ses amies, et qu’elle mouroit de peur des voleurs. Je lui offris de me détourner de mon chemin pour l’escorter, ce qu’elle accepta avec la plus vive reconnoissance. Comme le jour commençoit à baisser, je quittai sa portière pour aller à la tête des chevaux, afin de presser les postillons ; et quand j’aperçus l’avenue du château, je saluai la demoiselle, et, sans perdre de temps, je repris la route de Bath. Cette jeune Angloise m’avoit paru très-aimable, et je me repentis d’avoir oublié de lui demander son nom.

Le comte de Steinbock ne passa que quinze jours à Bath, au bout desquels nous retournâmes à Londres. J’y rencontrai un soir à Rensington, un jeune émigré, le chevalier de Florzel, que j’avois vu jadis garde-marine à Brest. Nous renouvelâmes connoissance. Florzel étoit plein d’esprit, d’instruction, de gaîté, et les malheurs du temps n’avoient pu changer son caractère. D’ailleurs, il n’étoit point à plaindre personnellement. Sa mère, dont il étoit le fils unique, avoit emporté beaucoup d’argent de France, et Florzel, d’une naissance très-illustre, avoit à la cour d’Angleterre de puissans protecteurs. Ce jeune homme léger, mais obligeant et bon, ne se mêloit point du tout de politique, et il plaignoit ses compatriotes malheureux de quelque parti qu’ils fussent.

Je demandai le secret à Florzel sur mon véritable nom ; il approuva mon incognito, parce que deux hommes de mon nom occupant des places en France, Florzel pensoit que sous mon véritable nom je n’aurois pas été reçu en Angleterre sans quelque difficulté, malgré la protection du comte de Steinbock.

Je me plaisois beaucoup à Londres, quoique le comte me fît faire un travail qui n’étoit rien moins qu’amusant, et qui m’occupoit tous les jours cinq ou six heures : il s’agissoit de copier et de corriger le style de plusieurs mémoires politiques, écrits en francois, et dont quelques-uns étoient destinés à l’impression, sans nom d’auteur. Le comte qui étoit le moins bavard des hommes, étoit en même-temps, malheureusement pour moi, le plus diffus des écrivains, et son goût particulier pour les longues parenthèses, donnoit une telle obscurité à ses ouvrages, qu’il falloit autant d’attention que de mémoire pour en comprendre le sens, ou pour ne pas perdre le fil de ses raisonnemens ; car les réflexions accessoires, et les digressions très-souvent étrangères au sujet principal, en formoient la plus grande partie. Après un travail assidu pendant six semaines, son génie se trouva épuisé, et il me déclara qu’il alloit se reposer ; j’en rendis grâce au ciel, et voulant profiter des derniers beaux jours de l’automne pour faire une course agréable, j’acceptai l’offre de Florzel qui me proposa de me mener à Stow. Parmi les belles fabriques de ce jardin célèbre, j’admirai surtout celle qu’on appelle le cabinet impérial, dans laquelle on trouve les bustes des empereurs romains : chaque buste porte une inscription, non d’invention, mais tirée de la vie même du personnage que l’on fait parler pour retracer un mot consacré par l’histoire. Par exemple, Titus dit ce beau mot : j’ai perdu un jour ; ainsi des autres.

Cette idée me parut très-ingénieuse. Je me rappelai que l’on avoit fait en France un Panthéon, pour y placer les statues de quelques grands écrivains, et je dis à Florzel qu’il seroit à désirer que l’on mît à ces statues des inscriptions tirées des ouvrages de ces auteurs. Florzel sourit en m’invitant à faire ce travail. Je lui répondis que j’en étois incapable par une excellente raison, c’est que je ne m’étois jamais occupé de littérature et de politique, et que tous les écrits de ces philosophes m’étoient totalement inconnus. Florzel, très-obligeamment, me promit de me donner les inscriptions que je souhaitois, et je ne lui cachai pas que mon projet étoit de les envoyer en France ; car depuis la mort de Robespierre, je nourrissois en secret un grand desir de retourner dans ma patrie, et je saisissois avec plaisir une occasion de faire une chose qui pouvoit être agréable au gouvernement françois. Je savois en général que les écrivains placés au premier rang dans le Panthéon françois, et par conséquent les philosophes les plus chéris du parti populaire, étoient Voltaire, Diderot et J.-J. Rousseau ; car c’étoit eux que les démagogues citoient et louoient dans tous leurs discours oratoires. Ainsi, je recommandai à Florzel de commencer son travail par les inscriptions des statues de ces trois idoles du peuple. Deux jours après, Florzel un matin vint dans ma chambre m’apporter ces premières inscriptions que j’attendois avec impatience ; je déroule son papier, et je lis ce qui suit :

VOLTAIRE.

« Le plus grand service à mon gré que l’on puisse rendre au genre humain, est de séparer le sot peuple des honnêtes gens, pour jamais. On ne sauroit souffrir l’absurde insolence de ceux qui vous disent : je veux que vous pensiez comme votre tailleur et votre blanchisseuse.

« Il me paroît essentiel qu’il y ait des gueux ignorans.

« Ce siècle raisonneur est l’anéantissement des talens.

« Le système de l’égalité m’a toujours paru l’orgueil d’un fou.

« Je ne désire point le rétablissement de la démocratie athénienne ; je n’aime point le gouvernement de la canaille[6] ».

DIDEROT.

« Quoique je ne pense pas que la démocratie, soit la plus commode, et la plus stable forme de gouvernement, quoique je sois persuade qu’elle est désavantageuse aux grands états, je la crois néanmoins une des plus anciennes.

« Un grand pays doit être monarchique[7]. »

J.-J. ROUSSEAU.

« Le contrat-social doit être bien reçu à Genève, car j’y préfère hautement l’aristocratie à tout autre gouvernement[8] ».

Après avoir lu ce papier, je me mis à rire. Croyez-vous donc, dis-je à Florzel, que je sois la dupe de cette plaisanterie ? Il est vrai que je n’ai jamais lu ces auteurs, mais je suis bien certain qu’on ne trouve point dans les ouvrages de ces philosophes chéris des démagogues, des sentences qu’on ne pourroit écrire ou proférer en France sans aller à l’échafaud. Je vous donne ma parole, reprit Florzel, que mon extrait est fidèle, et je vous le prouverai facilement… Comment ! interrompis-je, ce livre si vanté par les jacobins, ce livre pour lequel ils ont divinisé Rousseau, le Contrat-social, enfin, a pour but de prouver que le meilleur des gouvernemens est le gouvernement aristocratique ? — Mais vraiment oui. — Comment ! Voltaire appelle la démocratie le gouvernement de la canaille, et l’égalité l’orgueil d’un fou ? Et Diderot veut la monarchie pour un grand état ? — Eh ! mon dieu oui. Mais les jacobins n’ont donc pas compris ces auteurs ? — Comme vous voyez. Et les philosophes n’ont donc pas fait la révolution ? — Oh ! pardonnez-moi, mais ils l’ont faite en démolissant et non en reconstruisant. Et les jacobins ont déifié les philosophes modernes, non pour leurs principes politiques, mais pour leurs principes moraux. Je fus émerveillé de toutes ces découvertes, et toute réflexion faite, je n’envoyai point d’inscription en France.

Cependant je me rapelai, vers le milieu de novembre, que j’avois une lettre de recommandation sous mon nom supposé de Desbruyères, pour le banquier Merton ; il demeuroit dans la rue d’Oxford, et j’y fus un matin. Il me reçut avec politesse et bonhomie. Il avoit jadis voyagé en France, et il aimoit les Français qui montroient des sentimens modérés. Comme nous causions en prenant le thé, la porte de son cabinet s’ouvrit, et M. Merton me dit : Voilà ma fille que je vous présente. Je me retournai, et j’éprouvai une surprise très-agréable, en reconnoissant, dans la fille de M. Merton, la jeune personne que j’avois escortée dans les bruyères de Stone-Henge. Miss Lucy (c’étoit son nom) fit une exclamation très-flatteuse en m’apercevant. Je vis qu’elle avoit conté cette aventure à son père, car, aussi-tôt qu’elle eut dit que j’étois l’inconnu des déserts (ce fut son expression), son père me secoua violemment la main ; et c’est en Angleterre, non une vaine démonstration, mais un signe certain d’estime ou d’amitié. Ce qui surtout excitoit la reconnoissance de M. Merton, étoit la conduite peu galante que j’avois eue dans cette occasion ; il me savoit un gré infini de n’avoir point accompagné sa fille jusqu’au château, et de m’être séparé d’elle sans lui demander son nom et sans lui dire le mien. Ainsi, pour la première fois de ma vie, ma gaucherie et ma distraction, loin de me nuire, me furent très utiles dans cette occasion. M. Merton connut, à n’en pouvoir douter, que j’étois un homme simple et sans prétentions, et que l’on pouvoit recevoir sans danger. Il me fit promettre que je retournerois souvent chez lui, et je pris cet engagement avec grand plaisir.

Miss Lucy, âgée de dix-huit ans, n’étoit pas sans doute la plus belle personne de Londres, mais elle avoit un éclat éblouissant, des manières très-douces et le maintien le plus modeste ; elle parloit assez bien le françois, quoiqu’elle eût beaucoup d’accent, mais elle avoit des expressions favorites qui me parurent d’abord un peu étranges, d’autant plus qu’elle les répétoit continuellement ; entr’autres, elle plaçoit presque en toute occasion les mots choquans et délicatesse. J’ai su depuis, qu’en anglois, les dames employoient sans cesse ces deux mots[9] dans la conversation. Je profitai de l’invitation de M. Merton ; j’allois souvent chez lui, il me secouoit la main de plus en plus, et miss Lucy me montroit beaucoup de confiance et d’amitié. Un jour que je voulois lui porter un livre qu’elle m’avoit demandé, je fus à son appartement, dans lequel elle m’avoit reçu tête-à-tête plus d’une fois. Ne la trouvant pas dans son cabinet, j’entrai dans sa chambre dont la porte étoit ouverte. Miss Lucy dévidoit un écheveau de soie avec sa vieille gouvernante ; et aussi-tôt qu’elle m’aperçut, elle rougit, poussa un cri perçant, en me faisant signe de la main de m’en aller. Très-étonné de cet accueil, je restois immobile : miss Lucy, hors d’elle-même, s’écria : choquant ! choquant ! et à ce grand inot qu’elle ne prononçoit jamais qu’avec l’expression de l’indignation, je me sauvai et je fus conter mon aventure à M. Merton. Il rit beaucoup de mon ignorance, et m’apprit qu’une dame anglaise ne peut supporter qu’un homme entre dans sa chambre à coucher ; qu’elles peuvent sans blesser la décence, recevoir un homme dans un cabinet, mais que s’il se trouve un lit dans la pièce où l’on cause, cette même action devient alors inexcusable. Je l’avoue, malgré non admiration pour les dames angloises, je trouvai dans ces idées tout le contraire de la délicatesse. Il me paroît un peu choquant qu’un lit soit un tel épouvantail pour l’innocence. Quand la vue d’un lit, en présence d’un homme, cause une si grande frayeur, quelles sont donc les pensées de ces jeunes personnes ?

J’aime mieux à cet égard nos Françoises qui ne pensent pas à tout cela, et qui, lorsqu’elles sont honnêtes, suivent une règle de bienséance beaucoup plus simple, qui est de ne jamais recevoir de jeunes gens chez elles, tant qu’elles sont jeunes elles-mêmes.

Miss Lucy me bouda tout le reste du jour. Je m’en consolai en causant avec son père que j’aimois véritablement, surtout depuis que je savois qu’il avoit aussi un goût passionné pour l’agriculture et pour les défrichemens. En nous entretenant des voyages de sa jeunesse, il parla tout d’un coup avec la plus grande sensibilité, de mon oncle qu’il avoit connu à Bordeaux, et dont il avoit reçu des services essentiels. Je fus très-ému : M. Merton remarqua mon trouble, me questionna vivement, et je ne pus me défendre de lui avouer la vérité. Quoi ! s’écria-t-il avec transport, vous êtes le neveu de cet excellent homme ! vous portez son nom !… Ici il s’arrêta, me secoua la main en silence ; ensuite il se retourna, fit quelques pas dans la chambre, et, revenant à moi, il me secoua encore la main, en me disant : Je vous prouverai que les Anglois sont reconnoissans. En disant ces paroles, il me serra si violemment la main que j’en eus deux doigts coupés au vif par un anneau d’or que je portois toujours ; mais je ne m’en plaignis pas, je sentis tout le prix de cette action, et j’en fus extrêmement attendri.

