Nouvelle Biographie générale/VILLON François

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Firmin-Didot (46p. 112-114).

VILLON (François), poète français, né en 1431, à Paris, mort entre 1480 et 1489, soit en Poitou, soit à Paris. Il n’y a rien de moins authentique que la plupart des notices qui lui ont été consacrées, depuis celle de Colletet jusqu’aux recherches de Prompsault. Les détails positifs que nous avons sur lui sont rares ; ils se trouvent dans ses vers. C’est Villon qui a dit dans un quatrain cynique :

Je suis François, dont ce me poise.
Né de Paris, emprès Ponthoise ;
Qui d’une corde d’une toise
Sçaura mon col que mon cul poise

[1]

C’est un enfant de Paris, né dans l’année même où mourait Jeanne Darc. Ce qui prouve qu’il s’appelait Villon, c’est qu’à chaque instant dans ses vers l’auteur signe de son nom. C’est par lui que nous savons qu’il était pauvre, qu’il était de petite extrace, que son père, peut-être cordonnier de son état « n’eut oncq grand richesse », qu’il répétait souvent devant Villon enfant, qui s’en souvint trop bien plus tard,

Qu’il n’est trésor que de vivre à son aise.

Quant à sa mère, c’était une bonne femme pleine de tendresse pour son enfant et de dévotion pour la Vierge et les saints. Il alla de bonne heure s’asseoir aux bancs des écoles de l’université, mais ce ne fut pas pour y travailler. Car dans un morceau fameux il regrette le temps de « sa jeunesse folle, où il fuyait l’escoile, comme faict le mauvais enfant ».

Il montre au vif la misère des pauvres housseurs[2] ; mais, au lieu de tremper son caractère, la pauvreté eut vite raison de lui, et lui souffla les plus fâcheux conseils. Il a beau poétiquement plaider la cause des gens

Oublyans naturel devoir
Par faulte d’ung peu de chevance ;

il a beau, pour excuser les voleurs, ou, si l’on veut, les escrocs répéter que

Nécessité faict gens mesprendre
Et fait saillir le loup du bois,

on regrette qu’un des patriarches de la poésie française soit aussi un des fondateurs de l’art de vivre aux dépens du prochain, et que ses licences l’aient mené si loin qu’un pas de plus la potence de Montfaucon eût coupé court à sa verve poétique. Nous devinons, sans avoir besoin de recourir au commentateur, ce que furent pour lui belle heaulmière, Blanche la savatière, la gente saulcissière, la belle gantière, Katherine l’éperonnière, sans parler de Katherine de Vauzcelles, ni surtout de cette Margot sa mie chez qui il tenait son estat, disait-il, ajoutant avec ce cynisme qui déconcerte un peu le biographe :

Vente, grèste, geile, j’ay mon pain cuit ;
Je suis paillard, la paillarde me duit.
L’ung vault l’autre ; c’est à mau chat mau rat.
Ordure amons, ordure nous affuyt.
Nous desfuyons honneur, il nous deffuyt.
En ce b… et où tenons notre estat.

Les amis qu’il fréquentait ne semblent pas avoir été d’une moralité beaucoup plus relevée que les héroïnes dont nous venons de parler. C’était une compagnie fort redoutée non-seulement « du tavernier qui brouille notre vin[3] », mais surtout des honnêtes gens. Si nous en jugeons par la légende qui est consignée dans les Repues franches, cette troupe d’écoliers ressemblait fort à une troupe de filous : ils avaient fondé leur cuisine ordinaire sur des tours d’adresse qui relevaient du lieutenant criminel ; et ils avaient les notions les plus singulières sur le droit de propriété. Quelques démêlés que Villon ait eus avec le prévôt, nous pouvons beaucoup pardonner à l’étudiant indiscipliné quand nous relisons la patriotique ballade intitulée : Qui mal voudrait au royaume de France ! Quelque mésaventure, peut-être une disgrâce amoureuse, le décida en 1456 à quitter Paris ; mais avant de se rendre à Angers, il lui fit ses adieux par une série de lays ou de legs, dont l’ensemble composa ce que dès 1489 les éditeurs ont désigné sous le titre de Petit Testament, « le Petit Testament, dit M. Campaux, se compose de quarante-cinq octaves qui se balancent chacune sur trois rimes croisées, dont vingt-cinq de legs, encadrés entre un préambule plein d’émotion et une sorte d’épilogue qui de religieux devient, bien vite burlesque, par un de ces soubresauts qui ne sont pas rares chez Villon. » Ce qui rend vraiment originale cette œuvre de jeunesse, c’est la haute bouffonnerie, c’est la verve capricieuse de ces legs qu’il adresse à chacun de ses compagnons et aussi à chacun de ses ennemis, je veux dire ces professeurs qui le rappelaient au travail et à la règle.

