Nouvelle Biographie générale/Proclus

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PROCLUS (Πρόκλος), surnommé le successeur, Διάδοχος, célèbre philosophe néoplatonicien, né à Constantinople, en 412, mort le 17 avril 485. Son surnom lui venait de ce qu’il avait succédé à Syrianus dans la direction de l’école d’Athènes. Sa famille était d’origine lycienne, et lui-même avait reçu sa première instruction à Xanthie, petite ville de Lycie, consacrée à Apollon et à Minerve. Il avait voué à ces divinités tutélaires un culte particulier : elles lui avaient, dit son biographe, apparu dans son enfance : Apollon pour le guérir d’une maladie, en lui touchant la tête ; Minerve pour l’encourager à aller poursuivre ses études à Athènes. Le souvenir de ces deux apparitions resta profondément gravé dans son esprit jeune et enthousiaste. Après avoir étudié à Alexandrie la langue latine sous Arion et l’éloquence sous Léonaras, il fit un court voyage à Byzance, et revint à Alexandrie, où il entendit le physicien Héron et Olympiodore, qui l’initia à la philosophie d’Aristote, considérée comme l’introduction à celle de Platon : l’un était le philosophe de l’Entendement qui s’attache à la série des causes et des effets sans jamais l’épuiser ; l’autre le philosophe de la Raison, qui cherche l’Unité dans la variété des choses. Proclus se rendit ensuite à Athènes, où il y eut pour maîtres Plutarque, déjà vieux, et Syrianus, auquel il succéda. Il fut instruit dans les mystères théurgiques par Asclépigénie, fille de Plutarque et prêtresse d’Éleusis. Les poëmes orphiques, les écrits d’Hermès et les oracles chaldéens étaient pour lui des révélations divines, et il les regardait comme la source de la vraie science philosophique. Il connaissait à fond toutes les cérémonies du paganisme, et célébrait toutes les fêtes religieuses des peuples divers, disant qu’il ne convenait pas à un philosophe d’exercer le culte d’un seul État, mais qu’il devait être l’hiérophante du monde entier (τοῦ ὅλου κόσμου ἱεροφάντης). Ainsi, il observait rigoureusement les fêtes des Égyptiens ; il jeûnait le dernier jour de chaque mois ; il se préparait par le jeûne à certaines manifestations démoniaques que son organisation naturelle paraissait provoquer, et il composait des hymnes pour les divinités protectrices de différentes localités. Lorsqu’on voulait lui faire sentir les inconvénients d’une vie trop austère, il répondait : « Que m’importe le corps ! c’est l’esprit que j’emmène avec moi quand je mourrai ». Ces pratiques religieuses le firent, dit Marinus, entrer en rapport avec certains dieux et lui procurèrent le don des miracles. Un jour, continue son biographe, pendant qu’il souffrait de la goutte, un oiseau vint lui arracher le topique, appliqué sur le membre endo- lori. Le malade demanda aux dieux l’explication de cet augure. Esculape lui parut alors en rêve, et examina soigneusement le pied du malade ; le lendemain le mal avait disparu. Proclus obtenait des guérisons miraculeuses par des amulettes, des prières et des paroles magiques ; il faisait, dit-on, naître la pluie, tempérait l’ardeur du soleil et calmait les tremblements de terre. La plupart de ses inspirations lui étaient transmises en songes ; il apprit par la même voie qu’il était un des anneaux de la chaîne Hermétique (σεῖρα ἑρμαϊκή), c’est-à-dire qu’il faisait partie de la série d’hommes consacrés par Hermès et destinés à recevoir des communications surnaturelles, et que son âme avait jadis animé le pythagoricien Nicomaque. Il fut, par le même moyen, averti du projet des chrétiens d’aller briser la statue de Minerve au Parthénon : une belle femme lui apparut en songe, et lui ordonna de préparer sa maison pour y recevoir la déesse.