Je contai tous ces détails à mon ami Florzel, qui, en regardant mes deux doigts blessés, me dit : Un Anglois qui a serré de la sorte une main, a tout promis ; tu peux être certain, mon cher Kerkalis, que M. Merton s’est engagé à te donner sa fille. Ces doigts coupés valent un contrat. Malgré cette assurance et un secret pressentiment, je n’osois encore me livrer à une telle espérance ; mais bientôt je fus assuré de mon bonheur. M. Merton s’expliqua clairement ; il me dit qu’il me destinoit sa fille si elle n’y mettoit point d’opposition ; il ajouta qu’il lui avoit déjà parlé ; qu’elle avoit répondu que son cœur étoit parfaitement libre, qu’elle m’estimoit, qu’elle ne rejetoit nullement cette proposition, mais qu’elle demandoit deux mois pour y réfléchir. Je fus charmé, comme je devois l’être, de pouvoir raisonnablement prétendre à la main d’une personne charmante, et fille de l’homme du monde que je révérois le plus. Cependant j’avouerai naturellement que je craignois beaucoup de revoir miss Lucy ; j’imaginois bien qu’elle alloit m’étudier avec attention, et je redoutois infiniment cet examen. Le rôle d’amant étoit si nouveau pour moi, que j’avois toutes les frayeurs du monde de paroître choquant aux yeux d’une personne douée de tant de délicatesse. En effet, miss Lucy, qui, jusques-là, m’avoit traité comme un homme sans conséquence, commença à me regarder avec douceur et bonté, mais en même temps avec un air attentif qui me causoit une gêne mortelle. Pour la première fois de ma vie, j’éprouvois, en mille petites choses, un embarras insurmontable ; je craignois de marcher gauchement, d’entrer dans la chambre de mauvaise grace, de faire des complimens déplacés ou de paroître indifférent ; et ne sachant absolument comment me conduire, je sentis que j’avois besoin d’un guide ; je crus n’en pouvoir choisir un meilleur que Florzel qui avoit tant d’usage du monde, et je formai le projet de le mener chez M. Merton. Ce dernier m’avoit annoncé l’arrivée de son frère, le docteur Merton, qui habitoit ordinairement la province, et que son frère et sa nièce regardoient comme l’homme le plus spirituel et le plus aimable de l’Angleterre. Il arriva, et je lui fus présenté par le bon M. Merton, qui lui déclara en même temps qu’il me regardoit absolument comme son gendre. Le docteur étoit ce qu’on appelle un cleverman[10] de province, c’est-à-dire, à mon avis, tout ce qu’on peut imaginer de plus fatigant et de plus insupportable. Ce docteur avoit une telle prétention de gaité, qu’il éclatoit de rire à chaque mot ; il annonçoit ce brillant caractère, en disant bonjour, car ce bonjour étoit accompagné du plus singulier ricanement, qui, ensuite, se transformoit de minute en minute en éclats immodérés, sans que jamais personne fût dans le secret de cette surprenante joie. Il ne parloit qu’en plaisanteries presque toujours ironiques, et il s’épuisoit beaucoup moins en bons mots qu’en efforts de poitrine. Je me sentis une telle antipathie pour ce personnage, qu’il me fallut un grand empire sur moi-même et tout mon respect pour M. Merton, pour ne le pas brusquer. Mais je recevois toutes ses saillies avec une froideur glaciale, ce qui lui donnoit certainement fort mauvaise opinion de mon esprit.

Quelques jours après, j’introduisis mon ami Florzel chez M. Merton ; le docteur y étoit, qui, voulant déployer toutes ses graces aux yeux d’un jeune français très-aimable, fut plus ridicule que jamais ; et Florzel, loin d’en paroître étonné, eut l’air d’être charmé de lui, et se mit à rire si naturellement, que je commençai à croire que j’avois tort en trouvant le docteur ennuyeux ; car dans toutes les choses de ce genre, j’avois beaucoup plus de confiance en Florzel qu’en moi-même. En sortant de chez M. Merton, je m’empressai de demander à Florzel comment, au vrai, il trouvoit le docteur ? Insoutenable, me répondit-il. Comment, repris-je, et tu recevois ses insipides plaisanteries avec une gaîté si bien jouée ?… Je ne jouois rien, interrompit Florzel, je riois de très-bon cœur, car je suis pour les ridicules, comme le philosophe Démocrite étoit pour les vices, je m’en amuse beaucoup ; plus ils sont saillans, plus ils me divertissent, et cela vaut infiniment mieux que de s’en attrister. Les sots, fats et confians, m’enchantent. Quelles scènes de comédie peuvent valoir celles qu’on leur fait jouer si facilement ? Loin de les repousser, je les accueille, je les anime, je leur tourne la tête, ils m’adorent ; et le chef-d’œuvre des gens d’esprit est de savoir charmer ceux qui n’en ont pas. Florzel, assurément, possédoit ce rare talent. Le docteur Merton ne parloit de lui qu’avec enthousiasme, et répétoit continuellement que Florzel étoit le Français le plus clever qu’il eût jamais rencontré.

Cependant un mois s’étoit écoulé depuis que M. Merton m’avoit promis sa fille, et j’ignorois encore quels progrès je pouvois avoir faits sur le cœur de miss Lucy ; je remarquois seulement qu’elle me traitoit toujours avec la même bonté, qu’elle cessoit de m’observer, et qu’elle devenoit extrêmement rêveuse. Après quelques réflexions, j’en conclus qu’elle croyoit me connoître assez pour n’avoir plus besoin de m’étudier, et que, décidée à me donner sa main, elle éprouvoit cet embarras modeste qu’une jeune fille ressent toujours au moment de s’engager pour jamais. Je me confirmai dans cette idée, en voyant miss Lucy devenir chaque jour plus timide avec moi ; elle osoit à peine me regarder et me répondre. Je respectai cette pudeur ; je cessai de m’approcher de miss Lucy, et de chercher à lui parler en particulier ; enfin, je me tins constamment à l’écart. J’eus lieu de m’applaudir de cette réserve : miss Lucy m’en remercia d’une manière si obligeante, et même si tendre ; elle loua tellement ma délicatesse, que je fus persuadé que j’avois achevé dans cette occasion, de gagner entièrement son cœur. Florzel alloit très-assidûment chez M. Merton ; je lui en savois d’autant plus de gré, qu’il repoussoit tous mes remercîmens à cet égard ; il ne vouloit plus me donner de conseils ; il m’avoit avoué qu’extrêmement préoccupé, son cœur étoit vivement combattu. Je lui connoissois une intrigue d’amour : j’imaginaique sa peine secrète venoit de cette liaison traversée, ou rompue ; je crus qu’il seroit indiscret de le questionner, et que je devois attendre qu’il fût disposé de lui-même à m’ouvrir son ame.

M. Merton partageoit toute ma sécurité sur les sentimens de sa fille. Décidé à quitter le commerce, il avoit formé le projet de retourner en Irlande, sa patrie, aussi-tôt après le mariage ; et il fut convenu que je ne reprendrois mon véritable nom, celui de Kerkalis, que lorsque nous serions établis à Dublin.

Je m’arrête avec complaisance sur cette époque, la plus agréable de ma vie ; je ne sais pas trop si j’étois amoureux, mais certainement je trouvois miss Lucy charmante, j’aimois M. Merton comme un père, et je sentois tous les avantages d’une alliance qui faisoit ma fortune, et qui assuroit la tranquillité et le bonheur de ma vie. Le grand jour étoit fixé par M. Merton ; ce devoit être le 4 de mars, et nous étions au 26 février. Ce jour même, le comte de Steinbock, qui avoit repris sa verve de composition, me fit tellement écrire, qu’il me fut impossible d’aller dîner chez M. Merton. Alors, je pris le parti de me rendre dans une taverne où j’avois déjà dîné plusieurs fois, à table d’hôte. J’y remarquai un homme qui fixa mon attention, par la manière dont il me regardoit ; il avoit toujours les yeux attachés sur moi. Après le dîner, il me fit plusieurs questions : il me demanda mon nom, je lui dis tout simplement que je m’appelois Desbruyères, et j’ajoutai que j’étois un émigré français. À ces mots, il me quitta brusquement, et sortit avec une grande précipitation. Je restai pensif et surpris pendant quelques minutes ; ensuite je m’en allai. Je marchois lentement, lorsque, au bout de la rue, je fus tout-à coup assailli par quatre hommes qui m’environnèrent et m’arrêtèrent. Je reconnus, parmi eux, l’inconnu avec lequel je venois de dîner : c’étoient des gens de justice qui, en vertu d’un ordre en bonne forme, me conduisirent dans la prison nommée King’s-Bench. J’eus beau demander des explications, on ne m’en donna point, et je me trouvai privé de ma liberté, sans pouvoir deviner de quel crime on m’accusoit.

King’s-Bench est une grande vilaine prison qui ne mérite nullement l’éloge pompeux qu’en fait M. Archenholz, dans son Voyage d’Angleterre. J’entrai la nuit dans ce triste lieu, de sorte que je ne pus obtenir le moindre éclaircissement ce jour-là, car je ne vis que des geoliers qui ne savoient pas un mot de françois.

Le lendemain, comme il faisoit assez beau pour la saison, je descendis dans la cour : j’y trouvai un François émigré qui parloit anglois ; je le priai d’interroger le geolier sur le sujet de ma détention : Volontiers, me répondit-il, si vous êtes royaliste. Comme j’hésitois à répondre, il me tourna le dos ; mais un autre prisonnier, d’assez mauvaise mine, qui entendoit un peu le françois, me dit qu’il alloit s’informer de ce que je desirois savoir. En effet, il me quitta et revint au bout d’un quart-d’heure. L’éclaircissement qu’il me donna ne fut pas très-satisfaisant : il me dit qu’on m’avoit arrêté parce qu’on me croyoit l’auteur de trois pamphlets très-séditieux ; qu’en outre il y avoit en justice deux plaintes contre moi ; l’une, d’une fille séduite et grosse de six mois ; l’autre, d’un marchand de la cité, auquel j’avois volé quelques ballots de marchandises. Le prisonnier, après m’avoir instruit de ces détails, en très-mauvais françois, se retourna vers les curieux qui nous entouroient, et leur traduisit ce récit en anglois. Les uns haussèrent les épaules, les autres rioient. L’émigré, d’un ton moqueur, fit plusieurs réflexions impertinentes sur les principes et les mœurs des patriotes. Contre mon ordinaire j’avois de l’humeur ; je m’avançai vers l’émigré, et je lui proposai un petit combat à la manière de mon pays, c’est-à-dire, à coups de tête. Il me répondit avec dédain, qu’il ne se battoit pas comme les moutons. Je perdis tout-à-fait patience ; je fis cinq ou six pas en arrière, en lui criant de prendre garde à lui, que j’allois l’attaquer. Effectivement, prenant mon élan, je me précipitai tête baissée sur lui, et, avec le front, je lui donnai un si rude coup dans l’estomac, que je le jetai par terre. Au même moment, la cour retentit d’acclamations et d’applaudissemens. L’émigré furieux, se relève, en demandant à grands cris un pistolet, un sabre, une épée, enfin toutes les armes de la terre. Je fis une seconde fois le saut en arrière, et j’allois recommencer lorsqu’on nous sépara. Mon exploit breton m’avoit gagné tous les cœurs des prisonniers anglois ; on voulut savoir mon nom, il fallut me nommer : alors chacun s’écria : Quoi ! c’est-là Desbruyères !… c’est Desbruyères ! et ce nom fut si répété, que tous les autres prisonniers qui étoient dans leurs chambres, ou dans la taverne du billard[11], accoururent en foule, en répétant aussi avec un étonnement mêlé d’admiration : Quoi ! c’est Desbruyères !… ah ! c’est Desbruyères !… Cependant, quelques-uns d’entr’eux, qui m’étoient aussi inconnus que les autres, prétendirent que je n’étois pas Desbruyères ; ce qui éleva une dispute très-vive. Pour moi, fort étonné de ma célébrité dans l’enceinte de King’s Bench, je ne songeai modestement qu’à me dérober à ma gloire ; je me fis jour à travers les groupes qui s’augmentoient à chaque minute, et je regagnai ma chambre.

Comme je savois assez d’anglois pour pouvoir demander les choses qui m’étoient nécessaires, j’obtins du geolier, de l’encre et du papier, et j’écrivis une longue lettre au comte de Steinbock. Je lui rendois compte de ma désastreuse aventure ; je lui mandois que personne, mieux que lui, ne pouvoit savoir combien j’étois incapable d’écrire des pamphlets séditieux ; qu’enfin il lui seroit bien facile de démentir des calomnies absurdes, dénuées de toute espèce de vraisemblance ; et, par une seule démarche, de me faire rendre la justice qui m’étoit due. J’envoyai, sur-le-champ, cette lettre, ne doutant pas que le comte ne me fît rendre ma liberté dans le cours de cette même journée. Sur les huit heures du soir, ma porte s’ouvrit, et je vis paroître le valet-de-chambre du comte de Steinbock : je crus qu’il venoit me chercher ; et, rempli de joie, je m’avançai pour sortir, mais il ferma la porte en disant : « Un moment, ayez la bonté d’écouter ce que monsieur le comte vous fait dire ». Ce début m’alarma ; je restai immobile en gardant le silence, et le valet-de-chambre reprenant la parole : « Monsieur le comte, dit-il, ne veut en aucune façon se mêler de votre affaire, et il vous enjoint expressément, 1o. de ne point songer à vous réclamer de lui ; 2o. dans le cas où vous recouvrerez votre liberté, de ne point retourner dans sa maison, parce qu’il n’a plus besoin de vos services. Voilà cinq guinées qu’il vous devoit de vos appointemens, j’ai remis au geolier votre malle et votre porte-manteau. Mon cher Florent, répondis-je, recevez ces cinq guinées, je vous les donne, et dites à M. le comte de Steinbock, qu’après toutes les assurances d’estime qu’il m’a prodiguées, je devois croire qu’il n’hésiteroit pas à faire une démarche que la seule honnêteté prescrivoit ; mais que ceci me fait connoître le caractère des gens dominés par la crainte continuelle de se compromettre, et qu’il est bon de savoir que celui qui se livre à ces frayeurs pusillanimes, ne sauroit être un protecteur utile, ni même un homme équitable. »

Florent, très-satisfait du présent que je venois de lui faire, voulut me montrer sa reconnoissance, en me disant tout le mal possible de son maître ; mais je l’interrompis pour le congédier.