Villon ne resta pas longtemps à Angers : vers la fin de 1457 nous le retrouvons dans les environs de Paris, à la tête de quelques mauvais garnements et compromis avec eux dans un audacieux attentat, qui pourrait bien être un vol à main armée. Enfermé dans le Châtelet, il fut mis à la question et condamné à mort. C’est alors qu’il en appela au parlement. Villon nous a redit toutes ses angoisses dans la ballade dite de son appel. Il paraît que son affaire était compliquée ; elle passa par des phases assez peu rassurantes : plusieurs des compagnons du poète furent condamnés ; il put craindre le même sort, et essaya de sourire à la mort dans des ballades d’un réalisme vraiment tragique, où il se représente pendu en nombreuse compagnie.

La pluie nous a debuez et lavez,
Et le soleil desséchez et noirciz ;
Pies, corbeaulx nous ont les yeux cavez.
Et arrachez la barbe et les sourcilz … …
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre.

Charles d’Orléans intervint auprès du parlement en faveur du poète : il en fut quitte pour le bannissement. Il quitta donc Paris. Nous le perdons de vue, et ne le revoyons plus qu’au milieu de 1461. Alors encore il est en prison à Meung-sur-Loire par le fait de Thibaut d’Aussigny, évêque d’Orléans. De quel délit était-il coupable ? On ne sait. On a conjecturé, non sans quelque raison, que c’est après cette retraite forcée, qui dura tout un été, qu’il composa le Grand Testament. « Cet ouvrage, dit M. Campaux, renferme une longue suite de legs satiriques ; mais ces legs, au lieu de constituer le fond même du poème, n’en sont en réalité que le prétexte et que la partie accessoire. Le fond du Grand Testament, ce sont les plaintes, les regrets, les remords et les confessions qui remplissent le préambule et la plus grande partie du Codicille. » Au reste ce système ne s’élève pas si haut qu’on a bien voulu le répéter : il en veut à l’évêque et aux geôliers parce qu’ils l’ont fait

Boire eau maints soirs et matins.

Que devint-il après sa sortie de prison ? Où composa-t-il son Grand Testament ? Est-ce à Paris ? Est-ce en Poitou, à Saint-Maixent, où Rabelais affirme qu’il se retira sur ses vieulx jours soubs la faveur d’ung homme de bien ? Alla-t-il en Angleterre, comme l’affirme aussi Rabelais dans son Pantagruel, où il lui attribue une facétie évidemment empruntée à la légende dont Villon devint le héros dans la bohème parisienne ? Ce sont des questions dont la solution n’ajoute rien à la renommée du poète ; seulement s’il est vrai qu’il ait écrit le Dialogue de MM. de Mallepaye et de Baillevent et le Monologue du franc archier, ce qui n’est nullement prouvé, il faudrait admettre que Villon a prolongé sa vie jusqu’à soixante ans passés ; dans le Dialogue en effet on lit une allusion à la défaite de Charles le Téméraire, qui eut lieu en 1477, sous les murs de Nancy, et le Monologue doit avoir été composé, après 1480, année où fut supprimé le corps des archers.

La plus ancienne édition des œuvres de Villon parut sous ce titre : Le Grand Testament Villon et le Petit. Son codicille. Le Jargon et ses Ballades (Paris, 1489, pet. in-4o, goth., fig.) ; Elle fut reproduite dans la même année, avec d’autres figures et des caractères latins (Paris, 1489, in-4o). De 1489 à 1542 il y eut vingt-neuf réimpressions consécutives de Villon, toutes faites à Paris, trois exceptées, qui sont de Lyon ; qu’on y joigne seize parodies ou imitations de ses deux Testaments, et l’on aura une idée du retentissement de l’œuvre villonesque dans le commencement du seizième siècle. De tous ces hommages posthumes le plus flatteur sans contredit pour notre poète, c’est l’édition de ses œuvres publiée par Cl. Marot (Paris, 1533, pet. in-8o), et dédiée à François Ier. Sans doute Marot ne lui attribuait pas les Repues franches, que depuis 1532 on a souvent mises à la suite du Grand Testament, et qui sont d’ignobles légendes de filous versifiées en termes d’argot. Après 1542 les éditions de Villon s’arrêtent pendant près de deux siècles. Patru cependant le goûtait ; La Fontaine le lisait, et Boileau lui consacrait ces deux vers, plus concis que clairs :