Sincèrement attaché à la religion de ses ancêtres, Proclus demeura jusqu’à sa mort un adversaire déclaré du christianisme ; en restant ainsi fidèle à ses convictions, il exposait sa vie, à cette époque de réaction violente contre le culte des anciennes divinités. À l’instar des premiers chrétiens, les païens, persécutés depuis Constantin, ne pouvaient se livrer qu’en secret aux pratiques de leur culte. Les néoplatoniciens cachaient leur enseignement. Dénoncé pour avoir violé les lois des empereurs chrétiens, Proclus fut pour quelque temps banni d’Athènes. Après son retour, il devint plus circonspect, et ne communiquait plus les secrets de ses doctrines qu’à des disciples éprouvés dans des réunions anonymes (ἄγραφοι συνουσίαι), qui avaient lieu la nuit. Cette contrainte, unie à une conviction profonde, lui faisait souvent dire que s’il en avait le pouvoir il ne laisserait circuler de tous les écrits que les sentences des oracles et le Timée, Ainsi, l’intolérance régnait dans le camp des chrétiens aussi bien que dans celui des païens ; il ne faut donc pas s’étonner que dans ce déplorable état des esprits tant d’ouvrages de l’antiquité aient péri.

Proclus mourut à soixante-treize ans, et fut enterré près de Lycabatte. Au rapport de Marinus, il était d’une beauté rare et doué en même temps de grandes qualités morales. Il conserva l’usage de tous ses sens jusqu’à la fin de ses jours, bien que ses forces eussent été brisées par de nombreuses veilles et des pratiques d’ascétisme. À l’exception de quelques attaques de goutte ou de rhumatisme, il n’avait jamais été malade. Sa mémoire était prodigieuse, et il passait pour inspiré ; « quand il prononçait ses dogmes, dit son biographe, sa figure paraissait comme illuminée ». Suivant M. Cousin, Proclus avait concentré dans son système tous les rayons philosophiques émanés des plus grands penseurs de la Grèce, tels que Pythagore, Platon, Aristote, Zénon, etc. Cet éloge est évidemment exagéré : pour s’en convaincre il suffit de lire les œuvres mêmes de Proclus publiées par M. Cousin (Procli Diadochi Opera, e codd. mss. bibl. reg. Paris, tum primum edidit, lectionis varietate, vers. latina et commentariis illustravit ; Paris, 1820-1827, 6 vol. in-8o).

Les doctrines spiritualistes et mystiques de Platon avaient presque exclusivement fixé l’esprit de Proclus, comme l’attestent ses commentaires du Parménide (édit. Stallbaum ; Leipzig, 1840), du Timée (éd. E. Chr. Schneider ; Breslau, 1847), de l’Alcibiade (par Creuzer ; 1822), du Cratyle (Boissonade ; Leipzig, 1820), et son Institution théologique (στοιχειώσις θεολογικὴ)[1]. Proclus enseignait que la foi seule, qu’il distinguait bien de la certitude, peut conduire à la théurgie ; que celle-ci, comprenant la mantique et l’inspiration surnaturelle, est préférable à toute sagesse humaine ; que tout ce qui est engendré doit avoir une ressemblance déterminée avec ce qui engendre ; et que l’inférieur n’est en rapport avec le supérieur que par des êtres intermédiaires. C’est pourquoi les hommes ne communiquent, disait-il, avec l’Être suprême que par les démons, ce qui ne l’empêchait pas d’admettre que la Raison humaine est une parcelle de la Raison divine ou de l’Être suprême, qu’il appelait l’Un et le Premier. Il concevait les âmes incarnées si intimement liées entre elles que les fils devaient participer aux fautes de leurs pères, les sujets à celles de leurs souverains, et il partait de l’organisation de la famille, de l’État, des peuples pour arriver à la vraie solidarité de tous les membres de la famille humaine. Les âmes, il les supposait revêtues d’enveloppes plus ou moins déliées selon leur degré de perfection ou d’élévation.