Je me décidai enfin au parti que j’aurois dû prendre d’abord, celui d’écrire à Florzel : j’avois déjà commencé ma lettre, lorsque j’entendis frapper à ma porte ; c’étoit le prisonnier anglois qui m’avoit servi d’interprète : sa physionomie et son ton ne m’avoient pas prévenu en sa faveur, et cette visite ne me fut nullement agréable. Je viens, me dit-il, vous donner de bonnes nouvelles. Cette annonce captiva mon attention ; j’offris poliment une chaise à Jack (c’étoit le nom de ce prisonnier) il s’assit avec plaisir, car il étoit ivre et fort chancelant sur ses jambes. Avant de savoir la bonne nouvelle, il me fallut écouter un verbiage inouï, fait dans un jargon presqu’inintelligible, sur les moyens qu’un prisonnier intelligent et spirituel peut employer pour s’instruire des affaires du dehors. Je ne compris pas la moitié de ce récit, je démêlai seulement que cet art demandoit un grand talent pour l’intrigue ; que Jack avoit fait, dans ce genre, des tours surprenans, et que Katty, sa maîtresse, qui venoit le voir tous les jours, le servoit très-utilement à cet égard. Quand Jack eut cessé de parler et de rire aux éclats, en se rappelant ses stratagèmes, je le pressai de nouveau de me dire la bonne nouvelle. Alors Jack, prenant un air grave et mystérieux, me dit qu’il savoit, de science certaine, que je ne serois point jugé, et que ma punition se borneroit à m’envoyer à Botany-Bay… Jusqu’à ce moment, je n’avois éprouvé que de l’étonnement, de l’humeur et de l’impatience, sans mélange d’inquiétude véritable ; mais ce terrible mot de Botany-Bay, ce tête-à-tête confidentiel, au commencement de la nuit, dans une prison, avec un homme qui, suivant toutes les apparences, étoit un voleur de grand chemin ; l’heure, le lieu, l’isolement, produisirent en moi la plus singulière révolution : une terreur affreuse glaça mon ame, et les idées les plus funestes vinrent en foule noircir mon imagination. Jack s’aperçut que je pâlissois, et là-dessus il entama une longue exhortation très-énergique, et dont le sens étoit qu’il valoit mieux aller à Botany-Bay, que d’être pendu. J’étois dans un tel état de stupeur, qu’il m’étoit impossible de le chasser, ou de l’interrompre ; je crois même que j’aimois mieux qu’il restât là, que de me retrouver tout seul… Mais, tout-à-coup, j’entendis parler très-haut sur l’escalier… je tressaille, je me ranime, je me lève.

Oh ! dans un moment de détresse et d’abandon, quel son enchanteur et délicieux que celui de la voix d’un ami !… C’étoit Florzel. Je me précipite vers la porte, et je trouve Florzel qui se jette à mon cou et qui m’entraîne, en me disant : Viens, tu es libre. Je ne répondis rien, j’étois pénétré, saisi, mais combien mon cœur étoit soulagé !

Nous sortons de la prison, nous montons en voiture ; j’oubliai d’emporter ma malle et mon porte-manteau (qui me furent restitués le lendemain), et ce ne fut qu’à la porte du comte de Steinbock que je m’avisai de dire à Florzel que je ne pouvois plus rentrer dans cette maison. Alors Florzel m’emmena chez lui, à l’autre extrémité de Londres, où nous n’arrivâmes qu’à minuit passé. Pendant ces courses, Florzel m’instruisit de tout ce que je désirois savoir, et il m’apprit une chose qui m’expliqua l’effet singulier que mon nom avoit produit sur la plupart des prisonniers de King’s-Bench ; c’est qu’un autre émigré françois, jacobin, et de plus célèbre escroc, chassé de France pour ses friponneries, s’appeloit tout naturellement Desbruyères. Ce personnage ne s’étoit établi en Angleterre qu’en se disant Génevois, et en produisant de faux passeports ; il avoit beaucoup d’amis dans la mauvaise compagnie de Londres, qui, comme on sait, est plus nombreuse dans cette ville que dans aucun lieu du monde ; enfin, après avoir joué en France le rôle si commun, mais si brillant d’orateur, il n’avoit pu renoncer aux succès littéraires, et il étoit l’auteur d’une multitude de pamphlets anonymes contre la religion et le gouvernement. Par une suite de mon guignon ordinaire, il se trouva que son libraire étoit précisément celui chez lequel je portois de temps en temps les petites feuilles politiques de la composition du comte de Steinbock. Le véritable Desbruyères, averti qu’on le soupçonnoit, prit la fuite ; et les gens de police, trompés par mon nom et par mes visites chez le libraire, m’arrêtèrent à sa place. Florzel, ayant appris mon arrestation, avoit fait avec une extrême activité, conjointement avec M. Merton, toutes les démarches nécessaires pour me justifier et me tirer de prison. Il avoit bien fallu déclarer mon véritable nom ; mais Florzel, en répondant de moi, m’avoit acquis la bienveillance des ministres ; ainsi, je n’éprouvois aucune crainte d’être renvoyé d’Angleterre. Florzel, en me contant tous ces détails, me vanta beaucoup l’amitié fidèle et tendre de M. Merton pour moi ; mais il me parla très-brièvement de miss Lucy.

Le lendemain matin, M. Merton, auquel nous avions écrit, vint me prendre à dix heures pour me mener chez lord ***, qui avoit terminé mon affaire. M. Merton me présenta à ce ministre, sous le nom du baron de Kerkalis et comme son gendre futur ; je fus très-gracieusement reçu. Je répondois aux questions de lord ***, qui rioit beaucoup de ma dernière aventure, lorsque la porte de son cabinet s’ouvrant, nous vîmes paroître le comte de Steinbock. Après avoir fait quelques pas, il resta pétrifié, en apercevant son pauvre secrétaire qu’il croyoit en prison, causant familièrement avec le ministre. Ce dernier, remarquant son étonnement, lui demanda s’il connoissoit M. le baron de Kerkalis. À ce nom, la surprise du comte fut au comble… Il ne répondit rien, et me regardoit toujours avec des yeux très-effarés. Enfin, je me chargeai d’apprendre à lord *** que j’avois été secrétaire du comte, sous le nom fatal de Desbruyères. Alors, lord *** s’adressant au comte, dit plusieurs choses très-obligeantes pour moi, et parla de mon mariage avec miss Merton. Pendant toutes ces explications, le comte pâlit, rougit, bégaya et perdit tout-à-fait contenance. J’ai toujours pensé qu’on ne sauroit montrer trop d’indulgence, trop de douceur dans la prospérité, et que c’est à cette conduite que l’on reconnoît les ames véritablement nobles et généreuses ; ainsi, je ne songeai qu’à dissiper le pénible embarras du comte : je vantai le service qu’il m’avoit rendu en m’amenant en Angleterre ; je louai, avec autant de chaleur que d’exagération, la bonté qu’il m’avoit montrée durant mon séjour dans sa maison, et je ne me permis pas un mot de reproche, même indirect, sur son dernier procédé. Ce pauvre homme, vivement touché d’un tel langage, s’approcha de moi avec des yeux humides, et m’embrassa. Oh ! qu’il faut les plaindre, ces gens vindicatifs qui préfèrent la satisfaction vaine et cruelle de faire rougir d’un mauvais procédé, au plaisir si pur d’inspirer l’attendrissement et le repentir !

Je sortis du cabinet de lord***, très-satisfait de moi-même ; et M. Merton, en descendant l’escalier, me secoua la main à plusieurs reprises, en répétant que j’étois une honnête créature.

Il y a une chose très-encourageante dans la pratique de la vertu, c’est que chaque bonne action en fortifie le goût ; il faut donc qu’elle ne soit pas aussi pénible qu’on nous la peint souvent, puisqu’elle s’exalte par les sacrifices même qu’elle prescrit.

Je revis miss Lucy, qui m’accueillit avec amitié, mais que je trouvai mélancolique et plus rêveuse que jamais. Florzel ne vint point ce jour là. M. Merton avoit du monde à dîner. En sortant de table, il se mit à jouer au wisk, pendant que miss Lucy achevoit de préparer le thé. Elle m’appela pour me prier de porter une tasse de thé à son père ; et quand je fus près d’elle, je m’aperçus que ses yeux étoient pleins de larmes ; je lui demandai ce qu’elle avoit : Revenez ce soir à neuf heures, me dit-elle tout bas, je vous le dirai. Il étoit cinq heures et demie ; je m’en allai à sept, et je revins à l’heure prescrite. On me dit que M. Merton étoit sorti, qu’il ne rentreroit qu’à dix heures, mais que miss Lucy m’attendoit dans le grand parloir[12], où effectivement je la trouvai seule. Je ne vis pas sans émotion, que miss Lucy tenoit d’une main un mouchoir, et de l’autre un flacon de sels ; car j’avois déjà remarqué que dans toutes les occasions qui peuvent émouvoir leur sensibilité, les Angloises ne manquent guère de se munir d’un flacon de sels ; remède consacré par elles aux affections morales, comme les Françoises emploient, en pareil cas, l’eau de fleurs d’orange et les gouttes d’Hoffmann.

Miss Lucy me faisant signe de m’asseoir, j’obéis en gardant le silence ; et pendant plus d’un quart-d’heure, miss Lucy ne fit que s’agiter sur sa chaise, soupirer et respirer des sels ; j’aurois craint de la voir s’évanouir, si ses belles couleurs naturelles, toujours aussi brillantes, ne m’eussent rassuré. Cependant j’étois troublé et fort inquiet. Enfin, miss Lucy, faisant un effort prodigieux sur elle-même, rompit le silence, et après beaucoup de préambules, elle m’avoua en pleurant que son cœur n’étoit plus à elle, qu’elle avoit en vain combattu le sentiment qu’elle éprouvoit ; qu’elle n’avoit confié ce secret à qui que ce fût au monde, et que celui qu’elle aimoit ne lui avoit jamais fait de déclaration… Ici, miss Lucy s’arrêta, et, voyant que je ne proférois pas une parole, elle respira des sels, essuya ses yeux, porta plusieurs fois la main sur son front, et d’une voix languissante, nomma Florzel… Je tressaillis, Florzel étoit mon heureux rival ! Après un moment de réflexion : « Mademoiselle, dis-je, ceci me fait beaucoup de peine ; mais puisque vous avez changé, j’aime mieux que ce soit pour Florzel que pour un autre ».