Villon sut le premier, dans ces siècles grossiers,
Débrouiller l’art confus de nos vieux romanciers.

En 1723 parut l’édition de Coustelier (Paris, pet. in-8o), avec les notes de Marot et de Laurière, et une lettre du P. du Cerceau, et en 1742 celle de Marchand (La Haye, pet. in-8o, en 2 part.), avec des fragments inédits. Bientôt Lenglet-Dufresnoy prépara son commentaire qui resta manuscrit et qui est à la Bibliothèque de l’Arsenal. En 1832 une édition procurée par Prompsault (Paris, in-8o) ramena l’attention du public savant vers les lacunes du texte. Enfin la plus récente et la meilleure est celle qui fait partie de la Bibliothèque elzevirienne (Paris, 1854, pet. in-12).

Aujourd’hui on rend pleine justice à Villon, à son inspiration sincère et naïve ; on lui sait gré d’avoir aimé la France, alors qu’il y avait à peine une France, d’avoir cru au Dieu du ciel, quand il était si fort avant dans la fange de la terre ; on lui sait gré d’avoir su dans un cadre si restreint être si varié, d’avoir tantôt ri, tantôt pleuré, quelquefois avec grâce, mais toujours de bonne foi ; quelques-uns aussi le louent pour avoir été le poète du peuple et des pauvres, alors qu’il n’y avait que les grands qui eussent le privilège d’inspirer nos trouvères. Comme dit fort bien Daunou, « Villon vient le premier de nos poètes, il vient avant Ch. d’Orléans, parce que le progrès de l’art des vers est sensible chez lui, parce qu’il a plus d’idées, plus de saillies, des tours plus piquants, des formes plus diverses, enfin parce qu’il ne demeure pas resserré dans le genre érotique, ni dans les limites étroites de la galanterie chevaleresque. » Pour tous ces motifs Villon peut prendre rang dans ce chœur de poètes vraiment nationaux, où brillent Marot, La Fontaine, Molière, Voltaire, Béranger, tous ceux qui ont eu le naturel, l’esprit, la verve, l’instinct de la liberté, le discernement qui voit le mal, la sensibilité qui s’en afflige, la philosophie qui en rit quelquefois, n’en pleure jamais longtemps, chez lesquels se retrouve cet ensemble de dons heureux qu’on pourrait appeler sinon la poésie, au moins le sens poétique en France.
F. Colinchamp
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Lettre du P. du Cerceau, dans l’édit. de Coustelier. — Goujet. Bibl. française. — Villemain, Cours de littér. fr. — Saint-Marc-Girardin, Sainte-Beuve, Ph. Chasles, Tableau de la littér. française. — Daunou,


dans le Journal des savants, sept. 1892. — Th. Gautier, les Grotesques. — D. Nisard, Hist. de la littér. française. — Nagel, Essai sur la vie et les œuvres de Villon ; Mulheim, 18.., in-8o. — Profilet, De la vie et des ouvrages de Villon ; Châlons, 1856, in-8o. — Campaux, Villon, sa vie et ses œuvres ; Paris, 1859, in-8o.

  1. Ces vers sont authentiques : il n’en est pas de même de ceux que le président Fauchet prétend avoir trouvés dans un manuscrit que depuis personne n’a jamais revu :

    Je suis François, ce dont me poise

    Nommé Corbueil en mon surnom,

    Natif d’Auvers emprès Ponthoise

    Et du commun nommé Willon, etc.

  2. C’est-à-dire des écoliers qui se couvraient la tête et les épaules avec des housses ou couvertures.
  3. Ballade de Villon, publiée en entier dans la Notice de M. Campaux, p. 63-66.