L’Institution théologique est l’œuvre la plus importante de Proclus. Elle est surtout remarquable par sa méthode, empruntée aux géomètres. Ainsi, chacun des CCXI chapitres dont se compose l’Institution théologique contient en tête une proposition énoncée sous forme de théorème ; elle est suivie d’une démonstration en règle, et se termine quelquefois par divers corollaires. C’est un ouvrage essentiellement dogmatique. L’auteur commence par établir (chap. 1), que tout multiple (πλῆθος) participe de l’Unité (μετέχει τοῦ ἑνός) : il fonde sa démonstration sur ce que le multiple est toujours une quantité déterminée. Il s’engage ensuite dans des considérations fort obscures sur l’Unité et la multi- plicité, sur les causes productives et leurs effets (περὶ παραγόντων καὶ παραγομένων), sur le bien suprême (τἀγαθόν), sur ce qui se suffit à soi-même (αὔταρκες), sur l’immobilité, l’incorporéité, la perfection, l’éternité, la divinité et l’intelligence. La partie la plus curieuse est celle qui termine l’ouvrage, et qui traite de l’âme. En voici les principales propositions. Tout âme incarnée se manifeste dans des conditions limitées, c’est-à-dire que ses manifestations ont pour mesure le temps, tandis que par sa racine elle plonge dans l’éternité[2]. Elle peut prendre toutes les formes que la pensée (νοῦς) est capable de concevoir ; elle se suffit à elle-même par sa propre vie (αὐτόζως) ; elle parcourt des périodes définies pour revenir à son point de départ. Ces périodes se divisent en ascensionnelles et en descendantes, relativement au point initial. Les âmes s’échelonnent et se groupent suivant la distance qui les séparent de la source d’où elles émanent. Dans l’échelle descendante, elles se revêtent d’une enveloppe qui devient de plus en plus matérielle, jusqu’au moment de leur incarnation, où cette enveloppe atteint le maximum de matérialité. Proclus a émis des idées remarquables sur la liberté et la volonté humaine. Ainsi il démontre fort bien que les fonctions qui entretiennent la vie sont indépendantes de notre volonté, tandis que les efforts qui constituent notre personnalité sont le résultat de notre libre arbitre ; en un mot, nous sommes à la fois menés et nous menons. Malheureusement l’auteur n’est pas conséquent avec sa théorie ; car, comme l’extase est pour lui l’idéal qu’il faut chercher à atteindre, et que dans cet état l’homme abdique sa raison ou sa personnalité, il faut bien qu’il renonce en même temps à l’usage de sa liberté.

Proclus n’était pas seulement métaphysicien : il avait des connaissances étendues en mathématiques et particulièrement en astronomie, comme l’atteste son Traité de la sphère (De sphæra liber ; Anvers, 1553, in-18 : dans cette édition on trouve aussi les traités de Cléomède et d’Arate, accompagnés de traductions latines. Le traité de Proclus a été réédité par Gutenaecker, Wurtzbourg, 1830). Toutes les divisions de la sphère céleste y sont exposées avec autant de clarté que dans nos meilleurs traités d’astronomie. F. H.

Brucker, Hist. philosoph.Tenneman, Geschichte der Phil., t. V. — Diction. des sciences philosoph.Smith, Dict. of gr. and rom. biography.

  1. Les manuscrits de cet ouvrage ne sont pas rares dans les différentes bibliothèques de l’Europe. Le texte grec parut pour la première fois à Hambourg, en 1618. Creuzer l’avait reproduit avec d’autres écrits, sous le titre de : Initia philosophiæ ac theologiæ ex Platonis fontibus ducta, S. Procli et Olympiodori in Platonis Alcibiadem commentarii ; ex codd. mss. nunc primum græce edidit, itemque ejusdem Procli Institutionem theologicam integriorem emendatioremque adjecit, 4 vol.in-8o ; 1820-1825. Le 4e vol.  contient la Réfutation de l’Institution théologique, par Nicolas de Modon, publiée avec des notes de J.-F. Vœmel, 1825. Le texte et la trad. latine font partie de la Biblioth. gréco-latine d’A. F. Didot.
  2. Πᾶσα ψυχὴ μεθεκτὴ τὴν μὲν οὐσίαν αἰώνιον ἔχει, τὴν δε ἐνέργειαν κατὰ χρόνον. Cette phrase, si remarquable, n’aurait guère de sens si, peu familier avec le langage et les idées des néoplatoniciens, on voulait la traduire littéralement par toute âme participable possède l’essence divine et l’activité dans le temps. — La racine de l’âme, c’est ce que la célèbre voyante de Prevorst (qui certainement n’avait jamais connu la philosophie de Proclus) appelait le cercle vital, figurant la vie interne, qui dure éternellement. De même que son cercle solaire, « que nous avons, dit-elle, aussi en nous, mais qui tombe ou disparaît au moment de la mort, » est l’équivalent de, ἐνέργειαν κατὰ χρόνον du commentateur de Platon (Voy. Kerner, Die Seherin von Prevorst ; Stuttgard, 1846, p. 199 (4e édit.).