Miss Lucy ne s’attendoit apparemment pas à tant de modération ; la joie brilla dans ses yeux… Hélas ! mon cher monsieur, me dit-elle, je ne suis point changée pour vous, je vous conserve toujours les mêmes sentimens, c’est-à-dire, une tendre amitié, une estime parfaite ; je vous aime avec toute la solidité de la raison, mais j’aime Florzel avec passion : je vous devois cet aveu ; cependant je ne romps point un engagement auquel mon père, par amitié pour vous, attache tout le bonheur de sa vie ; je suis toujours prête à vous épouser. Ma franchise doit être le garant de mon honnêteté ; je ne serai point heureuse, mais je remplirai tous mes devoirs, et je ne reverrai jamais Florzel… Non, non, mademoiselle, interrompis-je, il s’agit, surtout, de votre bonheur ; il faut que vous épousiez Florzel… et je me charge de décider votre père… Ô le plus généreux des hommes ! s’écria miss Lucy en fondant en larmes, et en pressant mes deux mains dans les siennes… Elle avoit dans ce moment, une expression sublime qui m’éleva au-dessus de moi-même ; mes pleurs coulèrent avec les siens. Soyez tranquille, lui dis-je, ne voyez plus en moi qu’un ami, qu’un frère, qui va travailler avec ardeur à vous rendre le repos… Il faut que vous sachiez, me dit-elle, qu’avant d’avoir vu Florzel, pressée tous les jours, en particulier, par mon père, de me décider positivement en votre faveur, je lui donnai ma parole, en le priant de ne vous en point parler ; voilà pourquoi, quoique je ne vous eusse rien promis, du moins formellement, mon père crut pouvoir fixer le jour de notre mariage : il est dans une parfaite sécurité à cet égard ; sa surprise sera extrême… N’importe, interrompis-je, soyez sans inquiétude, fiez-vous à mon zèle. Si je m’y fie !… reprit-elle ; oh ! quelle seroit mon ingratitude, si je ne comptois pas entièrement sur vous !… Dans cet instant, nous entendîmes frapper à la porte de la rue ; Voilà, dis-je, M. Merton ; allez dans votre appartement, je vais l’attendre ici. Lucy se leva, fit quelques pas, et revenant à moi : Mon digne ami, me dit-elle d’un air pénétré, je vais vous prouver combien je compte sur votre probité… Il est possible que mon père ne veuille point consentir à mon union avec Florzel… eh bien ! dans ce cas, promettez-moi d’accepter encore cette main (elle me la tendoit), ce sera celle d’une épouse fidèle… S’il ne m’est pas permis de me dévouer à l’amour, que je puisse du moins me consacrer à l’amitié… Cette preuve de votre estime, répondis-je, sera justifiée par ma conduite. Vous venez de donner un prix infini au service que je vais vous rendre ; vous verrez si je sais aimer avec désintéressement. Lucy, entendant la voix de son père, se sauva par la petite porte du salon. À peine avoit-elle disparu, que M. Merton entra. Sans perdre de temps, j’instruisis M. Merton de tout, ne lui cachant que la dernière assurance que m’avoit donnée sa fille avec tant de sensibilité ; car j’étois certain que, s’il eût connu ses dispositions à mon égard, il auroit absolument rejeté Florzel. Malgré cette discrétion de ma part, M. Merton répéta mille fois qu’il avoit la promesse de sa fille, qu’il ne céderoit point à une pure fantaisie, que j’étois le seul homme au monde qu’il eût desiré pour gendre, et que nul autre n’obtiendroit la main de Lucy. Il ajouta que Florzel, devenu mon rival, et me supplantant, ne lui inspiroit que le plus profond mépris. Je justifiai Florzel avec toute la véhémence dont je suis capable, en protestant, d’après le témoignage de Lucy, qu’il n’avoit rien fait pour la séduire : j’ajoutai que je ne devois accuser ni Lucy, ni Florzel, mais ma seule imprudence qui m’avoit fait présenter le François le plus intéressant et le plus brillant, à la jeune personne qui pouvoit le mieux apprécier le mérite et les graces de l’esprit. Tandis que je parlois, M. Merton, le coude appuyé sur la cheminée, m’écoutoit attentivement, en me regardant d’un air attendri. Je crus qu’il étoit vaincu par mon éloquence ; et, comme je le pressois de répondre : Oui, dit-il, c’est vous qui serez mon gendre. Non, monsieur, m’écriai-je, non, je ne puis l’être. Je n’ai pas besoin de ce titre pour vous regarder et vous chérir comme un père jusqu’à mon dernier soupir ; mais, j’en jure par l’honneur et par l’amitié, je n’épouserai jamais miss Lucy. Alors, je recommençai mes sollicitations en faveur de Florzel, j’insistai sur les sentimens de Lucy, je peignis toute la vivacité de sa passion ; en même temps je louai son respect filial, sa tendresse pour le meilleur des pères ; et, voyant M. Merton ébranlé, je sonnai. Que voulez-vous ? me dit-il. Au lieu de lui répondre, je me tournai vers le domestique qui entroit : M. Merton, lui dis-je, demande miss Lucy. Ah ! mon ami, s’écria M. Merton, vous bouleversez tous mes plans de bonheur !… et il tomba dans un fauteuil, en se cachant le visage avec ses deux mains. Miss Lucy, pâle et tremblante, parut. Allez, mademoiselle, lui dis-je, allez remercier le plus tendre des pères… Elle courut se jeter, en sanglotant, à ses pieds… Ma fille, lui dit M. Merton en l’embrassant, je ne saurois résister à vos larmes et à vos prières ; puissiez-vous être heureuse, et ne jamais vous repentir d’avoir refusé l’homme généreux que mon affection pour vous m’avoit fait choisir ! Ô mon père ! s’écria Lucy, en le sacrifiant, je le regrette ! Ah ! que n’est-il né mon frère !… Consolez-vous, lui dis-je, chère Lucy, je le suis, je le serai jusqu’au tombeau. À ces mots, cette aimable fille jeta ses deux bras autour de mon cou et m’embrassa, en baignant de larmes mon visage… Je la serrai contre mon sein avec la plus vive émotion que j’aie éprouvée de ma vie ; ensuite je la remis dans les bras de son père, et je m’échappai… Je crus entendre, dans l’antichambre, la voix de Lucy qui me rappeloit ; je frissonnai, mais je ne m’arrêtai point. Je sortis précipitamment de la maison : une voiture m’attendoit à la porte ; j’y montai et je me fis conduire chez moi, c’est-à-dire, chez Florzel. Je ne pouvois moi-même démêler ce qui se passoit au fond de mon ame : le dernier embrassement de Lucy, cet embrassement si tendre, avoit subitement changé mes dispositions. Lucy m’avoit rappelé ; que me vouloit-elle ?… Je me repentois de n’être pas rentré dans le salon… je ne sais quelle incertitude pénible m’agitoit, me troubloit… J’étois dans cet état, en entrant dans la maison de Florzel… Le crieur de nuit annonçoit onze heures… En montant l’escalier, je rencontrai Florzel qui alloit sortir, mais qui, en me voyant, retourna sur ses pas pour causer, dit-il, un moment avec moi. J’éprouvai une sensation douloureuse… j’avois de l’oppression ; il me fut impossible de répondre. Nous entrâmes dans ma chambre. Florzel, me regardant avec étonnement : Bon Dieu ! me dit-il, qu’as-tu donc ? Il fit cette question avec un air d’amitié qui me toucha. Je rappelai toute ma raison ; et, reprenant un visage serein, j’instruisis, en peu de mots, Florzel de son bonheur. Sa surprise, sa joie, sa reconnoissance, furent extrêmes ; mais j’avois laissé toute ma sensibilité chez M. Merton : je n’éprouvois qu’un serrement de cœur pénible… Je brûlois du desir de me retrouver seul ; et, pour me débarrasser de Florzel, je lui conseillai d’aller sur-le-champ faire part de cette nouvelle à sa mère. Il me quitta. Livré à moi-même, je m’étonnai de l’espèce d’effroi que j’éprouvois, en pensant que j’avois tout dit à Florzel, et que je venois de fixer irrévocablement le sort de Lucy : je me répétois, avec le sentiment le plus douloureux : Lucy est perdue pour moi sans retour !… et Lucy me rappeloit !… Grand Dieu ! s’il étoit vrai que, touchée de mes procédés, elle eût pu d’elle-même revenir à moi !… Cette idée qui ne s’offroit distinctement à mon imagination que dans ce moment, me perça le cœur… Je me promenois avec agitation dans ma chambre, quand on vint m’apporter un billet : je reconnois l’écriture de Lucy ; j’ouvre, en tremblant, ce billet : qu’on juge de ce que je ressentis, en lisant ce qui suit :

« Je vous rappelois, quand vous m’avez quittée : pourquoi faut-il que vous n’ayez pu lire dans mon cœur !… Ô mon cher et généreux ami ! si vous n’avez point encore parlé (comme je l’espère), ne dites rien, et demain matin, à neuf heures, revenez me voir ».

Je ne pus retenir mes larmes… et je fis cette réponse :

« Il n’est plus temps… j’ai cru vous servir, et j’ai parlé… Florzel vous adore, il est au comble de ses vœux… soyez heureuse, et je ne serai point à plaindre ».

Je passai deux heures entières dans la plus grande agitation. Comment n’aurois-je pas été touché des sentimens d’une jeune personne de dix-huit ans, qui, après avoir obtenu le consentement de son père pour épouser celui qu’elle aimoit, avoit assez de grandeur d’ame pour se décider, de son propre mouvement, à sacrifier l’amour à la reconnoissance ? Je ne connoissois bien Lucy qu’en la perdant : mes regrets n’étoient que trop fondés.

Cependant, après beaucoup de réflexions, je me consolai, en me rappelant la pureté de mes intentions et de ma conduite, et en pensant que, du moins, je conserverois toujours l’estime et l’amitié du vertueux Merton et de l’intéressante Lucy. Déterminé à quitter l’Angleterre sous deux jours, je résolus de ne rien faire qui pût affoiblir l’opinion avantageuse que j’avois donnée de mon caractère, à deux personnes dont le suffrage m’étoit si précieux. Cette idée releva mon courage, et à trois heures du matin je me couchai, sinon satisfait, du moins tranquille.

Le lendemain, je voulus conduire moi-même Florzel chez M. Merton ; j’étois soutenu par un sentiment de gloire, qui rend tout possible. Dans les scènes de la vie, on remplit presque toujours dignement un rôle difficile, lorsqu’on sait qu’il est le plus beau, et que les autres en conviennent. M. Merton reçut froidement Florzel ; Lucy parut triste, elle avoit les yeux rouges. Elle parla peu, rougit beaucoup, et me serra la main plusieurs fois, avec l’expression la plus touchante. Florzel fut embarrassé ; j’avois sur lui la supériorité de procédés reconnus, admirés : il le sentoit, il étoit contraint, mal à son aise : ma présence gênoit sans doute aussi Lucy ; elle n’osoit, devant moi, montrer tout son penchant pour Florzel. Ces observations me furent utiles ; elles diminuèrent le chagrin sensible que j’éprouvois de quitter l’Angleterre. Le docteur Merton vint dîner ; il me parut plus odieux encore que de coutume : instruit de tout ce qui s’étoit passé, il en étoit charmé au fond du cœur ; il ne m’aimoit pas, et il avoit pour Florzel la plus grande admiration : je crois même que cet enthousiasme, et les louanges excessives qu’il lui prodiguoit, avoient beaucoup contribué à exalter l’inclination de Lucy.

Sur le soir, M. Merton m’emmena dans son cabinet, et là, cet excellent homme me questionna sur mes affaires, sur mes projets, et me fit les offres les plus généreuses que je refusai toutes avec une invincible fermeté, non que j’eusse rougi d’accepter les bienfaits de l’homme du monde que je révérois le plus, mais parce que je voulois conserver toute la gloire du sacrifice que je venois de faire. D’ailleurs, n’ayant nulle espèce d’ambition, ce désintéressement me coûtoit peu. Je dis à M. Merton qu’ayant fait dans le commerce, grace à ses soins, quelques gains très-considérables pour moi, j’avois environ douze mille francs ; que mon intention étoit de retourner à Hambourg, de m’y placer chez un négociant, et d’y rester jusqu’à ce que j’eusse assez augmenté mes fonds pour pouvoir acheter, dans le Holstein, une chaumière et quelques arpens de terre, et qu’alors je me consacrerois à la retraite. M. Merton réfléchit un moment ; ensuite, approuvant ce dessein, il me dit qu’il me donneroit une lettre pour un négociant de ses amis. Après cet entretien, je pris congé du respectable Merton, non sans une vive douleur : nous nous embrassâmes en pleurant… je n’aurois pu regretter davantage le meilleur des pères. Je partis le lendemain matin, à huit heures. Mon voyage fut long, mais heureux. Le négociant, correspondant de M. Merton, me reçut à bras ouverts ; je m’établis chez lui, et je travaillai dans son comptoir. Trois semaines après mon arrivée à Hambourg, je reçus une lettre de M. Merton, qui m’apprenoit le mariage de sa fille avec Florzel.

Six mois s’étoient écoulés depuis mon retour à Hambourg ; nous étions au mois de septembre : M. Smith (c’est le nom du négociant chez lequel je demeurois) me proposa de faire un petit voyage dans le Holstein, ce que j’acceptai avec grand plaisir, dans l’intention de fixer le lieu où je comptois me retirer. Nous fûmes à Kiel, dont nous admirâmes la situation, le beau canal formé par la Baltique, et la célèbre université. De-là, nous nous rendîmes dans la jolie ville de Schleswig, d’où M. Smith voulut aller voir, dans les environs, un lieu nommé Pageroë, très-fameux dans le pays par ses magnifiques bois et son site pittoresque. Nous y fûmes à cheval. Je fus charmé de la beauté merveilleuse de ce paysage ; je n’avois rien vu de plus agréable en Suisse et en Angleterre. Ce petit canton est très-peuplé ; on y rencontre, à chaque pas, de grandes fermes, habitées par de riches paysans, M. Smith entra dans une de ces fermes, où l’on nous proposa d’aller voir une charmante maison de campagne, nouvellement bâtie, nous dit-on, par un riche particulier qui ne l’avoit point encore habitée. On nous y conduisit. C’étoit, à l’extérieur, une très-petite chaumière, mais l’intérieur réunissoit tout ce que la plus élégante simplicité et le meilleur goût peuvent offrir de plus charmant et de plus recherché. Un petit bois, un pré, un verger, un jardin potager, et une basse-cour, étoient renfermés dans cet enclos. J’enviai, en soupirant, le bonheur de celui qui possédoit une telle habitation. M. Smith se disposoit à sortir de cette ravissante petite maison, lorsque, revenant sur ses pas, il observa que nous n’avions pas vu un cabinet qu’il indiqua, et dont la porte étoit fermée à clef. Notre conducteur tira la clef de sa poche, et la lui donna. M. Smith ouvre la porte, et me fait passer le premier : j’entre ; et le premier objet qui me frappe, est un grand tableau à l’huile : je le regarde, et je reconnois, avec un saisissement inexprimable, le portrait de M. Merton, et d’une ressemblance parfaite !… Eh bien ! me dit M. Smith, vous demandiez le nom du propriétaire de cette maison ; ceci doit vous l’apprendre… c’est à vous qu’elle appartient… Je tombai sur une chaise : mon attendrissement surpassoit encore ma surprise… M. Smith me conta que M. Merton, dès les premiers jours de mon arrivée à Hambourg, lui avoit écrit, pour le charger de faire cette acquisition pour moi, en lui prescrivant d’acheter un terrain, et d’y faire bâtir une petite maison, d’après un plan qu’il avoit tracé lui-même. Oh ! combien cette habitation que j’avois déjà trouvée si charmante, me parut embellie, en songeant à qui je la devois !… Je la parcourus de nouveau avec ravissement ; je ne pouvois me résoudre à la quitter. Cependant plusieurs affaires me forçoient de retourner à Hambourg ; mais je me promis bien de les terminer promptement, afin de revenir dans la solitude délicieuse où la plus généreuse amitié m’assuroit un sort qui combloit tous mes vœux. En effet, je ne passai que peu de jours à Hambourg ; mais je n’en partis pas seul. Le hasard m’avoit fait connoître une Françoise émigrée, nommée madame D***, veuve d’un fermier-général, et la situation déplorable de cette dame m’avoit inspiré pour elle le plus tendre intérêt. Ayant épuisé toutes ses ressources, et ne pouvant trouver de place, elle étoit tombée dans la plus affreuse indigence. Je l’estimois, je la plaignois du fond de l’ame ; je lui offris un asyle : elle accepta cette proposition avec la plus vive reconnoissance, et je l’emmenai à Pageroë. Nous partîmes le 27 de septembre. Madame D***, à cette époque, étoit âgée de quarante-six ans. Elle avoit eu de la beauté ; on le voyoit encore ; il lui restoit des yeux très-brillans et de belles dents ; elle étoit Provençale, et quinze ans passés à Paris ne lui avoient rien fait perdre de l’accent de son pays. Comme je ne l’avois vue que dans le malheur, je m’étois fait l’idée la plus fausse de son caractère ; je la croyois sérieuse, douce, solide, sans prétention ; elle étoit le contraire de tout cela. Ayant joui, jusqu’à la révolution, d’une fortune immense, elle avoit, suivant l’usage, été fort gâtée par la flatterie ; naturellement très-coquette, l’excès du malheur n’avoit pu que suspendre ses défauts, et non les détruire : du reste, son cœur n’étoit pas mauvais, et elle ne manquoit pas d’esprit. Je la peins ici telle que je l’ai vue par la suite ; car, lorsque je la menai à Pageroë, j’avois la plus grande vénération pour elle ; d’ailleurs, on voit toujours en beau une personne à laquelle on vient de rendre un grand service, et qui en paroît profondément touchée.

Les quinze premiers jours que je passai à Pageroë, s’écoulèrent pour moi d’une manière délicieuse. J’étois toujours en extase, en contemplant mes appartemens, mes meubles, et sur-tout mon bois, mon jardin et mon pré. Mon bienfaiteur n’avoit rien oublié ; tout ce qui pouvoit compléter mon bonheur, se trouvoit renfermé dans cette enceinte chérie.

Une petite bibliothèque de bois d’acajou, contenoit tous les ouvrages d’agriculture et d’économie rurale qui méritent d’être lus : une vingtaine de poules garnissoient ma basse-cour ; une chèvre et deux superbes vaches ornoient et vivifioient mon pré ; de la fenêtre de mon cabinet d’étude, j’embrassois d’un coup-d’œil, toutes mes possessions ; je voyois à-la-fois mon pré, mes bestiaux, mon verger, mon bois de sapins, mon parterre, et je me disois : Sans le secours de l’imagination et de la mémoire, je jouis de tout ce que je possède ; je vois d’un seul regard tout mon bonheur ; ma richesse n’a rien d’idéal, rien n’est perdu pour moi ; aucune distance inaccessible à mes sens ne m’en dérobe ou ne m’en voile une partie ; ma fortune suffisant à mes besoins et à mes desirs, est parfaitement assortie à mes facultés morales et physiques, elle n’a de bornes que celles de ma vue : que m’importe qu’il y ait, bien au-delà de mon enclos, des paysages que je ne puis apercevoir, des arbustes et des fleurs dont les parfums ne sauroient venir jusqu’à moi, et des promenades où je ne pourrois aller habituellement sans fatigue ? N’est-il pas dans l’ordre, n’est-il pas naturel que l’homme qui n’occupe personnellement sur la terre qu’un si petit espace, ne desire point étendre son domaine au-delà des limites ou ses sens peuvent atteindre ?

Madame D*** me montroit une reconnoissance et des sentimens qui me charmoient ; elle m’assuroit qu’elle aimoit avec passion la solitude et la campagne ; elle partageoit avec moi, de la meilleure grace, tous les travaux domestiques ; elle surveilloit notre unique et vieille servante ; elle soignoit la laiterie et dénichoit les œufs de nos poules ; ensuite elle venoit causer avec moi, tandis que je travaillois au jardin. Je m’applaudissois d’avoir recueilli une personne intéressante, en qui je trouvois le charme d’une si douce société, et dont les goûts s’accordoient si bien avec les miens. Cependant, au bout de six semaines ou deux mois, je ne pus m’empêcher de remarquer en madame D***, plusieurs choses qui m’étonnèrent et me déplurent : elle parloit beaucoup trop, en général ; elle s’occupoit de sa toilette, d’une manière qui me paroissoit étrange dans la retraite où nous vivions : son costume ordinaire étoit celui d’une jeune bergère ou d’une nymphe ; communément une guirlande de bleuets couronnoit sa tête ; elle mettoit beaucoup de rouge ; enfin, elle affectoit une espiéglerie et une gaîté enfantines qui formoient avec son âge le contraste le plus singulier et le plus ridicule. Elle avoit encore une autre affectation plus révoltante et aussi visible, celle de la sensibilité : toujours émue ou troublée, elle étoit de ces femmes qui s’évanouissent sans changer de visage (et toujours pour des causes morales), et qui, malgré des attaques de nerfs et des convulsions habituelles, conservent un excellent appétit, une gaîté sémillante, une santé robuste.

Les travers de madame D*** sembloient augmenter tous les jours, et me devinrent beaucoup plus désagréables quand la belle saison fut tout-à-fait passée ; car durant les longues soirées d’hiver, elle ne m’entretenoit que de ses aventures romanesques, de ses nombreuses conquêtes et des passions malheureuses qu’elle avoit inspirées. En même temps elle me témoignoit tant d’amitié, qu’il étoit impossible que je n’en eusse pas pour elle : sa conversation me fatiguoit, ses soins et ses attentions m’importunoient souvent ; mais je lui cachois ces mouvemens intérieurs, et je ne lui laissois voir que l’attachement sincère qu’elle m’inspiroit. Plus d’une fois, elle m’avoit fait entendre qu’un riche négociant de Lubeck étoit éperdument amoureux d’elle : je ne lui fis nulle question à ce sujet, redoutant mortellement ses longues narrations dans ce genre ; je supposai seulement que cet amant passionné étoit marié, puisque madame D*** n’avoit pas songé à l’épouser.

Madame D*** jouoit un peu de la guittare, et chantoit des romances. Sa voix n’étoit ni flexible, ni douce ; cependant j’aimois mieux l’entendre chanter, que d’écouter un entretien qui n’étoit jamais autre chose qu’un mauvais roman : je la priois souvent de prendre sa guittare ; et me croyant enchanté de son talent, elle avoit la complaisance d’en jouer régulièrement, chaque jour, une ou deux heures. Un soir que je lui présentois sa guittare, elle me dit qu’elle étoit beaucoup trop préoccupée pour pouvoir faire de la musique. Loin d’avoir remarqué cette préoccupation, j’avois au contraire, été frappé toute la journée du redoublement de sa gaîté et de ses minauderies ; elle m’avoit fait mille petites niches ; je ne l’avois jamais vue si agacante et si folâtre. Suivant ma coutume, je me gardai bien de la questionner ; mais elle m’annonça qu’elle alloit me confier un grand secret. Je soupirai, car je pressentis qu’elle alloit me conter une histoire ; en effet, elle m’instruisit de tous les détails de sa liaison avec le riche négociant de Lubeck, qu’elle ne voulut pas me nommer, par des raisons particulières de délicatesse qu’elle ne m’expliqua point. Le riche négociant l’adoroit ; il étoit libre, et vouloit l’épouser : mais madame D*** ne l’aimoit pas, et ne pouvoit se décider à donner sa main sans l’aveu de son cœur. Voilà le fond de ce nouveau roman, et madame D*** trouva le secret de faire durer ce récit plus d’une grande heure et demie. Pendant ce temps, excédé d’ennui, je changeois à tout moment d’attitude sur ma chaise, et j’étouffois de mon mieux les bâillemens qui me suffoquoient… Tout d’un coup, madame D*** me regardant d’un air attendri : Qu’avez-vous, me dit-elle, vous êtes agité, vous changez de visage… vos yeux se remplissent de larmes ?… — Ce n’est rien, répondis-je avec embarras… — Et pourquoi donc, reprit-elle, ce trouble singulier, cet air triste et contraint ? — J’ai un peu de mal à la tête. — N’est-ce que cela ?… Madame D*** fit cette dernière question, avec un ton de fausset si enfantin, un certain air doucereux et conquérant qui me parut si ridicule, que je ne pus m’empêcher de sourire. Mauvais sujet ! reprit-elle, en me donnant une petite tape sur l’épaule, pouvez-vous mentir ainsi ?… Mais laissons cela. Il s’agit de me donner un avis utile : vous connoissez ma situation… et, sans doute, mon cœur !… que me conseillez-vous ! — Mais, madame, je pense que vous ne devez pas refuser les propositions d’un honnête homme qui vous offre une telle fortune. — Vous le pensez ? reprit madame D***, en minaudant plus que jamais. — Parbleu, madame, répliquai-je avec un peu de brusquerie (car toutes ces simagrées commençoient à m’impatienter), j’imagine bien que c’est aussi votre opinion… — Pourquoi s’emporter ? interrompit-elle d’un ton calme et sentimental… pourquoi cette aigreur et ce mouvement de colère ?… Ici, elle fit une pause en me regardant fixement… et, après un moment de silence : Ingrat !… reprit-elle d’une voix languissante, et en me tendant la main, ingrat ! croyez-vous que le sacrifice de la fortune puisse coûter quand on aime !… C’étoit enfin s’expliquer clairement : je fus tellement abasourdi, j’éprouvai un embarras si insurmontable, que je restai immobile, la bouche entr’ouverte, les yeux fixés sur madame D***. Elle prit ma confusion pour du saisissement, et mon air hébété pour l’égarement de l’amour ; elle se jeta à corps perdu dans mes bras, en s’écriant avec l’accent le plus emphatique : Connois enfin mon ame toute entière, mais respecte ton amante !…

Assurément, j’étois fort disposé à suivre un tel ordre. Je me levai précipitamment, je replaçai mon amante dans son fauteuil. Madame, lui dis-je, il me semble que vous vous êtes assez moquée de moi ; minuit vient de sonner, il est temps de s’aller coucher. En disant ces paroles, je m’éloignai promptement, sans attendre de réponse.

Cette risible aventure n’étoit nullement plaisante pour moi ; elle m’enlevoit tout l’agrément de mon intérieur : j’allois me retrouver continuellement tête à tête avec une folle blessée, irritée, que j’avois eu l’imprudence d’associer en quelque sorte à ma destinée, et qui malheureusement étoit trop dénuée de ressources, pour qu’il me fut possible de songer à m’en séparer, si elle ne le desiroit pas : j’imaginai facilement que l’histoire du riche négociant de Lubeck n’étoit qu’un conte inventé pour me piquer, et pour m’engager à découvrir les sentimens qu’elle m’avoit supposés.

Le lendemain fut un jour orageux. Madame D*** prit le parti de jouer la passion malheureuse, et, voulant rester chez moi, elle ne pouvoit rien imaginer de mieux. Elle m’écrivit une véritable élégie. Ce qui m’en frappa le plus, fut le passage où elle me disoit qu’elle ne pouvoit s’arracher des lieux que j’habitais, et que, malgré mon indifférence, elle ne renoncerait point au bonheur de me consacrer sa vie.

Cette assurance me glaça : cependant je lui répondis avec tous les ménagemens possibles ; et forcé par le pathétique de sa lettre de prendre un ton sérieux, je la conjurois de borner là toutes nos explications, et je finissois par des assurances de respect, d’attachement et d’amitié ; mais madame D*** qui conserva long-temps l’espérance de m’engager à l’épouser, me préparoit une longue suite de scènes. Elle eut, dans le cours de cette journée et des trois suivantes, cinq ou six attaques de nerfs, et des évanouissemens d’une longueur démesurée. Ces états n’étoient pas très-fatigans pour elle, car, comme cela devoit durer et se répéter d’heure en heure, elle supprima les convulsions ; ainsi, elle se contentoit de s’établir dans un bon fauteuil, ou de se coucher sur un canapé, en disant, je me trouve mal ; puis elle fermoit les yeux et se tenoit tranquille ; et quand elle étoit ennuyée de cette attitude, elle ouvroit les yeux, et tout étoit fini. Mais mon rôle demandoit beaucoup plus d’activité, il falloit appeler la servante, faire des libations de vinaigre, soigner la malade et ne la point quitter ; il falloit surtout avoir l’air de prendre beaucoup d’intérêt à cette insipide comédie, puisqu’elle se jouoit en mon honneur. Toutes ces choses m’étoient si antipathiques, j’en étois si excédé, que j’avois très-naturellement la figure la plus triste et la plus décomposée. Madame D***, me croyant vivement affecté de son état, se promit bien de le prolonger ; mais pour mettre fin aux scènes d’évanouissement, j’inventai un petit stratagème qui eut un plein succès, et dont je ne m’avisai malheureusement que le quatrième jour. J’ai déjà dit que madame D*** mettoit du rouge, et je m’étois aperçu qu’en outre elle se peignoit les sourcils. À la troisième syncope de la quatrième journée, je me fis apporter une grande cuvette d’eau de puits, et j’annonçai tout haut, comme si je me fusse parlé à moi-même, que mon intention étoit de tremper un mouchoir dans cette eau froide, et d’en frotter ensuite le visage de la malade ; et, comme je l’avois prévu, au moment où je me disposois à faire cette opération, madame D*** rouvrit les yeux. Je donne avec plaisir au public cette petite recette si simple de mon invention, et je crois que ce remède innocent seroit encore un spécifique certain pour toutes les femmes vaporeuses qui mettent du blanc.

Depuis ce jour madame D*** substitua aux évanouissemens les crispations d’estomac et les palpitations de cœur, mais elle ne perdit plus l’usage de ses sens.

Tout ce manège dura plus de cinq semaines : le printemps me rendit alors ma liberté. Je passois les journées entières dans mon jardin ou dans la campagne ; je ne voyois plus madame D*** qu’aux heures des repas. Perdant enfin une grande partie de ses espérances, madame D*** changea de conduite ; elle cessa de se contraindre et de déguiser son caractère : elle devint aigre, acariâtre, violente, remplie d’humeur, de caprices ; et loin d’affecter encore les goûts d’une bonne ménagère, elle ne montra plus que du dédain pour les occupations champêtres, et de l’aversion pour la retraite. À cette époque je tombai malade d’une fièvre bilieuse, et je crois que les contrariétés et l’ennui que me causoit madame D***, contribuèrent beaucoup à me donner cette maladie, qui fut assez grave. Madame D***, dans cette occasion, se conduisit de manière à me faire oublier ses torts et ses travers. Elle fut ma seule garde, passa cinq nuits de suite au chevet de mon lit, et me rendit les soins les plus utiles et les plus tendres. Cet événement lui donna sur moi de justes droits ; elle ne le sentit que trop, et elle en abusa sans aucun ménagement ; elle devint chez moi, non-seulement maîtresse, mais tyran. Nous changions sans cesse de servante ; madame D***, très-difficile à servir, n’en pouvoit garder une plus de huit jours ; en outre, madame D*** ayant fait beaucoup de visites dans le voisinage, attiroit chez moi ses nouvelles connoissances, et m’obligeoit à les recevoir. L’hiver d’ensuite elle fit plus ; elle invita ses amis à dîner chez moi : elle m’engageoit ainsi dans des dépenses que j’étois hors d’état de soutenir. La moindre représentation de ma part excitoit sa colère ; elle s’emportoit ou me boudoit. Je résistois avec foiblesse, je cédois avec dépit. Ces scènes désagréables se renouveloient tous les jours. Madame D*** faisoit entendre adroitement à ses amis, que je l’avois secrètement épousée : tout le monde dans le pays le croyoit. Ainsi, cette femme vaine, capricieuse, extravagante et frivole, me contrarioit, m’excédoit, me ruinoit, et me couvroit de ridicule.

Je recevois toujours assez régulièrement des nouvelles de mon digne ami M. Merton ; je voyois avec peine par ses lettres, que Florzel, livré à la plus grande dissipation, et devenu joueur, se conduisoit mal, et que l’aimable Lucy, sensible et jalouse, n’étoit pas heureuse. Pour moi, sans madame D***, j’aurois eu le sort le plus fortuné ; je m’attachois chaque jour davantage à la province que j’habitois[13] ; cet heureux pays où l’on voit une noblesse affable et pauvre, et des paysans riches et pleins d’urbanité ; où l’on jouit enfin, à tous égards, de toute la liberté qu’un honnête homme peut desirer. En pensant que ces divers avantages réunis se trouvoient sous un gouvernement sage et doux, mais absolument despotique, je me rappelois une citation que Florzel faisoit souvent, et comme lui je disois, avec le poète anglois[14] : Laissons les sots disputer sur les différentes formes de gouvernement : le meilleur est celui qui est le mieux administré[15].

Ce fut ainsi que je passai près de deux ans à Pageroë, c’est-à-dire jusqu’à l’époque où tous les émigrés rentroient en France, avec autant de confiance que d’empressement, sans y être appelés. Quoique je fusse décidé à conserver toujours ma chaumière de Pageroë, j’éprouvai aussi le désir le plus vif de faire un voyage dans ma patrie, et j’y cédai. Je convins avec madame D*** qu’elle resteroit dans ma chaumière pendant tout le temps de mon absence, et je lui promis de revenir au bout de six mois.

Je dois rappeler au lecteur que j’avois fait imprimer quelques années auparavant, dans un temps de famine en France, un mémoire dans lequel je proposois à mes compatriotes de faire usage, comme aliment, d’une espèce de gland dont le peuple se nourrissoit en Espagne. J’avois envoyé ce mémoire à Paris, et dans ma province en Bretagne. Comme je pensois que ce petit ouvrage étoit une preuve non suspecte de l’intérêt que j’avois toujours pris à mon pays, je fus persuadé qu’il me seroit très-utile d’en rappeler le souvenir ; j’en avois conservé une vingtaine d’exemplaires, que je ne manquai pas d’emporter avec moi. Je n’allai point directement à Paris ; plusieurs intérêts particuliers me décidèrent à me rendre d’abord en Bretagne. Mon voyage fut long et pénible, j’en oubliai toutes les fatigues en me trouvant à Brest. Après avoir terminé quelques affaires, je résolus d’aller respirer un moment l’air natal dans la terre où j’étois né, quoiqu’elle fût alors en d’autre mains ; j’y avois fait du bien, je comptois sur la reconnoissance des habitans, et je me faisois un vrai plaisir de passer vingt-quatre heures avec eux. Pour les convaincre de mon patriotisme, je me fis précéder par mon mémoire imprimé ; j’envoyai au maire du village tout ce qui m’en restoit d’exemplaires. Occupé des plus douces idées, et plein d’attendrissement et d’émotion, j’arrivai au déclin du jour dans ce lieu chéri qui m’avoit vu naître. J’étois à cheval ; j’allois au pas, regardant attentivement tous les objets qui s’offroient à ma vue, les reconnoissant avec intérêt, et un doux mouvement de surprise, comme si je ne me fusse pas attendu à les retrouver aux mêmes places : je reconnus les champs que j’avois défrichés, je les contemplai avec complaisance : une autre main, me disois-je, en recueille les fruits, mais ce fut la mienne qui fit naître ces richesses ! L’injustice des hommes, qui peut dépouiller un propriétaire, ne sauroit ravir le titre et la gloire d’un bienfaiteur… Je sens ici ce que tous les humains éprouveront aux derniers momens de la vie ; je vois le néant et l’instabilité de la fortune ; je n’ai plus rien que ma conscience et le souvenir de mes actions ; je ne possède plus que mes sacrifices et mes travaux vertueux. Voilà mes seuls trésors, je ne jouis plus que du bien que j’ai fait !… tout le reste est un songe, évanoui sans retour !… en apercevant le village je sentis mon cœur se dilater ; je me représentois l’étonnement et la joie qu’éprouveroient mes anciens vassaux, en me voyant ainsi paroître inopinément !… Je pressai mon cheval, mais je fus obligé de m’arrêter, parce qu’une sangle de la selle se rompit. Je mis pied à terre pour la raccommoder. Dans ce moment un jeune paysan passa près de moi. Je lui demandai si le vieux Bernard vivoit encore ; il me répondit qu’il étoit en parfaite santé. Eh bien ! mon enfant, repris-je, allez lui dire qu’il va recevoir la visite de son ancien ami Kerkalis… Comment, interrompit vivement le paysan, vous êtes le ci-devant baron de Kerkalis ? — Oui, mon enfant. À ces mots le paysan prit ses jambes à son cou, et s’élança vers le village avec une telle impétuosité, que je le perdis de vue en moins de trois minutes. Cet empressement extraordinaire m’annonçait l’accueil le plus flatteur ; les larmes me vinrent aux yeux. Ah ! m’écriai-je, qu’il est doux d’être aimé ! Ce n’est que dans cette classe obscure que l’on peut espérer de trouver une véritable reconnoissance ! En faisant cette réflexion, je remontai à cheval, et je fus bientôt à l’entrée du village ; mon cœur palpita de plaisir en voyant les rues se remplir de monde, tous les paysans sortir tumultuairement de leurs maisons, et se précipiter à ma rencontre… Mais que devins-je, lorsqu’en approchant de cette multitude je n’entendis que des injures atroces, accompagnées des gestes les plus menaçans !… Malgré mon étonnement et ma terreur, j’eus pourtant la force de demander quel étoit mon crime. Comment, coquin ! s’écrièrent en même temps une douzaine de voix, comment, scélérat ! tu voudrois nous traiter comme les plus vils animaux ! Comment, misérable aristocrate ! nous ne sommes pour toi que des pourceaux ! tu as proposé de ne nous donner pour nourriture que du gland… À ce reproche, à cette étrange interprétation de mon mémoire, et d’une idée si bienfaisante, du moins par l’intention, je perdis tout espoir de me justifier, et je me résignai à la mort ; car je ne doutois point que ces furieux ne fussent décidés à me la donner. Heureusement, dans ce moment de crise, le maire du village accourut à mon secours ; c’étoit ce vieux Bertrand auquel j’avois voulu faire une visite ; il harangua le peuple avec chaleur et fermeté : son seul moyen pour me défendre fut de soutenir que je n’étois pas l’auteur de cet infâme mémoire ; il prétendit qu’un ennemi l’avoit fait imprimer sous mon nom pour me perdre ; il allégua pour preuve de mon innocence ma conduite privée, et la confiance avec laquelle je revenois parmi eux. Ce discours fit beaucoup d’effet ; on se calma, on me demanda le désaveu du crime ; je donnai ma parole (et je ne mentois pas) que je n’avois fait aucun ouvrage qui dût les offenser. Eh bien ! qu’il s’en aille, s’écria-t-on, mais qu’il ne revienne plus. Charmé de cet arrêt, je me hâtai de l’exécuter ; je repris les rênes de mon cheval, j’enfonçai de toute ma force mes deux éperons dans ses flancs, et je partis au grand galop.

J’arrivai à Brest, si fatigué et avec le cœur si flétri, que j’en eus un violent accès de fièvre, qui me retint deux jours au lit.

D’après les conseils de mes amis je partis pour Paris ; j’y présentai une requête dans laquelle je réclamois la justice qui m’étoit due ; je représentai que je n’étois point émigré, qu’on m’avoit renvoyé sans nulle raison, et que je redemandois, sinon mon bien, du moins ma patrie. On ne fit nulle réponse à ce placet. Je restai encore quelque temps à Paris ; ensuite vint la révolution qui força tous les émigrés non rayés à s’enfuir précipitamment. On accourut m’avertir au milieu de la nuit que j’étois sur la liste des déportés ; j’eus le bonheur de pouvoir me sauver. Ce fut ainsi que je quittai la France. Je recueillis cependant quelques fruits de ce désastreux voyage : j’appri sà mieux apprécier encore ma charmante chaumière de Pageroë. Une surprise bien agréable m’attendoit à Hambourg, j’y trouvai M. Merton et la comtesse de Florzel, sa fille, qui, malade et séparée de son mari, venoit chercher sur le continent un air moins humide et des distractions à ses chagrins. M. Merton me conta que Florzel avoit eu pour sa femme les plus mauvais procédés ; Florzel, après avoir été pendant près de deux ans homme à bonne fortune et joueur, avoit fini par déranger également ses affaires et sa santé ; il s’étoit séparé volontairement de sa femme pour vivre, sans contrainte, avec une courtisane retirée du théâtre. Je revis avec un vif attendrissement cette aimable Lucy ; elle avoit perdu ses brillantes couleurs, mais sa pâleur et sa mélancolie ne la rendoient que plus intéressante à mes yeux. Elle me montra la plus tendre amitié ; elle ne me cacha pas qu’elle n’auroit point épousé Florzel, si j’avois su profiter de la reconnoissance que ma conduite lui avoit inspirée ; enfin, me dit-elle, je suis cruellement punie d’avoir repoussé les conseils de la raison pour écouter ceux de l’amour ; le malheur m’a guérie de l’amour, le devoir m’en eût affranchi de même ; il me resteroit un ami, mon père seroit heureux !… j’aurois la santé, la tranquillité que j’ai perdues !… En parlant ainsi Lucy pleuroit ; et, pénétré d’attendrissement, je l’écoutois en silence, je m’affligeois avec elle, je souffrois de la voir souffrir ; mais je jouissois de ses regrets.

Le projet de M. Merton étoit d’aller passer, avec sa fille, sept ou huit mois à Dresde ; mais comme il devoit rester encore une semaine à Hambourg, je lui témoignai le desir extrême que j’éprouvois de le recevoir dans l’asyle charmant que je devois à sa bienfaisante amitié. Il consentit à faire une course à Pageroë, et madame de Florzel voulut être de la partie. La joie que me causa ce voyage fut cependant troublée par l’idée que j’allois retrouver madame D*** à Pageroë. J’avoue que j’étois un peu honteux d’avoir à présenter à la plus timide, à la plus modeste des Angloises, une vieille coquette de la tournure de madame D***. Sans parler des folies de cette dernière, je prévins doucement Lucy de ses manières ; je fis l’éloge de ses vertus, mais j’avouai que l’on pouvoit critiquer son costume et son maintien.

Quelques petits accidens nous ayant arrêtés en route, nous n’arrivâmes à Pageroë qu’à onze heures du soir. Tout le monde étoit couché dans les hameaux dispersés autour de mon habitation. Quand nous fûmes près de ma maison, je descendis de voiture, pour aller frapper à la porte, et, pendant plus de dix minutes ce fut en vain, personne ne répondit : je ne me lassai point, je frappai avec une nouvelle force, j’appelai, je criai à tue-tête ; enfin une fenêtre s’ouvre, et, à la clarté de la lune, je vois paroître un gros homme qui, d’un ton de colère, me demande en françois à qui j’en veux ; ma surprise fut extrême ; cependant je répliquai que je voulois entrer chez moi : Allez, me dit le gros homme, vous êtes ivre, ou bien vous êtes fou. En prononçant ces paroles, il referma la fenêtre, et j’eus beau frapper encore et tempêter, on ne répondit plus. Confondu, consterné, je retournai à la voiture : M. Merton s’indignoit, Lucy rioit, j’étois désespéré : nous tînmes conseil, et il fut décidé que nous irions chez un fermier de mes voisins qui avoit une grande et belle maison. Ce bon fermier se leva, fit lever ses gens, et nous reçut à merveille. Madame de Florzel eut une chambre bien propre ; on nous apporta du thé, du pain bis, de la crême délicieuse ; et comme je savois fort bien parler allemand, je me mis à questionner le fermier, qui n’apprit que madame D***, dix jours après mon départ, avoit loué ma maison, pour huit mois, à une famille russe, et voici comment. Un seigneur russe, voyageant pour sa santé, avec sa femme et ses enfans, s’étoit arrêté à Schleswig pour y consulter M. Licht, célèbre médecin. M. Licht lui conseilla le repos, et de prendre l’air de la campagne. Ce seigneur vint à Pageroë, s’enthousiasma pour ce lieu pittoresque et pour ma maison : madame D*** profitant de cette disposition, se disant ma femme, et assurant que non-seulement je ne reviendrois plus, mais que la maison lui appartenoit en propre, la loua pour huit mois, moyennant cinquante frédérics d’or qu’elle exigea, et reçut, argent comptant. Après avoir conclu ce marché, madame D*** quitta Pageroë, et fut s’établir à Lubeck. Après ce récit, je m’écriai que j’étois trop heureux que madame D*** n’eût pas imaginé de vendre la maison ; mais M. Merton prétendit, avec raison, que puisque je n’avois pas laissé de procuration à madame D***, je rentrerois dans ma maison sous deux jours. En effet, je partis à la pointe du jour pour Schleswig ; je consultai des gens de loi, et je fus assuré que je me débarrasserois, sans aucune peine, de la famille russe qui habitoit ma chaumière depuis plus de trois mois et demi. De retour à Pageroë, je fus, avec M. Merton, dans ma maison ; je vis la famille russe, j’expliquai le fait et mes droits ; on convint qu’il étoit impossible de les combattre, et qu’on avoit fait un marché très-imprudent : le seigneur russe me demanda la permission de ne partir que le lendemain, et il nous invita à dîner. Nous y fûmes avec madame de Florzel. Nous trouvâmes une jeune femme très-intéressante, et des enfans charmans, Lucy se prit d’amitié pour la dame russe, et, en sortant de table, je déclarai héroïquement que je ne rentreroís dans ma maison que dans quatre mois et demi. Je fus bien récompensé de ce procédé, par l’approbation de Lucy, les remercimens de la jolie dame russe, et l’invitation que me fit M. Merton, en me secouant la main à outrance, de passer tout ce temps à Dresde avec lui et madame de Florzel. Par complaisance pour la famille russe, nous restâmes encore deux jours à Pageroë ; ensuite je partis avec mes amis. Nous prîmes la route de Lubeck, où nous séjournâmes : là, j’appris que madame D*** s’étoit engagée dans une troupe de comédiens français, et qu’elle jouoit l’opéra-comique à Brunswick ; je bénis le ciel qui m’avoit pour jamais débarrassé de cette femme ; et durant tout notre voyage, j’amusai Lucy du récit de mes aventures avec elle. Les quatre mois que je passai en Saxe s’écoulèrent bien rapidement : Lucy reprit sa santé ; je l’accompagnai avec son père, jusqu’à Cuxhaven ; je vis embarquer ces deux personnes qui m’étoient si chères, je vis le vaisseau s’éloigner… Bientôt je ne vis plus que la vaste mer !… L’objet de mes sentimens et de mes vœux m’échappoit ; il se perdoit dans une effrayante immensité… Triste et frappante image de la mort qui, nous arrachant à l’amitié, nous entraîne et nous transporte dans les champs sans bornes de l’éternité !… Hélas ! je sentis combien il est douloureux de rester seul sur le rivage !…

Je retournai dans ma retraite : dans les premiers temps, cette solitude absolue me parut étrange ; ce n’étoit pas, assurément, madame D*** que je desirois ; mais j’avoue que, souvent machinalement, je trouvai qu’elle me manquoit : rien n’anime et n’égaye une maison comme une femme et des enfans ; d’ailleurs, les femmes seules ont l’art de bien diriger les domestiques ; elles seules savent se faire servir, prévoir quand il le faut, et donner, à propos, des ordres à l’avance ; la moins bonne ménagère est encore utile pour contenir les servantes, pour établir dans la maison la propreté, l’arrangement et l’élégance. Dans l’intérieur d’un ménage, la seule présence d’une femme est un frein domestique ; tant il est vrai que c’est-là que se trouve leur véritable empire ! Tout me paroissoit en désordre dans mes appartemens ; les meubles étoient mal placés ; je ne sais quoi de gauche ou d’incommode se faisoit remarquer par-tout, sans que je susse y remédier. Je trouvai par hasard un jour, sous une table, un sac à ouvrage que madame D*** avoit oublié d’emporter. La vue de ce petit sac me fit une impression singulière, qui ressembloit au sentiment ; je le pris, et je le plaçai avec honneur dans mon salon sur une console de marbre ; je le regardois toujours avec plaisir, non comme une chose qui me retraçoit le souvenir de madame D***, mais comme un emblême de femme, sur lequel j’aimois à reposer mes yeux et ma pensée.

Je repris avec ardeur toutes mes occupations, et le travail me rendit bientôt ma tranquillité. J’ai lu dans un ouvrage de médecine, que le meilleur moyen d’arracher les fous à leurs idées bizarres, c’est de les assujettir à un travail des mains, fatigant et constamment réglé : je proposerois le même moyen pour guérir les passions, genre de folie qui n’est nullement incurable. Les études de cabinet ne peuvent, dans de certaines situations, qu’augmenter une mélancolie dangereuse, et souvent on n’y sauroit porter l’application qu’elles demandent ; mais, par exemple, qu’un amant malheureux se décide à bêcher, à labourer la terre depuis l’aurore jusqu’à la nuit, pendant six mois, j’ose lui promettre que l’amour n’aura pas le pouvoir de l’empêcher de dormir, et qu’il ne troublera pas son sommeil.

L’hiver me parut long, malgré la société de deux ou trois voisins très-aimables ; je vis arriver le mois d’avril avec un plaisir inexprimable. Un jour que je me promenois dans mon bois de sapins, on vint me dire qu’une femme demandoit à me parler ; je rentrai dans ma maison ; l’on introduisit l’étrangère, et je vis une grosse paysanne allemande, qui tenoit dans ses bras un petit enfant de dix ou onze mois ; je lui demandai ce qu’elle vouloit. Je viens, me dit-elle, vous rapporter votre enfant. — Comment ! mon enfant ? — Vraiment oui, le voilà ; je l’ai bien nourri, je vous le remets en bonne santé. — Vous vous trompez, ma chère ; je n’ai point d’enfans, je vous assure. — Mais n’êtes-vous pas M. de Kerkalis ? — Oui. — Eh bien ! voilà votre garçon ; c’est madame D***, soi-disant, qui est sa mère ; elle m’a dit que vous étiez son mari, et que je n’avois qu’à vous apporter l’enfant, quand il seroit sevré ; tenez, v’là un billet de votre femme, pour vous prouver que je ne mens pas. À ces mots, elle me donna un papier ; je reconnus l’écriture de madame D***, et je lus ce qui suit :

« Je connois votre cœur, et je suis certaine que vous n’abandonnerez point cet enfant que je ne puis emmener avec moi ».

Après avoir lu ce billet, je restai stupéfait ; la nourrice, reprenant la parole, m’apprit que madame D*** avoit mis au monde cet enfant deux ou trois mois après mon départ pour Paris. En partant pour Brunswick, elle l’avoit laissé à la nourrice, avec ce billet pour moi, en lui ordonnant de m’apporter l’enfant, aussitôt que sa nourriture seroit finie ; les mois de nourrice étoient payés. Je me rappelai qu’un comédien de la troupe de Brunswick, ayant passé quelque temps à Schleswig, madame D*** l’avoit vu plusieurs fois dans les châteaux voisins, et que même elle me l’avoit amené à Pageroë ; ainsi je devinai facilement que ce comédien avoit engagé madame D*** dans sa troupe, et qu’il étoit le père de l’enfant. J’admirai l’étonnante effronterie de cette femme ; mais, comme elle l’avoit fort bien prévu, il me fut impossible de refuser ce pauvre petit enfant qui me sourioit, et qui étoit extrêmement joli. J’assurai la nourrice que je ne le gardois que par compassion ; que madame D*** n’étoit point ma femme, et n’avoit jamais été ma maîtresse. La nourrice, me voyant accepter l’enfant, se confirma parfaitement dans l’idée qu’il me devoit la vie ; et ma servante, mes voisins, n’en doutèrent pas.

Mon guignon, en tout ceci, fut sans doute fort remarquable ; il falloit que madame D*** se fût avisée de faire un enfant à quarante-neuf ans ; qu’elle eût eu l’idée singulière de m’en faire présent ; que j’eusse eu la bonhomie de l’accepter, pour que l’on pût croire que j’avois épousé secrètement une femme qui, par son âge, pouvoit être ma mère, et qui venoit de s’enrôler dans une troupe de comédiens. Cette aventure me fit peu d’honneur dans le Holstein. Je parvins à désabuser mes amis sur ce prétendu mariage ; mais rien ne put leur ôter de la tête que le petit Joseph (c’est le nom de l’enfant) étoit mon fils : au reste, je pris facilement mon parti là-dessus ; j’aime beaucoup les enfans, et je m’attachai extrêmement à Joseph, qui annonçoit beaucoup de douceur et de gaîté. Je formai le projet de l’élever avec soin ; je sentis tout ce qui me manquoit comme instituteur, et, voulant du moins acquérir quelques connoissances littéraires, je m’abonnai à quatre ou cinq journaux, afin de me mettre au courant de la littérature actuelle ; mais cette lecture jeta la plus grande confusion dans mes idées ; ces journalistes n’étoient jamais d’accord entr’eux ; le même ouvrage étoit jugé détestable par les uns, et loué comme un chef-d’œuvre par les autres. Au milieu de ces opinions diverses, ne pouvant fixer la mienne, je pris le parti de lire les auteurs modernes dont la réputation est établie ; je voulois sur-tout de la morale, et j’achetai les livres de nos philosophes : cette étude ne servit qu’à m’embrouiller davantage ; ces auteurs soutenoient sans cesse le pour et le contre. Je retrouvai en effet dans leurs ouvrages, les sentences que Florzel en avoit extraites ; mais, à mon grand étonnement, j’y vis aussi des maximes absolument opposées ; la morale ne s’y montroit pas sous une forme plus constante ; principes séditieux et sanguinaires, apologie du vice et du crime, éloge de la vertu, sentimens religieux, impiété, licence, déisme, athéisme, tout s’y trouve : j’imagine que ces ouvrages ont été composés avec l’intention de plaire à tout le monde : c’est une encyclopédie de tous les principes bons et mauvais qui existent. Chacun, suivant son goût, en peut tirer un extrait satisfaisant. Il y a de l’obligeance dans cette idée ; mais comme il est fatigant de feuilleter tous ces gros volumes pour chercher ce qui se rapporte à sa manière de penser, il me semble que, pour la commodité des lecteurs, les philosophes auroient dû classer leurs principes dans un ordre qui eût épargné ces recherches ; par exemple, avec ces indications : pour les royalistes, pour les anarchistes, pour les libertins, pour les gens vertueux, d’autant mieux que ce dernier article ne formeroit qu’une bien petite partie de l’ouvrage. Je n’ai jamais beaucoup aimé l’extrême variété qui n’est bonne que pour les gens ennuyés et pour les malheureux. Le bonheur se compose d’une suite d’actions et de sensations continuellement répétées et renouvelées ; simplicité et monotonie, voilà en général ce qui le forme et le constitue. Quand une chose me plaît, je m’y tiens ; tout ce qui m’en distrait me contrarie ; ainsi je laissai là les livres de nos philosophes, et je me mis à lire les auteurs du siècle dernier ; j’y retrouvai, mais avec plus de force et d’éloquence, tout ce que les philosophes ont dit de mieux sur la vertu, sur la bienfaisance, sur les devoirs des rois et contre la tyrannie ; contre les passions, la manie des conquêtes, la guerre, etc. J’y trouvai, de plus, un style enchanteur ou sublime, un goût exquis, une logique parfaite, des principes et des raisonnemens toujours conséquens ; enfin, l’art de peindre, d’émouvoir, de persuader, et je me dis : Mon petit Joseph, un jour, lira tous ces ouvrages ; c’est-là ce qui doit former d’excellens littérateurs et de bons citoyens.

Ces auteurs admirables firent mes délices ; avec eux je cessai de me trouver seul ; ils étoient pour moi de vrais amis ; ils m’éclairoient et me rendoient meilleur.

Je reçus, vers le milieu de l’été, une lettre de M. Merton qui me causa beaucoup d’attendrissement ; il me mandoit que la généreuse Lucy s’étoit raccommodée avec Florzel mourant de la consomption ; afin d’adoucir, s’il étoit possible, ses souffrances par les soins les plus assidus et les plus tendres.

Le pauvre Florzel languit encore pendant quelques mois, et mourut enfin le 23 février, dans les bras de la vertueuse épouse qu’il avoit abandonnée pour une courtisane. Cet infortuné jeune homme, victime d’une dissipation effrénée, et des honteux égaremens qui l’entraînèrent dans la tombe, auroit pu parcourir une longue et brillante carrière, et jouir du sort le plus heureux, s’il eût eu des principes et des mœurs ! Triste leçon qui se renouvelle sans cesse dans le grand monde, et dont personne ne profite ; car les jeunes gens, livrés aux passions, ne prennent qu’un engagement, qu’une seule résolution constante, celle de ne réfléchir jamais. Ils sont de tout ce qui se passe, spectateurs curieux, et, par conséquent attentifs, tant que l’action dure ; mais la scène est-elle finie, ils en repoussent le souvenir : ce qu’ils craignent le plus au monde, c’est de penser. Ils sentent que la réflexion produiroit sur eux l’effet de la baguette magique qui détruit des palais enchantés, et qui fait évanouir des prestiges agréables.

Ces nouvelles d’Angleterre me causèrent une sorte d’agitation que je n’avois point encore éprouvée. Lucy veuve, Lucy libre, s’offroit continuellement à mon imagination, j’étois inquiet, plus distrait que jamais ; j’attendois des lettres, j’en desirois vivement, et quand je n’en recevois point, j’étois attristé. Le reste de l’hiver et le printemps s’écoulèrent dans cette situation ; enfin, au mois de juillet M. Merton m’écrivit, pour me rappeler en Angleterre ; et sa lettre me faisoit entendre clairement, que je pouvois prétendre au bonheur qui jadis m’avoit été promis. J’eus bientôt fait les préparatifs de mon départ ; je prêtai ma chaumière à un de mes amis ; car j’étois décidé à ne jamais la vendre, et je me rendis à Cuxhaven ; j’attendis long-temps un vent favorable ; enfin, je m’embarquai le 22 août. J’avois emmené mon petit Joseph qui, à cette époque, entroit dans sa troisième année.

J’arrivai le 3 septembre, à Dulwick, à deux milles de Londres. C’est-là que M. Merton m’attendoit dans une jolie maison de campagne. Il étoit huit heures du soir, lorsqu’après avoir remis mon petit Joseph entre les mains de mon laquais de louage, j’entrai dans le parloir, où je trouvai M. Merton et sa fille. Ce moment fut le plus doux, le plus beau de ma vie. Je revoyois un bienfaiteur, un père, et la seule femme que j’eusse aimée ; en pressant dans mes mains la main que Lucy me tendoit en pleurant, je crus recevoir sa foi, je crus que l’amitié m’alloit rendre tout ce que l’amour m’avoit ravi. Nous ne dîmes rien qui pût blesser l’extrême délicatesse de madame de Florzel encore en deuil ; mais elle me montroit la tendresse la plus touchante, et le bon M. Merton, au comble de ses vœux, me lançoit, à la dérobée, des coups d’œil significatifs : il ne pouvoit contenir sa joie, il mouroit d’envie de se trouver seul avec moi, afin de me parler sans contrainte. Il pria plus d’une fois Lucy d’aller voir si rien ne manquoit à mon appartement ; enfin, Lucy sortit : alors, M. Merton rapprochant de moi sa chaise : Mon ami, s’écria-t-il, elle est à vous, oh ! pour cette fois, elle est à vous. — Vous l’a-t-elle dit ? — Positivement ; elle m’a permis de vous en instruire ; mais elle vous prescrit là-dessus un silence absolu, jusqu’à l’époque où son deuil sera fini, c’est-à-dire dans cinq mois. Ah ! si vous saviez combien de fois, au fond de l’ame, elle s’est repentie de ne vous avoir pas préféré à ce mauvais sujet qui lui a causé tant de peine….. Long-temps avant la mort de Florzel, elle avoit cessé de l’aimer ; mais quand elle sut que l’on craignoit pour sa vie, elle vola près de lui ; elle l’a soigné, pendant six mois, avec une affection et une assiduité dignes des plus grands éloges : elle est opiniâtre, romanesque, parfois un peu fantasque, mais c’est une excellente créature ; son ame est pure, généreuse et sensible. J’applaudissois à cet éloge, et du fond de mon cœur : lorsque Lucy rentra, M. Merton me dit, en riant, chut, la voilà ; et se retournant vers Lucy, il voulut lui faire une plaisanterie ; mais la parole expira sur ses lèvres, en remarquant l’air sombre et solennel avec lequel elle s’avança vers nous. Je fus aussi très-frappé de l’altération de sa physionomie. Son père la questionna, elle répondit avec une teinte d’humeur, et s’assit. Il faisoit froid, nous avions du feu ; Lucy prit le poker, et se mit à remuer le charbon de terre. M. Merton s’étonnoit et la regardoit fixement ; j’étois interdit. Enfin, Lucy rompant le silence : Mon Dieu, M. de Kerkalis, me dit-elle en rougissant à l’excès, dites-moi donc, je vous en prie, quel est ce petit enfant que vous avez amené avec vous, et qui vous appelle papa ? Cette question, dans la disposition où j’étois, m’étonna, comme si je n’avois pas dû m’attendre qu’on pût me la faire ; elle me parut aussi embarrassante que si j’eusse été coupable. Malheureusement, j’avois pris cet enfant dans un temps où M. Merton, très-occupé d’affaires importantes, ne n’écrivoit que des lettres fort sérieuses, et j’aurois cru faire une chose déplacée, en lui contant alors cette ridicule histoire, ainsi je ne lui en parlai point ; mais l’air et le ton de Lucy me faisant connoître ses soupçons et son dépit, j’en sentis toutes les conséquences ; je fus atterré, je pâlis, je rougis, et je ne répondis rien, c’est-à-dire, j’essayai de balbutier une réponse, mais l’expression et la voix me manquèrent… Shocking, shocking[16], dit Lucy avec des yeux enflammés de colère et en se levant… shocking… et elle disparut. Que signifie ceci ? me dit M. Merton, d’un ton un peu sévère. Tête-à-tête avec cet excellent ami, je repris courage, et je lui contai tout, avec autant de détail que de sincérité : après avoir écouté ce récit, M. Merton secoua la tête d’un air chagrin. Ceci est très-fâcheux, me dit-il, je suis bien persuadé de ce que vous venez de me dire, mais je connois Lucy : il sera fort difficile de la dissuader : quoiqu’elle vous aime très-tendrement, elle n’a point d’amour pour vous ; néanmoins, cette aventure détruit l’opinion qu’elle avoit de vos sentimens pour elle, et les femmes ne pardonnent pas que l’on gâte ou que l’on dérange les romans qu’elles composent, de quelque genre qu’ils soient.

M. Merton me conseilla d’aller chercher Lucy, et de m’expliquer sur-le-champ avec elle ; j’obéis, mais avec un certain découragement intérieur qui ne me présageoit rien de bon : j’étois, de mon côté, un peu refroidi par cette promptitude à m’accuser, et par cette vive jalousie sans amour. J’entrai, je crois, dans le cabinet de madame de Florzel avec un air bien gauche ; j’étois à-la-fois piqué, mécontent et décontenancé, ce qui ne doit pas donner beaucoup de grace. Lucy se promenoit à grands pas dans la chambre : en m’apercevant, elle s’arrêta, et fit une mine dédaigneuse qui acheva de me glacer. Je viens, madame, lui dis-je, vous expliquer… Oh ! tout est expliqué, interrompit-elle brusquement, la chose par elle-même, est assez claire, et puis, vos pâleurs, vos rougeurs, votre mortel embarras, étoient des aveux suffisans ; cependant, je veux bien vous écouter ; parlez. À ces mots, elle s’assit près de la cheminée ; je me plaçai à côté d’elle ; et après un moment de silence : Cet enfant, dis-je, est le fils de madame D***. Ah ! je m’en doutois, reprit Lucy avec un sourire amer et forcé. — Oui, madame… — Fi ! M. Kerkalis, fi !….. après tout ce que vous m’avez dit de cette femme… — Mais… — Fi ! vous dis-je, je ne suis assurément pas jalouse, mais c’est une chose choquante ; et que diroient mes amis auxquels j’ai tant vanté vos mœurs, vos sentimens pour moi !… — Vous ne voulez donc pas m’entendre ? — Rien n’excuse une telle conduite ; une femme si méprisable, une femme de cinquante ans !… J’aurai toujours beaucoup d’amitié pour vous ; mais certainement, après une telle confidence, je ne vous sacrifierai pas ma liberté, je vous le déclare sans détour ; ne vous abusez point là-dessus, c’est un parti pris ; n’y pensons plus, et souffrez que j’aille rejoindre mon père. Je ne l’arrêtai point, je la laissai sortir, et je fus m’enfermer dans ma chambre. Au bout d’une heure, M. Merton, consterné, vint me retrouver ; il entra en me grondant : Qu’avez-vous donc dit à Lucy ? me demanda-t-il, elle prétend que vous lui avez tout avoué… Je rendis compte à M. Merton de ma conversation avec sa fille ; alors, il m’apprit qu’elle l’avoit écouté davantage, mais en vain, qu’il n’avoit pas produit la moindre impression sur son esprit.

Madame de Florzel ne parut point à souper ; le lendemain, elle partit à la pointe du jour, pour aller chez une de ses tantes ; elle laissa une lettre pour son père, et cette lettre confirmoit positivement ma disgrâce. Que me restoit-il à faire ? le témoignage même de madame D***, s’il m’eût été possible de le produire, n’auroit pu dissuader Lucy ; je me soumis à mon sort, et je me consolai, en songeant que cette espérance déçue m’avoit du moins procuré trois semaines de bonheur ; et c’est toujours un grand bien dans le cours d’une carrière si incertaine et si bornée !

Je retournai dans ma chaumière, et là, méditant sur les divers incidens de ma vie, je bénis le ciel, qui en me préservant des tourmens et des erreurs causés par les passions, m’a donné un cœur sensible, le goût de la retraite, et cinq arpens de terres dans un pays hospitalier, paisible et fertile.


  1. Un journaliste a eu la bonhomie de trouver dans cette plaisanterie une prétention sérieuse ; il a dit très-gravement du sujet, que des contes ne doivent point servir à l’histoire.
  2. Cette île s’appelle l’île de Schwanau ; elle contient en effet les restes d’un antique château qui, dit-on, appartint jadis à Griesler. De l’autre côté du lac, en face de l’île, se trouve le monument décrit par M. de Kerkalis ; enfin il est vrai aussi que l’île est habitée depuis dix ans par un hermite français qui a été successivement, dans sa jeunesse, valet-de-chambre de deux personnages aussi intéressans qu’infortunés, MM. d’Estaing et de Cossè ! L’hermite, plus heureux que ses maîtres, a quitté sa patrie et le monde avant la révolution, et ne peut regretter ni l’un ni l’autre, si les papiers publics parviennent jusqu’à lui.

    (Cette note fut écrite en 1795.)

  3. Ce fait se trouve dans le Dictionnaire de Bomare.
  4. Stone-Henge est un ancien monument très-curieux, élevé, dit-on, par les Druides.
  5. C’est-à-dire, la chasse.
  6. Lettre de Voltaire.
  7. Encyclopédie.
  8. Lettre de Rousseau.
  9. Shocking et delicacy.
  10. Un homme piquant, gai, persiffleur, etc.
  11. Il y a un café dans cette prison.
  12. Le grand salon.
  13. Le Holstein.
  14. Pope.
  15. For forms of govemment let Fools contest
    What’er is best administred is best.

    Pope.
  16. Choquant.